Magie, Kūsō et compagnie !

Tous les mois, Yoru a sa façon bien à elle de célébrer le jour de la paie. Depuis qu'elle perçoit un salaire à la hauteur de son grade, elle a un parcours bien défini, qui commence dans les boutiques de fringues de standing habituellement fréquentées par la petite noblesse (elle y achète rarement quoi que ce soit, mais prend un malin plaisir à au moins faire acte de présence pour narguer le sang bleu incommodé par la présence d'une roturière) ; elle migre ensuite vers la Libellule d'Argent pour voir les nouvelles collections de lunettes du mois ; finalement, elle achève son tour des commerces du Seireitei par la caverne aux merveilles de la vieille Yumeko, un débris à moitié sourd qui vend des accessoires de divination et prétend maîtriser un "Kidō prophétique" soi-disant capable de lire l'avenir. Si elle en avait le temps et l'occasion, elle irait bien faire une petite excursion à Tokyo pour faire une razzia sur les chaussures à la tour 109 (le temple de la mode alternative chez les humains), mais difficile de justifier le déplacement auprès de la Soul Society... même si elle est, techniquement, la plus haute instance actuelle en ce qui concerne l'accès au Dangaï, attribution historique du Kidōshū.

Pour l'heure, elle est assise dans un coin de l'échoppe de Yumeko. Depuis au moins trois ans, la Nécromancienne tente de persuader mamie de lui révéler son truc à chaque visite, mais rien n'y fait : la pythie rabougrie n'a encore jamais cédé. Ne pas capter une technique de Kidō, voilà qui frustre et agace la Commandante en second - aussi vient-elle tous les mois, profitant des questions qu'elle pose pour observer minutieusement l'oracle flétrie et ses méthodes.

Sa question, cette fois-ci : "est-ce que je vais enfin avoir droit à des excuses officielles pour mon emprisonnement?".

Alors que Yumeko entame son rituel, le rideau masquant l'entrée s'écarte, et un type entre dans la pièce. La boutique n'est pas très fréquentée (si bien que Yoru se demande des fois comment la croulante arrive à se maintenir à flot), et avoir deux clients simultanés est rare, mais la brune refuse de décrocher un regard à l'arrivant (pas question de louper le moindre geste), se contentant juste de lui dire de se taire pour ne pas briser la transe de la patronne des lieux.

Ignorant la requête, le nouveau venu s'apprête à lui poser une question, mais se fait couper net par le shakuhachi de mamie. Étrange, cependant : elle a mal entendu, ou est-ce qu'il vient de l'appeler par son nom? Pas question cependant de détourner son attention maintenant.

Le rituel se poursuit, le reiatsu nimbant les osselets se faisant de plus en plus présent. Finalement, il se divise brusquement en filaments rougeâtres, que la vieille fait glisser entre ses doigts comme on jouerait d'une harpe. Un instant de réflexion, et elle donne enfin sa réponse :


- Oui.


Faisant la grimace, Yoru se lève à son tour. Encore une fois, impossible de piger le truc derrière le mystérieux pouvoir de Yumeko. D'autant plus que, par le passé, les prédictions se sont souvent révélées exactes. Coup de bol, arnaque, ou talent réel? Avoir le fin mot de l'histoire permettrait de trancher, mais en l'occurrence, impossible de le dire. Surtout que mémé est avare en détails...


- Comment ça, "oui"? Du contexte, peut-être, non? Vous avez peur d'user ce qu'il vous reste de voix?


Le regard de Yumeko se déporte lentement sur l'homme toujours assis dans son coin, et celui de Yoru le suit. Pour la première fois, elle le détaille d'un œil circonspect. Qui c'est, ce paumé? Pas un habitué, c'est sûr.

Elle s'arrête soudain sur le blason qui orne sa tenue. Elle a beau se désintéresser de la noblesse, ce symbole-là est difficile à ignorer : c'est celui qu'arbore également la Capitaine de la Division de la Justice. Sûrement un péteux hautain, donc, et possiblement de la Neuvième lui aussi. Super.

En revanche, ce parchemin dans sa main... Tout semble indiquer qu'il s'est déplacé expressément pour venir la trouver, elle. Et si on y ajoute le fait que Yumeko semble n'avoir besoin d'ajouter aucune explication à sa réponse...

Yoru hausse un sourcil et toise le type par-dessus ses lunettes vertes.


