Implantation de l'idée

Tanjô était surexcité. Après des mois de demandes répétées, il avait enfin eu l’autorisation d’aller étudier de plus près le SGN, le passage qui permettait aux membres de l’Ultima Necat de se rendre au Hueco Mundo, notamment pour l’entretien des installations d’extraction de Reishi. Il avait simplement dû promettre de be pas l’abimer. Depuis toujours, le scientifique était passionné par tous les types de portails. La manipulation de l’espace et du temps le fascinait. Depuis que son mentor l’avait abandonné en passant à travers l’une de ces portes dimensionnelles pour rejoindre la bataille contre la Soul Society, il avait toujours voulu recréer ce phénomène. Secrètement, il espérait pouvoir un jour voir cette fameuse cité des Shinigamis de ses propres yeux. Le Hierophant était parvenu à mettre au point et surtout à stabiliser un portail mais ce dernier ne permettait que de se rendre dans le Hueco Mundo.

Mais c’était tout de même un sacré bon en avant par rapport à ses expérimentations d’il y a mille ans. Lui-même avait déjà réussi à créer des ouvertures dans l’espace, permettant donc la téléportation. En gros, en passant dans un de ces portails, on pouvait se retrouver à un autre endroit. Par contre, ses créations restaient toujours dans le monde des humains et n’étaient pas stables plus que quelques minutes. Alors que le SGN trônait depuis des années maintenant dans l’Arcānum sans montrer la moindre faille.

Certes, la technologie et les données auxquelles il avait accès à l’époque et celles dont dispose actuellement le Hierophant n’étaient clairement pas les mêmes, mais il fallait tout de même souligner l’exploit. Son radar en main, Tanjô analysait la structure même de l’édifice, cherchant d’éventuels indices sur le procédé de mise au point. L’appareil qu'il tenait pouvait détecter le reiatsu et l’électricité. En observant la façon dont les deux énergies se déplaçaient à l’intérieur du mécanisme, il espérait pouvoir reconnaître certains schémas. Pourtant, il dut se rendre à l’évidence. Il avait affaire à un travail d’orfèvre où chaque micromètre de câble avait son utilité et sa raison d’être. S’il devait la reconstruire lui-même, nul doute que le résultat ferait la taille de plusieurs terrains de base-ball.

-C’est fascinant... Il semblerait que les émetteurs ultrasoniques qu’il a implantés dans les montants servent à amplifier l’onde de façon graduelle afin d’entrer en résonance avec la nature même du Kishi... Bien joué, Hierophant, bien joué.

À mesure qu’il tournait autour du Spiritual Neon Gate, les idées se bousculaient dans sa tête. Certaines pièces du puzzle commençaient à s’emboîter mais si l’on devait poursuivre l’analogie, il n’aurait à peine réussi à recréer le coin en haut à gauche du dit puzzle. Parfois, il comprenait ce que la machine faisait mais pas comment elle y parvenait. D’autres fois, il ne comprenait absolument pas l’utilité de certains composants. Sa maîtrise de l’énergie spirituelle était grande mais la technologie humaine en revanche, avec son millénaire de retard, lui faisait cruellement défaut. Certes, il avait réussi à force d’études à se hisser très loin au-dessus du commun des mortels, mais il n’était pas encore au niveau des plus grands ingénieurs actuels.

Agitant son radar comme un dératé, sous le regard médusé de quelques membres qui traînaient par là, Tanjô passait pour un fou. Ceux qui avaient le malheur d'évoluer à côté de lui étaient pris à partie.

-Vous vous rendez compte ? Les particules sont déphasées et rephasées en continu jusqu’à obtenir la structure fondamentale d’une particule homologue située dans le Hueco Mundo ! ET PAF ! Le lien se crée !

Mais tous ceux qui travaillaient régulièrement à l’Arcānum et qui avaient l’occasion de croiser le King of Cups savaient qu’il avait un comportement étrange et ne s’en offusquaient plus. C’était devenu assez habituel à vrai dire. Il suffisait de l’éviter. Malgré tout, certains nouveaux arrivants continuaient d’observer l’homme aux cheveux longs s’agiter autour du portail.

