Matryona
Données Spirituelles
Grade: Membre de Las Manadas
Mer 14 Sep 2022 - 0:10 - L'antre de l'araignée
- Spoiler:
- Vinny Matryona
Il n'y a pas foule ce soir. D'un autre coté il n'y a jamais eu beaucoup de monde et la nuit n'en finit plus de durer depuis des millénaires ce qui quand on y pense est assez ironique finalement. Ici il n'y a bien que le sable qui s'évertue à bouger constamment au gré des brises glaciales portées par la lune moqueuse. Tout le reste piétine, rampe, roupille là sous l'ombre d'un arbre gigantesque, là derrière les murs d'un temple en ruine, ou encore caché dans l'une des innombrables poches souterraines couvrant toute la surface de cet interminable monde aussi vide que les choppes qui s'empilent derrière le comptoir.
Au dehors il n'y a que le grésillement très identifiable des néons composant l'enseigne de cette taverne : le Bistro Mundo. Ca fait déjà plusieurs années qu'il est ouvert ou plutôt, que l'actuelle Tercera s'est mise en tête de revendiquer les lieux pour y mettre tout le bazar qu'elle rapporte de ses escapades sur Terre. Il faut dire que depuis la chute de son ancien propriétaire l'imposant palais aux allures de bunker, dressé au milieu du désert comme une verrue, ne servait véritablement plus à grand chose. Certes il s'agissait maintenant du quartier général de Las Manadas. Mais tous ces débris, tous ces équipement laissés à l'abandon, tout cet espace est autant de potentiel gaché. Il fallait impérativement relancer la machine, repeupler.
Au fil de ses expérimentations dans le monde des pantins sans but Matryonna en est arrivée à une conclusion frappante. Les cobayes ploient régulièrement sous le poids de leur routine quotidienne, mais il arrive que certains perturbent le bon déroulement du cycle afin de se regrouper dans divers endroits où ils s'adonnent à tout un tas d'activités. Cela facilite les échanges, la reproduction, ou encore la circulation des flux. Ces centres névralgiques sont des graines de chaos, une multitude de petits nids tissés un peu partout sur l'infinie toile humaine. Précisément ce qu'il manque ici.
Soudain le silence explose dans une cacophonie de notes destructurées. Matryonna qui jusqu'alors se massait le front en bavant sur le bar releva la tête dans un sursaut, arrachée à ses contemplations oniriques. Fausse alerte, ce n'est que Vinny.
- Ca c'était un coup en traître ! Tu va m'le payer saloperie d'aveugle !
Il est à l'autre bout de l'estrade qui sert de scène, en train de s'extraire non sans une certaine difficulté de l'amas de cordes qui composent l'instrument dans lequel sa soeur Cecilia semble l'avoir projeté. Encore des chamailleries d'enfants comme leur mère n'en voit que trop souvent ces temps-ci. Il faut dire que l'autre en a fait son occupation première, ce qui reste légitime puisqu'il est l'avatar de la discorde et donc le plus difficilement gérable dans les moments de calme. Cette fois Matryonna ne souhaite pas lui laisser trop d'aise. Elle se redresse lentement, et sans bouger de son tabouret règle le soucis d'un geste en tirant vigoureusement sur le lien spirituel qui les relie tous les deux. Vinny fait un vol plané et s'écrase en roulant sur les planches grinçantes devant l'entrée.
- Je t'ai donné des ailes et te voilà encore à ramper ! Que deviendrait ta colère si je t'arrachais les pattes ?
Elle lui offre son plus doux sourire, pendant qu'il peine à se relever et peste de plus belle en lui tirant la langue. Inutile de le sermonner ni même de la canaliser, ce n'est rien de plus qu'un phylactère d'émotion pure. Si elle le voulait vraiment, il lui suffirait de le dévorer. Mais elle n'avait pas besoin de ressentir la colère en ce moment, ce n'est jamais bon pour les affaires.
Soudain le câble s'électrise. Alors qu'elle observait le regroupement de filins se perdant dans les traverses de la toiture, en cherchant à apercevoir au bout ses autres enfants probablement endormis son attention se reporte sur Vinny qui vient tout juste de redécoller. Il est en vol stationnaire, et fixe l'entrée. Le rideau de perles qui recouvre l'encadrement de la porte frémit et se déchire, laissant apparaître une silhouette tout à fait familière.
- Ah ben tiens, celle-là aussi elle en a des ailes et quoi ? J'me demande bien comment elle ferait sans ses pattes !
Une provocation facile, et gratuite. On finissait par s'y habituer, une fois qu'on avait pris le temps de cerner la bestiole. D'un nouveau battement maladroit il regagna le comptoir, où l'attendait sa mère qui déjà reprenait quelques lueurs dans son regard. Elle adressa à sa cliente du jour un signe amical de la main, accompagné d'un sourire discret. Peut-être que cette nuit ne sera pas si terrible, après tout.