Figure de style [PV Naoko]

Dix minutes avant l'heure dite.

C'est le moment du flashback de shônen : la semaine passée, Yoru a donné rendez-vous à Naoko sur le terrain d'entraînement dédié à leur Division. La petite shinigami viendra-t-elle? Le régime prévu par Yoru portera-t-il ses fruits? Naoko fera-t-elle montre de ressources insoupçonnées? Prochain épisode : Sueur et Doutes ! L'entraînement Draconien de la Commandante en Second !

Pas d'opening à cet anime, hélas... du moins, pas encore. Comme d'habitude, la gradée est munie de son enceinte Bluetooth, qui pend à sa ceinture. Cette fois, pas question de se négliger : son uniforme est correctement noué, fait rare lorsqu'on connaît l'animal. En effet, l'exercice intense demande un maintien optimal de partout pour éviter tout inconfort inutile, et les fringues trop flottantes sont en outre un obstacle aux mouvements.

En ce beau début d'après-midi, la salle d'entraînement a pris la forme d'un quartier lambda du Rukongaï, au sein duquel la brune répète inlassablement les mêmes incantations, lançant en boucle les mêmes sorts sur les murs alentour. L'objectif : se chauffer en régulant la puissance de ses techniques, qui doivent toutes avoir le même potentiel destructeur. Sans exception. Son contrôle sur son flux d'énergie est l'une de ses fiertés : elle tient à ne pas négliger cet aspect de sa routine.

C'est lors de son seizième lancer de la session qu'elle entend un pas résonner sur le pavé. En général, les membres du Kidōshū savent qu'il vaut mieux éviter de la déranger lorsqu'elle est en plein effort, sous peine de lui servir de partenaires d'entraînement ; il ne peut donc s'agir que d'une seule personne.


- Oh, c'est qu'elle est ponctuelle ! C'est bien. Tu t'es reposée? Pas de problèmes particuliers? Reiatsu opérationnel, réflexes au top, tout ça? Tu vas en avoir besoin. On est sur de l'exercice pratique, ici !


Elle pivote et observe la silhouette qui s'approche, dont la tignasse blanche confirme sa déduction. La pauvre - un tel rendez-vous, imposé par sa supérieure... Elle doit être tellement anxieuse.

Du coup, avec un grand sourire, et de son air le plus bienveillant, Yoru enchaîne sur la question la plus rassurante possible dans un tel contexte :


- Dis, sur une échelle de 1 genre "mon curry est trop épicé" à 10 genre "je me fais bouffer vivante par un Hollow et il a commencé par mes intestins", c'est quoi, ta tolérance à la douleur?


Bonne ambiance.

Entendant la réponse de l'autre, Yoru hausse un sourcil. Bon, visiblement les notes chiffrées peuvent aller se faire voir : c'est un autre exemple qui lui parvient en guise d'estimation. Un Cero, c'est comment, niveau échelle... Bon, ça dépend de la taille du trou, mais... D'accord, c'est haut.

Comment une Shinigami si fraîchement sortie de l'Académie, qui n'a jamais vécu de champ de bataille, peut savoir ce genre de truc? On dirait presque qu'elle parle d'expérience. Clairement, y a un truc pas net avec cette fille : la gradée du Kidōshū le sent, sans parvenir à mettre un mot dessus. Néanmoins, elle choisit sciemment de ne pas relever. L'explication attendra.

Y a du boulot, aujourd'hui.


- Ah. Ca fait beaucoup. Je m'attendais pas à ça, tiens... Mais de toute façon, t'en auras pas besoin. La question était à titre informatif. Si je fais griller ma subordonnée comme une saucisse, qu'est-ce que je vais dire au Capitaine Shunshō quand il verra que je lui ramène un barbecue?


Elle éclate de rire. Ce n'est pas le cas de Naoko, visiblement. Son stress est palpable, malgré tout ce qu'elle a pu raconter : elle est raide comme... comme un membre de la Neuvième, tiens. C'est dire.

