La belle et la bête

Elle... Son nom avait circulé comme le vent sous la canopée. Trois petits scarabées l'avaient cherché pendant un bon mois jusqu'à qu'une information indique sa position. Ils étaient revenus, le corps fracturé par les Hollows qu'ils avaient dû combattre en chemin. Cette mission était bien loin de leur secteur habituel mais Farasha voulait savoir qui était cette personne. La recherche d'alliées était sa priorité pour survivre, sa faim avait été attisé plus que de raisons depuis qu'il était présent dans ce monde. La Chenille en regrettait même son ancien Creuset sous le Grand Opéra de Tokyo. Il y retournait parfois mais de plus en plus rarement.

Des fumerolles parfumées enchantaient l'air depuis longtemps. Grâce à cela, il avait pu créé un nouveau Creuset dans la souche d'un arbre mais il avait besoin de plus pour affiner son nouveau parfum. Un Vasto Lorde serait une bonne entreprise et servirait son maître dans leur grande dessein. La patience était une de ses vertus après tout. Mais la faim... C'était devenu insupportable au gré des années, il avait dévoré des hollows plus faibles depuis des années avec ses amis Scarabées mais cela ne se calmait pas. Il souffrait en silence, au point où il voyait ses amis comme de la chair fraîche par moment.

Il leur fit signe de se reposer en montrant des âmes enchaînées dans des bubons de fils spirituels. C'était le moins qu'il pouvait faire pour eux. Puis, il se concentra et partit vers l'endroit citer par ses compagnons. Bien des Hollows sous estimaient sa capacité à se mouvoir, malgré sa forme et sa taille. La Chenille était capable de projeter des fils aussi tranchant que de l'acier dans les airs, usant des ondes sonores pour assommer des Hollows un peu trop téméraires. Avec adresse la créature avançait dans cette forêt sombre, dangereuse pour toute force de ce monde. Farasha sentait la faim le tenailler de plus en plus. Son Maître l'avait prévenu que cela ne faisait que commencer... Enfin, il fallait continuer son chemin, sans se retourner en arrière.

Plus il avançait, plus il sentait sa présence ... Son appétit laissait place maintenant à la peur. Il n'aimait pas cette impression qu'il ne savait pas contrôler. Il entrait dans son territoire. La menace était présente à tout moment. Aucun son aux alentours, ses congénères devaient éviter cette zone depuis un moment. Soupirant, il reprit son chemin.

La Chasse. Avec un "C" majuscule. Riful n'était pas de celle qui prenait plaisir à cela, plus maintenant en tout cas. Mais il lui arrivait que pour se calmer les nerfs, elle parte sur son territoire et se laisse aller à ses instincts primaires. Elle, la Chasseresse, celle que l'on appelait la Destructrice aux temps anciens, avait besoin de se rappeler qui elle était. Ses forces lui étaient revenues, ne serait-ce que partiellement, et elle se sentait mieux. Mais pas encore complète.

Aujourd'hui cependant, elle avait l'impression qu'elle n'était pas la seule en quête de quelque chose. Ses multiples bandes qui constituaient l'intégralité de son corps ou presque étaient figées dans le sable, en quête d'informations. Vibrations, frémissements, elle était sensible à la moindre perturbation, au moindre élément qui sortait de l'ordinaire. Ici, elle était sur son terrain et elle en connaissait le moindre recoin. Si quelqu'un l'a cherchait, elle trouverait le moyen de l'intercepter avant.

Ah. peut-être qu'elle tenait enfin quelque chose. Faisant revenir les tentacules, elle eut un curieux sourire sur le visage. Avant de littéralement se volatiliser dans les ténèbres du Monde Creux. Une piste. Elle ne pensait plus, ne laissant que son instinct prendre le relais. Dans ces moments là, elle n'était plus Riful. Elle était une Vasto Lorde, créature antique du Hueco Mundo, au sommet de la chaîne alimentaire. Une trace infime. La créature savait se camoufler. Ah ! Elle tenait enfin quelque chose. Elle bifurquait déjà pour se rendre sur place. Et enfin elle perçut le Hollow. Arrêtant son mouvement, elle semblait comme figer dans les airs, alors que l'instant d'après ses longues tentacules s'ancraient dans le sable et la roche.

