BEcause

Le temps des découvertes semblait donc être révolu pour l’heure, et le groupe formé pour l’occasion en viendrait rapidement aux séparations. Cimériès menait la marche afin de s’assurer qu’ils sortent bien du réseau de tunnels qui pouvait parfois ressembler à un infâme dédale – il en savait quelque chose pour y avoir déjà passé tant de temps – ce que l’on ne manquerait pas de lui reprocher si par mégarde quelqu’un venait à s’y perdre. Il eut un regard en arrière, et relativisa : en dehors de Borick, cela avait-il réellement de l’importance ? La troisième épée, anciennement figure de proue de l’Espada.

Puis son regard se pose sur Asteria. Elle avait déjà disparu, après tout. Une fois de plus une fois de moins ? Il ne le souhaitait pas, n’encouragerait rien de la sorte, mais à l’heure de juger de l’importance des différentes possibles disparitions, forcément quelques pensées parasites de la sorte avaient forcément leur place. Il n’en eut même pas pour l’animal de compagnie de la grue, évidence même que personne ne verrait la différence, l’on n’était pas à un Adjuchas près tout de même.

Quoi qu’il en soit, tout cela n’était qu’un petit jeu de l’esprit bien sûr, et tous s’extirperaient aujourd’hui des Abysses. À eux ensuite de rejoindre la surface ou non, cela ne le regarderait pas plus. D’un geste de sa main libre, comme mimant le fait d’extirper quelque chose de sa poitrine, deux prodigieuses mains de pierre vinrent naître autour de lui du néant. L’une se poserait au sol en guise de siège, alors que l’autre viendrait le cueillir comme un dossier. S’installant, il devint évident que l’Alastor n’avait pas pour objectif de s’éclipser sur le champ. S’il s’offrait un peu de repos dans un endroit tel que celui-ci, peut-être n’avait-il pas l’intention d’aller immédiatement prévenir Isielle de leurs découvertes.

L’Alastor allait parler à Cindula. Voilà ce qu’elle avait retenu de ses dernières paroles qu’elle ressassait, traînant un peu derrière les autres. La cité Rupestre est un endroit où elle se gardait bien de mettre les pieds sans y avoir été invitée. L’Argentée ne craignait pas d’y être attaquée car ses habitants y ont la réputation d’être plutôt pacifiques, mais par respect pour eux, elle ne souhaite pas rompre leur petite vie paisible par le seul fait de sa présence potentiellement indésirable. Pas une fois, il ne s’était directement adressé à elle durant cette enquête. Elle ne devrait pas en être surprise. Les êtres de leur espèce sont ainsi, solitaires, plus ou moins rancuniers et surtout égoïstes. Comme l’avait judicieusement fait remarqué Hors lors de leur rencontre, l’amitié est bien trop rare dans leur monde.

Etait-elle importante pour lui ? L’a-t-elle seulement déjà été ? Après tout, c’est elle depuis le début qui a commencé à s’intéresser à lui, à rechercher sa présence. Peut-être qu’aveuglée par ses propres désirs elle a simplement imaginé que cela puisse être, même rien qu’un peu, réciproque. Peut-elle espérer qu’il soit juste en colère et qu’avec du temps et les bons mots elle puisse se faire pardonner ? Ou bien n’en a-t-il juste rien à faire ? Mais alors dans ce cas, en cet instant elle se sent perdue. Depuis qu’elle est revenue dans le Monde Creux, le retrouver a été son seul et unique objectif. Maintenant que c’était fait, qu’elle était purement et simplement rejetée, elle se demande quoi faire.

Le suivre est une possibilité mais s’il ne veut pas de sa présence, ce serait une existence bien misérable qu’elle ne désire pas. Mieux valait le savoir loin que de sentir sur elle un regard méprisant. Grey sort des tréfonds à son tour. Elle s’arrête, regarde les autres partir, chacun retournant à ses occupations probablement. C’est là qu’elle le voit, installé sur des mains de pierre. Asteria fait quelques pas dans sa direction. Que dire ? Elle a expliqué brièvement ce qu’il s’était passé et même dit qu’elle était désolée. Alors que dire de plus ?

« Tu n’as pas l’air ravi de me voir. »

L’Argentée affiche un air sombre, mélancolique. Si en plus de sa place d’Espada elle l’a perdu lui aussi, alors c’est comme si elle revenait à la case départ. Elle pourrait toujours errer sans but jusqu’à ce qu’une nouvelle opportunité se présente, quelle qu’elle soit, tant que cela coïncide avec ses convictions.

