Enquête secrète - le caméléon de la Onzième

Il s'était bien remis physiquement depuis son altercation avec le roi des blaireaux. Mais depuis quelques jours, il repensait pas mal à sa défaite contre le Capitaine de la Seconde division. Il n'y avait pas d'amertume concernant sa défaite. Et il ne se cherchait aucune excuse à dire vrai. Il avait perdu dans les règles de l'art, dans un combat typique pour un membre de la Onzième. Seulement ses entrainements récents avaient réveillés quelque chose. Quelque chose qui avait débuté le jour où Sora l'avait vaincu.

Sa relation avec Kaimetsu avait passé un cap. Comme si sa lame avait senti qu'elle devait faire plus pour permettre à son porteur d'atteindre un nouveau palier. Et le colosse le sentait : il était à deux doigts de réussir à atteindre son objectif. A deux doigts de pouvoir laisser son propre Zanpakutō sous sa forme libérée en permanence, ce qui serait une évolution notable pour lui.

Quoi qu'il en soit, cette défaite passée expliquait en partie la raison de sa présence ici. Proche des murs de la Seconde division. La veille déjà, il en avait fais le tour, pour déceler d'hypothétiques failles qui lui permettaient de pénétrer ici sans se faire repérer. Son but étant d'observer Sora et de lui tomber dessus dès qu'il serait seul. Pour le combattre de nouveau. Et voir s'il ne pouvait pas, grâce à cela, découvrir ce petit quelque chose qui lui manquait pour son projet.

Afin de ne pas attirer l'attention, le colosse avait placé sur son crâne un chapeau recouvrant ses cheveux et masquant en partie son visage. Persuadé que cela suffirait à maquer son identité. Sans prendre en compte sa taille, pas si commune que cela. Ni sa carrure. Mais qu'importe. Le voilà qu'il se tenait derrière un mur, penchant son buste pour bien observer les portes. Il était même amusé de la situation à dire vrai. Lui, l'Argenté, en mode "discrétion" pour analyser les allées et venues d'une division spécialisée dans l'infiltration.

- J'suis un putain de caméléon en fait...

Des mots pour lui-même.

Dernièrement, le bruit courait que le capitaine avait causé quelques dommages dans les quartiers de la Onzième division. Cette nouvelle, pour inhabituelle qu’elle apparaissait dans le défilement des rapports sur mon bureau, devait être relativisé par la personnalité du premier intéressé. En effet, je savais mon supérieur très friand des activités qui n’exigeaient pas une grande acuité intellectuelle. Pour dire les choses, c’était un homme d’action. Et fallait-il vraiment que je sois surprise qu’il soit parti s’exercer auprès des têtes brûlées du Gotei 13 ?

Ce que j’avais retenu au final de cette affaire était l’identité de son adversaire. D’évidence, des éléments laissaient entendre que les deux individus se connaissaient. Peut-être un peu trop bien pour justifier cette altercation qui avait entraîné l’un des deux sur un lit du Yonbantai. En définitive, rien de suffisamment intéressant pour me sortir de la paperasse d’usage, même si je pouvais craindre quelques fâcheuses répercussions. Après tout, je connaissais suffisamment la réputation du Juichibantai pour savoir que ses membres affectionnaient la loi de Talion. Enfin, même parmi leurs rangs, je ne m’imaginais pas que quelqu’un serait assez idiot pour s’aliéner les services du Nibantai qui possédait des prérogatives dangereuses à la bonne poursuite de carrière de tout shinigami qui se respectait.

Ce pourquoi, je m’afférais sereinement à distribuer les ordres de mission aux différents subordonnés actuellement actifs dans nos quartiers. Consciencieuse, je ne laissais pas passer les subtils signaux utiles à la bonne appréciation des contextes remontés ça et là. L’un d’eux, notamment, soulignait une anomalie à un lieu qui eut raison de me surprendre. Soit, près de l’entrée de la deuxième division. Un individu suspect qui avait déjà attiré l’attention des hommes en présence qui avaient reçu l’ordre de sécuriser nos bâtiments. Ce dernier n’avait encore rien fait de répréhensible. Pour autant, je m’inquiétais de ses intentions.

En effet, la situation de nos armées demeurait encore précaire. Si bien que nous n’étions pas à l’abri de quelques mouvements pouvant menacer l’intégrité de nos institutions. Il ne fallait pas laisser les esprits malveillants alimenter leurs complots d’informations stratégiques, bien que j’ignorais quel genre de renseignement pertinent l’homme en question pouvait retirer depuis cette position. En outre, je me décidais à me rendre sur place. Je souhaitais l’interroger de plus près. Et pour se faire, je devais lui fermer toute porte de sortie.