Haute de plus de cinq mètres, elle observait désormais la chenille qui se tenait face à elle. Elle se pencha doucement vers le sol, comme pour sentir dans l'air. Une odeur qu'elle n'avait jamais perçu jusque là. Elle se redressa, troublée, croisant les bras sur son torse. Ses yeux blancs semblaient dire qu'elle était aveugle. Il en était tout autre.

- Sache, Hollow, que tu te trouves sur le territoire de Riful la Destructrice. Mon territoire. Que fais-tu ici et surtout... Quel est cette étrange odeur que tu portes sur toi ?

La peur gagnait chaque cellule de Farasha. Il savait qu'il devait prendre contact, établir des ponts avec les forces de la forêt mais c'était une chose délicate. Sa chance était qu'il n'était pas nécessairement une menace pour Riful. S'abaissant avec respect, le Hollow commençait selon l'usage le plus courtois. Aucune faute ne devait être permise avec elle. Même si les Hollows étaient des bêtes, les lois naturelles de l'évolution avaient encore leur impact dans le monde du Vide.

- Tous mes hommages. Nous nous nommons Farasha et sommes ici afin de vous rencontrer. Nous créons différentes œuvres d'art à la fois musicale et olfactive. C'est ainsi la raison de notre présence, il serait possible que vous puissiez nous aider à développer nos recherches grâce à vos connaissances sur cette forêt...

Il était vrai que Farasha était dans cette forêt depuis peu de temps. Ses connaissances sur les créatures qui y vivaient, ainsi que sur le chef de cette forêt, étaient pour lui un vague mirage. Ses yeux observèrent les tentacules qui ornaient le ciel, telles les barreaux d'une cage qui s'étaient refermés sur lui. Il avait senti dans cette partie de la forêt certaines empreintes olfactives qu'il aurait aimé étudier. Pour l'instant, l'objectif était d'obtenir un droit de passage sur le territoire de ce monstre de Reiatsu qui le regardait de haut. Il reprit alors le fil de ses pensées oralement.

- Nous avons détecté, pour ainsi dire, quelques fragrances sur votre territoire. Nous aurions aimé l'analyser, nous et nos serviteurs, afin d'en comprendre l'essence et sa possible utilisation. Bien évidemment, nous ne voulons pas être la cause du moindre problème pour vous. Même si nous n'en étions pas un de toute façon... Pouvons nous donc obtenir audience sur cette question ?

L'art du Verbe était une chose qu'il avait appris quand il travaillait dans son Creuset humain. Toutefois, face à un Vasto Lorde, il fallait espérer que les choses se passent au mieux.

Elle l'observait. Et appréciait son comportement. Les Hollow étaient parfois bélliqueux sans raison, juste pour essayer de s'imposer face aux autres. Certes, sa nature de Vasto Lorde imposait généralement le respect parmi les siens mais les fous étaient tout de même nombreux. Lui n'en faisait pas partie. Et elle l'écoutait donc avec attention.

Farasha, c'est ainsi qu'il s'appelait, semblait être en quête d'un savoir particulier. Une sorte d'artiste visiblement, si elle se basait sur ce qu'elle entendait. En tout cas elle avait confirmation d'une chose : Farasha avait cherché à la rencontrer et une telle audace méritait qu'on l'écoute attentivement. Voyant que le danger n'était pas présent, elle ramenait à elle doucement certains de ses tentacules, afin de reconstituer la partie basse de son corps. Aménageant aussi une ouverture afin que la créature ne se sente pas pris au piège.

La nature de sa recherche échappait toutefois à la compréhension de la Destructrice. Elle ne comprenait pas réellement le but de cette quête et à dire vrai, en dehors de donner son autorisation, elle ne voyait pas trop comment l'aider. Savoir qu'il avait perçu des fragrances sur son territoire l'intriguait donc. Se penchant vers lui, brisant la distance mais abaissant aussi son centre de gravité pour que la créature ne se rompt par le cou en la regardant, elle prit la parole :

- Tu parles bien, Farasha, et tu as des manières que d'autres n'ont pas. En cela, tu es très différents de ceux qui peuplent ces terres. Je veux bien t'accorder mon attention. Mais je vais aussi être franche. Je n'ai pas compris précisément ce que tu recherchais.

