Copain ? Voici copine !

Il avait fait de sacrées rencontres depuis le début des cours et Shinjiro en était ravi. Lui qui avait cru un moment s'emmerder, il devait admettre qu'il s'était trompé et c'était une excellente chose. Plusieurs univers différents gravitaient autour de lui et c'était assez étrange qu'il puisse en être le centre. Enfin, il pensait l'être même si la réalité était tout autre évidemment.

Et comme souvent, une nouvelle idée de merde avait germé dans son esprit. Cette fois ? Faire se rencontrer deux des personnes qu'il avait rencontré. Espérant qu'ils deviennent pote ? Pas nécessairement. Juste une occasion pour lui d'être avec les autres, en groupe, d'échanger et de s'amuser. C'est qu'il ne se prenait pas trop la tête en vérité. C'est pourquoi il était aller retrouver Kyôken, l'ayant repéré dans la salle en train de... Bah en train de faire ce qu'il voulait quoi.

- Yo mon pote. J'te dérange pas ?

En vrai, c'était pas vraiment la question. Il s'en foutait un peu. Il savait que le lascar avait une gonzesse mais il ne le voyait pas en mode "exclusif". Alors quitte à l'appâter.

- Regarde, on parlait bouffe la dernière fois. Bah j'ai de quoi s'faire un p'tit gueuleton sympa. Mais j'voulais aussi te présenter une autre élève, assez sympa même si elle pige pas tout c'qu'on peut lui dire. Tu viens ?

Il paraissait insistant. Y'avait intérêt à ce qu'il suive, sinon une fois la main mise sur Daestra, il devrait encore repartir en quête du lascar. D'ailleurs, elle était où la donzelle ? Se retournant pour fouiller la zone du regard, il l'aperçut enfin. Un large sourire aux lèvres, il pointa l'index dans sa direction.

- Tu vois la naine là-bas, bah c'est elle. HEY DAESTRA !!!! J'ARRIVE !!!

Toujours aussi discret, le rugissement du colosse fit sursauter les quelques élèves autour d'eux. Jouant des coudes et des épaules pour se frayer un passage, sans même regarder si Kyôken suivait, il arriva alors rapidement sur elle, tout sourire. Le genre de visage qui signifiait "on va aux devants de gros emmerdes". Dans son dos, un petit sac qu'il portait en bandoulière. Etrange.

- Hey, comment va la Crevette aujourd'hui ?

Oui, il avait évidemment déjà adopté ce surnom, même s'il avait perçu la première fois qu'elle n'avait pas spécialement compris. Elle lui avait fais une proposition et il n'avait pas oublié. Cette histoire de thé déjà. Mais lui avait poussé le truc en mode "trouvons des potes, buvons ensemble".

- Tu veux qu'on mange ensemble ? J'veux t'présenter un pote aussi. Atta, est-ce qu'il a suivi ?

Instant de vérité ? Solo ? Pas solo ? Allait-on lancer une quête ?

S’il se réservait pour Mizuki, ça n’empêchait pas que Kenshirō se voyait comme un grand charmeur. Souvent à proposer des trucs à gauche à droite, comme autant d’hameçons lancés auxquels personne ne mordait jamais. Il devait cependant être évident qu’à sa manière de draguer, il n’aurait jamais aucune prise. Et s’il ne faisait pas simplement tout pour se saboter lui-même ? Un certain goût pour la provocation le guide sans doute aussi, mais au final ses intentions ne semblent pas des plus claires. Toujours est-il qu’il n’est jamais contre une nouvelle rencontre, alors quand Shinjiro lui parle d’une nana à lui présenter, il ne se fait pas prier. Pour se rendre compte bien vite qu’il s’était fait flouer.

- Quoi c’est ça la gonzesse ? Va falloir qu’on pose des bases Shinjiro. Au-dessous du mètre vingt et sans poitrine, c’est interdit ! C’est comme à la pêche, les trop petits poissons on les remet à l’eau, c’est comme ça !

Sur cet avertissement Shinjiro est surtout pressé de jouer des coudes et de s’approcher de… sa nouvelle conquête ? Il espérait que ce n’était pas ça. En tout cas il ne voulait pas l’imaginer. Bon, trop tard, il a déjà des images en tête, et surtout des sons. Un lourd craquement… aïe ! Il secoue la tête, une moue écœurée sur le visage. Il savait que la politique de son ami tenait beaucoup au « si ça ne passe pas, essaie encore plus fort », mais là tout de même c’était propre à filer de sales nausées.

C’est alors que Shinjiro le cherche alors qu’il est juste à côté. Bon, même s’il était un peu plus petit que lui, il n’y avait pas de raison qu’il passe sous son champ de vision pour autant.