À cette fin, je dissimulais mon énergie spirituelle à un tel niveau qu’il importait d’être un grand maître pour déceler ma présence. S’il me repérait, alors j’aurais de bonnes raisons de me méfier de cet étranger. Seulement, à mesure que je le contournais, je ne sentis pas de réaction particulière depuis sa position. Feignait-il de ne pas me remarquer ? Ce serait armée de cette prudence que je m’avancerai en son dos, un calepin sous le bras. À ma ceinture, je portais mon sabre. Une mesure de précaution sans savoir à qui j’allais me frotter. Malgré tout, je m’évitais toute attitude susceptible de le braquer. Dans un premier temps, je souhaitais seulement discuter. Aussi, irais-je l’interpeler après être arrivée trois pas derrière lui.

– Excusez-moi… je peux vous aider ?

Je lui montrais alors l’apparence d’une femme qui se démarquait par deux petites cornes au front. Cette excentricité de côté, je ne possédais rien de vraiment remarquable si ce n’était mon brassard qui attestait de mon rang au sein de la division. Quelques bracelets et colliers de basse facture ornant mes poignets ainsi que mon décolleté, témoignant de mes origines modestes. Devant lui, j’apparaissais bien chétive. Pour un peu, je pouvais facilement être intimidée par sa carrure, même si un autre détail captura avant cela mon attention.

– … Pourquoi portez-vous un chapeau ?

Si encore, ce n’était qu’un couvre-chef banal comme en portaient rarement quelques excentriques. Mais celui-là avait un quelque chose de bizarre. Et puis, on voyait au reste de son accoutrement que ça dénotait. C’était de trop. Donc oui. Pourquoi un chapeau ?

- OH PUTAIN D'SA GRAND MERE LA CHAUVE !!!

Il sursautait alors que la voix s'élevait. Accaparé par l'observation de la Seconde division, il n'avait pas prêté attention à cette arrivée discrète. Autant dire qu'il avait été surpris avant de se ressaisir un peu en portant le regard vers l'étrangère. Des cornes sur le front. Des babioles sur elle. Pas très épaisse la demoiselle qu'il observait. Et si les cornes l'intriguaient, ce fut surtout son brassard qui interpella le colosse. Bordel, fallait qu'il tombe sur la Vice Capitaine de la division des Tanches. Comme quoi il avait eu raison : des putains de ninjas. Et certains avaient des cornes. Trop bizarre.

La question sur le chapeau l'acheva. Il avait été percé à jour et il ne doutait désormais plus des grands talents d'observation de cette femme. Si elle était parvenue à voir au travers de ce fantastique déguisement, si elle était parvenue à le distinguer des ombres alors qu'il était comme une partie de ce mur, alors c'est qu'il avait à faire à la meilleure d'entre eux.

Il leva donc simplement la main pour attraper le couvre-chef, l'enlevant, dévoilant alors son visage. Cheveux argentés, les yeux gris, la mine sévère. Il poussa simplement un petit soupir. Avant de répondre :

- J'voulais passer inaperçu, pour pas que les gens se demandent ce que j'foutais là quoi. Genre cacher mon visage pour qu'on me reconnaisse pas.

Si sa chevelure était assez caractéristique, il le savait, ce n'était clairement pas uniquement grâce à cela qu'on le reconnaissait. Mais aller lui faire comprendre, vous. Il adressait désormais un sourire à la Vice Capitaine. Il se détendait. Il n'avait de toute façon rien fait de répréhensible, il le savait, alors il n'avait aucune raison de s'inquiéter. Et puis il y voyait aussi l'occasion d'échanger avec un haut gradé de la division des Fiottes. Et ça, c'était cool. Après tout, sa pote Daestra appartenait elle aussi à la division non ? Une option pour se sortir de ce mauvais pas.

- J'ai une bonne amie qui appartient à ta division depuis peu de temps. Du coup, j'voulais voir si j'pouvais la capter discrétos ! Pour pas lui foutre la honte. C'est qu'elle est une noble et qu'ils aiment pas trop que les leurs traînent avec des types comme moi. Vas comprendre pourquoi, toi.

Il manquait de manières. Il respectait l'autorité mais ne supportait pas le manque de respect. Et avait bien du mal à donner du "vous" lorsqu'il était face aux Nobles ou aux gradés. Il faisait un effort avec les capitaines. Et encore. Mais il respectait la hiérarchie.

- J'suis Kiryū Shinjiro au fait. Sixième siège de la Onzième division. Et toi ? Oh ! Et désolé pour l'insulte. J'visais pas ta grand-mère vraiment hein. J'ai juste été surpris. C'est que t'es apparu comme un ninja.

Pour le moment, aucune allusion au fait qu'il cherchait aussi à observer son capitaine. Il n'était pas sur que le Lieutenant apprécie vraiment ça. Mais après tout, peut-être n'avait-elle pas entendu parler de la petite bagarre ? Qui sait.

J’eus un tressaillement quand le géant hurla à gorge déployée à l’instant où je l’interpella. Pour un peu, j’eus presque le réflexe d’attraper le manche de mon sabre, animée d’un sentiment imminent de danger. Mais au final, je sus à peu près garder contenance car je saisis rapidement que de menace, il n’y en avait que dans mon imagination. Ce qui suivrait serait une mise en scène surréaliste, comme s’il découvrait devant moi son masque pour rompre un subterfuge parfait. Enfin, suivant sa perception. Pour ma part, j’apparaissais quelque peu circonspecte. Sauf à paraître plus suspect, qu’est-ce que ça lui avait apporté de porter un chapeau ?

