Phase 1 Groupe 1

Dans les rues de l'Âtma Samaaj, c'est tout un cortège de jeeps de police qui file, sirènes hurlantes, en direction de la place centrale.

Dans le véhicule de tête, la femme qui conduit a les mains crispées sur le volant, et elle écrase la pédale d'accélérateur, focalisée sur le grand bâtiment qui se détache à l'horizon, grossissant lentement à mesure qu'elle s'en approche. La Banque Karmique de l'Âtma Samaaj - là où toutes les âmes d'Asie du Sud vont faire fructifier leurs devises karmiques durement gagnées après leur décès, dans l'espoir d'obtenir une réincarnation dans une caste sociale supérieure une fois rappelées sur Terre ! Un bâtiment sacré, qu'aucune des milliards d'âmes réunies n'oserait profaner, qu'il s'agisse du plus respectable des brahmanes ou du plus méprisable des parias squattant les slums des districts isolés.

Enfin, personne, jusqu'à aujourd'hui.

L'idée est si saugrenue, si contre nature que cet établissement n'est pas défendu aussi farouchement que les quartiers militaires, en dépit des nombreuses portes soi-disant inviolables et autres systèmes de sécurité qu'on peut trouver à l'intérieur pour barrer l'accès aux coffres qui contiennent les précieuses devises karmiques. Pourtant, pour la première fois depuis des siècles, l'alerte a été donnée. Une alarme stridente, qui résonne à des kilomètres à la ronde et n'a pas manqué d'alerter les forces de police chargées de faire régner l'ordre parmi les âmes en attente de réincarnation.

Mais voilà que le cortège déboule enfin sur la grande place où se dresse le monumental bâtiment en question; sa façade blanche décorée de rouge et de vert, ses dorures peintes avec goût redonnent habituellement du baume au cœur de ceux et celles qui ont la chance de la contempler, mais pas aujourd'hui.

Sans s'arrêter, elle file tout droit en direction de l'entrée de l'établissement, où se trouve l'énorme porte principale à double battant. Et puis, à toute allure, elle la traverse, braquant brusquement sur le côté pour entamer un dérapage.

Arrachées de leurs gonds, les portes s'en trouvent pulvérisées; la jeep, elle, débarque dans le vaste hall principal dans un crissement de pneus, avant de finir déséquilibrée, comme au ralenti. Un premier tonneau, et la portière s'ouvre; au second, une jambe apparaît, et la conductrice descend tranquillement avec un timing impeccable, mettant pied à terre alors que le véhicule désormais enflammé s'élève dans les airs, tournoyant et virevoltant jusqu'à exploser au niveau du plafond, au-dessus de sa tête. Main sur la hanche, son chapeau western vissé sur son crâne, elle sort une paire de Ray-Ban de la poche frontale de son uniforme et l'enfile lentement, les gerbes de flammes retombant çà et là autour d'elle en faisant danser leurs lueurs orangées dans les verres de ses lunettes.

Tandis qu'elle tient la pose, d'autres véhicules entrent à sa suite, se plaçant de part et d'autre d'elle, leurs gyrophares éclairant alternativement son corps de rouge et de bleu. Et puis le reste des forces de l'ordre en descendent, se mettant en formation derrière elle, tapant du pied à un rythme endiablé - certains armant leurs fusils d'assaut spirituels, d'autres dressant leurs boucliers décorés de néons afin d'encadrer sa silhouette, alors qu'elle effectue quelques pas de danse pour retourner se placer bien au milieu de l'attroupement.

En tant que Commandante en chef de l'escadron, c'est Sandhyā qui prend la parole, sa voix tonnant dans le hall alors que la sirène d'alarme semble désormais bien lointaine :


- Je suis... le mauvais karma qui frappera les profanes !


Et elle jette un coup d'œil autour d'elle, ignorant sciemment les employés encore cachés à plat ventre derrière leurs guichets, attendant que les intrus fassent leur apparition.

Aasha savait que toute sa vie n’était faite que pour mener en cet instant. Elle s’y était préparée depuis sa plus tendre enfance. Et sa mère avant elle. Et la mère de sa mère encore avant. Il était possible de remonter bien loin ainsi. Un véritable plan établi sur plusieurs générations. Une sorte d’héritage familial donnant un sens à leurs vies, sans pour autant imaginer qu’il ne deviendrait réalité.
Pourtant, l’heure était venue. La sienne surtout. Montrer que tout était possible du monde qu’on faisait le nécessaire. Certains l’avaient traité de folle. Comment leur en vouloir ? Après tout, il ne s’agissait rien de moins que de la Banque Karmine de l’Âtma Samaaj ! Personne n’oserait s’y attaquer, donc pourquoi mettre trop de moyen pour le protéger ?
Ce qu’ils peuvent être bêtes.