« Depuis mon retour dans ce monde, je n’ai eu de cesse de te retrouver. A présent, tu sais. »

Son regard intense le couve. La tension dans l’air lui semble presque palpable.

« Si tu souhaites que je parte, je ne t’importunerai pas plus. Saches seulement que te revoir m’a fait plaisir. »

Et ne précisera pas cependant que son attitude lui a fait de la peine. Elle ne s’attend plus à rien, profitant simplement des quelques minutes qui lui sont encore accordées pour emplir ses prunelles de la vision enchanteresse qui lui est donnée de voir. Jusqu’à ce qu’elle doive détourner le regard et poursuivre son chemin, seule.

Son regard est forcément accroché par l’Argentée, qu’il le veuille ou non. Elle avait gagné ce pouvoir sur lui lorsqu’ils avaient passé un temps sur les hauteurs des pitons rocheux de l’Hybris. Là où ils s’étaient promis, jurés de se revoir lors du prochain tournoi. Rien que d’y penser et il se sentait blessé à nouveau. Chose qu’il devrait bien chercher à lui expliquer, s’il souhaitait qu’elle comprenne. Mais les mots ne traversent pas sa gorge. Ne s’expriment pas par ses lèvres, qu’il pince même alors qu’elle constate qu’il ne semble pas heureux de la revoir. L’érudit préserve le silence, l’observant sans un mot.

Et pourtant, d’une certaine manière, une sorte de communication était établie. Cela se ressentait dans la tension, la pression qui pesait sur ces retrouvailles. Même si toujours aucun mot ne franchit le seuil de ses lèvres à l’évocation de sa quête de le retrouver. L’expression de son visage, le mouvement de recul léger, presque imperceptible de son corps… l’observateur adroit pourrait en déduire qu’il vient de recevoir un coup, même si une certaine contrariété occupe son faciès.

C’est lui qui détourne le regard le premier. Et pour un peu, il la laisserait presque partir ainsi, sans lui avoir adressé la parole une dernière fois. Mais dès qu’elle commencerait à effectuer un demi-tour, le grain de sa voix grave résonnerait enfin.

- Nous nous étions promis de nous retrouver. Mais lors du tournoi, c’est finalement là où j’ai appris que… tu étais morte. J’ai eu presque l’impression d’être le dernier à savoir. J’ai cru me perdre. Borick se souviendra longtemps je pense de la rage inattendue à laquelle il a dû faire face. Je n’ai pas perdu...

Il n’avait pas gagné non plus, mais fait jeu égal avec l’ancienne Primera. Loin d’être un guerrier dans l’âme, l’Alastor s’était érigé Segunda Espada. Seul.

- Depuis… j’ai vécu des choses qui ont bousculé mon être. Vu et ressenti le néant. Pas par l’absence, mais comme un abîme insondable qui ne cesse de nous aspirer pour ne jamais nous laisser remonter à la surface. Et à peine je commence à comprendre comment il m’est possible de respirer à nouveau que te revoilà. Et une nouvelle fois, j’ai l’impression d’être le dernier au courant.
Alors, je me questionne. Ta fidélité un temps allait à Borick ; je croyais juste que ce temps était révolu. Il faut croire qu’il est resté ta priorité. C’est lui qui m’a appris que tu étais morte, et c’est sans surprise ni émotion qu’il t’a retrouvée aujourd’hui. Aussi j’ose croire que ce n’était pas là une découverte.

Hausse légèrement des épaules.

- D’une certaine manière, je ne t’en veux pas réellement. Je n’ai rien à exiger de toi. Et je suis heureux de savoir que tu es toujours en vie. Juste… je comprends que mon existence n’est pas enviable, et que ce ne soit pas à mes côtés que tu découvriras l’aventure ni assouvira ta curiosité des humains. Ca m’a juste blessé de croire… que j’étais particulier pour quelqu’un, pour une fois, et que ma place en ce monde n’était pas juste d’évoluer seul parmi les ombres.