- J’suis là ! Comme tu m’as demandé, tu t’souviens. Hé, salut le crustacé. Tu peux m’appeler Kyōken. Ça baigne ?

Lève la main en guise de salutation. Le Kiryū n’avait pas vraiment fait les présentations, alors il tente de se débrouiller comme il peut avec les informations qu’il a en sa possession.

L’heure du déjeuner, c’est généralement l’instant que je préfère dans la vie étudiante. Loin du foyer familial j’avais su me creuser une place au milieu de cette masse grouillante et bruyante. Un véritable vivier que j’aimais particulièrement étudier lorsque l’occasion se présentait. Comme à mon habitude je m’installe donc seule sur l’une des nombreuses tables du parc jouxtant l’Académie, persuadée que cette fois encore personne n’osera venir me déranger.

Mais alors que je viens tout juste de déballer mon bento, salivant déjà à l’idée de le déguster tranquillement en tendant l’oreille, une ombre imposante m’avale toute entière. Je n’ai pas le temps de lever les yeux qu’un hurlement tristement familier me vrille les tympans et manque de me faire renverser ce précieux repas dans un sursaut de surprise. Shinjiro. Finalement cette journée s’annonce plus triste que les précédentes.

Il propose qu’on mange ensemble, ou plutôt, il s’invite car sa question n’attend pas de réponse. Comme il ne vient apparemment pas seul, son acte est clairement prémédité. Typique. Il n’y a qu’à voir la grimace immonde qui tord son visage de primate, cette idée le ravi d’avance.

- Oh mais quelle surprise, j’étais précisément en train de me demander ce qui pourrait bien égayer ma journée, entre deux cours intensifs et ennuyeux. Heureusement que tu es là !

Le ton se veut volontairement sarcastique. De toute évidence je ne m’attendais pas à devoir le supporter en dehors de nos leçons communes. C’est alors que me reviennent les paroles qu’il avait tenues lors de notre première entrevue forcée. A bien y réfléchir, c’est vrai qu’il n’avait pas oublié ma promesse mais qu’il ne s’était pas exprimé sur un moment précis où nous organiserions cela. J’aurais dû m’y préparer.

S’ajoute à cette superbe perspective une tierce personne que le gorille argenté doit très certainement connaître à moins qu’il ne s’agisse d’une autre de ses victimes. Le doute est rapidement levé lorsque ce fameux Kyōken ouvre la bouche et se présente brièvement. De par l’accent et la familiarité apparente, il doit venir lui aussi de ce monde improbable situé de l’autre coté des murailles du Sereitei.

Je prends quelques longues secondes à les observer d’un air circonspect, à tour de rôle. Leur présence interfère avec mes plans, mais la fille modèle au fond de moi courbe l’échine et m’invite à ne pas refuser l’occasion qui s’impose. Je tends donc une main en direction du banc me faisant face, tandis que l’autre s’arme de baguettes non sans un léger tremblement nerveux.

- Un autre membre de la meute du grand Singe j’imagine ? Prenez place, je me ravie à l’idée de partager mon repas avec vous. Dans d’autres circonstances j’aurais organisé quelque chose de plus agréable mais apparemment il avait vraiment envie de faire les présentations. Je suis curieuse d’en connaître les raisons. Mon nom est Daestra. Enfin, pour ce que ça vaut, vu qu’il m’a déjà trouvé autre chose…

Je pousse un léger soupir de dépit. En être réduite à l’état de crustacé risquait fortement d’avoir raison de ma patience si cela venait à se répandre. C’est avant tout mon honneur qui est en jeu et si une telle chose ne peut être concevable pour eux alors je finirais par le leur faire comprendre. Comme si être invisible ou mise au banc par na condition de noble ne suffisait pas.

Sa gonzesse ? Non pas vraiment. Mais il comprenait les doutes de Kyôken, après tout il n'avait pas été très clair dans ses explications. Mais l'important pour lui étant désormais de présenter ces deux ovnis. Il le savait, les caractères étaient différents. D'ailleurs il se rendit compte qu'il n'avait pas fait les présentations dans les règles mais son ami était doué dans les relations humaines, il saurait se débrouiller seul. D'ailleurs il le prouvait déjà en prenant le relais auprès de Daestra.

Il eut même un sourire en l'entendant l'appeler le "crustacé". Très terre à terre, ne connaissant pas les expressions les plus évidentes, Daestra aurait sans doute du mal à comprendre le terme. Ou en tout cas la raison qui poussait un parfait inconnu à l'appeler de la sorte. restait à voir comment elle réagirait. Il avait hâte d'ailleurs. La première réponse de la jeune femme fait même apparaître un large sourire, tandis qu'il tend la main vers elle, pouce en l'air.