Ainsi, il s’attendait à passer inaperçu ? Vraiment ? Plissant les yeux, je me demanda l’espace de quelques secondes s’il ne se moquait pas de moi. Mais à son attitude, je ne ressentis aucune arrière-pensée. Au contraire, il était on ne peut plus franc. Si bien que j’en venais à me poser une question : était-il idiot ? Puis, qu’avait-il à cacher, exactement ? Pour appliquer si maladroitement des moyens aussi détournés, se plaçait-il sur la liste noire du Nibantai ? Tandis que je me faisais cette réflexion, je balayais dans ma mémoire tous les profils pouvant corroborer cette hypothèse. Mais dans l’immédiat, rien ne me venait.

Sans doute cela s’expliquait-il par la confusion jeté dans le courant de mon cheminement. Après tout, c’était si énorme que ça en devenait invraisemblable. De quoi désarçonner le plus impassible des agents du renseignement. Enfin, en tout cas, il n’avait pas l’air bien méchant. Son sourire ne traduisait aucune antipathie. Aussi, serais-je encouragée à me détendre un peu sans trop effacer la nécessaire prudence à la lumière de cette situation rocambolesque. Pour l’heure, je l’écoutais seulement me formuler ses explications. Une amie qu’il serait à même de gêner s’il se présentait normalement dans nos quartiers ? C’était un peu curieux, mais pas foncièrement invraisemblable au jugé de son caractère. Plusieurs nobles composaient nos rangs. Ce pourquoi il me serait difficile de deviner de qui il pouvait être question.

– Vraiment… incompréhensible.

Que justement, des nobles se retrouvent dans un sentiment d’inconfort à être associé à une personne telle que lui. À la vérité, je ne m’embarrassais guère vraiment de ces a priori pour la raison que j’étais étrangère à ces histoires. En revanche, si je me retrouvais jusqu’alors désappointée, tout s’éclaira dès lors qu’il s’identifia. Ce nom ne m’était pas étranger. Il était apparu dans les rapports de ces derniers jours. De quoi me permettre de douter un peu de ses excuses. Le fond de ses intentions pouvaient bien être plus sensible qu’il le prétendait. Quoiqu’il en soit, je balayais l’air de mes mains avec un sourire qui se voulait affable alors qu’il s’inquiétait que sa surprise de tantôt m’ait offusqué.

– Haha… Non, je ne l’ai pas pris pour moi, je te rassure ! C’est ma faute aussi à débouler de nulle part ! Une mauvaise habitude de ninja que j’essaie de corriger tant bien que mal ! Je suis désolée pour ça !

À mon habitude, je m’adaptais au registre de mon interlocuteur. Il fallait être capable de se mettre au niveau de ses vis-à-vis pour les mettre en confiance. Pour cette raison, je me prenais de lui renvoyer le tutoiement qui m’allait très bien.

– Je suis Naoki Shiori, Vice Capitaine de la Deuxième division. C’est un plaisir d’enfin mettre une tête sur ton nom !

Me contentais-je d’évoquer pour lui mettre la puce à l’oreille quant au fait que son identité ne m’était pas inconnue. J’aurais été bien négligente d’oublier une altercation si récente avec mon supérieur. À ce titre, j’irais me gratter le menton, pensive.

– Si c’est le Capitaine Igarashi que tu cherches, je crains qu’il ne soit actuellement en mission. Tu aurais pu attendre longtemps, comme ça. Moi-même, j’ignore quand il rentrera.

Je gardais en mémoire ses réflexions qui le faisaient craindre de déranger quelques personnalités de la noblesse.

– Si tu veux mon avis, tu ne devrais pas t’embarrasser trop des qu’en dira-t-on. Enfin, tu ne me donnes pas l’impression d’y prêter tant d’importance que ça, si ?

Il haussa les épaules alors qu'elle s'excusait de son arrivée furtive. En réalité, il ne lui en voulait pas. Il se disait seulement qu'il aurait à y gagner si un jour il parvenait à réussir ce genre d'approche. Mais Shinjiro n'était pas niais au point de croire cela possible. Non seulement cela n'entrait pas dans son caractère de base mais en plus de cela, il possédait un corps plus difficile que d'autre à cacher. D'expérience, il savait que le physique pouvait être un handicap sérieux. La preuve face à lui. Et si cela ne faisait pas tout, on irait quand même pas lui faire croire que ça ne jouait pas du tout. Il était plus facile pour cette femme de faire profil bas qu'à lui.

Naoki Shiori. Désormais il connaissait le nom qui était associé à ce titre. En peu de temps, il avait rencontré plusieurs Lieutenant de division. Et beaucoup de femmes parmi celles et ceux qui étaient à ce poste. S'il le notait mentalement par principe, cela ne lui posait évidemment aucun problème. Il l'observait. Appréciant le tutoiement. Il aurait été mal à l'aise qu'on le vouvoie. Cela ne lui convenait pas de toute évidence.