- Ah, alors c'est vous? Vous êtes venu me faire les excuses auxquelles j'ai droit? Allez-y, j'écoute.


Une chose est sûre : si elle s'est trompée, alors aucune idée de ce que ce bonhomme vient faire ici.

Plus ça va, plus le nouveau venu a l'air paumé. Il n'est pas un client régulier, c'est déjà évident : mais en plus, l'évocation du boulot pour lequel il est a priori venu jusqu'ici n'a pas l'air de le faire réagir plus que ça.

Finalement, il a le bon sens de se présenter. L'écoutant déballer les informations, Yoru reste interdite. À son tour d'être complètement larguée... Elle lève un sourcil et se fige, manifestement en proie à une intense réflexion.


- Quatrième Division? Pas Neuvième? Et... Keshinohana, pas Tomoe? C'est quoi ce truc, alors, un cosplay?


Elle pointe son index vers le blason arboré par son interlocuteur, avant de se souvenir brusquement de l'existence de la vieille, qui semble toujours décidée à réclamer son dû. Grommelant devant cette méprise, mais aussi parce que sa seule chance d'avoir une réponse immédiate à la prédiction plus que nébuleuse de mémé vient visiblement de s'envoler, elle lui refile son paiement d'un geste sec, glissant quelques pièces dans une main tendue qui ne se fait pas prier pour disparaître immédiatement au fond d'un tiroir-caisse. Quand il s'agit d'argent, la croulante retrouve une seconde jeunesse. Comme c'est bizarre. Parfois, la Nécromancienne se demande pourquoi elle n'a toujours pas fait cramer l'endroit.

Dépitée, elle se retourne vers le soigneur. Un petit échange de contexte est nécessaire.


- Bon. Je vous la fais courte. On m'a collée au trou en 63 parce que j'étais trop forte en Kidō, on m'en a ressortie y a cinq ans parce que je suis toujours trop forte en Kidō. C'est débile, et depuis, je demande des excuses officielles que personne n'a encore daigné m'accorder. Si vous vous posez la question : non, je vais pas vous bouffer, et oui, c'était accidentel.


C'est... une manière de résumer la chose. Au diable les détails pourris.


- À moi, maintenant. Si vous avez pas un rond, qu'est-ce que vous fichez déguisé en noble, et comment vous savez qui je suis? Vous êtes quoi, une groupie bizarre? Je vous préviens, je peux crier à l'aide. Ou foutre le feu à votre tête. Ou les deux à la suite, et peut-être pas dans cet ordre.


Difficile de croire que le type représente un quelconque danger, mais sait-on jamais : il et vraiment trop louche pour que Yoru ne soit pas sur ses gardes. P't'êt bien qu'il est à poil sous son manteau, pour ce qu'elle en sait.

- Ah.


Elle hoche lentement la tête, faisant durer la syllabe. Franchement, lorsque le type raconte sa vie pour lever le quiproquo, rien d'autre ne vient à Yoru. Certes, ça n'explique pas ce qu'il fiche ici, mais au moins, son identité est un peu plus facile à cerner. Pas un Tomoe, mais leur caniche. Pas mieux. Peut-être plus humble, à la rigueur, mais aussi davantage sur la défensive en ce qui concerne l'honneur de ses maîtres? Dans le doute, évitons soigneusement le sujet.

Du reste, le médecin enchaîne sur une mise en garde - à l'instar de son Capitaine, il n'est pas complètement un pigeon sous prétexte qu'il est aimable -, puis tend à la brune la fameuse missive qu'elle avait repérée un peu plus tôt. Curieuse, elle la déplie et en prend connaissance, un sourcil levé.


- Qu'est-ce que c'est que ces conneries? J'ai jamais écrit ça, moi...


Elle se caresse le menton, songeuse. Sans discussion possible, c'est bien de son hanko personnel que provient le coup de tampon qui orne le message en guise de signature. Quand a-t-elle vu passer ce truc, exactement? Est-ce qu'on lui aurait piqué son sceau? Personne ne se risquerait à commettre un délit de ce genre : falsifier un document de telle façon serait lourd de conséquences.

Par déduction, il ne reste donc que peu de pistes. Elle lâche un soupir agacé, avant de partager sa conclusion.