- Héhé, j'savais que ça te plairait. J'ai comme un don pour les relations humaines. Et t'inquiète pas, j'te lâcherai plus maintenant qu'on est pote.

Une fois encore, il interprétait les propos de la demoiselle. Ne captant pas qu'elle avait fais preuve d'ironie en s'adressant à lui de la sorte. Pour le moment, il attrapait simplement son sac pour en sortir les Bentô qu'il avait lui-même concocté. Il tendait déjà la portion de Kyôken dans sa direction, poussant la seconde vers Daestra même s'il voyait qu'elle était déjà équipé, prenant alors la troisième pour lui. Se posant près d'elle.

- Si par meute, tu veux dire un pote de classe, alors carrément ouais. Tu vois, j't'avais dit qu'elle avait de l'humour. Après elle prends tout au premier degré, c'est drôle aussi. Genre elle pige pas trop les expressions.

Il se souvenait de la couille dans le potage. Entre autre. Alors qu'il ouvrait sa propre portion de bouffe, il huma ce qui se trouvait, poussant un grand soupir de contentement. Il tendit le bentô vers Daestra, faisant des signes pour qu'elle respire.

- Bordel, respires-moi ça. Et ose me dire que ça sent pas la liberté. Mouhahahahaha. J'ai connu une femme, elle sentait pareille. C'était mois agréable !

Elle avait été l'objet de blagues particulières à l'époque. Lui-même n'avait pas connu "intimement" la demoiselle mais un de leur pote oui, et il avait été la risée du groupe.

- En vrai la raison est simple. J'me suis dit que ça collerait entre nous. Hey ! Si on peut se serrer les couilles, faut pas hésiter. Comme disait le paternel : "à deux c'est déjà pas mal, alors imagine à trois ou à quatre".

...

Encore des expressions sorties de leur contexte. D'ailleurs pas sûr qu'elles soient correctement prononcées. Mais bon, il n'y pouvait rien lui. Et déjà commençait-il à becter.

Se marre à l’évocation du grand singe – le gorille à dos gris ça lui va bien c’est vrai – mais ne se fait pas prier lorsque de la main elle les invite à s’installer.

- C’est vrai que ça a l’air bon ce que tu manges, c’est gentil de partager. Mais du coup tu as que ça là ?

Interroge-t-il avant d’être interrompu par Shinjiro lui tendant… autre chose. Est-ce que l’on pouvait appeler ça un bento, ou même ne fut-ce que mériter le nom de repas ? Le visage de Kenshirō changea donc immédiatement d’expression, c’est que l’on ne devait pas s’attendre au même niveau de saveurs qu’avec ce que la petite avait déballé.

- Ah c’est sûr ça fait voyager… ça sent la marée en tout cas. Est-ce qu’elle est populaire cette… hum… soupe ?

Difficile à décrire en vrai. C’était ce qu’il avait trouvé de plus convaincant. Un mélange de trucs peu identifiables dans une substance moite qui pourrait être interprétée comme du liquide.

- Y a quoi dedans exactement ?

Il avait déjà goûté des pitances qui faisaient peu envie. Dans le Rukongai, forcément… Mais là les talents de Shinjiro risquaient de mettre rudement à l’épreuve même le plus vaillant des estomacs. Le Kyōakusei est plutôt du genre courageux, mais quand on s’imaginait taper dans le bento d’une petite noble et qu’on se retrouve devant… « ça », forcément ça fait moins envie tout de suite. Son regard d’ailleurs s’attarde à nouveau sur le plat de Daestra, se laissant à souffler.

- C’est marrant comme ils ont pas du tout la même tête les deux… celui-là, on dirait quand même beaucoup plus de la nourriture, c’est fou. Bon...

Touille sans trop d’enthousiasme dans la ration que Shinjiro lui avait fournie, voir si ça pouvait avoir l’air plus digeste une fois mélangé.

Lorsque Shinjiro annonce sans sourciller qu’il ne compte pas lâcher son emprise sur moi maintenant qu’il me considère comme sa « pote », l’éventualité me glace le sang le temps de quelques secondes. L’idée amène son lot d’imageries dérangeantes où je me représente dans des situations du quotidien parfois intime, avec cette terrible silhouette ou son facies simiesque dans un coin du décor. J’en ai des sueurs froides.

L’autre, qui se fait appeler Kyoken, n’est visiblement pas ici pour faire contrepoids sur la balance bien au contraire. Je peux sans mal me les représenter comme deux gros loubards vagabondant entre les ruelles décrépites du rukongaï à la recherche d’une victime potentielle. Pourtant le tableau qui se présente devant moi me laisse croire qu’ils sont sincères, qu’ils ont la volonté de s’inclure dans notre bonne société. Je leur laisse donc une chance.

