Pourquoi c'est moi qui ai les plus nuls ?

« Quelle heure il est là ? Et je suis où là ? Et pourquoi cette troupe de troubadour s’échine à me mettre la tête à l’envers ? »
Quelques pensées qui lui effleurent l’esprit, ou du moins ce qu’il en reste. Ses yeux s’ouvrent péniblement. Il entend des « bip bip » et des ronflements réguliers.

- Gaou ?

Bon, ça justifiait pas vraiment les bip, mais les ronflements par contre… bien que lui avait beaucoup plus de volume. C’était plutôt discret là, s’il prenait en compte le fait que sa migraine amplifiait tout. Quelque chose de léger et permanent, trop régulier pour être émis par un organisme vivant.

- Gaou c’est toi ?

Bah non, « pas un organisme vivant » on t’a dit, allons ! Un peu d’effort, merde ! Ses paupières lourdes s’ouvrent péniblement. Et il n’y a pas que sa tête qui soit à l’envers. « Attends… C’est quoi ce monde ? Est-ce que le monde il est à l’envers, ou c’est moi qu’est à l’envers ? ». C’était lui ! Mais plus pour longtemps. Il bouge encore un peu, maladroitement, et glisse du canapé pour s’étaler au sol. Là seulement, il parvient à analyser plus en détail son environnement et soupire. Bon c’était sûr, ça pouvait pas être Gaou… pauvre vieux, disparu depuis si longtemps.

- Alexa, lumière !

Rien ne se produit.

- Alexa, lumière s’il te plaît !

Et la lumière fut. Alexa c’est Dieu un peu. La lumière n’est pas la seule à s’allumer, les écrans sur les murs également, offrant une vue similaire à ce que des fenêtres donneraient s’il était à la surface. Une demande d’Orias afin de rendre son travail plus supportable. Le ronflement des machineries se fait un peu plus intense, comme sortant du sommeil également. Il inspecte la pièce encore. Quelques bouteilles décimées. Voilà l’explication des maux de tête. Le roi des pièces opine d’ailleurs de cette dernière, commençant à remettre les wagons dans l’ordre.

Bon, on verrait plus tard. Pour le moment, c’est surtout sa tête qu’il fallait remettre à l’endroit. Il avait besoin d’un bon bol d’air frais, un peu de marche. Alors il se met à déambuler, se paume un peu, trop à côté de ses bottes. Et soudainement, il marche tout droit, normal, passe dans une intersection, et là de sa droite, ça beugle. Aïe. Le crâne en vrac n’apprécie pas trop. Discuter ? Encore du travail ? C’est trop tard pour faire genre « j’ai pas entendu », il s’est arrêté et l’a regardée. Il grimace. Sa tête pivote lentement pour regarder à nouveau droit devant. Sa nuque en grincerait presque. Orias se met à siffloter doucement. Mal, très mal. Forcément, avec les lèvres sèches et la bouche pâteuse, c’était compliqué. Mais ça ne l’arrête pas, il fallait aller au bout des choses maintenant… Le voilà qui avance à nouveau, un pas devant l’autre. S’il faisait comme s’il n’avait jamais été là, peut-être que… ?

Il s’éclipse. Enfin, il le croit un instant. Il est quelle heure en vrai ? Orias n’en a aucune idée et n’a pour seule impatience que de rejoindre la surface en l’espoir d’y découvrir une nuit noire. L’air y était meilleur, plus frais et moins chargé, et l’on voyait mieux le ciel et les étoiles. Bon, pas qu’il projette de s’adonner à une lecture approfondie. Il était plus dans un état où l’on se questionnait sur le sens de la vie. Où l’on se donnait de nouveaux objectifs comme « plus jamais je boirai ». Bref, décuver au calme quoi.

Mais elle le poursuit. Et ne se prive pas pour beugler dans un couloir, lui donnant l’impression de se tenir dans une caisse de résonance à échelle humaine. Il s’arrête net, se crispe. Il se retourne lentement, la voit.

- Salut et félicité. On t’a déjà dit que Mitski ça rime avec whisky ? Parle pas trop fort s’il te plaît, c’est la nuit et y a le bébé qui dort. Puis tu pourrais réveiller les voisins.

Semble chercher quelque chose du regard un instant, sur le sol autour d’eux.

- C’est une mission très importante, mais aussi top secrète… C’est pour ça qu’il ne faut pas parler trop fort, d’accord ? Tout doux, touuuut douuuuux… Il faut que tu m’escortes à la surface au plus vite, mais si je suis exposé à des sons trop violents, comme par exemple… quelqu’un qui crie… tout peut exploser, tu comprends ?

Lui-même n’était pas bien sûr de comprendre où il voulait en venir. Il faisait de son mieux, mais dans son état, tout était décousu forcément, et le sens se délitait rapidement. Sitôt il avait voulu commencer à mettre en place son plan qu’il en avait déjà oublié la moitié. Alors oui forcément ça devait beaucoup moins bien sonner que ce qu’il avait eu en tête initialement.

- Et en chemin, hop, nous profitons pour deviser du petit truc. Et je ne parle pas de Nine hein !

- Oh oui, tout petit petit ! Moi de mon temps, les petits nains on les faisait jongler avec des petites balles – parce qu’ils ont des petites mains j’imagine – et on leur faisait rejouer des scènes célèbres de l’histoire en miniature et tout. Enfin ça c’est quand on les donnait pas à manger aux chiens tout petit, mais bon, c’était une autre époque. Là, dernière fois que je l’ai vu, je lui ai dis « ah, c’est vous Nine, j’ai failli vous prendre pour Six ». Ah bah, crois-moi ou non, mais il n’a même pas rigolé. Bonjour le sens de l’humour hein...