Ceci était justement la base de son plan. Un tel coup était impossible car nul ne penserait qu’il l’était. C’était la conclusion à laquelle elle était arrivée. Pourtant, ce n’était pas si compliqué. Quelques motos placées à l’avance pour repartir. D’autres utilisées pour entrer. Un véritable hit & run. Idéalement, elle serait déjà repartie avant que tous ne puissent comprendre ce qui se passait.
Bien sûr, prendre l’entrée principale ne serait que pure folie. Voilà pourquoi ils étaient passés par les airs. Des tremplins bien placés et voilà que les engins faisaient une entrée tonitruante par les fenêtres. Pas même le temps d’atterrir que les conducteurs avaient déjà sautés, se mettant en action sans perdre de temps.
L’alarme non plus n’en perd pas.

>> Bon, ça c’était prévu. Le temps qu’ils arrivent, on devrait être prêts à partir. Vous savez ce que vous avez à faire !

Elle avait choisi les meilleurs dans leurs domaines après tout, afin de justement ne pas avoir à les materner tout le long une fois en action. Chacun avait ses raisons d’être présents. Le défi, la gloire, le gain. Le plus important était que les motivations soient de nature à ce qu’ils s’assurent que tout soit bien fait.

Tout était prévu.
Sauf peut-être l’important bruit au rez-de-chaussée, qui intervint un peu plus vite que prévu. Sans perdre de temps, la Kaptaan – elle n’allait tout de même pas donner son véritable nom – alla sur place afin de constater de ses propres yeux. Et entendre, hélas.
Une seule personne pouvait avoir fait aussi vite. Et surtout, seule elle pouvait sortir une telle punchline.

>> Le karma je ne sais pas, mais le mauvais goût par contre…

Sans crainte, elle descendit les marches menant au rez-de-chaussée, entourée des bras armés de son équipe alors que les spécialistes continuaient leur travail. Si la représentante de l’ordre avait l’art du spectacle en toute circonstance, la cambrioleuse savait le garder pour le moment venu.
Comme celui-ci.

>> Et bien, maintenant que vous êtes là… Révèle-toi aux yeux du monde, Ishwar Banna !

A ces mots, les lumières changèrent, le tout prenant soudainement une teinte violette à la sortie de leurs armes. D’un mouvement uniforme, elle et ses hommes se mirent en place, suivant un rythme que nul ne pouvait entendre mais que tous connaissaient.
Le but n’était pas de vaincre. Simplement de faire en sorte que les autres puissent travailler. Premier pas. Des éclairs illuminent la scène, se dirigeant droit vers les soi-disant représentants de l’ordre. Deuxième pas, la troupe se rapproche, empêchant toute opportunité de se mouvoir à leur aise, et surtout frappant d’un coup sec de leur arme.
S’ils finissent à terre, ils ne devraient pas les empêcher de partir avec le gros lot non ?

Elle !

Cette chevelure violette, Sandhyā la reconnaît entre mille : elle appartient à sa rivale de toujours, Aasha. Une femme avec laquelle elle a eu bien des prises de bec - depuis qu'elle est devenue une représentante de la Justice, la brune a dû enquêter sur elle plusieurs fois, sans jamais réussir à la coincer. Un génie du crime, bien sous tous rapports, mais qui révèle enfin son vrai visage alors qu'elle descend le grand escalier du hall principal, semblant parfaitement à sa place.

Flanquée de sa propre escorte, elle adopte elle aussi une formation de combat avant d'engager les hostilités. Des éclairs magiques fusent de part et d'autre; derrière la représentante des forces de l'ordre, des policiers chutent de façon spectaculaire, tandis que d'autres lèvent leur bouclier à temps pour parer l'assaut. Sandhyā elle-même, foudroyée, effectue une vrille en arrière sous la force de l'impact, avant de se réceptionner au sol avec souplesse, roulant pour se replacer sur ses appuis sans quitter des yeux son adversaire.

Autour d'elle, ses troupes luttent contre l'avancée des criminels qui les ont chargées. Vite, il est temps de remédier à cela !

Elle lève une main vers le plafond et claque des doigts, ramenant l'attention sur elle. Aussitôt, les projecteurs violets adoptent des tons bleus et rouges, se braquant sur elle et éclairant le chemin qui la sépare encore de son ennemie. Comme ralliés par cette mise en scène, les autres policiers parviennent enfin à repousser l'attaque, récupérant un peu d'espace, et reprennent leur formation initiale.