- C’est… Particulier. Un plat typique de chez vous ? Sacré dépaysement.

Je ne sais pas si cela vient de l’apparence, de l’odeur affreusement passée, de la réaction de Kyoken ou de l’ensemble mais mon instinct tire la sonnette d’alarme. Quelque chose au plus profond de moi me promet de passer un très mauvais moment si je réponds à son invitation et pose ne serait-ce que mes lèvres sur ce plat étrange.

On dit souvent qu’il ne faut pas se fier aux apparences. Pour preuve, je sais maintenant que l’argenté est plus maladroit que mauvais. Cependant dans la mesure où son binôme ne montre pas le moindre enthousiasme non plus, je m’inquiète. En guise de réponse polie je secoue la tête doucement avant de jeter un bref regard compatissant au principal cobaye de l’expérience pour finalement me reporter sur ma propre pitance bien plus alléchante j’en conviens.

- Je gage que le résultat doit être à la hauteur de vos standards mais mon cœur n’est pas encore prêt pour une telle découverte. Si vous voulez la prochaine fois je commanderais de quoi satisfaire tout le monde, et tu feras de même. Un échange de bons procédés.

Je termine ma phrase avec un petit sourire narquois, histoire de me dédouaner de tout sentiment de culpabilité. Je n’allais après tout pas prendre le risque de tomber malade aussi tôt, pas maintenant que je suis la plus vulnérable. J’entame donc mon repas, priant pour le salut du compagnon de Shinjiro qui, à en juger par son expression redoute autant que moi le moment où son palais explosera.

- Ainsi donc tu as commencé à te faire de nouveaux camarades, c’est formidable. Puis se tournant vers l’autre colosse. Ton visage ne m’est pas familier, de quel endroit es-tu originaire ?

Je ne souhaite pas trop bousculer les choses, en restant très protocolaire. J’avais déjà un stalker, autant éviter de se retrouver dans plusieurs semaines avec une vraie horde derrière les murailles de la demeure familiale. Que dirait Mère si je m’amusait à ramener tous les mendiants du coin…

Il ne prenait même pas compte des remarques, trouvant qu'il s'était bien démerdé pour le coup. Il observait le refus poli de Daestra, haussant simplement les épaules. Il comprenait qu'elle puisse préférer son propre plat. Vrai qu'il avait de la gueule mais franchement, y'avait pas de quoi nourrir son homme ici. Tout au plus un p'tit goûter quoi. Son regard se porta de suite vers Kyôken.

- J'vais quand même pas te filer ma recette secrète. Déguste-moi ça et essaie de deviner, c'est quand même plus drôle.

Pas question de lui faciliter la tâche. D'ailleurs lui-même attrapait le sien afin de se poser, d'en profiter aussi, tout en échangeant avec ses deux partenaires du moment. Daestra essayait toujours de comprendre comment cela se passait au sein du Rukongai, d'où sa vision un peu en décalage avec la réalité. Il faut dire, pour sa défense, qu'elle avait vécu dans sa propre bulle, sans savoir comment cela se passait ailleurs. Sans doute à cause de ses origines. Les Nobles étaient comme ça après tout, il le savait.

Quant aux standards mentionnés, il paraissait évident qu'ils n'avaient pas les mêmes. Elle lui en avait déjà parlé mais plus il discutait avec elle, plus cela lui sautait aux yeux. Un monde les séparait. Un monde qu'il comptait comprendre pour s'en rapprocher. Et faire en sorte que la Crevette puisse elle aussi se sentir bien dans celui du colosse. En réalité, il n'y avait que très peu de chance. Mais l'espoir était grand.

- Ah, ça m'va en vrai. On bouffera peut-être des trucs qu'on connait pas.

Et puis si elle commandait, ce serait gratuit non ? C'était sans doute là l'argument ultime pour lui. Celui qui valait toutes les explications. Déjà entamait-il en tout cas son propre plat, avalant une première bouchée sans même la mâcher. Un sourire béat aux lèvres. Putain que c'était bon !

- Vas-y Kyôken, avale un bon coup, tu m'diras merci plus tard. Fais avec amour mouhahahahaha. Et yep, Daestra, j'me suis fais un pote. Comme ça, sans chercher. On était en cours et là, j'l'ai vu. Comme au ralenti. Me souviens même plus du thème du cours par contre.

Il se marrait comme un con alors qu'il expliquait, reprenant une bouchée, prenant le temps de déguster cette fois. Ce côté croustillant, une vraie tuerie. Il en fit tomber sur le sol. En temps normal, il aurait ramassé et ravalé. La fameuse règle des trois secondes. Des dix secondes ? Y'avait des secondes dedans, il le savait.