Personne ne semblait accorder à cette prouesse technologique le crédit qu’elle méritait. Cet homme avait tout de même ouvert un passage entre deux mondes parallèles ! Certes, les Shinigamis savaient visiblement le faire depuis des millénaires, mais parvenir à reproduire ces manipulations spirituelles uniquement avec des composants électroniques et mécaniques, c’était du grand art. Régulièrement, Tanjô partait d’un petit rire guttural en découvrant une nouvelle subtilité ou en se rendant compte d’un processus qu’il ignorait jusqu’alors. Vraiment, il n’aurait pas voulu être où que ce soit d’autres qu’ici en cet instant. Il jubilait !

La nuit commençait à tomber. Mais dans les sous-sols de la base, ces notions de cycles solaires pouvaient sembler bien abstraites. Tel qu’il était lancé, Tanjô pouvait continuer ainsi pendant des semaines sans manger, boire ou dormir quitte à s’effondrer déshydraté. La seule chose qui lui permettait de garder un semblant de notion du temps était ses inévitables envies d’uriner. Il avait beau les retenir au maximum, il était par moment contraint de s’éloigner de son sujet d’étude pour soulager ses besoins naturels. Profitant d’un de ces rares moments d’interruption, une femme s’approcha de lui. Il s’agissait de Seon, son assistante. Il ne s’agissait pas réellement d’une femme, mais d’un androïde qui avait mis à sa disposition et qu’il avait reprogrammé pour l’aider dans ses tâches quotidiennes. Toutefois, la qualité de la réalisation était telle que personne n’aurait pu deviner qu’il ne s’agissait pas d’une humaine.

Alors qu’il sortait des toilettes et s’empressait déjà de retourner auprès de SNG, celle-ci lui saisit le bras avec douceur, mais fermeté.

-Monsieur, cela fait trois jours que vous êtes ici. Vous devez prendre du repos et vous nourrir.
-Ridicule ! Je me sens très bien. J’ai encore des choses à voir ! Quelque chose m’échappe ! Comment le Hierophant a-t-il pu connaître la fréquence de résonnance des atomes de reishi du Hueco Mundo sans y être jamais allé ? Comment ? C’est illogique !
-Monsieur ! Vos synapses ont besoin de sommeil et d’un apport régulier en glucose pour fonctionner à leur plein potentiel et vous le savez. En restant ici, vous allez avoir de plus en plus de mal à comprendre quoi que ce soit et vous ne ferez que gaspiller votre précieux temps.

Tanjô s’immobilisa. Elle avait marqué un point indéniable. Poursuivre les investigations sans avoir le plein potentiel de ses capacités cognitives serait contre-productif. Il valait mieux interrompre l’étude pour revenir avec un meilleur rendement d’assimilation des connaissances. Sur le long terme, les résultats seraient plus optimaux. Le King of Cups laissa son bras retomber, glissa son carnet dont les pages étaient déjà entièrement remplies de notes que lui seul serait en mesure de déchiffrer et souffla. Il était effectivement exténué, mais ne s’en rendait compte que maintenant.

Il tourna les talons en acquiesçant, signe qu’il acceptait d’écouter son assistante. Après tout, le SNG n’allait pas s’envoler et l’accord de principe qu’il avait reçu pour l’étudier n’avait pas de limite dans le temps. Quel dommage qu’on lui ait refusé le droit de le démonter pièce par pièce... L’idéal aurait été d’aller poser des questions au Hierophant en personne, mais ce dernier était bien trop snob pour se mêler aux membres de sa propre organisation. Tanjô se tourna vers Seon.

-D’accord, je rentre. Mais à une condition. Tu dois me préparer des gnocchis à la basquaise.

La jeune androïde hocha la tête. Elle le connaissait bien, le plat était déjà en train de cuire dans les appartements du roi. Le chef des scientifiques de l’Ultima Necat était parfois un véritable enfant qu’il fallait surveille et amuser pour éviter qu’il ne fasse des bêtises. Lorsqu’ils arrivèrent, Tanjô se jeta sur son bureau et commença à compiler toutes les données qu’il avait pu recueillir sur son ordinateur. La tâche était colossale et lui prendrait facilement des dizaines d’heures. Son assistante l’interrompit immédiatement avant qu’il ne se lance. Ce n’était pas ce qui avait été convenu. Tout d'abord, un bon repas et une bonne nuit de sommeil. Le scientifique tout excité grommela, mais la suivit sans rechigner, ayant déjà conclu que cette stratégie était la plus efficace.

Il avait le temps, le projet qui commençait à mûrir dans sa tête allait s’avérer être un gros morceau.