Yoru fait quelques pas en arrière, et ramasse un objet laissé posé sur un muret : il s'agit d'une craie blanche, avec laquelle elle s'affaire à tracer un cercle au sol. La forme, d'un diamètre de trois ou quatre mètres, est assez approximative, mais tant pis : le but n'est pas d'avoir une géométrie irréprochable, mais de marquer une zone sur le pavé. Une fois ceci fait, elle jette l'outil derrière elle, dépose son enceinte Bluetooth sur le même muret que précédemment, et revient enfin se placer au centre du cercle, ses épaisses bottes de cuir battant la poussière.


- On va jouer à un jeu. Moi, je vais nous mettre un peu de musique et me poser tranquille dans mon cercle. Si j'y suis encore à la fin de la chanson, je gagne. Si t'as réussi à m'en faire bouger sans tomber d'épuisement avant ça, tu gagnes. Je vais p'têt lancer du metal progressif, comme ça t'as quoi, dix minutes devant toi, facile !


Le "jeu" est clair, et n'est qu'un prétexte pour que la gradée puisse voir sa subordonnée à l'œuvre, sans l'entraîner dans un combat absurde où elle se ferait probablement écraser sans vraiment pouvoir montrer ses compétences... même s'il ne faut pas trop sous-estimer les gens, comme le sait très bien Yoru (qui se trouve souvent de l'autre côté de ce rapport de force). Un petit handicap, donc, reste une bonne façon de pimenter la chose en équilibrant un peu les chances.


- Évidemment, je vais me retenir un peu, histoire de pas te cramer à pleine puissance. Tout aussi évidemment, je vais me fâcher si je vois que tu fais pareil. Tous les coups sont permis... sauf défoncer mon enceinte, c'est pas donné, ces trucs-là. Des questions avant de commencer?

Le temps que sa subordonnée assimile les instructions de l'exercice, Yoru parcourt les dossiers de son smartphone. Progressive metal... Hmm, pourquoi pas du Dream Theater? Une dizaine de minutes devraient faire l'affaire. Allez, c'est parti.




Naoko ne se fait pas prier : à peine les premières notes jouées, elle ouvre le bal avec un Bakudō. Le tout premier de la liste... Yoru fronce les sourcils alors que ses bras sont brutalement tirés en arrière par une énergie invisible, mais ne réagit pas outre mesure. Et elle attend la suite, qui ne tarde pas à venir : un Byakurai, certes bien exécuté, mais encore une technique de bas rang. D'accord, la petite Shinigami n'aime pas le combat, mais quand même ! Elle n'a rien écouté de ce qui lui a été dit trente secondes plus tôt?

Histoire d'appuyer son futur propos, mais aussi de jauger les capacités de son adversaire, la Nécromancienne à la veste violette ne fait aucun effort pour se défendre ; le tir fait mouche en pleine poitrine et se déchire en rubans d'énergie autour de son point d'impact, enveloppant la silhouette de sa cible. La douleur fuse, brève, mais présente. Joli sort, mais rien d'exceptionnel : le Bakudō qui entrave ses mouvements paraît plus réussi. Rien d'anormal, quand on connaît le profil de l'autre, hein?

Se redressant derrière la poussière soulevée par le tir, Yoru regarde ses pieds. L'impact ne lui a pas fait perdre le moindre pouce de terrain. Pas très glorieux, pour le moment, hein? Posant son regard sur sa subordonnée, et derrière le vert de ses verres teintés, elle juge utile de lui faire un rappel.


- Pas d'hésitation : c'est bien. Le choix de sorts, par contre... Je crois que je t'avais demandé d'y aller franchement, non?


Son ton est toujours tranquille et détaché, mais son haussement de sourcils et une moue discrète trahissent une pointe d'agacement. Non, d'impatience? Quelque chose comme ça.

Bref, c'est l'heure de montrer l'exemple.