Et puis Sandhyā pose un pied devant elle. Comme un seul homme, ses troupes l'imitent, armes braquées vers l'avant. Main sur la hanche, avançant à la manière d'un mannequin sur son estrade, la brune réduit l'espace qui la sépare de sa némésis, chacun de ses pas parfaitement imité par ses troupes imperturbables - véritable mur humain qui progresse le long du hall, quelques mètres derrière leur meneuse, forçant les méprisables cambrioleurs à battre en retraite face à tant d'unité.

Désormais non loin d'Aasha, elle s'arrête sur place, prend la pose et porte une main à ses lunettes, les abaissant pour mieux dévisager son opposante.


- Je vous offre UNE - elle lève un index manucuré vers les airs - chance de vous rendre. Après ça, je n'hésiterai pas à vous faire sauter au nom de la justice, même si le bâtiment doit partir en fumée avec vous. Mais si vous voulez lutter contre le destin...


Et elle remet ses lunettes en place, faisant voler sa chevelure d'un coup sec de la tête alors qu'elle continue de dévisager la criminelle derrière ses verres teintés, et se fige, tendant lentement un bras vers l'avant. Paume vers le haut, elle fait nonchalamment un petit geste sec de ses doigts joints, provoquant ouvertement son interlocutrice à l'attaquer si elle l'ose.

Autour d'elle, les forces de l'ordre braquent leurs fusils spirituels vers la cambrioleuse dans un cliquetis fort satisfaisant. La brune réprime un sourire. Avec ces projecteurs concentrés sur elle, elle sent un véritable feu intérieur qui l'envahit - elle se sentirait capable de soulever des montagnes. Après tout, elle représente la justice ! Et comme chacun le sait, lorsque la justice frappe, elle le fait sans pitié. C'est pourquoi elle économise ses efforts pour cette petite mise en scène visant à intimider et impressionner leurs adversaires; si on l'y oblige, elle déchaînera toute sa fureur à l'instant où Aasha fera mine de riposter.

Mais pour l'instant, elle reste patiente, laissant agir le charisme naturel qui suinte de tous ses pores comme une aura magique.

Elle osait. Tout était parfaitement organisée, mais la perturbatrice se permettait de tenter de prendre le contrôle de la scène. Plus encore que ses mots, ce simple fait témoignait d’une véritable provocation à son encontre. Pourtant, plus que jamais, cela semblait évident. Elle n’était qu’une simple poseuse, s’exclamant fort et tentant de faire le spectacle, mais incapable d’agir. Pourquoi sinon laisser le temps à la voleuse et son équipe de continuer à agir.

>> Quelle arrogance venant de celle ayant toujours failli à m’arrêter… Et pourtant, tu n’as encore rien vu ! Om Namo Narayanaya !

La tension était telle que l’air crépitait, littéralement.
De nouveau elle reprenait le contrôle. Les projecteurs illuminaient leur cible véritable. Son escorte se mettait à danser au rythme d’une musique que tous pouvaient maintenant entendre. Et elle-aussi, canalisant sa véritable puissance.
Il n’était plus question de simple jeu de lumière, mais d’une véritable prise de contrôle tandis que son aura prenait forme, de multiples bras venant alors se placer à ses côtés, bougeant également en cadence. Pour ceux en face par contre, la simple vue d’une telle forme devait être éprouvante pour l’esprit.
Puis une pause dans la musique, et donc dans la chorégraphie. Redressant la tête, elle regarde droit devant elle, fixant sa Némésis dans les yeux, au travers de ses lunettes.

>> Je suis devenue la Mort, le Destructeur de Monde.

Voilà quelle était la véritable clef du plan d’Aasha. Des compétences qu’elle n’avait jamais montré à personne et qui lui assuraient la victoire. Qu’importe ce que pouvait réservait Sandhyā, cela ne pouvait être à la hauteur. Elle en était persuadée.
Et ses hommes également, ces derniers reprenant alors des forces et se remettant en action plus motivés que jamais. Pourtant, tous étaient conscients d’une chose. Peu importe ce que les figuraient pouvaient faire, seules les stars comptaient.
Si Aasha tombait, rien n’empêcherait les forces de l’ordre d’arrêter les autres.
Si Sandhyā n’arrivait pas à tenir le rythme, nul ne pourrait passer le cerveau de l’opération. Et ainsi, le plus grand cambriolage ayant jamais été tenté serait une grande réussite.

>> Et, cette justice… Est-elle capable de tenir la cadence ?

Un pas et la distance restant entre les deux ennemies fut réduite à néant. Dans le même mouvement, l’un des bras frappa.
Une fois.
Puis une deuxième.
Seule un parfait respect de la chorégraphie que tentait d’imposer Aasha pourrait permettre de rester dans les temps. En dévier un peu trop fortement ne pourrais qu’être fatal. Et la pression qu'elle imposait alors n'était pas pour faciliter les choses.