Qu’il ne dise pas un mot lui fait plus de mal qu’elle veut bien l’admettre. Il y a un trou béant au creu de sa poitrine que ses vêtements masquent. Si elle l’a toujours senti d’une façon physique, elle avait l’impression de le sentir doublement. Comme si on lui arrachait un coeur qu’elle n’a pas. Pas physiquement en tout cas. Mais avant même qu’elle ne se demande quel sens donner à la vie d’une coquille vide, sa voix résonne. Elle se fige et c’est peut-être pire. Si elle n’avait pas une force de volonté si grande, elle serait tombée à genoux. Comme cristallisée, elle l’écoute jusqu’à ce qu’il en ait terminé. C’est la première fois qu’il exprime aussi clairement ce qu’il ressent pour elle. Avant cela, elle a toujours cru que son attirance pour lui n’était pas réciproque. A présent elle comprend mieux sa peine, son attitude envers elle. Aurait-elle du agir autrement en le voyant ? Peut-être bien, mais ça c’était trop tard.

Dans les instants critiques, elle laisse son instinct prendre le dessus. Il lui a souvent sauvé la vie. Peut-être en sera-t-il de même pour cette fois. A nouveau, elle se tourne et lui fait face. Lentement, elle avance vers lui. Et tout en approchant, elle raconte ce qu’il s’est passé. Lui aussi doit comprendre qu’elle n’a pas eu le choix, que son intention n’était pas ce qu’il s’imagine.

« Je suis presque morte ce jour là. Il s’en serait fallu de peu... Alors, pendant que mon double faisait diversion, j’ai ouvert un passage dans le Garganta et j’ai usé de tout ce qu’il me restait de forces pour fuir. Lorsque mon clone a volé en éclat, j’imagine que tous ont cru que ç’en était fini de moi. »

Tous, les humains bien sûr et c’était le but d’ailleurs, mais l’Acuerdo aussi. Et c’est là que les choses avaient commencé à avoir un effet boule de neige. Elle s’arrête quelques secondes, autant dans son histoire que dans ses pas. La suite est douloureuse pour elle, une épreuve qu’elle ne voudrait pas revivre.

« J’ai atterri dans le monde des vivants. Incapable de rentrer, incapable de bouger, incapable de quoi que ce soit. Sans pouvoir, sans l’énergie naturelle de notre monde… J’ai mis une éternité à m’en remettre. J’ai ruminé ma colère des semaines durant. Je n’avais plus que deux pensées en moi. Leur faire payer, tous les exterminer et... »

A son regard noir, à sa voix tintée de rancœur, il est évident que ceux qu’elle admiraient autrefois ne trouvent plus grâce à ses yeux. Mais alors qu’elle arrive tout près du Segunda, elle redevient l’exact opposé, douce, calme et triste aussi. Lentement elle tend la main vers son visage, la pose sur sa joue tout en soutenant son regard.

« Et toi... Te retrouver comme on se l’était promis. Rester à tes côtés pour toujours. Borick est un allié, mais crois-moi si je dois choisir je n’aurais aucune hésitation. Tu comptes plus que tout pour moi. Plus… que moi-même... »

Ses bras l’enlacent alors. Elle se blottit contre lui, à sa merci. Il y a encore des choses à raconter, à expliquer, voire à détailler s’il le souhaite. Après. Ils auront tout le temps pour ça.

Comment pouvait-elle avoir à ce point changé ? Il pouvait fort bien comprendre à quel point certains phénomènes pouvaient profondément changer une perception. Mais Cimériès se souvenait fort bien de leur première rencontre, et de la discussion qu’ils avaient eu. Notamment ce qu’Astéria pensait des humains. Qu’ils étaient l’origine de tout. Que leurs âmes, au fil du flux, devenaient potentiellement des Hollow, qui pouvaient devenir Menos ou encore se soumettre à l’Arrancarisation. Là où l’Alastor cherchait l’origine de leur monde parmi les anciennes générations de Hollow, Astéria avait avoué s’intéresser au monde des hommes. À leurs coutumes. Mieux les comprendre, pour mieux comprendre ce qu’eux-mêmes pouvaient être.

Et voilà qu’elle parlait de colère, de haine. Qu’elle transpirait le mépris et la rancoeur. Cimériès s’interroge : qu’a-t-elle eu à vivre pour cela ? La situation était simple : un accord avait permis aux humains de s’établir dans une partie du désert. L’accord avait été rompu dans la violence et le sang, et légitimement, les humains s’étaient défendus et avaient vaincu. Un simple fait, une simple bataille, où les rôles auraient tout aussi bien pu être inversés. L’étrangeté de cette haine nouvelle et soudaine l’interroge, mais il n’en souffle rien pour l’heure.