Prenant une inspiration, elle force sur ses entraves spirituelles et les brise sans réelle difficulté, alors qu'une boule d'énergie rouge se forme dans sa main droite : un Shakkahō d'apparence tout à fait standard. De la gauche, elle prend le temps de tirer son kiseru de sa poche et en trempe l'extrémité dans la sphère écarlate : aussitôt, son contenu s'enflamme, et une épaisse bouffée de fumée grisâtre et odorante s'élève, rapidement dispersée par la brise artificielle.

Puis ses doigts se compressent autour du sort, dans un crépitement de chair brûlée. Les dommages laissés par une telle brûlure seront superficiels, grâce à la protection de reiatsu qui l'entoure, mais laisseront une douleur persistante : qu'importe, il s'agit de faire passer un message. Ainsi comprimé, le classique boulet rouge n'est bientôt pas plus gros qu'un œuf, puis qu'une bille.

Là, elle tire une bouffée sur son kiseru, avant d'ajouter, d'un ton tranquille :


- J'ai dit que j'irais doucement, mais pas si tu me laisses toute cette marge de manœuvre. Alors OK, je vais partir du principe que c'était le tour de chauffe, mais on va rajouter une nouvelle règle, si ça peut te motiver un peu : plus tu te retiendras, moins je le ferai. Comme je dis toujours : "faut s'le prendre pour comprendre". C'est tout bon? Attention, on esquive !


Et là-dessus, elle envoie voler la bille de lumière écarlate d'une pichenette, récitant à la hâte une incantation ultérieure.

Lorsque le projectile s'écrase au sol, non loin de Naoko, c'est une explosion à l'intensité inattendue qui se produit, accompagnée d'une large colonne de flammes s'élevant plusieurs mètres au-dessus du sol. Est-ce qu'elle a vraiment suivi le conseil et bougé à temps? Bon, ce serait préférable... mais peu importe sa décision, le tir aura sûrement eu l'effet escompté : servir de sommation pour la forcer à s'activer un peu. Se mordant la lèvre, Yoru souffle un instant sur sa main douloureuse; elle ne le dira pas, mais cette technique est assez désagréable à utiliser pour que son usage représente un bluff partiel, pas forcément voué à se répéter.

Sans attendre que les flammes se dissipent, et sans prévenir, elle laisse exploser son reiatsu autour d'elle (pile sur l'arrivée du riff bien sale à la guitare électrique, histoire d'ajouter un peu de tension dramatique à son petit effet "boss du niveau"). Sa pression spirituelle fait partie de ses fiertés personnelles, et elle est confiante : ce coup de pression additionnel - littéralement ! - devrait laisser une impression durable. Et, à cette démonstration, elle joint un cri, sa main placée en porte-voix pour couvrir le crépitement d'énergie :


- "Tout ce que t'as à faire"? Parce que tu pensais me sortir avec ça? Enclenche la seconde, la chanson tourne !


Pas la moindre trace de déception dans sa voix, mais plutôt une attente - et elle espère que sa subordonnée l'aura aussi compris. Qu'est-ce que ça donne, une Naoko qui s'active?

Visiblement, Naoko n'a même pas eu besoin qu'on lui signale l'attaque pour l'anticiper : le projectile, dévié de sa trajectoire, voit sa déflagration partiellement bloquée par un Bakudō défensif parfaitement exécuté... ou, du moins, c'est ce qu'en conclut Yoru en voyant luire, derrière la fumée, un disque jaune très reconnaissable. Tant mieux ! Même sans la viser directement avec l'intention de tuer, balancer ça à pleine puissance et aussi près d'elle aurait pu mal se terminer.

Quelque part, c'est aussi une façon d'avouer qu'elle a tout bêtement eu confiance en la réactivité de sa subordonnée.

Là-dessus, le bouclier d'énergie disparaît subitement. La silhouette de l'autre, également, demeure introuvable alors que la fumée se disperse. Douée en Shunpô? Yoru aurait perçu son reiatsu bouger. Elle sourit : elle n'est pas sûre de ce qui s'est passé, mais elle commence à cerner le style de Naoko - ce fameux style dont elle voulait comprendre la teneur. Par déduction, elle pense comprendre quelle technique a été utilisée par sa subordonnée pour se soustraire à sa vue, et passe sur la défensive.