Tout en mangeant, le scientifique continuait de réfléchir à toute vitesse. Il lui manquait quelque chose, une notion qui lui échappait encore et toujours, peu importait à quel point il retournait le problème. Les Hollows et les Shinigamis ainsi que leurs univers étaient entièrement composés de Reishi. Le monde dans lequel les humains évoluaient était composé de Kishi. Les gnocchis qui se balançaient doucement au bout de sa fourchette aussi ne devaient la stabilité de leur composition qu’au Kishi. Ces deux types de particules élémentaires ne se trouvaient pas sur le même plan, ce qui expliquait que ces trois plans ne se percutaient pas. Mais dans ce cas, comment expliquer qu’un hollow ou un shinigami soit en mesure d’interagir avec le monde humain ? Étant composés intégralement de Reishi, ils ne devraient pas pouvoir toucher le Kishi et passer à travers.

Les exemples ne manquaient pas. Karakura à l’époque a subi des multitudes d’incidents avec des créatures provenant des deux mondes spirituels, provoquant des destructions de bâtiments, de voitures, de mobilier urbain... Pourtant, en toute logique, ils devraient tout traverser comme des fantômes. Comment ces deux matières situées sur des plans différents peuvent-elles entrer en contact ? Il allait clairement devoir continuer à travailler sur cet axe. La première idée qui lui vint à l’esprit était que le fait de passer un portail changeait la nature même de la matière pour corresponde au plan d’arrivée. Mais pourtant dans le monde des humains, les hollows sont toujours constitués de reishi, sinon tout le les gens pourraient les voir.

D’un coup, il lâcha sa fourchette.

-Ça n’a pas de sens ! Même dans notre monde il y a du Reishi ! Nous autres, Fullbringers et Quincys, nous en servons aussi. Donc je prends le problème dans le mauvais sens. Ces deux particules ne sont pas sur un plan différent. Seuls les mondes le sont. Tu comprends, Seon ?
-Non, je ne comprends pas. Mais je suis sûr que vous y arriverez. Mais d’abord... Dodo !
-Cesse donc de me parler comme à un enfant ! J’étais chef de la police d'élite ! Le sorcier impérial ! J’étais...
-Mais oui, mais oui. Mais même les sorciers doivent dormir ! Allez !

D’un mouvement qui ne laissait place à aucune contestation, elle lui retira son uniforme et le poussa en direction de sa chambre. Tanjô voulut protester, n’appréciant pas de se faire materner ainsi, mais son corps en avait besoin. Il s’effondra en un instant sur son matelas et s’endormit aussitôt. Mais sa nuit ne fut pas paisible. Ses rêves ne furent qu’une succession d’équation et de schémas qui se mélangeaient pour fusionner en un grand éclair blanc ou bleu.

Lorsqu’il se réveilla plus de vingt heures plus tard, il bondit hors de son lit et se jeta sur son ordinateur sans même prendre la peine de s’habiller. Il avait encore toutes ses observations à compiler, mais surtout, il devait absolument poser sur papier l’idée qui lui était parvenue durant la nuit. Et si les particules de Reishi changeaient simplement de fréquence en passant dans le monde des humains sans pour autant modifier leur nature ? Cela expliquerait beaucoup de choses. Les deux types de matières pourraient ainsi être en contact sans altérer leur structure de base. Si c’était vrai dans un sens, cela devait sûrement être vrai dans l’autre. Changer la fréquence du Kishi pour pouvoir interagir avec le Reishi. C’était très probablement ainsi que le Hierophant avait réussi à enfermer le Reishi du Hueco Mundo dans des réservoirs. En temps normal, l’énergie se dissiperait dans l’air, mais l’arcane était parvenu à la contenir et même à la condenser.

Les idées d’applications possibles pour ce genre de matière fusaient à toute allure. Plus vite qu’il ne pouvait les noter.

-Soen ! Viens vite !

La femme robotique pénétra dans les appartements de son maître. À la vue de son chef en tenue d’Adam, elle secoua la tête en soupirant. D’un geste, elle tendit à Tanjô des vêtements propres.

-Que puis-je pour vous ?
-Note tout ce que je dis, on ne sera pas trop de deux pour tout enregistrer.

Il enfila en vitesse ses habits et commença à déclamer tout ce qui lui passait par la tête. Soen sortit un petit écran de son bras et se mit à pianoter sur son muscle brachioradial. La journée allait être longue...