Car avant qu’il n’en ait eu l’occasion, elle change de ton, et de sujet. Se fait tendresse alors qu’elle évoque ses sentiments. Qu’elle partage sa douceur, et sa chaleur. Cimériès avait un coeur, et celui-ci battait comme pour la première fois. Les mains de pierre le redressent comme elle l’enlace, et avant qu’il n’ait lui-même esquissé le moindre geste, ces paumes massives répondraient à l’instinct, se posant en cocon autour d’eux. C’est dans ce carcan qu’il avait eu un déclic lors de son affrontement contre Borick. Dans ce nid coupé du monde, où rien ne filtrait. Là où ils auraient un moment rien qu’à eux, où les gestes et les actes remplaceraient les mots.

Loin d’être repoussée, elle est accueillie avec tendresse dans ce cocon. Il n’y avait pas encore eu de contact physique de ce genre entre eux. Et pas non plus d’aveux aussi poussés sur ce qu’ils ressentent l’un pour l’autre. Cette histoire les aura rapprochés davantage, pour le plus grand plaisir de l’Argentée. Dans ses bras elle se sent bien. Plus que bien. C’est une sensation qu’elle ne se souvient pas avoir déjà ressentie auparavant. Il n’y avait toujours eu que ce vide immense, prédominant et d’autres états d’âme occasionnels, situationnels même. A son oreille, elle lui murmure alors :

« Je me sens complète. Apaisée... »

Nul doute qu’il comprenne ce qu’elle entendait par là. La suite effectivement se passa de mots. Ils ne firent que profiter l’un de l’autre en ces retrouvailles tant attendues et tant espérées. Ils auraient pu rester ainsi une éternité qu’elle en aurait été heureuse, n’ayant besoin de rien de plus. Mais les lieux n’étaient pas des plus propices. Se tenir non loin d’une entrée vers les abysses n’était pas la meilleure des idées. Alors les tendres retrouvailles durent s’achever à un moment donné.

« J’imagine que tu dois aller prévenir Isielle. Me feras-tu visiter ou bien préfères-tu que j’attende ailleurs ? »

Toujours aussi prévenante, cela n’a pas changé. Tout indique dans son ton que quoiqu’il décide, elle n’en prendra pas ombrage. L’Arrancar de La Cámara ne cherche aucunement les ennuis et n’est pas du genre à s’imposer dans de telles circonstances.

« Tant que l’on se tient au courant de ce qu’il se passe d’important dans notre monde, je n’ai pas d’autre projet que de t’accompagner comme nous l’avions prévu. D’ailleurs, sais-tu déjà ce que tu veux faire ? Où tu veux aller ? Tu dois avoir plein de questions aussi j’imagine, je répondrais en chemin ! »

Elle lui sourit avec douleur. Il faisait ressortir ce qu’il y avait de meilleur en elle. Pas étonnant alors que si loin de lui elle ait si mal tourné. Elle le couve du regard. Ce qu’il lui avait manqué...

Aux questions qu’elle lui pose, il se laisse quelques secondes de réflexion. La situation nécessitait de peser les pour et les contre. La communauté qui s’était établie autour du Ziggurat n’avait pas vraiment vocation à accueillir des étrangers en son sein, mais n’avait-il pas lui-même reçu un temps l’hospitalité de l’Hybris ? Même s’il n’avait pas réellement vécu au sein du palais, et qu’il pouvait se targuer de l’étiquette d’Espada émérite afin de justifier sa présence, appuyée par Astéria et Borick.

- Je doute qu’il te soit laissé le loisir de visiter le Ziggurat de la Lune, même si tu pourras sans aucun doute voir cette bâtisse prodigieuse. Mais il ne me semble pas qu’il te soit interdit de séjourner au sein de la cité rupestre auprès de moi, en tant que mon invitée.

La question devait se poser en effet, s’ils ne voulaient pas aussi rapidement se séparer. Et elle avait raison sur le rapport qu’il se devrait de livrer à Isielle après ces découvertes. De plus, Cimériès s’était par trop perdu. Son esprit toujours assoiffé, rongé par sa curiosité, s’était trop focalisé sur ses recherches, et à trop parcourir les ténèbres, il les avait laissé prendre part de lui, sur lui, en lui. Un peu de lumière ne lui ferait que le plus grand bien.

- Pour le moment, un peu de repos s’impose en effet. Prenons cette période pour réfléchir et mettre en commun ce que nous savons. Cette histoire semble n’en être qu’à ses balbutiements, mais qui sait depuis combien d’éons elle s’étend déjà ?

Et si ce qui leur semblait être un début devait être leur fin, finalement ?

Conclusion comme on a dit ! Je lance le nouveau dans la foulée !