Il avait parlé de camarades. Mais elle ne les voyait pas. Sans doute était-il parti en éclaireur. Ou alors avait-il jugé plus sécurisant d'y aller seul, afin de ne pas brusquer Riful.

- Je veux bien t'accorder ce que tu demandes. Mais dis m'en plus. Et où sont ces camarades dont tu parlais à l'instant ?

La tension était palpable, comme la sensation d'avoir une hache au-dessus de la tête. Tête basse, Farasha entendit les mots de la souveraine des lieux sans l'interrompre d'une quelconque manière. Il ne fallait rien brusquer. Après quelques instants, la présence diminua d'intensité pour voir la Vasto Lorde lui faire face.

La politesse avait donc été un bon élément. Rencontrer Borick lui avait appris que l'humeur des puissances de ce monde était capricieuse mais, ils étaient tout aussi attachés à la préséance de ce qu'ils étaient. Lui il n'était rien, eux étaient tout. Il ne fallait surtout pas chercher plus loin ou assumer une place qui n'était pas la sienne. Une fois qu'elle avait terminé, il prit quelques secondes avant de répondre, afin de s'assurer qu'aucun mot ne sortirait plus de ses lèvres.

- Chaque créature spirituelle a un parfum qui influence son environnement. Nous avons senti qu'il en existait un ici que nous ne connaissions pas. Il est fort possible que vous l'ayez créé sans vous en rendre compte. Les Puissances du Monde du Vide créent des choses qu'elles ne sentent pas mais, qui s'attacherait de toute manière à ces menus détails ?

Toujours la tête baissée, la Chenille tourna sur elle même une seconde. Il laissait ses sens se projeter dans les alentours, il espérait ainsi prouver ce qu'il avançait. Toutefois, rien ne vint. Enfin presque... C'était trop subtil encore et il n'avait certainement pas été assez loin dans le territoire du Seigneur Riful.

- Nous aimerions vous présenter cela mais nous sommes encore trop loin de la plante, animal, pierre... que vous avez influencé avec votre Reiatsu. Si vous le me permettez, nous pouvons vous le présenter. Chaque Parfum a son propre pouvoir et influence les nôtres, nous ne savons donc pas quelle est l'influence de votre fragrance dans la forêt...

Il espérait ne pas avoir été trop long. Ce genre de bestiole était capable de changer d'avis et de le bouffer s'il n'y allait pas directement. Son corps était tiraillé dans tous les sens. Voilà que sa faim le reprenait brutalement, il prit sur lui de contrôler son envie. Etait-ca la présence de Riful qui le poussait à la faim ? Tel un atavisme spirituel que tous les Hollows connaissaient.. Non non non.... Il devait tenir jusqu'à la fin de sa recherche.

Créer quelque chose sans s'en apercevoir ? Riful ne savait pas cela possible et elle était donc pendue aux lèvres de la créature. Enfin, aux lèvres. Disons qu'elle écoutait avec attention, cherchant à comprendre. Il était toutefois difficile de savoir exactement de quoi il retournait en dépit de ce qu'il disait.

Lorsqu'il reprit la parole, ce fut pour se montrer plus précis. Et s'il y a une chose que l'on devait admettre, c'est que cette chenille savait capter son attention. Ainsi donc se proposait-il de remonter la piste pour lui montrer ce qu'elle avait créé sans le savoir ? Si elle estimait cela impossible, sa curiosité la poussait toutefois à prêter l'oreille. Il aurait été si simple de se débarrasser de lui mais il avait tiré un fil subtil qu'elle souhaitait remonter désormais.

- Je parcours ces terres depuis plusieurs générations maintenant. Je n'ai jamais été la témoin de ce que tu avances. Tu comprendras que je sois sceptique.

Pour autant, elle savait aussi qu'elle était loin de tout comprendre et qu'il existait des particularités qui lui échappaient, encore aujourd'hui. Se redressant complètement, elle posa son menton entre ses mains, poussant un léger soupir. Ses sens en éveil, elle semblait sonder ce qui se trouvait autour d'elle. Sans d'autres résultats que de percevoir les esprits apeurés des créatures proches. Finalement, elle reporta l'attention sur la chenille.