- Bref, on s'est bien marré. Mais t'inquiète ma Crevette, t'es ma number one ! M'enfin. J'cause et j'le laisse même pas te répondre. Désolé.

Il jouait du sourcil face à elle, tout sourire. Elle avait demandé à son pote d'où il venait. Et de ce qu'il avait déjà vu du lascar, il aimait parler de lui. Puis peut-être qu'il apprendrait autre chose en les écoutant ces deux là.

La petite ne perd pas d’occasion pour se défiler. Pas folle la guêpe. « Bah voyons » laisse-t-il simplement s’échapper face à ses explications. « Nous n’avons pas les mêmes valeurs », tout ça tout ça, bien sûr. Mais bon, lui aussi il venait du Rukongai, et même là-bas, ce qu’il avait sous les yeux n’était pas considéré comme de la nourriture. Un autre coup d’œil sur sa bouffe à elle. Elle avait vraiment dit qu’elle était partante pour partager son repas, hein, non ? Parce que là… Mizuki n’était pas une grande cuisinière non plus, mais elle passait pour un grand-chef face à la tambouille façon Kiryū.

Mais ce dernier revient à la charge et insiste. Il semblait qu’il ne pourrait pas se défiler à moins d’être… lâche ? Oh ça non ! Il opine vivement, comme pour se motiver. « Allez… allez... » se convainc-t-il finalement. C’était bien mélangé depuis le temps, alors il ramasse une bonne part d’un peu de tout (ce n’était pas comme s’il identifiait clairement certains ingrédients, de toute façon) et on s’enfourne ça. Et… première surprise, le goût n’est pas immonde. Bon, ça sent le mollusque c’est certain, mais ça passe. Le souci c’est que ça en avait la texture aussi. Mauvais feeling : il se dit qu’en mâchant un peu, ça passera peut-être mieux. Plus c’est fin plus ça va glisser, non ? Bah non. Plus c’est mâché, plus c’est visqueux.

Et elle de lui poser une question. « HmHm » produit-il en guise de réponse. Comme si cela donnait une quelconque indication sur sa provenance. Allez, courage. Il lève la tête, tend la gorge, afin d’aider la gravité pour que tout descende dans le gosier. On oublie ce qu’on est en train de manger, on ferme les yeux, on se concentre… et hop, on gobe ! « Pouah » laisse-t-il échapper aussitôt, comme recherchant son souffle, recommençant à touiller le plat de ses baguettes, machinalement. Expérience étrange s’il en est.

- Ah y a des arômes, on voyage c’est sûr.
Et pour te répondre, j’suis… pas du même coin que lui, on n’a pas ce genre de… « spécialité » par chez moi. Là, j’ai rejoint l’Académie y a quelques temps, mais avant ça j’étais dans un dojo et tout. J’imagine tu connais pas trop le bled, ça te parlera pas trop si j’te dis d’où. Il est joli ton ruban, tu l’as eu où ?

Question qui semble être posée « histoire de causer ». Une de ses techniques pour plaire aux filles : toujours complimenter et s’intéresser à leurs accessoires de mode. Bon ici c’était pas trop son genre alors il cherchait pas vraiment à la draguer, mais c’était spontané. Tout aussi naturel et irréfléchi que la nouvelle fournée qu’il se cale en bouche, avant de regretter immédiatement en se souvenant qu’il s’agissait de la recette spéciale de Shinjiro...

Je ne peux pas m’empêcher d’éprouver une forme de compassion sincère pour le camarade de Shinjiro lorsque ce dernier lui ordonne presque de déguster ce pour quoi il s’est visiblement donné tant de peine. On pourrait presque lire un appel à l’aide dans son regard au moment où il le porte vers le plat aux allures de résidu de poubelle.

Je tente d’évacuer ce sentiment en ouvrant le couvercle de mon propre bento. En termes de présentation le comparatif se passe de mots. Mais tout le monde n’a pas la chance d’avoir un cuisinier attitré, aussi je fais mine de ne pas relever et plonge directement mes baguettes pour l’entamer d’un geste délicat.

- Sincèrement ravie de voir que tu as su conquérir le cœur d’un de tes semblables, Shinjiro. Je suis certaine qu’il ne le regrettera pas. Après tout, tu vas même jusqu’à lui offrir un repas, c’est un signe flagrant d’attachement.

Il est vrai que la situation m’amuse. Je ne connais pas encore tout à fait le primate à la crinière d’argent cependant il est évident qu’il a un talent certain pour forcer les gens à reconnaître son potentiel. La remise en question viendra peut-être une fois sorti de l’Académie.

