Dancing in the Moonlight

Le bruit des gouttes d'eau frappant régulièrement la vitre rompait le silence qui régnait dans les quartiers du scientifique. La pièce était presque vide et plongée dans la pénombre. Shingetsu se trouvait là assis sur son lit, la lame de son sabre au clair et posée sur ses genoux. C'était la première nuit qu'il passait ici. Il faudrait sûrement un peu de temps pour qu'il s'habitue à ne plus vivre dans le dortoir communautaire. Le dieu de la mort venait à peine de s'installer suite à une promotion qu'il n'avait pu refuser. Même s'il n'était pas certain d'avoir les épaules pour le poste de vice-capitaine, il ferait de son mieux pour représenter la douzième division. Le chercheur était résolu à obtenir la seconde libération de son sabre afin d'atteindre son plein potentiel. Cela faisait déjà un moment qu'il y songeait. Il se sentait prêt.

« C'est aujourd'hui ! Maintenant, viens ! Si tu refuses et que je dois venir te chercher... »

Le ton qu'il employait n'était pas particulièrement agressif, mais laissait clairement entendre la détermination du descendant du clan maudit. Le Shinigami n'avait pas eu le temps de finir sa phrase que l'homme-bête apparut devant lui, le surplombant de toute sa hauteur. Cette imposante silhouette se voulait menaçante, sa seule présence était oppressante. Cet effrayant prédateur, le chercheur l'avait déjà rencontré à de nombreuses reprises. Shingetsu leva à peine les yeux et ne fit aucun autre mouvement. L'être en face de lui ressemblait en tout point à l'esprit qu'il voyait en son for intérieur. Malgré sa surprise, il se montrait nonchalant et maître de lui-même. Par sa simple apparition, le colosse sonnait le début des hostilités. Ce fut pourtant le scientifique qui attaqua en premier, avec des paroles emplies de mépris.

« Je ne pensais pas que ce serait si... rapide. »

Il chercha brièvement le mot qui convenait le mieux pour conclure sa phrase et insista particulièrement sur celui-ci. Ses propos sonnèrent comme une provocation. Le dieu de la mort désirait mettre son opposant en colère. En guise de réponse, l'être à mi-chemin entre l'homme et l'animal se frappa la poitrine du poing.

« Qu'est-ce que tu crois ? Tu penses vraiment que je ne me suis pas préparé ? J'ai... »

Le chercheur interrompit son interlocuteur avant qu'il ait terminé sa phrase.

« Oh ! »

Le scientifique applaudit. En laissant redescendre ses mains, Shingetsu posa discrètement la droite sur la poignée de son katana. Il se tenait prêt à dégainer lorsqu'il jugerait le moment opportun.

« Tu aurais donc décidé de mûrir un peu ? Toujours à vouloir te rebeller et à brailler. Je croyais que ça n'en finirait jamais. »

Il traitait son sabre comme un être impulsif et immature. Comme s'il l'imaginait difficilement capable d'anticiper quoi que ce soit. Ce genre d'attitude fonctionnait bien lorsqu'il fallait mettre son Zanpakutō en colère. Il fit une courte pause, sans pour autant laisser le temps de s'exprimer à son interlocuteur.

« Je me suis longtemps demandé qui de nous deux serait le plus fort. »

Shingetsu parlait au passé. Il ne s'interrogeait plus sur ce sujet depuis un moment déjà. Aucun des deux n'avait plus de puissance que l'autre. Même si certains détails de leurs psychés respectives différaient, ils étaient égaux. Comment pouvait-il en être autrement ? C'est avec tout cela en tête qu'il avait pris la décision de dominer son Zanpakutō.

« C'est une question que je me pose, moi aussi. »

La lame s'abattit avec froideur en direction de la nuque de l'homme-loup, qui l'évita d'un simple bond en arrière. Le chercheur avait clairement l'intention de trancher la tête de son opposant pour en finir rapidement. Shingetsu ne voulait pas causer trop de dégâts matériels ou attirer l'attention. Il refusait pourtant d'utiliser la salle d'entraînement spéciale conçue par le capitaine Kurotsuchi. Pas par fierté, il n'avait aucun mal à se servir d'outils créés par d'autres. Tant que le chercheur ne serait pas certain que l'excentrique savant était véritablement mort, il aurait toujours l'impression que son ombre plane et qu'elle l'observe. C'était particulièrement vrai lorsqu'il se trouvait à l'intérieur de la dernière création laissée par Kurotsuchi Mayuri.