- Plaisir partagé, crois-moi.

Il avait noté qu'elle avait entendu parler de lui, ce qui n'avait rien de surprenant. En réalité, le combat entre Sora et lui avait forcément fait le tour des divisions. Surtout de la Seconde et de la Onzième évidemment. Ce ne devait pas être tous les jours qu'un capitaine rossait un siège inférieur après tout.

- Ah... Euh... Ouais mais non. Enfin c'est cool de m'le dire hein. Mais...

Et merde !

Elle avait vu juste évidemment. Trop forte la p'tite. Il se gardait cette remarque pour lui avant de se reprendre, tout sourire. Il ne la connaissait pas encore mais il appréciait déjà cette façon de se comporter, cette façon de parler.

- En tout cas j'prends note. Mais ouais, t'as vu juste me concernant. Le regard des autres, j'm'en tape le cul par terre. En vrai, c'pas tant pour moi que pour elle que j'fais gaffe. Perso, j'suis pas fan de toutes ces manières qu'il faut adopter face à telle ou telle personne. J'suis pour la simplicité. T'as un grade ? Bah j'respecte, car ça reste l'armée ici. Par contre ta naissance, ça doit pas compter. Que tu sois d'ici ou du Rukongai, on s'en branle en vrai.

Il avait toujours été ainsi après tout et n'était pas près de changer. Il s'aperçut toutefois que dans ses propos, il oubliait un fait important. Quelqu'un de respectueux n'aurait sans doute pas pris le risque de combattre un capitaine. Il se gratta la tête, réfléchissant un instant.

- Mais si moi j'm'en fous, j'sais que Daestra doit faire gaffe à cause de sa famille. Et de ce qu'on peut penser d'elle. J'veux pas l'emmerder plus que d'habitude quoi. C'est une vraie pote, tu comprends.

Et il le pensait vraiment. Elle avait essayé de lui inculquer quelques valeurs mais il n'y était jamais vraiment parvenu.

- J'suppose que t'as entendu parler du p'tit conflit qui m'a opposé à ton capitaine hein. Du coup, tu dois t'dire que j'suis un gros mytho quand j'te parle de respect. J'veux pas me trouver d'excuses ni rien mais j'vais pas t'cacher que j'ai un problème avec ceux qui se croient meilleurs que les autres. Du coup face à eux, j'ai tendance à vriller un peu.

Il se justifiait quand même un peu.

- Problème de gestion d'la colère, il parait... M'enfin c'est pas le type le plus calme que j'ai croisé non plus, lui. Ca doit pas être évident d'être sous ses ordres directs !

Si j’étais partie de mes quartiers la plus alerte, il s’avérait au final que je me retrouvais dans une conversation étonnamment plaisante. Très rapidement, nous étions arrivés à un rapport de respect mutuel des plus sains. Je ne l’incriminais pas pour son attitude suspecte et il ne me vomissait pas la rancœur de sa défaite envers mon capitaine. À ce titre, il m’apparut quelque peu gêné quand j’avais abordé le sujet, prétextant que non, il n’était pas venu ici pour cette raison. Son attitude semblait pourtant dire le contraire, même si je décidais de lui donner le bénéfice du doute. L’un comme l’autre, cela ne changeait pas grand-chose à mes yeux.

J’avais pris mon calepin avec moi pour prendre des notes au besoin. Ici, néanmoins, je j’en ferais pas usage. Simplement parce que ce n’était pas nécessaire. Mon supérieur n’avait pas besoin de tout savoir. Je n’avais pas d’intérêt à rajouter de l’huile sur le feu pour si peu. En revanche, je ne laissais pas passer l’opportunité de mieux cerner une étoile montante du Gotei 13. Car s’il s’était retrouvé à affronter un capitaine, alors, il devait posséder des capacités certaines. Après tout, Igarashi lui-même n’était pas ressorti de ce combat indemne, loin s’en faut.

Aussi, s’il reconnut ne pas vraiment se soucier du regard d’autrui, il demeurait attentif à ne pas mettre son amie dans une position délicate. Daestra, donc. Un nom que je connaissais bien pour la raison qu’il y avait de ça quelques temps, la demoiselle était montée en grade avec mon assentiment. Je ne lui avais alors pas imaginé de tels amis, de quoi attiser ma curiosité dans le bon sens du terme.

– Je comprends oui. Tu sembles être un ami fiable.

Ajoutais-je spontanément lorsqu’il fit savoir qu’elle était pour lui une « vraie pote ». De cela, je n’en doutais pas une seconde. Quant à ce conflit, eh bien… oui. J’étais bien entendu au courant. Mais malgré ça, je ne m’attendais pas à ce qu’il parte pour se justifier si loin. Je n’étais pas superficielle au point de considérer que les mensonges étaient un tabou. Au contraire, ils étaient souvent une nécessité afin de préserver l’ordre. En tout cas, je comprenais mieux cette fixette sur les gens de la haute.