Kyoken pour sa part se démène comme un chef et relève le défi. Il n’est pas mort sur le coup, on peut donc dire que ce repas est plus reluisant que l’apparence ne le laisse suggérer. Ou alors, il se force à ne pas flancher par fierté. Les deux me paraissent plausibles.

Je ne saurais dire si les remarques qui s’en suivent sont une façon détournée pour lui de ne pas avoir à se justifier d’éventuels retours négatifs quant à sa dégustation, ou s’il cherche maladroitement à entamer une discussion en prenant la première chose qui frappe lorsqu’on m’observe. Toujours est-il qu’il s’intéresse à quelque chose que je n’aurais certainement jamais su anticiper.

Je me fige un instant, haussant un sourcil, avant de lever brièvement les yeux en direction de l’énorme ruban rouge ornant ma tête. Comme le nez au milieu de la figure, pour ainsi dire. Il aurait pu trouver mieux, comme phase d’approche.

- Tu dois venir du Rukongaï alors, intéressant. J’ai déjà eu un cours en accéléré de la part de ton ami ici présent, j’apprends progressivement à le connaître, ce « bled ». Pour ce qui est de mon ruban, il n’est qu’un élément cosmétique distinctif de notre Clan. Dans la noblesse, nous avons une sorte de code vestimentaire. N’étant encore qu’une enfant et héritière, je me dois de l’affirmer de la sorte. J’imagine que vous n’avez pas ce genre de choses, par chez vous ?

Je termine en enfournant une nouvelle bouchée de mon bento, bien consciente des regards très appuyés de Kyoken. Ceux d’un chien qui préfère le repas de son maître à celui qui se trouve dans sa gamelle. Cette sensation fait naître en moi une pointe de malaise.

Il est joli ton ruban ? Sérieusement ? Shinjiro recracha au sol une partie de son repas alors qu'il entendait la phrase d'accroche de ce dernier, manquant de s'étouffer de surprise. Il visionna rapidement autour de lui, voir s'il n'en avait pas foutu sur Daestra mais apparemment non. Ouf. Sinon il savait qu'elle n'aurait pas apprécié. Ce qui aurait été compréhensible en vérité.

Il n'empêche qu'il y avait de quoi s'étonner. D'où on parlait ruban maintenant ? Le regard que lançait Shinjiro vers Kyôken ne laissait pas place au doute quant à ce qu'il pensait de cette entame. Au moins cela avait eu le mérite de faire parler la Crevette mais quand même.

Si l'Argenté avait prêté un peu d'attention aux mimiques de son pote, il se serait aperçu que ce dernier appréhendait de manger son repas. Seulement cela échappait complètement au colosse. Savoir que c'était aussi un signe distinctif de la noblesse l'amusait un peu. Il avait même une idée un peu saugrenue.

- Attends, attends. Ca veut dire que si j'attrape un p'tit noeud, j'peux me faire passer pour un mec de la Noblesse ? Et genre, aller partout ? En mode "bonjour monsieur, comment allez vous monsieur". Waaaax, c'est dingue ça.

Alors non. Mais ça, il s'en doutait quand même un peu. Il préférait ne pas répondre à la question qu'elle avait posé à Kyôken, préférant réfléchir à la situation. S'il devenait un jour noble - pour lui c'était comme attraper une maladie en quelque sorte - alors qu'est-ce qu'il pourrait mettre en avant pour affirmer son statut devant les autres ? La question se posait.

- Juste par curiosité. Imaginons. Genre. Tu épouses un mec originaire de chez nous. Du Rukongai quoi. Il deviendrait un noble direct ?

Cette petite lueur dans son regard. Elle ne signifiait rien qui vaille. Surtout qu'il s'était remis à jouer du sourcil devant elle. Un grand sourire aux lèvres. Comme s'il venait d'avoir l'idée du siècle. Si ce n'était pas avec Daestra, il y avait quantité d'autres femmes de la Noblesse. Il se voyait déjà bien dans ce cadre lui. Kuchiki Shinjiro. Waaaaaaw.

- J'adore cette idée.

- Ouais ouais ok c’est cool.

Répond-il un peu détaché. Enfin, c’est plutôt qu’il en est encore à « digérer » cette deuxième bouchée dont le goût reste très présent en bouche, et qui forcément le laisse « songeur ».

- Oh bah si, par chez nous y a parfois des trucs du genre. Des gangs qui portent des brassards, ou des foulards de la même couleur, ce genre de trucs. C’est pas vraiment différent au fond...

Sans trop y faire gaffe, il venait donc de comparer la noblesse du Seireitei aux gangs du Rukongai. Peu flatteur, mais il n’avait pas tout à fait tort sur le fait qu’ils usaient de pareils signes distinctifs, et bien souvent dans le but de dire « me touche pas moi, sinon tu vas avoir des problèmes, t’as vu j’ai mon ruban qui dit que je suis mieux que toi ». Enfin, il accuse pas Daestra et tout, elle a l’air gentille, mais c’est un peu comme ça que ça marche les gangs, et il les aime pas trop.