« Si tu veux une chance d'obtenir la réponse, tu devrais sortir ton arme. »

Même debout sur son lit, Shingetsu n'égalait pas en taille son opposant. Il s'amusait malgré tout à provoquer la bête humanoïde. La scène paraissait ridicule aux yeux de son adversaire. Pour lui, une telle brindille devrait être facile à briser. Un rire narquois s'échappa de la gorge du colosse. Il ne comptait pas laisser ce petit être fanfaronner encore longtemps. Jusqu'à maintenant le dieu de la mort croyait mener la danse, mais cette situation prendrait bientôt fin.

« C'est déjà fait, tu n'as pas remarqué ? »

Le sol brillait d'un éclat argenté surnaturel. Autour d'eux un ciel nocturne étoilé s'étendait à perte de vue. Les yeux du Shinigami s'écarquillèrent tandis qu'il voyait sa chair devenir noire et se liquéfier, laissant ses os apparaître au fil du processus. Il sentait déjà son énergie décroitre petit à petit alors que ses nerfs, ses muscles et sa peau se reformaient. Le colosse ne put s'empêcher de s'esclaffer.

« Imbécile, tu as déjà perdu ! »

Tandis qu'il se laissait emplir de l'allégresse de sa supposée victoire, le katana du dieu de la mort lui traversa le corps, le transperçant avant même qu'il ne puisse s'en apercevoir. Il eut à peine le temps de réagir qu'un coup de paume venait finalement lui écraser le museau. La créature réalisa alors que le descendant du clan maudit avait tout fait pour en arriver là. Depuis le début, il voulait s'assurer une victoire rapide et facile. L'homme-loup se liquéfia instantanément, ne laissant qu'une flaque noire et visqueuse derrière lui. Le Zanpakutō cherchait probablement à gagner du temps.

« Tu t'fous de moi, c'est ça ? Il me semble t'avoir dit de te montrer, maintenant ! »

Le rire d'un enfant jaillit du beau milieu des ténèbres étoilées. Ses traits se dessinaient au fur et à mesure qu'il avançait vers cette douce lueur argentée qui émanait du sol. Shingetsu eut l'impression de voir son propre reflet, tel qu'il était des années en arrière. L'aspect de son Zanpakutō confirmait certains de ses doutes, mais soulevait de nouvelles questions. Le Shinigami parut nostalgique. Cette apparition lui remémora de nombreux souvenirs d'enfance. C'était donc à cela que ressemblait la véritable forme de l'esprit de son Bankai ? Il étudierait le sujet plus tard, préférant rester concentré sur la singulière entité qui s'arrêta net à quelques mètres de lui.

Le jeune garçon portait sous le bras un petit miroir circulaire. Il semblait drapé dans une peau de loup qui lui conférait un aspect sauvage. Le garnement affichait un sourire malicieux. Le bout de ses doigts était couvert de lames qui ressemblaient à des griffes dentelées. Il pouvait percevoir des similitudes avec l'apparence de son sabre sous la forme Shikai. D'un geste précautionneux, le jeune garçon déposa le miroir au sol, de manière à ce que sa version adulte puisse y voir son reflet.

Le corps de Shingetsu continuait sans cesse de se décomposer et de se reconstituer, drainant ses forces. Il estimait déjà que ce pouvoir sous sa forme Shikai pouvait être dangereux, c'était encore plus flagrant lors de la deuxième libération. La condition d'activation de sa capacité avait disparu. Pire encore, l'effet se prolongeait en permanence. Cette brève analyse lui prouva qu'il ne devait pas laisser l'affrontement s'éterniser. Alors que le chercheur suivait le fil de ses pensées, le sauvageon lui bondit au visage. Le scientifique brandit aussitôt son sabre, s'apprêtant à trancher son assaillant. Le Zanpakutō saisit la lame d'une main tandis que de l'autre il serra la gorge du dieu de la mort, entaillant la peau de son cou au passage.