Je ne savais pas mon capitaine appartenir à cette caste. Ceci dit, je le savais hériter d’une personnalité écrasante qui pouvait y faire penser. C’était donc la raison de cette altercation. Et quand il vint me faire la remarque que cet homme devait être pénible envers les subordonnés dont je comptais, j’étais presque tentée de lui exprimer le fond de ma pensée. Après tout, sa sincérité appelait à cela. Mais non, sa franchise était à double tranchant. Il pouvait parfaitement le répéter au premier intéressé dans une joute verbale et m’attirer ainsi quelques embêtements. Ce pourquoi, je diluerai le fond de mes pensées.

– Oh, le capitaine est un homme exigeant qui prête une grande importance au mérite. Peu importe tes origines, ta réputation, ta prestance, ce n’est pas ça qu’il regarde. Si tu lui montres que tu en vaux la peine, alors il consent à te prêter son attention. Cela encourage nos hommes à donner le meilleur d’eux mêmes. En cela, je dirais qu’il est un bon capitaine. Quant à moi, eh bien, je dois encore faire mes preuves. Donc oui, tu as raison, ce n’est pas évident de le suivre même s’il a tout mon respect !

Je découvrais là les bons côtés de ses supérieurs comme on aurait pu l’attendre d’une subordonnée comme moi. De cette manière, j’assurais mes arrières sans non plus chercher à mentir. Ce que j’exprimais là était une partie de la vérité. Je me gardais simplement de présenter la partie péjorative.

– Du reste, tu n’as pas à t’embarrasser de ça. Je veux dire… un mytho ? Tu possèdes tes raisons. Qui suis-je pour juger de cela ? Personne. Ai-je déjà menti ? Plein de fois. Alors je serais bien hypocrite de te le reprocher. Tu n’as pas de compte à me rendre. Après tout, tu n’as rien fait de mal en ma présence.

Rassurante, je restais dans le registre de la bienveillance. Je préférais ouvrir les conversations plutôt que les fermer. On pouvait y voir une déformation professionnelle, mais cela remontait à plus loin. En effet, j’avais toujours eu dans la peau ce caractère caméléon qui encourageait mon entourage à exprimer le fond d’eux-mêmes. J’aimais comprendre qui j’avais en face. Voilà tout.

– Entre nous, j’aimerais que les relations sociales soient si simples. À l’origine, j’étais ce qu’on appelle dans le jargon de la noblesse une « pouilleuse ». Aujourd’hui, je dois m’adapter à leurs manières. Parce que c’est mon rôle et qu’ils sont ici chez eux. Mais je dois bien avouer que ce n’est pas facile tous les jours. Oui… j’aimerais vraiment que ce soit aussi simple.

Il se grattait la tête, écoutant la jeune femme cornue. Il n'avait encore jamais vu ce type de spécificités mais ce n'était clairement pas la chose la plus étonnante du coin. Après tout, n'avait-il pas eu un professeur qui ressemblait à un loup pendant ces quatre années à l'Académie ? Dans le genre bizarre, ça se posait là aussi hein.

Quant au fait qu'il puisse être un ami fiable, il n'en doutait pas un instant et trouvait même plaisant que cela sorte de la bouche d'une parfaite inconnue. Il était fier de ses valeurs, même s'il savait que son caractère était parfois un poil limite lorsqu'on touchait à ses proches ou à ses gars. En réalité, il était plus ou moins un animal lui-même, au même titre que le Komamura. Une boule d'instinct qui se laissait conduire régulièrement par ses émotions. Pas toujours un bien, mais il essayait de s'arranger. Notamment grâce à l'aide de ses compagnons.

- J'essaie en tout cas.

Ce qui était déjà beaucoup. Certains ne se souciaient des autres que pour l'image que cela leur renvoyait. Des profiteurs, cherchant quelque chose dans cette relation forcée. Mais lui, il n'était pas ainsi. S'il détestait quelqu'un, il le disait. Simplement. Et il n'essayait pas de se faire meilleur pour attirer les gens à lui. Et puis de toute façon, son physique était déjà un frein pour beaucoup. On se méfiait de lui sans même le connaître. Il eut un sourire.

Surtout en l'écoutant parler de son capitaine. Mentalement, il se mit une baffe. Ses propos précédents pouvaient-ils lui retomber dessus ? Il est vrai qu'on ne regardait pas d'un bon oeil ceux qui parlaient mal d'un Capitaine, la plus haute autorité du Seireitei, ou peu s'en faut. Mais une fois encore, cela ne changeait rien à sa vision du personnage.

- Je comprends. J'ai toujours trouvé que de gagner le respect d'un autre, c'était le plus difficile Moi-même j'le donne pas si facilement. Et j'peux capter que tu puisses respecter ce mec. Si j'ai pas apprécié des masses son comportement, j'dois dire qu'il sait y faire avec ses poings. On s'est foutu sur la tronche, on a pas été les mecs les plus polis d'la terre entre nous, mais derrière y'a eu aucune conséquence. J'dois dire que j'respecte cette mentalité.