Qu'est-ce donc!? Se posant en pseudo-divinité, Aasha libère un bien étrange pouvoir, faisant apparaître des bras supplémentaires qui l'encadrent à la manière d'un Vishnou des temps modernes. Comment ose-t-elle usurper ainsi un tel attribut céleste, elle qui commet l'ultime transgression - s'accaparer le bon karma d'autrui, se préparant ainsi à un destin d'exception qu'elle n'a pourtant pas mérité?

Alors que son opposante se jette sur elle, Sandhyā frappe dans ses mains, et un nuage de paillettes scintillantes les enveloppe toutes deux, obscurcissant la vision d'Aasha qui tente néanmoins de l'atteindre à l'aveugle au travers de cet obstacle. Si la brune se soustrait aux frappes, elle ne peut rien faire face aux gerbes d'éclairs qui jaillissent du corps de sa rivale et sapent son énergie, aussi recule-t-elle à bonne distance, revenant se placer au milieu du peloton qui l'accompagne toujours.


- Tu n'es pas digne de ce pouvoir. Lui aussi, tu l'as dérobé aux dieux? Jamais ils ne te le confieraient de leur plein gré, car celle qui applique leur justice... c'est moi. Feu !


Parfaitement coordonnés, les agents positionnés derrière elle se mettent à tirer à l'unisson, et une salve de rayons d'énergie traverse l'espace qui les sépare de leur cible, balayant généreusement la zone pour faire reculer le reste du groupe ennemi par la même occasion.

Portant sa main à sa hanche, Sandhyā tire un petit pistolet du holster qu'elle porte sanglé autour de sa cuisse. L'arme tournoie autour de son majeur, et elle ajuste tranquillement sa position, calant fermement la crosse de bois laqué au creux de sa paume. Derrière elle, quelques agents, connaissant leur cheffe, lèvent leurs boucliers et les placent dans son dos en guise de support, alors que d'autres prennent la décision de faciliter son assaut à venir en prenant pour cible les imposants bras déployés autour du corps de la criminelle.


- Ton plan est voué à l'échec. Même les trésors de karma conservés en ces lieux ne suffiront pas à racheter tes fautes !


Le crime est trop grand pour cela, la transgression trop importante - le moment venu, lorsqu'elle réintégrera le cycle des âmes, elle se réincarnera sûrement en bousier durant ses mille prochaines vies.

La brune appuie sur la gâchette, concentrant tout son propre pouvoir dans cet unique tir.

BOUM ! Son propre pouvoir, attribué par sa fonction, se manifeste; nourrie par le mauvais karma des milliers de criminels condamnés à purger leur peine dans la Grande Prison Centrale, une sphère rougeâtre d'énergie pure est expulsée du canon de l'arme, grossissant démesurément dans les airs jusqu'à englober sa cible. D'une puissance phénoménale, l'impact du projectile provoque une détonation qui souffle celles et ceux ayant eu le malheur de se retrouver dans le rayon de l'explosion (allez savoir pourquoi ce pouvoir se manifeste sous cette forme dans le cas de Sandhyā - elle-même ne l'a jamais compris). Le recul monstrueux du tir projette la brune en arrière, et elle se réceptionne sur les boucliers de ses subordonnés, qui l'empêchent ainsi de faire une mauvaise chute.

Reprenant son équilibre avec souplesse, elle ôte ses lunettes pour contempler les gerbes de flammes qui crépitent dans la zone de l'impact, puis les remet dans un geste théâtral alors qu'elle prend à nouveau la pose. Si Aasha émerge de ce feu purgateur, la représentante de la justice n'hésitera pas à réitérer son geste jusqu'à anéantir purement et simplement cette criminelle. Elle l'aura bien mérité !

Et justement... voilà qu'à travers la fumée émergent à nouveau les bras gigantesques de la fausse divinité. Elle s'en est donc tirée !

Alors que les projecteurs se braquent sur Aasha, faisant ressortir son impressionnante silhouette derrière le rideau de flammes, un unique rai de lumière continue de suivre Sandhyā, qui virevolte et pirouette vers l'arrière. La musique reprend, cette fois suivie par les forces de l'ordre qui frappent du pied en cadence; elle plonge vers ses subordonnés, se retrouve portée par le groupe à la manière d'une chanteuse se jetant dans son public, glissant sur leurs boucliers levés. Puis elle se met tout à fait debout sur cette pyramide humaine, à la façon d'une cheffe gauloise, les pavois éclairés au néon lui servant de plate-forme pour qu'elle prenne un peu de hauteur.