- Bakudō #21 : Sekienton.


Elle pose une main, non pas au sol, mais sur son kiseru, dont la fumée rougit et s'épaissit, recouvrant entièrement la zone sur quelques mètres. L'instant suivant, un nouveau Byakurai fuse au loin, dans sa direction. Cette fois, difficile de dire s'il va toucher ou non : la trajectoire est bien plus difficile à lire.

Vise-t-il juste, malgré le fait que sa cible pourrait se trouver n'importe où dans le cercle? Dans un crépitement électrique, il s'engouffre dans le nuage écarlate et le traverse sans résistance ; les éclairs qui illuminent la fumée de l'intérieur révèlent brièvement une silhouette ramassée sur elle-même, près du bord droit. Raté, donc, mais de peu. Après tout, difficile d'orienter correctement un sort de précision lorsque sa cible se cache...

D'un geste du bras, Yoru, désormais relevée, dissipe sa cachette de fortune, qui s'évapore par magie. Jetant un œil plus loin, elle constate que sa partenaire d'entraînement se tient à nouveau prête.


- C'est beaucoup mieux, lui lance-t-elle, accompagnant le compliment d'un petit applaudissement. Comme quoi, tu sais te servir de sorts plus avancés. J'excuse même ce Byakurai, parce que cette fois, tu l'as lancé avec ton cerveau.


Pour la première fois, elle porte sa main à son côté et se saisit du manche de son sabre - sabre qu'elle met au clair, d'un coup sec.


- Du coup, on va te forcer à l'utiliser un peu plus, ce cerveau. Vibre, Yanari.


La phrase de libération est prononcée d'une voix tranquille, et le Zanpakutō se met à luire d'une lumière blanche, ses contours incertains s'allongeant et s'élargissant jusqu'à faire réapparaitre l'arme sous la forme d'un sasumata à peu près haut comme son utilisatrice.

Le retournant à la verticale, elle tient la pose un instant, histoire de bien montrer à Naoko ce qu'elle s'apprête à faire : elle ne lui décrochera pas un mot concernant l'effet de son Shikai. À elle de comprendre comment gérer la situation.

Prenant un peu d'élan, elle frappe violemment le manche de l'arme au sol. La boule à son extrémité encaisse l'impact de plein fouet, et la vibration remonte le long du manche, jusqu'aux lames... qui se mettent à vibrer, produisant un grésillement strident tout à fait insupportable.

L'instant d'après, le silence se fait autour de Yoru. En revanche, c'est près de l'oreille de Naoko que la vibration retentit - à plein volume, et même davantage, dirait-on -, sortant de nulle part pour malmener ses tympans.

La technique est fourbe, certes, mais la gradée l'a dit elle-même : tous les coups sont permis. Plissant les yeux pour mieux la repérer, tout en fumant toujours son kiseru de façon presque insolente, elle se prépare à frapper son arme au sol à répétition, histoire d'être sûre de harceler sa subordonnée où qu'elle aille pour s'en soustraire.

Naoko n'a pas menti : elle sait résister à la douleur. Sans broncher, elle reste à portée de vibrations, préparant sa contre-offensive. Bien ! C'est qu'elle a de la ressource, même sous pression. On dirait pas, comme ça, mais l'analogie du roseau s'applique bien ici : si elle plie, pas question de rompre.

Visiblement, ses tympans tiennent bon, en tout cas. Son sens de l'équilibre paraît développé - suffisamment pour qu'elle disparaisse à nouveau derrière son voile de lumière, visiblement peu ébranlée.

Un petit soupir agacé fuse des lèvres de sa supérieure. La stratégie vaut le coup d'être complimentée, d'accord, mais elle n'a pas marché la première fois. Qu'est-ce qui lui fait croire que la donne sera différente maintenant?