Le rouquin fait l’impasse sur la question d’aller bien ou non. Parce que d’avance il savait que c’était le genre de question qui pouvait lui faire mal au crâne. Oh, pas de se rappeler à quel point il était saoul, non, pas juste ça. Mais il était tout à fait capable de partir dans de longs exposés métaphysiques pour justifier ou non du fait que cela pouvait être tout à fait relatif, et qu’il devait bien y avoir une tripotée de gars à aller bien plus mal, donc qu’il se portait plutôt bien au fond, en comparaison du moins. Ah, alors oui, j’avais prévenu, ça fait mal la tête…

Il écouta aussi bien qu’il le put la requête de la jeune femme. Enfin, entre deux « ola ça tourne là » en pleine ligne droite ou encore « bwo attends je m’arrête deux minutes là, j’ai besoin de fermer les yeux pour réfléchir ». Pas sûr d’être certain qu’il écoute, et pourtant…

- On peut toujours demander à la section The Cups ce qu’ils peuvent faire. Avec leur technomancie et tout, ils doivent pouvoir bricoler des rotules. Pour les mous du genou. Héhé. Des rotules. Allez, elle est pas mal hein ? Bon, je vais te donner un conseil qui va changer ta vie. T’es prête ? « Il n’y a pas de mauvaise équipe, il n’y a que des mauvais chefs ». Je dis pas que t’es mauvaise hein. Mais si tu ne parviens pas à en tirer le meilleur, alors, bah… Si tu t’occupes pas bien de tes mauvaises graines, comment elles pourraient bien pousser et t’offrir une bonne récolte ? Mince, doit y avoir une expression toute faite pour ça… bah, tant pis. Du coup, montre-leur l’exemple déjà ! Travaille deux fois plus dur. Dirige les mieux. Choisis méticuleusement à qui tu donnes quelle tâche, car chacun est curé dans sa paroisse. Enfin, je veux dire… heu...

Il a perdu le fil. S’arrête, se gratte la tempe ? On est encore loin ? Il est par où l’ascenseur déjà ? Oh oui, ça lui revient !

- Mais tu veux faire une expédition au Hueco Mundo toi ? Mais pourquoi faire ? Alors, raconte-moi tout, c’est quoi tes projets ? T’es née quel jour ? Avec l’heure et bon, la minute si possible, c’est important quand même.

Visuellement, il a l’air de prendre la chose au sérieux, arborant un air grave. Un petit air de « t’inquiète petite, j’ai les choses en main ». Mais quand on l’écoutait, ça devenait difficile de voir où il voulait en venir sur le coup en effet...

Orias réfléchit un instant. Il est trop perché pour s’attarder sur ce que ses paroles avaient provoqué. D’autant qu’à son sens il n’avait rien dit de mal. Il se voulait encourageant : plutôt que manquer de respect à ceux qui étaient dirigés, il fallait pouvoir se remettre en question et faire mieux encore pour que les choses rentrent dans l’ordre. Ce n’était pas comme s’il y avait foule de personnel à attendre dans les listings des ressources humaines pour prendre leur place de toute façon, donc c’était faire avec ou s’en passer totalement.

- Oui, un bon meneur sait tirer le meilleur parti de son équipé assurément !

Si seulement il se rendait compte qu’il ne faisait qu’enfoncer le clou avec cette déclaration insistant encore un peu sur le fait. Mais hé, c’était pas sa faute si tout le monde était devenu susceptible à cette époque aussi ! Ils montent dans l’ascenseur qui enfin pourrait les remonter à la surface. Dans un espace si réduit, cela empesterait vite l’alcool qui teintait encore son haleine et son sang.

- Et toi, tu devrais t’en sortir très bien ! 13 juillet, Tourterelle Tardive ça, normalement t’es une très bonne communicante. Souriante, attentive aux autres. Tu devrais communiquer ton énergie et ta joie de vivre aux autres au lieu de bouder, tu te sentirais mieux, ça s’accorderait mieux à ta vraie nature. Alors oui, tu peux avoir parfois un peu de manque de concentration, un peu lâche et manipulatrice même parfois, mais bon c’est ça la Tourterelle Tardive, c’est toujours un peu comme si t’avais un jumeau dans ta tête qui te donne de mauvais conseils. Je pense que tu sais quoi, mais que tu n’arrives juste pas à pleinement l’exprimer, à mettre en marche les bonnes solutions, parce que tu te sabotes toi-même. Je ne peux pas changer les choses à ta place, tu sais, mais je suis certain que tu as les capacités pour construire une équipe fiable qui nous rendra fiers, toi et moi ! D’ailleurs je suis déjà fier de toi, brave petite !

Lui affirme-t-il avec une franchise limpide, lui tapotant la tête. Sans doute ne se serait-il pas permis ce dernier geste, outrepassant un peu trop le concept d’espace personnel à son sens, s’il n’avait pas encore dans le sang de quoi être d’équerre quelques heures durant.

- Après pour les banquets… nous les servons souvent sur Terre, tu sais ?Ils n’aiment pas trop qu’on aille là-bas, je pense. Ils nous laissent faire pour… nos exploitations, parce que c’est le contrat. Ça m’arrangerait bien qu’on leur envoie juste la cargaison et qu’on soit quitte, ça ferait moins à nettoyer...

Il ne dit pas si elle a le droit ou non. Pas qu’il veuille absolument l’empêcher, mais c’est sans doute moins transcendant et plus dangereux qu’elle ne le pense. Enfin, ce n’est que son avis. Ce qu’il ne dit pas, c’est qu’il n’est lui-même pas très chaud pour se rendre dans le désert blanc.