- Soit. Montres-moi ce dont tu parles. Remonte donc cette piste, je te suivrai et nous pourrons converser en attendant.

Elle n'avait plus faim depuis longtemps. Les seuls repas qu'elle se faisait étant là pour se rappeler ce qu'elle avait été par le passé. Une puissante Vasto Lorde qui était aujourd'hui dépassée par ces nouvelles créatures que l'on appelait Arrancars. De puissants soldats certes, mais qui avaient perdus de vue les vraies valeurs de ce monde. Farasha était comme elle, même s'il était moins évolué. C'était pour cela qu'elle avait pris la décision de ne pas l'annihiler. Pas maintenant en tout cas. Etendant ses bras alentours, elle reprit :

- J'ai hâte de mettre une image sur tes propos car pour le moment, je dois bien avouer que je ne comprends pas tout. J'espère seulement que ce n'est pas un mensonge pour sauver ta vie. Je n'aime pas les menteurs.

Une mise en garde. Riful préférait que les choses soient claires à ce sujet. Si elle n'avait rien contre la chenille, elle n'accepterait pas pour autant qu'on vienne à elle pour lui raconter des mensonges.

- Tu en profiteras pour me dire d'où tu viens, petite Farasha. J'aime les histoires.

La menace n'avait jamais été aussi réelle. Farasha sentait ses tripes se retourner à chaque syllabe qui sortait des lèvres de Riful. Gardant le silence avec respect, il s'inclina alors respectueusement mais il ne reprit pas la parole de suite. Il préférait parler par ses actes. Il savait qu'il devait mesurer chaque mot de toute manière. En même temps, il se mit en recherche de ce qu'il appelait les "Esquisses d'essence".

Le silence dura jusqu'à l'arrivée d'un arbre dont le tronc avait été lacéré à maintes reprises. Ses quatre mains tâtaient le tronc alors qu'il laissait son odorat s'emparer des miasmes de fleur qui étaient présents. Quelque chose sortit des lacérations, un morceau de tissu ou quelque chose qui s'en approchait. Son éclat était vermeille et trépidant, Farasha le mit dans une petite fiole qu'il avait pris dans sa sacoche.

Tournant le morceau de tissu vermeille qui se trouvait dans la fiole, il accepta afin de parler.

- Voici l'esquisse d'essence de Dame Riful. Elle est née du fait de votre utilisation régulière de cet arbre, lors de vos chasses. Vous avez lentement imprégné cet arbre de votre Reiatsu à chaque passage et ce morceau de tissu vermeille s'est matérialisé. Il est quasi invisible. Chaque imprégnation dépend de la Puissance de celui qui la crée. Un simple Hollow laissera une empreinte très faible qui va vite s'évaporer. Le simple fait d'en trouver une ici démontre votre rang Dame Riful, avec toute notre humilité la plus sincère.

Et encore, ils étaient certainement loin de son nid. Les esquisses étaient ici très mineures et peu exploitables. C'était une évidence mais il était inutile d'en parler, histoire de pas montrer une mauvaise curiosité... certainement fatale. Riful ressemblait à un animal près à bondir si quelque chose la contrariait. Fausse impression ? Difficile à dire pour être honnête, la Chenille voulait rester discrète en tout cas sur ses intentions ou ses paroles.

Maintenant, il devait répondre à une autre question. Plus gênante et il l'avait esquivé le temps de la recherche de l'esquisse. Il laissait Riful observer la petite follicule de tissu dans son éprouvette et lui répondit en même temps.

- Pour vous répondre à votre question de tout à l'heure, nous venons du nord de la forêt. Nous travaillons à l'élaboration d'un Livre des Fragrances afin que la mémoire des êtres du vide ne soient jamais oubliés, même après qu'ils aient détruits par le destin. Nous trouvons malheureux qu'on oublie les nôtres. Cela répond à votre question ?

Il avait répondu sans trop en dire. Il avait peur d'elle. Il ne voulait pas l'avoir sur le dos dans le futur, il espérait que cela suffise à attendrir sa cuiriosité.

Elle observait la fiole sans réellement comprendre ce que cela signifiait. Mais la chenille parlait bien, ce qui satisfaisait clairement son égo. Elle comprenait que le degré de puissance influait grandement sur la quantité d'essence relevée. Mais que comptait-il en faire réellement, ça lui échappait complètement. Mais elle comptait bien éclaircir ce point rapidement.