- Écoutez, je suis pas sûre de ce qu'il s'est passé, mais je pense que l'un de mes sièges a glissé ce truc dans une pile de paperasse à tamponner et que j'ai fait ça mécaniquement. Y a qu'eux qui connaissent mes habitudes et savent que je suis toujours ici le même jour du mois, vers la même heure. Ils ont dû se dire que j'aurais la flemme d'organiser un rendez-vous pour ce genre de truc si on me le proposait directement... J'ai un ancien de la Quatrième chez moi, donc à tous les coups, c'est lui, tiens.


Le chieur. Toujours à soutenir que l'avenir se trouve dans le Kidō médical, et à réclamer plus de recherches en ce sens. Le projet est louable, mais y a des choses à redire sur la façon de faire... Enfin, ce qui est fait est fait.

Du reste, son subordonné aurait eu raison de se méfier : elle aurait complètement refusé de se faire chier avec un tel rendez-vous s'il lui avait été proposé en face. Les raisons en sont simples, et si l'on en croit les détails donnés par la vieille peau, elles sont assez légitime pour mériter d'être énoncées.


- Du coup, ben, désolée pour la réception... Puisque vous êtes là, et que j'suis là aussi, autant que je prenne le temps de vous écouter. Mais honnêtement, je sais pas en quoi je vais pouvoir vous être bien utile : je suis zéro en sorts médicinaux. Enfin, j'ai un peu de théorie, mais aucune pratique. Si ça vous va de perdre votre temps...


Et là-dessus, elle se rassoit, bras croisés. Prête à écouter ce que le médecin va lui sortir. Elle ne l'avouera pas, mais elle est un peu curieuse : même hors de ses spécialités, tout ce qui touche au Kidō suscite quand même un certain intérêt chez elle...

Plus l'échange avance, plus Yoru fait la moue. C'est clair et net : elle est loin d'apprécier le ton employé par son interlocuteur. À croire qu'à force de lécher le cul de la noblesse, le mimétisme finir par agir... La condescendance transpire de ses propos, et elle aurait déjà exprimé son agacement si elle n'avait pas conscience du caractère diplomatique de leur entrevue, aussi étrange soit-elle : garder sa contenance face à la Quatrième est essentiel pour pouvoir conserver de bonnes relations. Et puis, elle l'a peut-être aussi un peu provoqué avant d'avoir les détails de sa présence en ces lieux. Aussi répond-elle sérieusement (bien que sur un ton tranchant) lorsque son avis est sollicité, haussant simplement les épaules.


- À chacun ses combats. Mon boulot me demande de me tenir informée, pas d'être experte en tout. Si rafistoler les gens m'intéressait, je serais Vice-Capitaine de la Quatrième. En l'occurrence, je préfère inventer des façons de faire exploser des trucs.


Là-dessus, l'autre en rajoute une couche dans ce qui s'apparente à une provocation ouverte. Quelle est la meilleure façon de lui rappeler le coup de la tête en feu sans que ça ressemble trop à une menace, au juste? Alors que Yoru y réfléchit, sourcils froncés, Kūsō éclate de rire et évoque un échange de plaisanteries, lui arrachant un soupir. Cinq minutes qu'il est ici, et il la fatigue déjà tant il est compliqué à cerner. Est-il vraiment aussi méprisant qu'il n'y paraît, ou simplement beaucoup trop taquin pour son propre bien? Qu'est-ce qu'il veut, au juste?


- Quarante-deuxième district est. Peut-être prémonitoire, vu la prononciation, mais aucun rapport avec la divination. C'est juste un hobby auquel je m'intéresse depuis que je suis devenue Shinigami... enfin, c'était le cas jusqu'à ce que je trouve cette boutique. Je sais toujours pas si cette histoire de Kidō prophétique est bidon ou pas. Je me dis juste que si c'était véridique, la vieille serait déjà au fin fond de la Prison Centrale. Pourtant, comme je le disais, me tenir informée, c'est mon boulot - et j'ai horreur de ne pas piger le truc.


Elle se lève et s'étire. Jetant regard en coin à mamie, elle se dirige vers la sortie de la boutique, avant de faire volte-face.


- Mais j'imagine que vous n'avez pas fait le chemin pour un échange de banalités. Vous m'avez vite fait parlé du sujet qui vous amène, mais est-ce que vous vouliez aborder un point concret? Organiser des recherches conjointes, peut-être? On pourrait bouger d'ici et en parler à l'air libre, hm?


C'est qu'on commence à étouffer, dans l'ambiance tamisée de l'échoppe de la croulante - mais surtout, pas question d'aborder devant elle des sujets qui ne la regardent pas.