Avant même que son opposant intensifie la pression, le descendant du clan Komamura lui assena un coup de genou entre les côtes pour le repousser. Le sabre incarné relâcha instantanément son emprise et profita de l'élan conféré par la frappe de son manieur pour se projeter en arrière et prendre appui sur le mur. Il bondit de nouveau en direction du dieu de la mort, en montrant les dents en guise de menace. Son comportement lui faisait penser à celui d'un prédateur qui tentait d'acculer une proie plus grosse que lui. Le Shinigami retourna rapidement son sabre, la lame se retrouvant alors pointée vers l'arrière. Il bondit à son tour et d'un geste semblable à celui du Konsō, mais plus vif et puissant, il assena un coup de pommeau sur le front de son opposant.

Un observateur extérieur aurait sûrement pensé que le chercheur ne se battait pas sérieusement tandis que sa version enfantine faisait tout ce qu'elle pouvait pour prendre l'avantage. Shingetsu économisait son énergie spirituelle tout en essayant de subir le moins de dommages possible. Son objectif était clair depuis le début. S'aidant du Shunpo, le dieu de la mort s'élança dans les airs, se retrouvant juste au-dessus du sauvageon. Il fit mine de prendre de l'élan pour frapper du poing tandis que le garnement porta ses mains devant son visage pour se protéger. Le scientifique stoppa son attaque avant qu'elle ait l'occasion d'atteindre sa cible.

L'esprit incarné afficha une expression de surprise lorsque son dos toucha le sol. À la place de son manieur, il en aurait profité pour frapper. Ce fut cet instant précis que Shingetsu choisit pour tomber, les deux pieds joints, sur son opposant. Sa cible roula sur le côté pour l'éviter. Sans lui laisser le temps de comprendre, Shingetsu lui assena un coup de pied entre les côtes. Aussi étrange que cela puisse paraître, il tendit sa main squelettique à sa version enfantine. Ce fut avec un regard empli de dédain que son sabre matérialisé l'accueillit. Le moment n'était pas encore venu. Déçu, le scientifique recula de quelques pas. Le corps du Komamura poursuivait sa lente décomposition, suivie par la recomposition.

Tandis que le Zanpakutō se relevait, trois loups sortirent de la pénombre pour se joindre à lui. Shingetsu parut dépité. Les prédateurs affamés se jetèrent sur le dieu de la mort, qui ne tenta pas de les éviter. Il accueillit la douleur provoquée par leurs morsures avec un sourire, qui se déforma rapidement en une grimace. Il tint bon malgré tout, restant sur ses pieds sans flancher. Il ne quittait pas son opposant des yeux, craignant une attaque-surprise. Le gamin vêtu d'une peau de loup se tenait immobile, une main posée sur son flanc droit. Les bêtes quant à elle disparurent aussitôt après que leurs crocs aient atteint leur cible.

Le dieu de la mort profita de l'instant où la technique de son adversaire se termine pour s'élancer sur celui-ci. La paume de sa main frappa violemment l'estomac du sauvageon qui recula de quelques pas en titubant. Le petit garçon tomba à genoux. D'un mouvement rapide, Shingetsu se précipita à ses côtés, ramassant le miroir circulaire au passage. Le chercheur lui tendit la main sans hésiter. Le sourire du dieu de la mort se voulait rassurant. Il ne comptait pas frapper à nouveau, estimant que la situation actuelle suffisait amplement à prouver qu'il pouvait dominer et faire sienne cette puissance nouvelle.

« Je l'ai compris depuis longtemps. Je suis toi et tu es moi. Nous sommes indissociables et rien, si ce n'est la mort, ne pourra jamais nous séparer. J'espère qu'un jour tu pourras l'accepter, comme je l'ai fait. »

Les paroles de Shingetsu étaient franches. Il n'aimait pas se mentir à lui-même. Le Zanpakutō mit quelques secondes avant de saisir la main tendue par celui qui le maniait habituellement. Durant ce court instant, ils se fixèrent en silence. Leurs paumes se touchèrent un bref moment. L'esprit matérialisé et le miroir se dissipèrent en volutes argentées d'énergie spirituelle.

« C'est bien, Tsukiyomi. »

Les effets de son Bankai s'estompèrent doucement. Le dieu de la mort chancela jusqu'à son lit et s'écroula, exténué. Il lui faudrait sûrement quelques jours pour récupérer de cette épreuve. Le scientifique restait assez fier de lui, il avait sauvé les apparences assez longtemps pour soumettre son alter ego. Malgré la fatigue, le dieu de la mort affichait une mine réjouie.