Les projecteurs reviennent sur elle, bleus et rouges à nouveau. La revoilà, cette sensation d'être au centre des attentions, qui lui procure tant de puissance ! Reprenant la pose, elle remet sa cible dans son viseur, se concentre, prête à tenir sa promesse en tirant une nouvelle salve vers son ennemie.

BOUM ! Nouvelle détonation, et nouvelle sphère d'énergie rouge qui part du canon de l'arme, allant s'écraser avec fracas derrière le rideau de fumée. Soutenant son effort, ses troupes tirent à l'unisson, mitraillant une fois de plus la zone à l'aveuglette dans l'espoir de toucher ceux qui s'y trouvent encore. Déséquilibrée par le recul de l'arme, Sandhyā n'a cette fois pas de support derrière elle pour l'empêcher d'être propulsée en arrière, et elle se réceptionne durement au sol, roulant pour se replacer sur ses appuis.

Elle jette un œil à son arme. Jamais auparavant elle n'avait eu à utiliser cette technique deux fois au cours du même affrontement : le canon du pistolet, fendu dans sa longueur, n'a pas supporté de devoir canaliser de telles décharges d'énergies dans un laps de temps aussi court. Une lueur rougeâtre s'en dégage, sans parler de la chaleur qui croît au creux de sa paume. Ce n'est pas bon signe...

Alors elle prend ses appuis au sol comme une athlète au départ du 100 mètres et, dans une brève décharge d'énergie, se propulse en avant, fendant en deux son groupe de subordonnés pour repasser sur le devant de la scène. Si la vitesse n'est pas son fort, pour compenser ce souci, elle a appris à manipuler son énergie pour forcer ses membres à se mouvoir au-delà de leurs capacités - un talent duquel il ne faut pas abuser, pour ne pas se blesser ! Profitant de cet élan, elle arme son bras... et jette tout bonnement l'arme devenue inutile en direction de sa cible (même s'il est difficile de la voir encore dans le chaos ambiant : entre les flammes, la fumée, et les ruines des piliers et autres escaliers désormais démolis par les explosions, la précision n'est plus vraiment de mise). Le pistolet tournoie, file droit vers l'emplacement estimé de la cible (si elle est encore en un seul morceau), et une énième détonation indique à sa propriétaire qu'il n'a effectivement pas supporté cet excès de chaleur, les cartouches éclatant tout bonnement dans le brasier.

Finissant sur sa trajectoire, elle freine, tire une cigarette de sa poche et l'allume en la passant dans l'incendie. Elle n'en prend qu'une bouffée, contemplant son œuvre. Voici la justice karmique qu'elle réserve à quiconque ose troubler l'ordre public... Mais est-elle suffisante pour vaincre une adversaire si déterminée?

Il pourrait être possible de relater en détail les événements qui s’étaient déroulés en cet instant. En le faisant de façon objective, sans s’embarrasser des contraintes que chacun des intervenants pouvait subir.
Il était également possible de le faire du point de vue des protagonistes. Notamment celui d’Aasha. Et, il fallait bien l’avouer, c’était assez simple de faire ainsi. Le rythme entraînait de la musique fut perturbé par des bruits parasites. Deux pour être précis. Si certains pouvaient être ignorés, venant à peine faire une fausse note, ce n’était pas le cas ici. Loin de là même, vu qu’ils couvraient totalement la musique.
Repoussée en arrière parmi les débris et la fumée.

Si l’on décomposait un peu plus, la première détonation fut attendue, et donc accueillie comme il se devait. Les bras vinrent en position de protection, créant un orbe autour de leur maîtresse. Suffisamment solide pour encaisser une grande partie de l’attaque, et l’empêcher de trop toucher ses hommes.
La suivante fut plus efficace car inattendue. Pourtant, une nouvelle fois elle se tint devant ses compagnons, encaissant à leur place, et prenant deux nouvelles explosions de plein fouet. Elle parlait de faire en sorte que son opposante ne tienne pas le rythme ? A ce train là, c’était bien elle qui risquait de se retrouver dans ce cas.

>> C’est tout ce que peut faire la justice ? Mouais, pas terrible.

La voix émergea des décombres alors même que son origine était encore ensevelie. De nouveau les projecteurs furent braqués sur elle, où plutôt l’endroit où elle se trouvait. Puis un imposant poing se dressa avec force, suivi par celle qui le contrôlait.
Elle faisait la fière car telle était sa nature. Pourtant, un simple coup d’oeil permettait de voir qu’il ne s’agissait que de mots. C’était à peine si elle tenait debout et il était légitimement possible de se demander comme elle le faisait.