La patience n'étant pas une vertu développée chez elle, elle poussa un simple soupir. Sans doute sentait-il qu'elle s'agaçait car rapidement il reprit la parole. A mesure que les mots coulaient de sa bouche, elle mesurait l'importance de la quête que la créature s'imposait. Un livre des fragrances ? Une sorte de recueil de mémoire en quelque sorte. Voilà qui n'était pas évident à constituer, une vie ne suffirait d'ailleurs sans doute pas à atteindre un tel objectif. Et surtout... Qu'avait-il à y gagner lui ?

- Voilà une mission d'importance, je dois l'admettre. Il est vrai que l'oubli est certainement l'une des pires choses qui puissent frapper les Puissants de ce monde. Seulement je m'interroge.

Une chose s'imposait à elle. Farasha n'était pas plus éternel que les autres créatures qui peuplaient l'immensité du Hueco Mundo. S'il disparaissait et que son livre subsistait, qui saurait dire réellement qui avait été Riful ? Ou qui avait été Grimmjow ?

- Si tu me montrais ou me faisais sentir une de tes fragrances, comment saurais-je à qui elle a appartenu ? Et même si tu me disais son nom, cela ne signifierait pas que je saurai qui était ce Hollow pour autant. D'ailleurs, si tu venais à disparaître toi aussi, qui perpétuerait ta quête ?

Après tout, la question se posait non ? Sans doute qu'il aurait été plus magnagnime de sa part de le détruire ici et maintenant, finalement. D'ailleurs comme réagissant à ses émotions, ses lianes s'activaient sous son corps, certaines s'enfonçant plus profondément dans le sol.

- Ah, qu'importe finalement. Tu es une drôle de petite créature. Mais ton projet mérite qu'on s'y intéresse. Cependant je doute que tous puissent réagir comme moi. Certains n'apprécieront pas que tu pénètres sur leur territoire et te tuerons sans sommation. Y as tu pensé ?

Après tout, la chenille était venue jusqu'à elle. Si elle percevait sa peur, elle percevait aussi sa détermination. Il prenait de gros risques en agissant de la sorte et elle ne pouvait croire qu'il était sans défense. D'où le fait qu'elle soit aussi intriguée.

Bien des questions pressaient les pensées du Hollow. La peur de la bête traquée par son prédateur naturel était on ne peut plus naturel dans cette circonstance. La Yarqa leva timidement ses yeux vers elle alors qu'elle l'interrogeait...

Un héritage ? Que faire par delà l'anéantissement ? Il n'avait jamais pensé à cela. Cette conception qui s'appelait Héritage fut comme un choc. Il savait qui hériterait de son œuvre, c'était écrit dans sa propre chair d'une certaine façon. Mais, était ce un bon héritage ? Son Rêve serait il poursuivi ? Il ne pouvait pas entrer dans ce terrain là, il devait rapidement en sortir. Le silence était sa seule réponse, il n'avait pas grand chose à dire.

- Vrai que vous ne pouvez pas savoir, nous sommes - comme bien des nôtres - victime de notre propre condition. Le venin de la disparition peut nous broyer en un instant. Soit. Nous l'acceptons. Ceci dit, nous pensons que les Fragrances peuvent redonner "vie" au passé, comme des pages de souvenirs enfouis dans le quartz qui nous entoure.

Il ne pouvait pas dire mieux. Et d'un geste de ces mains, il fit un cercle montrant tous les arbres qui les entouraient ! Combien de Hollows avaient lentement composés ses racines, ses troncs et ses branches. Les parfums nacrés qui s'en échappaient, subtils, rappelaient leurs présences. Ils étaient devenus inertes comme de la roche mais c'était le destin de tous ici bas...

- Notre projet peut... enfin... Notre assurance n'est peut-être encore qu'un Rêve. Nous voulons fonder une cité de dômes d'or où ces Rêves pourraient vivre. Chaque Hollow pourrait alors revoir des êtres aimés du passé... Le retour des Revenants est un symbole, après tout, rien n'est immuable. Vivre sans cette faim qui nous détruit les uns les autres.... N'est ce pas un beau Rêve ? Pour cela, nous en acceptons le danger et le parfum de la mort qui rôde en permanence autour de nous.