Du coup, de la main droite, Yoru forme un rapide sceau. L'air, près d'elle, frémit imperceptiblement. Et lorsque la Shinigami furtive émerge brusquement, tirant un énième Byakurai, la brune n'a qu'un geste à faire pour qu'un bouclier hexagonal d'énergie orange se matérialise sur la trajectoire du sort, le bloquant proprement. Elle hausse les sourcils et s'apprête à faire part de sa pointe de déception--

Lorsqu'une douleur fulgurante traverse son flanc gauche, lui arrachant à la place un cri de souffrance. Elle y jette un rapide coup d'oeil, pour trouver son uniforme brûlé et taché de sang : en dessous, la chair est à vif - ouverte, même. Le sort a transpercé ses défenses comme du beurre, sans parler de son corps. Merde, d'où venait-il, au juste?

Elle ne peut que l'admette : elle n'en a aucune foutue idée, et elle a été eue. Voilà ce que ça apporte, de sous-estimer son adversaire : une brèche dans sa défense, et sûrement une petite visite à la Quatrième, un peu plus tard. Heureusement que le Byakurai perce plus qu'il ne frappe : l'impact, bien que douloureux, ne l'a forcée qu'à faire un pas supplémentaire de côté, son pied s'arrêtant non loin du trait de craie sur le pavé.

Assez pour la faire bouger, trop peu pour lui faire franchir la limite.

Son regard se reporte sur Naoko, dont elle n'arrive pas à déchiffrer l'expression. Quant à Yoru, pas question de la complimenter cette fois, mais le sourire qu'elle arbore - malgré la douleur - vaut plus que mille mots.

Pas besoin d'autant, d'ailleurs. Un seul suffira.


- Bankai.


Elle lâche son arme, qui vient se ficher au sol, pointes les premières. Bras croisés, ses doigts courent sur ses deux poignets, et aussitôt deux cercles lumineux se matérialisent autour, comme les fers d'un prisonnier - la chaîne en moins.

Mais le plus étrange, c'est son reiatsu : écrasant l'instant précédent, il est presque imperceptible désormais. Et immédiatement, c'est une lueur orangée qui fait son apparition, irradiant sous la peau de Yoru, comme provenant de sa chair elle-même : le feu intérieur causé par son aura, emprisonnée dans son enveloppe, qui monte en pression sans parvenir à trouver de point de fuite. Ainsi nimbée, on la dirait transcendée.

Et là-dessus, tâchant d'ignorer la brûlure causée par sa propre technique, elle attend une réaction. Une occasion. Parce que le Bankai, elle ne le connaît pas : mais ça, Naoko n'en a pas la moindre idée. Va-t-elle paniquer et abandonner face à l'inconnu, maintenant qu'elle montre enfin de quoi elle est capable?

Pas d'abandon de la part de Naoko, mais une réaction immédiate lorsqu'elle entend le mot fatidique. Désormais, elles sont deux à être presque imperceptibles : celle qui a apaisé le brasier, et celle qui n'a fait que le couvrir, pour l'attiser toujours plus.

Après tout, elles sont opposées polaires. Naoko, qui accélère le pas, prête à mener un nouvel assaut. Yoru, immobile et dans l'expectative. Qu'elle vienne donc : elle ne pourrait pas montrer meilleur spectacle.

Nouvelle attaque, nouveau Byakurai. Les méninges de Yoru s'activent : elle sait. Il faut se le prendre, pour comprendre. Sa douleur au flanc le lui rappelle : la fois précédente, elle a très bien compris. Pas comment, mais au moins quoi. Pas la technique, mais la routine. Devant, puis derrière.

À nouveau, une brume rougeâtre s'élève du kiseru et enveloppe la Commandante en second, alors qu'elle prononce le nom du sort. Le Byakurai pénètre le nuage, comme il l'a fait précédemment, mais cette fois, Yoru ne s'y soustrait pas : elle reste campée bien au centre du cercle, et serre les dents, encaissant l'éclair sans broncher alors qu'un deuxième cratère se creuse dans sa chair. La douleur est réelle, mais trompée par celle, plus sourde, du brasier en elle. En même temps, ses mains forment un sceau.

Là-bas, plus loin, Dream Theater entament la partie finale de leur chanson.