- Après ça empêche pas qu’on ait du style ! Moi quand j’aurai mes vraies fringues à moi, j’en prendrai sans les manches, et puis j’aurai une capuche et tout, mais je la mettrai pas, c’est juste pour le style, ou bien seulement en ayant l’air super pensif genre « je veux me venger de celui qui a tué toute ma famille » tu vois ? Trop cool.

Il manque de reprendre une bouchée supplémentaire, mais réalise à temps cette fois et pose le bento avant d’y piocher une fois de plus par mégarde.

- Maintenant que j’ai goûté, tu peux me dire ce que j’ai mangé ? C’est bizarre, même à la texture on se rend pas bien compte… surtout à la texture même je dirais. En tout cas si tu veux charmer une petite noble pour avoir une retraite pépère, tu pourras compter sur ce talent, c’est… très insoupçonné ! Pour une femme qui aime le défi, t’es un super parti mon pote, continue comme ça !

Il lui fait un gros pouce en l’air. Parvenir à faire sonner ça comme un compliment, c’était ça le défi, le tout c’était de jamais douter et d’afficher un immense sourire, c’était déjà la moitié du taf !

A voir Shinjiro cracher son propre repas si somptueux au sol, j’en déduis qu’il ne doit pas être aussi incroyable qu’il le prétend et que je fais bien d’avoir décliné. La vision me répugne mai je tâche de ne pas le montrer et avale une nouvelle bouchée en baissant le regard momentanément. Je manque cependant de m’étouffer en entendant le primate se faire toute un roman sur la façon d’incarner un noble. L’imaginer avec un nœud rose sur la tête manque de faire virer mon visage au bleu. Je tousse vigoureusement, avant d’articuler tant bien que mal un semblant de réponse.

- Ce n’est… *tousse* …Pas aussi simple, j’en ai peur. Tant pour le code vestimentaire que pour « l’union ». Cela dépend des familles. La nôtre est Matriarcale, il revient aux femmes de décider. Mon… Je sens une immense vague de tristesse nouer ma gorge l’espace d’un instant, allant jusqu’à me crisper et faire naître l’idée d’une larme au coin de l’œil. Mon père n’était pas un membre de la noblesse, et ne l’est pas devenu par la suite. Mais parfois, j’imagine que cela peut être différent…

Je ne peux m’empêcher de revoir son visage hanter mon esprit, et profondément obscurcir le soleil qui pourtant brille de mille feux au-dessus de nous. La blessure ne se refermera donc jamais.

Ce sont les paroles du troisième, ce fameux Kyoken, qui arrivent tant bien que mal à me sortir de ce songe infernal. Son analogie entre les clans du Gotei et les gangs du Rulongai pourrait passer pour une insulte, mais je ne lui en tiens pas rigueur.

- J’ose croire que la criminalité doit être relativement élevée par chez vous, j’en conviens. Mais comme tu sembles le souligner, eux-mêmes doivent avoir un nom qui les distingue, une apparence, ou quoi que ce soit d’autre. Qu’est-ce qui vous a d’ailleurs poussé à rejoindre l’Académie, si je puis me permettre la question ? Il m’apparaît si simple de succomber à ces… Gangs.

Mes questions ne sont plus de vulgaires accroches pour essayer de m’intégrer dans leur monde. J’ai aujourd’hui la chance d’avoir deux représentants de cet univers qui m’est totalement inconnu. Je compte bien en profiter pour recueillir des informations utiles. Qui sait, peut-être que je serais un jour amenée à le côtoyer de plus près.

Je pose un instant mon bento, et essuie du revers de la manche ces simulacres de larmes puis, d’un air légèrement plus sérieux je me contente de les observer à tour de rôle.

Il prit le compliment sur la bouffe comme il l'entendit. Sans arrière pensée. Il eut alors un sourire. Quant au fait de dévoiler le secret de ce petit talent particulier, c'était évidemment hors de question. Un chef ne dévoilait pas son secret comme ça, même à un pote.

- J'peux pas te dire, j'préfère garder ça pour moi si ça te dérange pas. Question de principe tu vois. J'voudrais pas que tu tentes de reproduire la recette en mode "ouais c'moi qui est créé la recette".

