Phase 1 Groupe 3

Dans la nuit noire, une automobile fend la forêt via un sentier tout juste assez étroit pour y accueillir toute la largeur de l’engin motorisé. On n’y voit pas grand-chose ce soir, l’obscurité pesante se mélange à une nappe épaisse de brouillard qui réduit drastiquement la visibilité sur toute la région. Ici, on est habitué à ce voile gris permanent qui ajoute un côté mystérieux et dangereux aux soirées. Ici, on ne s’étonne plus de ce phénomène météorologique qui semble vouloir distiller en vous quelques frissons lorsque vient le moment de vous déplacer.
Les phares de la voiture font au mieux pour percer la mer grisâtre, le chemin n’étant plus très loin, le conducteur tout comme le passager sur la banquette arrière ne s’en inquiètent plus. Encore quelques dizaines de mètres de parcouru et le manoir se détache du paysage, s’offrant à la vue de l’homme à la chevelure flamboyante qui pose un œil soucieux sur la bâtisse. L’automobile s’arrête au beau milieu de la cour, le chauffeur descend sans couper le moteur et s’en va ouvrir à son passager, lui laissant le soin de s’extraire de l’engin. L’homme ne dit rien, sors sans lâcher des yeux le manoir familial qui fait remonter à la surface de nombreux souvenirs. — Merci mon brave, voilà pour vous.

Il glisse un billet dans la paume du conducteur, lui signifiant qu’il pouvait repartir à présent, qu’il n’aurait plus besoin de ses services avant quelques heures, probablement. Combien de temps qu’il n’était pas revenu ici ?
Des années. Son boulot d’Inspecteur lui prenait tout son temps, en véritable dévoué pour son métier qui se révélait également être sa passion, il ne pouvait plus se permettre de rentrer à la maison, d’abandonner ses fonctions pour quelques jours de détente. Toujours le nez au milieu d’une affaire criminelle, constamment sollicité, célèbre détective qu’il est devenu, pour résoudre les enquêtes les plus épineuses, obscures. Et d’obscure, cette nouvelle affaire l’est tout autant. Non, il n’est pas rentré se recueillir sur la tombe de ses parents, prendre des nouvelles de sa sœur. Il est ici pour résoudre une série d’enlèvements dont la ville est victime depuis quelques temps.

Des enlèvements ayant tous un point en commun au moins, les personnes disparues partagent le même cercle social, participent aux mêmes soirées mondaines, des soirées plutôt sélectives. En remontant la piste des témoignages, beaucoup affirment la même chose : le Manoir Grey est le dernier emplacement où les victimes sont aperçues, avant de se volatiliser sans laisser de traces.
Une conclusion qui serre le cœur de l’Inspecteur Ganryū Grey, frère de la famille Grey, car il sait pertinemment qu’il n’y a plus qu’une personne de leur sang qui habite et fait vivre encore la demeure familiale. Cette même personne qui organise et accueille la soirée qui anime actuellement le manoir au sein duquel il fait son entrée, accueilli par un domestique qui lui propose de le délester de son long manteau carmin. — Je vous remercie, Alphonse. Des années qu’il n’est pas revenu ici, mais jamais il ne pourrait oublier ce fidèle employé de maison qui, déjà, était en poste lorsqu’il était petit.

— Est-ce que ma chère sœur est là ? Qu’il demande innocemment, afin qu’on lui indique directement la position d’Asteria. Elle s’est absentée, qu’on lui répond. Naturellement, se dit-il. Va pour le tour de maison alors, finit-t-il par en conclure, acceptant poliment le verre de vin qu’on lui propose. Recherchant sa sœur des yeux, il ira se mélanger aux invités, aux discussions animant les pièces de la demeure, feintant régulièrement d’être intéressé par ce qui se raconte. Le temps défile et il finit par lui aussi s’éclipser, après avoir constaté qu’il ne trouverait pas Asteria parmi les invités. Et il sait exactement où elle se cache désormais.
Ses pas le mènent à retrouver les pièces dissimulées dans la maison, les salles secrètes du manoir, connues seulement par la famille Grey et uniquement eux. Même un domestique ne saurait y accéder, d’abord parce qu’il ne sera jamais mis dans le secret, mais surtout parce qu’il ne possède pas ce qu’ont les Grey. Dons, capacités héréditaires, pouvoirs magiques… appelez ça comme vous le voulez, mais c’est bien de cela qu’il s’agit ici, avec eux. Et c’est en insufflant une partie de sa magie dans un objet de décoration trônant au sein d’une pièce de la maison, qu’un passage s’ouvre à lui, avant de se refermer quelques secondes après qu’il se soit engagé à l’intérieur.

Vêtu d’un élégant costume de soirée reprenant ses couleurs favoris, à savoir le rouge sombre et le noir, il marche lentement jusqu’au bout du couloir. Tout comme le reste du corridor, la pièce sur laquelle il débouche est faiblement éclairée, l'obscurité et la noirceur continuant de régner en maîtres en ces lieux. Une noirceur inquiétante, tout comme la vision qui s’offre à Ganryū lorsqu’il entre dans la pièce. Si la présence de sa sœur ne le surprend pas, les nombreuses statues de glaces refroidissent son cœur, lui faisant manquer un battement. Il ne répond pas lorsqu’elle lui adresse la parole, témoignant sa joie de le retrouver. Une joie qui aurait été réciproque s’il n’y avait pas ces statues figées dans la glace pour l’éternité juste derrière elle, son œuvre…
— J’espérais me tromper, Asteria… sont les premiers mots qui s’échappent d’entre ses lèvres, une intonation horrifiée dans la voix. — J’espérais sincèrement me tromper sur ce coup, ma sœur… Le choc est dur à encaisser, douloureux. Comment avait-elle pu devenir ainsi ? Un monstre. Prendre un verre ? Fêter ces retrouvailles ? — Comment peux-tu agir ainsi ? As-tu perdu toute humanité Asteria ?! Qu’est-ce qui t’arrives bon sang ?!