L'instant suivant, une jambe fuse à travers la brume, et frappe. Le coup résonne. Il ne sonne pas naturel, et pour cause : devant la trajectoire du coup se dresse le bouclier orange de Yoru, ce fameux kekkai qui l'a déjà protégée en partie lors de l'assaut précédent. Plus difficile à incanter avec son reiatsu quasi totalement scellé, mais bien présent. Voilà à quoi servait le nuage écarlate : si Naoko peut camoufler ses attaques, Yoru peut aussi bien camoufler ses défenses.

La brune se retourne. Naoko est toute proche - à portée de bras. Visiblement, elle n'a pas encore saisi ce qui vient de se passer. Ou alors, emportée par son élan, peut-être n'a-t-elle pas encore pu se remettre en retrait.

Dans tous les cas, ça n'a pas d'importance.


- Même une bonne tactique ne marchera pas deux fois, fait-elle avec son plus doux sourire.


Et, tendant le bras, elle pousse Naoko hors du cercle.

Les menottes se brisent. Le nuage se brise. L'air se brise, alors qu'une décharge d'énergie pure jaillit dans cette même direction, produisant une déflagration dont le souffle a Yoru pour épicentre. La Nécromancienne a joué son deuxième as - son deuxième bluff. Payant, celui-ci.

Deux tactiques différentes.

Naoko n'est plus devant elle, mais Yoru, encore une fois, a confiance : sa subordonnée a su montrer sa façon de se débrouiller. La décharge, bien qu'impressionnante, est plus destructrice que mortelle, et elle ne sera pas létale face à une femme encore si vive. Une femme décidément pas aussi fragile qu'on pourrait le croire, à première vue.

Elle observe autour d'elle, cherchant Naoko du regard. Ses yeux se posent sur le sol. Se relèvent. Redescendent à nouveau.

Et elle éclate de rire - un rire franc, un rire de surprise. Le temps de se calmer, elle se saisit à nouveau de son Shikai - resté solidement planté en terre -, et en utilise le pouvoir pour amplifier sa voix. Pour que l'autre entende la nouvelle, où qu'elle se soit cachée pour se soustraire à la déflagration. Son ton est rauque, essoufflé d'avoir trop combattu, d'avoir trop ri.


- Très bon travail, Naoko. C'est bon, t'as gagné. Félicitations.


Sur le pavé désormais réduit en miettes, plus aucune trace de craie blanche ne subsiste : tout a été broyé par la proximité de l'explosion. Yoru ne peut pas le nier : techniquement, elle ne se trouve plus dans le cercle.

Tous les coups sont permis.

Bien sûr, que Naoko est encore consciente. Pas en meilleur état depuis que quelqu'un lui a explosé à la figure, bien sûr - mais assez pour mériter sa victoire.

Et pourtant, elle a l'air de s'en foutre. Elle l'avait dit : elle n'aime pas se battre.

Yoru, elle, reste stoïque face au ton plus tremblant de sa subordonnée. Malgré tout ce qu'on pourrait croire, la violenter ne lui a pas fait plaisir. Elle a elle-même l'habitude des blessures, car son style peu orthodoxe s'y prête, alors elle sait quel est le prix de les infliger à autrui. Et pourtant...

Satisfaite?


- Ouais.


Elle avise un débris près d'elle et vient s'y asseoir. Le Shikai se scelle, l'arme réintègre son fourreau. La brune, elle, tire sur son kiseru en tapotant la roche à côté d'elle, tentant d'ignorer la douleur cuisante qui la transperce en deux endroits. Une invitation pour que Naoko rejoigne son banc de fortune.

Elle recrache lentement la fumée, avant de s'expliquer.


- Tu es une pratiquante discrète, furtive. Défensive. Trompeuse. Qui préfère frapper peu, mais juste. Portée sur les fondamentaux... un peu trop, et il faudra qu'on en reparle, mais passons. Une Nécromancienne étrange, ni puissante ni vraiment technique, mais habile. C'est l'essentiel, le reste viendra. Très intelligente. Rapide, aussi. Sans hésitation une fois les enjeux posés. Fiable, digne de confiance. Quelqu'un à qui je confierais ma vie sur un champ de bataille.