Il le pensait. Il ne l'aimait pas et ça ne changerait pas de si tôt. Mais il respectait la force et les convictions de la Tanche-en-Chef.

- Du coup j'veux bien croire qu'il soit OK comme capitaine. M'enfin, pas comme si on demandait l'avis d'un soldat en vrai hein ? Pas comme si ça comptait.

Il lui adressait un clin d'oeil, se mettant à se marrer face à cette assertion. Cette discussion était plaisante et le colosse devait admettre qu'il appréciait la p'tite face à lui. Après tout, elle aussi aurait pu avoir un avis négatif à son encontre, ne serait-ce que parce qu'il avait combattu son Boss. Elle paraissait ne pas se soucier de cela. Bon point.

- Et pourquoi ça serait pas aussi simple finalement ? Dire qu'ils sont chez eux, j'vois pas les choses de la même manière moi. Bon ok, y'a les privilèges toussa. Mais comme je te disais, le respect doit se gagner. Tu peux être quelqu'un de la Haute société et pas forcément te comporter comme une sombre merde avec les autres quoi. Ils y gagneraient à pas foutre autant de barrières, j'en suis sûr. C'est sans doute impossible... Mais quand j'serai Cap', j'verrai ce que j'peux faire pour ça. Moi, j'aime pas m'adapter. Enfin, c'pas vraiment ça. Disons que ça me dérange pas mais seulement si en face, ils font l'effort quoi. Sinon, c'est mort.

Une notion que l'on appelait l'équilibre. Et qui comptait beaucoup pour l'Argenté. N'était-ce finalement pas le propre du shinigami que de vouloir maintenir un certain équilibre ?

- Enfin, on peut rêver. Et du coup, c'est peut-être indiscret mais t'es Vice-capitaine depuis longtemps ? J'respecte ce grade. Entre le marteau et la tête, comme dit l'expression. Vous tempérez les excès en vrai. Un oeil en haut, un autre en bas. Pas facile...

Alors pour l'expression, forcément, il l'avait remodelé comme il en avait l'habitude. Il trouvait plus simple de visualiser le marteau sur un crâne que sur une enclume.

La volonté qui motivait le géant à bien faire le rendait attachant. Il était conscient de son côté balourd et s’efforçait de s’améliorer dans la limite de l’acceptable. Une attitude louable, en outre, qui ne l’empêchait pas d’exprimer tout haut sa pensée lorsqu’il rencontrait une personne abusant de sa position. J’imaginais sans mal mon capitaine tomber dans ce travers. Et pourtant, Shinjiro lui-même était capable de mettre de côté son antipathie pour accorder des qualités à un homme qu’il devait mépriser au fond de lui. Après tout, de son propre aveu, aucune conséquence n’avait suivi son petit épisode où il dut glisser un peu à la considération de son statut.

Manquer de respect à un capitaine ? En règle générale, cela finissait toujours mal pour le fauteur de trouble. En l’occurrence, il n’avait payé que par la violence du moment. Un rapport d’égal à égal qui lui avait probablement permis de relativiser les défauts de ce commandant.

– Oh, détrompes toi. C’est placer soi-même la paille sèche sous ses pieds que d’ignorer l’avis des soldats de rang. Toi-même, tu dois bien le savoir.

Et la paille pouvait rapidement prendre feu si l’on ne faisait pas suffisamment attention. Alors autant l’écarter dès le départ en s’intéressant au regard de ses subordonnés. De cette manière, on ne faisait pas de mauvaises interprétations sur leurs intentions. Autrement, c’était prêter le flanc à un mauvais coup en situation de crise. Beaucoup l’avaient découvert à leurs dépens. Peu étaient encore là pour en témoigner. Même si ça concernait plus couramment les officiers de bas rangs plutôt que les vice capitaines. Alors, les capitaines… En définitive, même eux pouvaient rencontrer quelques faiblesses dans leur chaîne de commandement à trop réduire leur champ de vision derrière des œillères de la fierté mal placée.

Lorsqu’il se mit à questionner la légitimité de la noblesse, je me montra plus attentive. Moi-même, j’avais fini par m’accommoder de règles officieuses qui pouvaient être discutables en y repensant. Fallait-il aller contre ça ? Je l’ignorais. J’avais simplement choisi la voie de la facilité. Ou plutôt, considérant mon parcours, la seule que je puisse tenir. Mais un autre qui n’avait rien à se reprocher ?

– Devenir capitaine. Je pense que c’est la meilleure approche pour faire bouger les lignes. Car oui, je ne vois pas ce qu’il y a de sain à cautionner de telles discriminations dans nos armées. Un résident du Rukongai sans prétention aurait moins de valeur qu’une personne bien née ? Je ne vois pas ce qui permet de dire ça. Mais c’est aujourd’hui la réalité. Pour l’heure, je suis bien la dernière personne qui pourrait aller contre ça. Il n’empêche, cette idée m’est plaisante. Je serais donc heureuse que tu obtiennes les moyens de ta politique !