Une forme d'espoir teinté d'un lourd fatalisme sortait de ses lèvres. Il laissait clairement sentir qu'il hésitait sur ses propres ambitions. Etait ce justement trop ambitieux ? Trop grand ? Borick pouvait permettre de fonder cette cité et que les Hollows vivent sous son autorité divine. Même ce dernier n'avait pas connaissance de tout cela.

Par le passé, elle avait déjà rencontré des créatures difficilement compréhensibles. Même en posant des questions précises, elles y répondaient souvent à côté. N'éclaircissant donc en rien la situation. Farasha était de ceux-là. Et en vérité, elle s'agaçait un peu de ces réponses qui n'en étaient pas.

Pour sa part, elle ne voyait pas d'intérêts à revoir ceux qui appartenaient au passé. Elle doutait même que cela puisse être possible. A quoi bon faire renaître ceux qui avaient disparus ? Certes, ces Revenants étaient des vestiges du passé mais ils étaient trop rares, trop particuliers pour que cela puisse être recopié. Non, décidément elle ne voyait vraiment pas pourquoi on pouvait ainsi se porter sur une telle chimère.

Finalement, cette rencontre avait fini par la lassé. Ses tentacules revinrent à elle tandis qu'elle modifiait peu à peu sa structure, prenant une forme plus standard et plus humaine. La partie basse de son corps s'enfonçait dans le sol, de sorte qu'il ne restait que son buste et quelques lianes constituant ses jambes. Elle mesurait désormais le mètre soixante, ce qui n'avait rien de comparable à sa taille normale.

- Peut-être ainsi seras-tu moins intimidé. Je ne dis pas que c'est ton cas mais il arrive souvent que ma forme véritable effraie ceux qui croisent ma route.

Elle attrapa du sable à l'aide de sa main droite, qu'elle laissait ensuite couler lentement sur le sol. Pour elle, le passé importait peu. Quant à l'avenir, elle ne se projetait pas. Elle était une créature du présent.

- Je dois dire que tu m'as un peu perdu avec tes explications. Mais qu'importe finalement. Appartiens-tu à quelqu'un ?

La question n'était pas anodine. Et par quelqu'un, elle sous entendait également le nom de son clan s'il en avait un. Peut-être lui avait-il dit mais si tel était le cas, elle avait déjà oublié.

- Tu me parais bien frêle pour avoir survécu seul jusque là. Tu dois avoir un ou plusieurs protecteurs non ? Ou alors peut-être disposes tu de capacité te permettant de te soustraire à l'attention des Chasseurs.

Sa main semblait vouloir se porter vers lui. Elle s'arrêta, souriante.

La Yarqa ne comprenait pas, elle avait été clair. Enfin, ses propres histoires avaient certainement fatiguée la grande dame végétale. Instinctivement, elle sentait qu'il était temps de changer sujet. Dans un sens, il n'avait pas eu le besoin de le faire que Riful prenait déjà le relais suivant. Qui était son Maître ? C'était une question récurrente mais elle avait tissé dans son esprit une réponse adaptée à cette réponse.

- Nous sommes au service du Seigneur Yrronos.

La réponse claqua comme une évidence. C'était après tout le seigneur de la forêt et il était normal que ses serviteurs parcourent la forêt en son nom. C'était l'espérance de la Chenille. Puis bon, si un jour il croisait la créature, il serait simple de lui dire qu'il avait épousé ses idées. Le propre des puissants était de se penser supérieur à son Ô Roi, quelle vanité ! Le temps n'était pas venu pour son Ascension en temps que Roi des Esprits mais arriverait, il le ferait pour le bien de Borick Dono.

Quitte à agir contre lui, quand on veut le bien de quelqu'un. Il ne faut pas hésiter à agir dans son ombre afin de l'aider à devenir un Dieu.

- Nous ne cherchons aucune querelle. Nous travaillons à l'Elévatiion. Encore un silence, Farasha se rendit compte que parler comme d'habitude serait inutile avec Riful. Il allait devoir faire simple avec une créature à l'esprit simple. Yrronos veille sur chacun, certains plus que d'autres. Certaines créatures de votre rang viennent ici depuis quelques temps d'ailleurs. Nous ne savons pas si ils veulent pas s'installer sur ces terres. Une certaine Reine des Abeilles a pris pied ici autrefois et revient près d'ici parfois... Delila, c'est ca. Elle torture les Hollows ici. Nous n'avons rien pu faire ici.