Ces derniers mots flottent dans l'air, accompagnant une nouvelle bouffée de fumée.


- T'as l'air de rien en avoir à cirer, mais ta victoire, tu la mérites et tu devrais en être fière. Tu m'as fait mentir, et c'est moi qui ai dû tout envoyer pour pas simplement subir, quitte à oublier l'enjeu. Rien à voir avec tes premiers assauts un peu timides. Les gens disent que je suis une malade suicidaire. C'est ma façon de faire. Alors je suis pas satisfaite d'avoir dû te blesser pour ça, mais "faut s'le prendre pour comprendre", ça a aussi ce sens-là : maintenant, je sais "qui" est Naoko.


Elle hausse les épaules et regarde au loin. Face à elle, l'enceinte Bluetooth est désormais muette. Pas la peine de relancer une chanson : ça suffira pour aujourd'hui.

Finalement, elle conclut, plantant son regard dans celui de sa partenaire d'entraînement forcée.


- Naoko, c'est celle qui fait la tête parce que je lui ai demandé quelque chose qu'elle aime pas. Et qui me le fait comprendre au lieu de se taire. Alors enchantée, Naoko. Si tu m'expliquais pourquoi t'aimes pas te battre, toi qui fais partie d'une armée?

Les explications viennent. Et pour une fois que Naoko parle d'elle autrement que par quelques bribes de phrases très vagues, Yoru reste attentive.

Finalement, il semblerait que la petite shinigami a juste des tendances pacifistes dont elle ne sait que faire. Une non-violente, qui déteste blesser les gens. D'où son penchant pour la théorie et l'étude. Pourtant, son talent pour l'action ne manque pas, même s'il est encore brut; on ne devient pas si forte sans entraînement. Et encore moins en suivant simplement celui de l'Académie, sans aller pousser la chose durant son temps libre. Pour des raisons évidentes, difficile d'imaginer Naoko appartenir à cas de figure.

Alors quoi? Où se trouve la pièce manquante du puzzle?

Il faudra y songer une autre fois. Pour l'heure, les deux combattantes sont en piteux état après leur effort intense. Tellement, d'ailleurs, qu'une précaution prise par Yoru en réservant la salle s'avère payante : une soigneuse de la Quatrième Division ne tarde pas à débarquer, interrompant leur dialogue pour les examiner. D'un œil critique, elle inspecte les deux femmes et laisse échapper un grognement désapprobateur lorsqu'elle repère les blessures de la Commandante en second, choisissant de la soigner en premier pour aider sa chair à vif à se refermer. Sans cérémonie ni aucune gêne, la brune ôte sa veste violette et se découvre partiellement, laissant un meilleur accès à son ventre malmené par les éclairs de sa partenaire d'entraînement. Les mains de la soigneuse se posent sur sa peau, l'énergie guérisseuse faisant son effet. Ça pique, mais cette fois, c'est de la bonne douleur : Yoru en a vu d'autres, bien pires.

Après un silence, elle y va de son commentaire.


- Personne n'aime blesser les autres. Enfin, personne de sain d'esprit. Tu sais, si on s'y entraîne, c'est justement pour apprendre à vivre avec. Pour pas rester paralysée connement, quand on n'aura pas le luxe de choisir.


Elle n'a pas vécu la dernière guerre, entièrement déroulée en surface tandis qu'elle moisissait dans une geôle. Par contre, elle a connu le Seireitei avant et après. Elle a pu comparer. Voir à quel point le Gotei revenait de loin, lorsqu'elle a pris ses fonctions. D'assez loin pour confier un grade à une condamnée, et prendre le pari de la placer au poste qu'elle occupe toujours aujourd'hui.