J’étais sincère sur mes mots. Quand je l’écoutais, je me dis qu’il ferait un bon supérieur. À voir s’il ne changerait pas après être arrivé là où il voulait. En tout cas, ce n’était pas l’impression qu’il me laissait. Au pire, il devrait apprendre à mieux gérer ses excès de colère. Un être passionné qui ne s’intéressait pas moins à son entourage, comme en témoignait sa dernière question.

– Moi ? Oh, non. Juste depuis quelques mois. Et je ne suis pas sûre de connaître cette expression… mais si elle signifie que je devienne marteau à la fin, alors oui, elle est valide. À notre niveau, si on n’a pas un pied près des soldats, on est bons à jeter. Mais si on oublie de garder l’autre près des capitaines, ce n’est pas franchement mieux. Il faut savoir faire des ronds de jambe quand nécessaire et traduire la volonté des puissants pour qu’elle soit entendue des plus humbles. Pour être honnête, j’ai plus de facilités à assumer cette deuxième partie de mes responsabilités. Après tout, je viens du même milieu que la plupart de mes hommes.

Du reste, j’avais à présent suffisamment discuté avec le géant pour me dire qu’une certaine question trouverait probablement une réponse plus fournie.

– Sinon, pour en revenir à ton altercation avec le capitaine Igarashi… dirais-tu qu’il possède les défauts que tu me dépeins depuis le début ?

Il notait cette expression qu'il n'avait jamais entendu. Il aimait ça, ça étoffait son propre lexique et il ne doutait pas une seconde de pouvoir le ressortir dans une autre discussion, plus tard. C'est ainsi qu'il avait lui même évolué après tout. Et si lui reconnaissait que l'avis des soldats comptait, il savait que ce n'était pas nécessairement le cas de tous. Même si Shiori semblait d'accord avec lui, elle ne pouvait croire que l'ensemble des gradés avait cette mentalité.

Il était même assez amusant de voir la différence de caractère entre le lieutenant et son Capitaine. Shinjiro ne doutait pas un instant que leur association devait faire de sacrées étincelles parfois. Sauf si la Naoki gardait pour elle ses doutes. Ce qui n'était pas impossible à dire vrai. Ceux qui étaient réellement respectueux du titre préféraient souvent faire profil bas face aux dirigeants, pour ensuite tempérer les ordres en les adaptant un peu à leur propre pensée. Le colosse se demandait parfois quel genre de Lieutenant il aurait été lui même. Ou avec quel type de personnalité il s'associerait le mieux s'il devenait Capitaine.

- C'est gentil. J'aime bien cet état d'esprit, j'avoue. Et c'est rassurant aussi de voir que d'autres pensent la même chose.

Il appréciait vraiment la Vice Capitaine et sa façon de s'exprimer. Elle paraissait naturelle, sans excès, mais parvenait clairement à s'exprimer sur son ressenti. Là où certains parlaient avec mesure ou en édulcorant leurs propos, Shiori semblait savoir où elle allait et s'exprimait clairement. S'il avait été suspicieux, sans doute qu'il se serait dit qu'elle s'adaptait à lui, prêchant le faux pour savoir le vrai. Mais le colosse n'était pas retors, il n'imaginait pas que la personne face à lui puisse agir ainsi. Et puis ce n'est pas comme si c'était difficile de savoir ce qu'il avait en tête. Même elle, qui ne le connaissait pas, saurait qu'il parlait comme il pensait.

- J'aime bien ta vision du poste que tu as. J'suis pas sûr que j'sois capable de ça mais j'pense que c'est la bonne option quoi. Faut savoir écouter. S'exprimer. Et ça, sans braquer personne. En vrai, c'est compliqué.

Il prit la peine de réfléchir alors qu'elle lui posait la question sur Sora. Il ne l'avait sans doute pas assez fréquenté pour pouvoir avoir un avis aussi tranché. Après tout, la discussion s'était surtout limitée à des "nique ta mère" et des "j'vais te défoncer".

- Hum. C'est difficile à dire. On a pas causé des tonnes, tu vois. Mais j'ai senti qu'il faisait clairement la distinction ouais. Il a quand même comparé le Seireitei à un zoo, juste parce qu'on est là. Nous, les gars de la Onzième mais aussi ceux qu'il a appelé des "clébards". J'suppose qu'il causait des hommes-loup. J'dois dire que c'est quand même moyen de l'ouvrir comme ça pour un capitaine quoi. Donc ouais, j'dirais quand même que ton capitaine, il rentre clairement dans la catégorie de ceux dont on parlait. Après j'peux me tromper.

Mais il ne le pensait pas forcément. Les premières impressions étaient malheureusement souvent les bonnes.