Borick Dono lui avait appris une chose, : "Quand tu as un problème, trouve une victime pour t'en libérer". Farasha comprenait maintenant le sens de ses propos, Delila serait donc sa victime, sa libération expiatoire. Le pire est que la Yarqa ne mentait pas, juste qu'elle omettait quelques détails.

Réponse logique que Riful ne pouvait remettre en doute. Par principe, elle aussi servait ce Seigneur. Encore que le terme servir étant assez particulier le concernant. Il était le Maître de la Forêt, pour autant il n'était pas intrusif avec ceux qui appartenaient à son clan. Ce qui arrangeait la Vasto Lorde, pour qui la liberté était une priorité.

Quant au fait que la chenille ne cherche pas querelle, là aussi elle n'avait aucune raison d'en douter. Il aurait été facile pour elle de le détruire ici et maintenant, mais pour quel bénéfice ? En dehors de répondre à un désir égoïste il s'entend. Une créature comme Farasha ne pouvait pas se permettre de froisser les puissants. Il en avait conscience et c'était plaisant de voir qu'il connaissait sa place en ce monde.

Alors qu'elle l'écoutait, elle fut intéressée par les propos concernant cette Reine des Abeilles. Ainsi donc une reine se trimballait dans le coin ? Sans même venir à elle pour se présenter. Un large sourire apparut sur son visage. Riful avait beau avoir tourné le dos à ses anciens instincts, elle n'en restait pas moins une Chasseresses, celle que l'on appelait la Destructrice. Inutile de dire qu'elle ne voyait pas d'un très bon oeil cette Delila.

- Bien, voilà enfin une information digne d'intérêt. Je verrais à aller au devant de cette Delila. Quant à toi, disparais de ma vue. Avant que je ne change d'avis et que je n'éparpille tes restes dans le désert.

De nouveau, elle reprit sa forme normale, ses tentacules jaillissant de partout, soulevant des gerbes de sables et de roches partout. Il était temps pour Farasha de partir. Et vite.

Conclusion pour moi

Le vent de la raison semblait s'installer. D'une certaine façon la Yarqa était satisfaite de voir que les Puissances de ce monde aimaient se défier les unes les autres, afin de préserver un territoire qui n'avait pas de raison d'être. Ils étaient tellement peu de choses dans cette existence. Farasha ne devait son existence qu'à son Roi, celui qui lui avait permis de vivre dans ce monde et de faire avancer ses projets.

Pour Delila, c'était dommage... Mais bon, il fallait brûler parfois l'encens afin de détourner l'attention. Il était sûr qu'elle avait assez de Verbe pour pouvoir s'en sortir. Même si Riful était un Hollow pour le moins singulier, il était clair qu'il était curieux du monde en dehors de la forêt. Le temps viendrait où cette curiosité conduit à la faire sortir de son trou.... Deviendrait elle alors une menace pour le Roi ? La question se posait dans un coin de se tête, comme bien d'autres il était vrai.

- Je vous remercie, au revoir.

La Chenille quittait les lieux sans plus de sommation. Elle n'avait pas envie de provoquer la créature avec de plus amples questions sur son existence à elle. Se glissant entre les branches de quartz, elle retournait dans son antre. Trois Hollows avaient eu le tort de la provoquer alors qu'elle s'avançait, ce n'était pas le moment et elle avait faim.

Pour une fois, elle se laissa aller et dévora tous les Hollows sur son passage. Six, oui, elle en avait compté six. Mais... Rien. Encore une fois, la faim la détruisait lentement mais son appétit n'était jamais rassasié, la douleur la rendait folle. Pour son propre bien, elle avait encore le contrôle. Elle allait devoir demander conseil au Roi si cela empirait...

Etait ce le fruit de ses rencontres avec les Puissances ? Un appel à les égaler pour les combattre pour son Roi ? Non... Oui... Non... Elle ne savait plus. Cela rendait fou Farasha mais, pour l'instant, il devait juste tenir.

- Fin -