- Ton point de vue se défend. Mais - y a un mais - ce serait très, très hypocrite de ta part de t'y enfermer sous prétexte qu'il t'arrange bien. Tu te rappelles de mon ajout de consigne, quand tu te retenais encore? C'était pas anodin. Je voulais que tu comprennes un truc. Vois ça comme une espèce de leçon de morale si tu veux. Si t'as besoin d'y repenser, prends ton temps : j'aimerais bien savoir si t'as saisi, mais je t'oblige pas à me donner la réponse maintenant.


La soigneuse de la Quatrième entreprend maintenant de faire un bandage autour de la taille de la Nécromancienne, gardant couvertes ses plaies refermés mais pas encore disparues. Après ça, elle pourra passer à Naoko. D'ailleurs, Yoru y songe : cette dernière ne lui a finalement pas répondu sur les raisons de sa présence incongrue dans une armée. Mais elle n'insistera pas cette fois. Après tout, elle commence à deviner un peu l'ensemble du tableau : pas besoin de chercher très loin, quand on considère la naissance de Naoko et ce qu'implique son statut. Et la déduction a beau être empreinte d'un mépris déjà bien ancré pour les stupides traditions nobles, ainsi que leurs obligations à la con, elle reste l'hypothèse la plus probable.

La liberté d'être soi-même : un autre truc qu'elle devra lui apprendre, à l'occasion.

Pour ne pas changer, Naoko n'émet qu'une réponse évasive à ce qui lui a été dit auparavant. Yoru soupire : elle a également parfaitement entendu le petit commentaire candide de sa subordonnée. Il semble d'ailleurs que celle-ci n'est pas capable, à chaud, de tirer un enseignement concret de leur escarmouche. Dommage : c'était pourtant là le deuxième intérêt de cette opération. Si la Commandante en second a pu apprendre ce qu'elle voulait, l'échange ne sera vraiment équitable que lorsque Naoko aura pu y réfléchir plus posément.

En tout cas, pas question de lui servir la réponse sur un plateau.

À en juger par les gestes de la Shinigami de la Quatrième, les bandages sont bien en place. Elle finit sa petite inspection, remarque l'état des paumes de sa patiente, laisse échapper un claquement de langue contrarié. Sort une espèce de pommade, qu'elle applique sans douceur aux zones brûlées. D'habitude, Yoru soigne elle-même ce genre de petite blessure, mais autant se laisser faire : ça coûte moins cher en médocs.

Désormais plus ou moins retapée, elle se lève avec précaution, s'étire, puis se rhabille avant de se tourner vers Naoko. Histoire d'ébranler un peu sa naïveté, peut-être.


- Un choix, c'est une chance à saisir, fait-elle avec son sourire le plus aimable. La chance d'éviter qu'un Hollow bouffe notre camarade parce qu'on a choisi d'hésiter. Ou que des débiles rétrogrades nous condamnent à mille ans de taule parce qu'on a choisi de risquer le progrès. En ce qui me concerne, je préfère regretter d'avoir choisi d'agir, plutôt que d'avoir choisi de subir. Et toi?


Pas de réponse immédiate, puisque la Shinigami soigneuse s'adresse maintenant à Naoko, qui refuse les soins qui lui sont proposés. La moue de sa supérieure est assez explicite sur ce qu'elle en pense, mais celle-ci n'insiste pas : l'autre semble plus pressée d'aller se reposer que d'aller se faire soigner. Elle est grande. Elle sait se gérer.


- Je te laisse rentrer, oui. N'oublie pas de faire tes devoirs. Y aura interro la prochaine fois.


... d'accord, peut-être pas si grande que ça, après tout.

Faisant un signe de la main par-dessus son épaule, la brune s'éloigne sans se retourner, faisant juste un crochet pour récupérer son enceinte avant de filer en direction de la sortie de la salle. Avec un peu de chance, elle pourra se remettre de tout ça sans passage forcé par les locaux de la Quatrième : c'est pas son truc, d'être clouée au lit à se faire chier comme un rat crevé. Plus qu'à espérer que sa subordonnée sera aussi raisonnable concernant sa santé : Yoru ne l'avouera pas, mais elle s'est peut-être un peu trop laissée prendre dans l'excitation du moment, sur sa dernière attaque...