Il se sent perdre son sang-froid, lui qui d’ordinaire reste de marbre face à l’horreur d’un meurtre. Une vision devenue si courante qu’il a su l’apprivoiser avec le temps, mais la donne est totalement différente ici, avec sa propre sœur. Sa seule et unique sœur…

Il l’observe lui rire au nez, la voit se fendre d’un rire malsain d’une personne malade qui n’aurait aucun scrupule quant à ses agissements, n’exprimant pas le moindre remord d’avoir assassiné tous ces gens. Car c’était bien de cela qu’il s’agissait, de la mort. Ces personnes enlevées et transformées en statues glacées ne retrouveraient jamais leur apparence normale, leurs vies s’étant arrêtées au moment où Asteria avait décidé d’en faire des pantins de glace. Que lui était-il arrivé de si tragique pour qu’elle se décide de droit et de mort ? Qu’elle s’octroie le droit de jouer avec la vie d’autrui ? Quel mal pouvait bien la ronger pour que ce concept effrayant et douloureux qu’est la mort ne représente plus rien à ses yeux, si ce n’est un jeu ? C’était à la fois effrayant et déchirant de voir sa propre sœur dans cet état…
Les larmes voulaient couler, les yeux humides du Détective menaçant de céder et tout relâcher au fur et à mesure que sa frangine s’enfonçait dans les ténèbres. La noirceur enveloppant son cœur la rendait aveugle au mal qu’elle causait, tout cela pour de la solitude ? Il ne pouvait pas croire ce qu’elle lui disait, il ne voulait pas croire qu’elle avait tué tous ces gens pour tromper un sentiment de solitude. Flottant sur le bord du désespoir, elle avait opté pour le grand plongeon plutôt que de se battre ? — Seule ? Tu te sentais… seule ? Mais pourquoi n’avoir tout simplement pas déménagé ?! Tu n’as aucun devoir envers cette maison, ni nos défunts parents ! Ils sont morts Asteria, tu es libre d’aller où tu veux désormais !

Serrant le poing de rage alors qu’elle se levait de sa chaise, il avait désormais du mal à la regarder dans les yeux, n’y voyant plus aucun reflet de sa sœur, mais uniquement celui du monstre qu’elle était devenue. Il aurait préféré avoir tort sur son hypothèse, sur sa déduction. Il aurait préféré qu’elle le fasse mentir, qu’elle n’ait rien à voir avec toute cette sordide histoire. Il aurait voulu ne pas la trouver là, ne pas entendre sa voix et encore moins ces explications. Il aurait voulu, car désormais il le savait, il n’y avait plus de retour arrière possible. — Nécessaire… ? Ces gens sont morts Asteria… par ta faute… tu les as privés de leur famille, de leurs proches ! Tout ça pour un besoin égoïste ?!
Il devait mettre fin à cette folie. Parce qu’il était son frère, le seul membre de la famille qui lui restait, mais également car il était de son devoir d’affronter le mal et faire triompher le bien, la justice. En s’éloignant de la sorte du droit chemin, en empruntant ce sentier morbide et maléfique, sa sœur s’était condamnée. Sa place était désormais dans une cellule, avec un traitement adéquat pour traiter le mal gangrénant son être. — Sache que je ne voulais pas en arriver là, ma sœur…

Elle qui déployait ses ailes, confortant Ganryū dans l’idée qu’il ne pourrait pas y avoir de fin pacifique, ne semblant pour autant pas vouloir porter le premier coup. Est-ce qu’elle hésitait encore à le blesser ? Ce serait compréhensible, lui-même ne pouvait encore se résoudre à la voir saigner… Non, d’abord il voulait s’assurer d’avoir épuisé l’autre option pour l’arrêter sans lui causer de sérieuses blessures. Tout d’abord, il voulait tenter de la paralyser, lui couper toute envie de se battre et la pousser à se rendre.

Déployant son énergie dans un but dissuasif, sa magie rougeoyante envahissait la pièce, déposant comme une chape de plomb sur les épaules, les ailes de la Grey. La gêner dans ses mouvements, lui faire perdre toute combativité, le but étant d’arrêter immédiatement cette confrontation avant que commence l’escalade de violence. Et comme il sentait que cela ne serait pas suffisant, il s’élança brusquement dans sa direction après avoir mobilisé les muscles de ses jambes. Rendu au contact du démon de glace, il chercha à agripper les ailes de sa sœur, ne pouvant se résoudre à la saisir à la gorge comme il l’aurait fait avec un vulgaire criminel. Ce mouvement dévoila ainsi des doigts métalliques à sa main gauche, finalité d’une prothèse avancée technologiquement. Son bras ayant été perdu en affrontant un mystérieux être démoniaque quelque part dans les montagnes au nord du continent, il avait su le faire remplacer de façon à ne pas être handicapé dans sa lutte contre le mal. De cette main cybernétique, il relâcha une décharge électrique dès lors que ses doigts se refermèrent sur quelque chose de tangible.

Enchaînant immédiatement, cherchant à profiter de l'électricité qui paralysait les membres d'Asteria, il tenta de la plaquer contre le sol dans une prise de combat apprise lors de sa formation dans les arts martiaux.

— Asteria, je t’en conjure, rends-toi maintenant et je te promets qu’il ne te sera fait aucun mal… Tu auras un procès juste et équitable.