Pas impossible d'ailleurs, vu le loustic. Son regard se portait déjà vers Daestra qui semblait vouloir expliquer un peu plus comment cela se passait chez les Nobles. Savoir que ce n'était pas aussi simple qu'il l'avait espéré ne le dérangeait pas plus que cela. Ce n'était pas la première fois qu'il se faisait de fausses idées et il savait que ce ne serait pas la dernière non plus. Visiblement concernant les Chibiko, c'étaient aux gonzesses de commander. Cela l'amusait, à en croire le large sourire visible sur son visage. Mais pour le moment, il ne faisait que tendre l'oreille et notait mentalement les infos.

Lorsqu'elle posa la question concernant les raisons qui le poussaient à être ici, ainsi qu'à son pote de fortune, il n'eyut guère à y réfléchir longtemps. La réponse était si évidente qu'elle n'était en rien un défi. Kamui était la réponse. S'il est vrai qu'il était plus facile de tomber dans les gangs que d'arriver au sein du Gotei, il ne fallait pas oublier les bénéfices qu'il y avait à rejoindre les armées du coin.

- T'as pas tout à fait tort sur le principe. Plus simple de rejoindre les gangs. Plus dangereux aussi. D'ailleurs, me concernant, j'appartenais à l'un d'eux avant d'arriver ici hein. J'sais donc très bien comment ça fonctionne.

Il reposait la bouffe, croisant les bras sur son torse, cherchant une meilleure position pour poursuivre son récit. Il reprit finalement très rapidement :

- Seulement le Paternel - qui était l'boss du gang - trouvait que c'était gâcher mon talent que de rester avec eux. Qu'on était pas cinquante milles à posséder un tel pouvoir et que ce serait comme pisser dans l'vent que de pas en profiter. En plus, y'a plus d'avantage à être au Seireitei que de traîner là-bas. Ici, on a peut-être moyen de changer un peu les choses. Pas de suite, j'suis pas complètement con hein. Mais un jour, qui sait ?

Un jour, oui. Quand il aurait un titre. Un grade. Une réputation. Il pourrait peut être aider Kamui comme lui-même l'avait fait par le passé. Quant à son pote, il en avait un peu appris le concernant mais il ne lui appartenait pas de s'exprimer à sa place.

- Puis bon. Est-ce que le Seireitei laisserait volontairement des types comme nous grossir les rangs de gangs potentiellement dangereux ? En venant de mon propre chef, j'ai sans doute évité aux miens de s'faire dézinguer par les ninjas de la Seconde.

Tient, marrante cette question. Daestra venait donc de leur demander, en gros « qu’est-ce que vous êtes venus foutre ici ». Bon, tout de suite, c’est sûr qu’il ne semblait pas lui apparaître évident que ça pourrait être par vocation. Le bien du plus grand nombre, la protection de la veuve et de l’orphelin, tout ça tout ça. Et pourtant, concernant Kenshirô, cela constituait une bonne part de la réponse. Enfin, pas tout à fait, c’était tout de même un peu moins altruiste que cela, comme il allait l’exprimer.

- Moi… Je suis le top du top des vedettes, c’pour ça. Être le héros, c’est trop cool. Après on t’applaudit, et si t’as de la chance, t’emballe. Bam, ça part en after, sake sur les eins, t’as vu ! La dinguerie quoi. Dans les gangs il faut bien galérer pour avoir ça, être un boss et tout. C’est classe aussi, mais faut les payer les nanas. J’aime autant que c’est gratuit !

Il opine vivement du chef. Hé oui, tout simplement, être le héros de l’histoire parce que ça le faisait kiffer d’être au centre de l’attention, d’être félicité, adoré, regardé. Bon, c’était pas la pire des motivations non plus si ça permettait de faire le bien, même si clairement égoïste. L’autre partie de son raisonnement ne virait pas beaucoup plus dans le vertueux…

- Puis faut reconnaître… on bouffe mieux ici. Enfin… parfois... *Petit coup d’œil vers les plats de Shinjiro.* Meilleurs plumards aussi… on peut dormir tranquille sans s’dire « y a p’t’être un rival ou un ennemi qui va m’égorger dans mon sommeil ». Ouais, c’est franchement plus reposant, même si y a des profs ils cherchent trop les embrouilles.

Hé oui… il avait déjà eu l’occasion de se faire remarquer, et clairement pas toujours de la meilleure des manières. Cela lui causerait sans doute du tort, et au long cours lui permettrait de s’améliorer, de grandir un peu. Pas pour tout de suite, mais il fallait bien que jeunesse se fasse pas vrai ?

- Et toi le crustacé ? Ça te tente pas d’aller t’enrôler dans les gangs ?

Petit sourire en coin, ricanement réprimé. Mais au fond, la question n’était pas si illogique que cela : si elle pensait que ça aurait pu les tenter, peut-être qu’elle en rêvait secrètement aussi ? Héhé, ouais, non, aucune chance. Mais au moins ça meublait la conversation !