>> Puisque tu n’es pas à la hauteur… A MON TOUR !

La musique repartait alors de plus belle. Elle savait qu’elle jouait le tout pour le tout. Elle savait que tout se jouait maintenant. Elle ne pourrait pas tenir longtemps, donc à son tour de briller. Ses hommes comptaient sur elle. Ceux qui étaient en train de travailler pour marquer l’histoire à jamais, comme ceux à ses côtés.
Ceux-là même qui vinrent se mettre en position, prêts pour la dernière charge. Et toujours cette musique, que tous pouvaient entendre. Une musique intense, galvanisant les troupes. Ou, au contraire, s’insinuant en eux, faisant trembler les plus faibles. Si certains dansaient rien qu’à la simple entente de ce son, d’autres ne pouvaient qu’être tétanisaient sur place, conscients qu’il ne pouvait que s’agir de l’annonce de quelque chose de puissant qui allait leur tomber dessus.
Ceux-là qui devaient être cloués sur place étaient bien entendu les prétendus bras armés de la Justice. Et la cause de tout cela ne put retenir un sourire à l’intention de sa rivale.

>> It’s showtime...

En cet instant, Aasha repensait à beaucoup de chose. Ce n’était pas que sa vie qui était en jeu. Ni même simplement celle de ses hommes. Elle portait également en elle celle de toutes ses ancêtres. Si elle pouvait se tenir là en ce jour, c’était à elles qu’elle le devait. Bien plus que tout ce qu’une personne extérieure pouvait imaginer.
Sandhyā lui avait posé une question restée sans réponse. Le pouvoir manifesté avait-il également été dérobé ? La réponse était négative. Il avait confié. Car il était le plus grand secret de cette famille. Ses membres avaient trouvé un moyen de transmettre leur karma à leurs héritières. Ainsi, au lieu d’à leur tour intégrer le cycle éternel, elles transmettaient réellement à leurs filles.
Ainsi, Aasha n’était pas juste elle. Ces poings n’étaient pas les siens. Et, par là même, la défaite n’était pas envisageable car ce serait une famille entière qui verrait son existence être réduite à néant.

La puissance générée continuait de déferler sur sa cible. Mais elle n’allait pas s’arrêter là. Dans des mouvements envoûtants, les bras multiples dansaient et, sans pouvoir vraiment saisir le moment où s’était survenu, il était possible de se dire que ce n’était pas une seule personne qui agissait, mais que d’autres se trouvaient derrière, donnant ainsi l’illusion. Dans une chorégraphie parfaitement coordonnée, cela s’avéra vrai, quatre doubles d’elle faisant alors leur apparition en s’écartant en cadence.
Et, toujours telles une seule âme, les cinq Aasha se mirent en action. Bien sûr, la véritable était facilement identifiable car il s’agissait de la seule n’étant pas purement constituée d’énergie électrique, mais cela donnait malgré tout un charme évident à la scène.
Entourant alors la prétendue incarnation de la justice, elle se ruèrent en avant, frappant toute en même temps alors qu’elles se croisaient.
Pourtant, une seule demeura, qui se retourna et frappa une nouvelle fois.

>> Il est dit que la justice est aveugle, mais sache que moi mon regard est totalement braqué sur toi… Tu ne t’échapperas pas !

Lors de ce dernier coup, l’énergie fut directement transmise sous la forme d’un orbe se plaçant au-dessus de Sandhyā, et s’assurant qu’il ne soit pas si facile d’échapper à son regard.
Car le but était tout simplement de préparer un dernier assaut, comme une ultime frappe devant assurer sa victoire. Visiblement bien plus à l’aise au contact que son opposante, elle cassa encore plus la distance, ses bras tentant de saisir celle-ci.

>> Et bien, une dernière danse afin de voir si tu gardes le rythme ?

Elle l’avait déjà mise au défi de le faire. Elle ne faisait que faire correspondre ses actes à ses paroles. Bien sûr, les bras saisissant sa partenaire de danse étant ce qu’ils étaient, ce n’était pas aussi anodin que cela. Accepter cette dernière serait laisser l’énergie qu’il en émanait s’insinuer en elle, avec toutes les conséquences que cela pouvait avoir...

Cela n'aura pas suffi.

Aasha se relève, les bras titanesques menaçant toujours les forces de l'ordre. Sandhyā, elle, fait volte-face, sa clope rougeoyant toujours à ses lèvres.

En piteux état, mais toujours en état de lutter, la criminelle la nargue à nouveau. Personne n'avait jamais encaissé ne serait-ce qu'une fois la technique de la brune - alors, deux? Inconcevable !

Oui, et pourtant bien réel. Aasha a-t-elle développé une résistance surnaturelle au mauvais karma, ses actes détestables l'en ayant baignée comme une aura? Ses bras supplémentaires sont-ils responsables de cette protection salutaire? Difficile de le savoir... Mais l'heure n'est pas aux interrogations, car la musique reprend, et c'est au tour de la cambrioleuse de monter à l'assaut.

Chassant son mégot d'une pichenette, Sandhyā souffle la fumée qu'elle avait encore en bouche, et celle-ci s'épaissit, jusqu'à ce que seules les silhouettes des deux personnages principaux de la scène soient encore visibles en son sein - jeu d'ombres chinoises n'offrant qu'un aperçu du combat qui s'y déroule.

Les répliques d'Aasha fendent cette brume artificielle, et à chacune de leurs frappes, un bref éclair révèle aux spectateurs ce qui se trame à son couvert. Jusqu'à ce que la véritable criminelle en ressorte, profitant d'une dernière frappe pour achever son assaut. Sandhyā est-elle tombée face à cette riposte inattendue?

Peu à peu, la fumée se dissipe. Et les projecteurs se braquent sur ce qui en émerge : Sandhyā, un genou à terre, paumes en avant, abritée derrière un gigantesque bouclier de lumière frappé du symbole des forces de l'ordre de l'Âtma Samaaj - une sorte d'étoile de shérif à trois branches, percée en son centre. Une protection d'énergie qu'elle n'utilise qu'en dernier recours... mais compte tenu de son état d'épuisement, la situation l'exige : malgré la taxe en mauvais karma qui les nourrit, ses deux tirs destructeurs ont sérieusement drainé ses propres forces.

Elle se relève, dissipant sa protection d'un revers de main. Elle n'a pu bloquer que les coups directs, mais ces fichus éclairs s'infiltrent dans ses défenses, érodant ce qu'il lui reste d'énergie. Il faut clore le combat, et vite.


- Cheffe, attrapez !


La voix de son fidèle adjoint retentit alors que la musique s'envole à nouveau, Aasha ayant décidé d'attraper son adversaire à l'aide de ses bras magiques. Fendant l'air, deux boucliers de police volent comme des frisbees en direction de la brune, qui les saisit au vol. Trop tard pour esquiver : il faut tenir tête à la criminelle !

Avec souplesse, elle se repositionne de façon à réduire légèrement la distance et se trouver entre les poignets d'Aasha, non ses poings, afin de réduire l'élan de leur attaque - donc leur impact. Bras tendus, un bouclier dans chaque main, elle bloque cette tentative de prise, luttant de toutes ses forces pour réussir à surpasser son ennemie en la repoussant ainsi.


- En termes de danse... je préfère la valse.


Elle annonce ainsi clairement son intention d'envoyer valser la cambrioleuse au terme de ce clash final. Autour d'elles, assistant à ce bras de fer, les subordonnés des deux factions se positionnent, dansant au rythme de la musique qui s'accélère, aucune des deux combattantes ne voulant lâcher le morceau.

Le destin décidera de la gagnante...

Chacune des deux participants semblaient increvables. Quand l’une sortait le grand jeu, l’autre répondait avec une défense telle que cela suffisait à en sortir debout. Pas en forme, mais juste debout. Et ensuite de répliquer de toutes les forces restantes.
C’était le déroulement logique. C’était celui qui était attendu. Mais, à cet instant, rien. Rien d’autre qu’une réplique, démontrant que Sandhyā n’était pas prête à poser genou à terre. Pourtant, la contre attaque ne vint pas. Un moment de flottement, uniquement animé par le son enivrant et le bruit des figurants dansant à son rythme.
Un moment de grâce dans un affrontement titanesque, chacun savourant ce répit que même la musique marqua pendant un bref instant.

>> Mais tu vas la fermer !

Il n’y avait plus de retenue. Même ses propres subalternes furent surpris de l’éclat de colère dans sa voix. La voleuse n’était pas aussi confiante qu’elle aurait aimé l’être. Tant d’années de préparation, tant de moyens mis à disposition. Tout était prévu. Tout aurait du bien se passer. Même l’arrivée des forces de l’ordre n’était pas une surprise.
Mais il fallait qu’ils arrivent un peu plus tôt que prévu. Et que ce soit elle. Elle qui, plus que jamais, démontrait pourquoi les deux femmes étaient des rivales destinées. Elle qui, jusqu’au bout, viendrait mettre le désordre dans les plans les plus parfaits.

>> Cela aurait pourtant du être simple.

Nouvel éclat de voix. Ponctué cette fois d’une nouvelle frappe d’un des poings électriques d’Aasha, s’abattant au-dessous de sa tête comme pour s’écraser au sol, lequel provoque une décharge à l’impact, amplifiant la puissance du coup.

>> Mais il faut toujours que tu viennes compliquer les choses !

Encore un coup, similaire au précédent. La même force dans l’impact, le même effet désiré. La mettre à terre, une bonne fois pour toute. Faire qu’enfin elle ne se relève plus. En cet instant, le cambriolage en était même devenu secondaire.
Tout ce qu’il importait était de la vaincre.

>> Si tu veux une valse, je vais t’en donner une !

Cette fois, une autre bras se mêla à l’assaut, dans une frappa transversale ayant clairement pour but ce que la représentante des forces de l’ordre avait voulu dire, en inversant cependant les rôles.
Pourtant, la responsable de cet assaut ne laissa pas la distance se faire. S’approchant d’un pas lourd, le sol semblant trembler à chaque fois qu’un de ses pieds se posait au sol, elle était déterminée. Pourtant elle était au bord de lâcher elle aussi, chose que tout spectateur pouvait constater en voyant les membres supplémentaires s’estomper, ayant puisée presque en totalité le karma qu’elle avait à disposition.
Puis, de nouveau face à elle, son bras droit, le vrai donc, fut levé. Main ouverte, le coup fusa. Ou plutôt la gifle, qui semblait n’avoir que bien peu sa place dans un tel affrontement.

>> Donc maintenant, tu restes à terre connasse !

La puissance physique n'a jamais été le fort de Sandhyā.

Si elle a encore l'énergie nécessaire pour tenir ce bras de fer, elle ne fait que retarder jusqu'au bout l'inévitable : elle n'a plus assez de forces pour contre-attaquer. La voyant impuissante, c'est Aasha qui rompt leur passe d'armes en premier, abattant l'un de ses poings de foudre sur sa rivale qui ne peut que ramener ses deux boucliers devant elle pour se protéger tant bien que mal.

Un coup. Puis un autre. Enfin, un troisième, qui la force à lâcher ses protections alors qu'elle se trouve repoussée en arrière, crachant au sol sa cigarette sous la violence de l'impact. Déséquilibrée, totalement au bout du rouleau, elle chute, incapable de se maintenir sur ses jambes.

Mais elle le voit bien - Aasha n'est elle-même plus en état de se battre. Alors que la criminelle avance vers elle, ses bras supplémentaires se dissipent enfin. Un salut qui, hélas, arrive trop tard.

En guise de coup final, c'est une claque qui fuse. Sous la surprise, Sandhyā reste estomaquée, n'ayant pour réaction que de porter sa main à sa joue endolorie. Un tel accès de colère ne ressemble pas à Aasha. Elle qui est toujours maîtresse d'elle-même, qui contrôle toujours parfaitement la situation...

Alors elle a un bref éclat de rire. Sentant sa conscience sombrer maintenant que l'adrénaline du combat retombe, elle ne peut que lui adresser une dernière bravade, sourire aux lèvres.


- Je tombe peut-être ici... mais tu n'iras pas loin dans cet état. Alors, fuis, vise le bout du monde... car ton karma... te rattrapera.


Et elle tombe dans les vapes.

Elle n'est peut-être pas celle des deux qui demeure debout à la fin de ce duel, mais elle a accompli son devoir, de toutes ses forces : freiner l'avancée des cambrioleurs. Qu'ils partent avec leur butin ! Le grain de sable qu'elle représente dans la machine bien huilée de leur plan parfait fera, tôt ou tard, sauter tous les engrenages.

Elle sait ce qui agace tant sa némésis : sa présence a fait dérailler leur plan si soigneusement conçu. Le coup devait être parfait. Et un crime n'est réellement parfait que lorsque les coupables sont inconnus, libres, hors d'atteinte de la justice. Toutes deux le savent bien : Sandhyā reviendra finir le travail. Elle, et autant de renforts que nécessaire, maintenant que l'identité de la fautive, du cerveau de l'opération, ne fait plus aucun doute.

Ses subordonnés se pressent en formation pour ramasser son corps inerte, et battent en retraite, donnant la priorité à la sécurité de leur cheffe. Si Aasha est dans un état qui la rend facile à appréhender, beaucoup de ses acolytes demeurent encore en parfait état de lutter. Pas sûr que ce clash se termine sur une note positive pour les forces de l'ordre. Alors ils reviennent à leurs jeeps, embarquent à toute vitesse, et dans un crissement de pneus, les véhicules repartent là d'où ils venaient.

La prochaine fois, ils seront plus nombreux encore. Et à leur tête se trouvera encore Sandhyā, prête à prendre sa revanche.

Car c'est bien elle, le mauvais karma qui frappera les profanes...