- En vrai, j'vais pas te mentir. J'aimerai bien remettre ça contre lui un de ces quatre. Voir s'il a le même genre de discours tu vois. J'dirai même que si j'arrive à lui foutre une trempe, ça le fera sans doute un peu redescendre de sa tour d'ivoire. J'suis pas sûr qu'il ait l'habitude que les gens lui disent de se calmer et de faire gaffe à son comportement quoi. Et j'pense que j'ai clairement les capacités pour lui foutre le nez dans sa merde.

Avant de se rappeler qu'elle était lieutenant de ce type. Il eut un sourire gêné. Il savait qu'il causait trop. Trop franc. Trop direct.

- Sans vouloir te vexer hein. Juste un sentiment que j'aie. J'sais bien que j'suis pas irréprochable moi même. J'ai une trop grande gueule. J'espère juste que je te choque pas avec mon discours, c'est clairement pas l'but de la manœuvre. J'sais bien aussi que ton poste t'empêchera de m'dire ce que tu penses réellement de lui. J'suis pas si con.

Après tout, elle n'avait aucune garantie que le colosse ne dirait rien derrière. Même s'il le lui promettait. Ils ne se connaissaient pas assez pour qu'elle puisse se fier à lui, ce qui était logique.

Nous étions les plus détendus, au point où j’en arrivais presque à la réflexion que je l’inviterais bien boire du thé dans nos quartiers. Seulement, je doutais que ce soit là son plaisir. Puis, la perspective de mettre les pieds plus franchement dans le Nibantai pouvait le gêner eu égard ce qu’il s’était passé avec mon capitaine. En attendant, je me contentais d’un signe de tête reconnaissant devant ses compliments. Lui-même semblait avancer dans son propre cheminement, trouver matière à réfléchir. Car de tels raisonnements, il devrait en tenir si d’aventure il parvenait à concrétiser son ambition.

Quant aux réponses qu’il me servait pour étancher ma curiosité, j’arrivais encore à m’étonner de sa franchise. Il me répondait simplement comme ça lui venait. Il s’était visiblement heurté au mépris de mon supérieur envers les siens. Et de ce que j’avais pu observer de sa personnalité, son sentiment d’injustice était on ne peut plus naturel. Si ces mots étaient de trop pour un homme de sa fonction ? Certainement que oui. Car clairement, ça ne véhiculait pas la meilleure image sur sa fonction. Arrivé aux plus hautes sphères, sa voix avait plus de poids que personne. Très clairement, il ne brillait pas par son sens des responsabilités. Mais au moins, compensait-il cela par une puissance brute indéniable. Puis on n’attendait pas vraiment du capitaine du Nibantai qu’il soit le plus au fait de la bienséance, encore qu’on pouvait attendre de lui une certaine discrétion.

Ce devait être conscient de ces lacunes qu’il m’avait laissé les affaires les plus subtiles en vue de gérer efficacement la deuxième division. Lui pouvait se concentrer sur son domaine d’expertise. En outre, celle qui faisait la mauvaise réputation des miens. Il incarnait le mieux le mal nécessaire au sein du Gotei 13. Bien que ça ne lui ferait pas de mal une fois d’être un peu calmé sur ses excès de fierté. En cela, j’irais presque encourager Shinjiro dans sa volonté de remettre le couvert dans une revanche.

– Pas le moins du monde.

Disais-je le plus spontanément avec ce même sourire bienveillant au visage, pour le rassurer. Il m’avait exprimé le fond de sa pensée en dépit de ma position qui aurait pu l’amener à douter légitimement de ma neutralité sur la question.

– À vrai dire, je te trouve assez mesuré dans ton jugement. Tu vois le bon comme le mauvais chez le capitaine Igarashi. Et cette revanche pourrait bien l’amener à travailler sur lui-même s’il devait avoir à vivre un revers. Non pas que ce soit vraiment ce que je lui souhaite. Autrement, tu l’as dit, je ferais une piètre subordonnée. Mais je n’en demeure pas moins lucide que quelques ajustements ne seraient pas de trop.

Songeuse, j’essayais de mûrir un peu plus le fond de la conversation que nous développions tous les deux.

– Pour ma part, je possède mes propres faiblesses. J’aimerais parfois ne pas avoir à surveiller le moindre de mes mots. Mais toi-même, tu l’as bien vu. Sans respect, tout fout le camp. Nous avons besoin de ça pour avancer ensemble. À cette fin, la Soul Society est encore bien maladroite. Mais je dirais qu’elle va vers le bon sens. D’autant plus avec la relève qui suit.

À cet mots, je renouais le contact visuel avec le géant, encourageante. La perspective qu’il se retrouve à commander m’allait bien. Et je lui souhaitais bientôt d’y arriver, pour que je lui présente justement les respects qui lui seraient dus.

– En tout cas, si tu veux, je passerais le mot à Daestra que tu as souhaité la voir. Dernièrement, elle a été pas mal prise depuis sa promotion. Peut-être as-tu un message en particulier à lui faire passer ?

Voir le bon comme le mauvais était effectivement une qualité de Shinjiro. C'était aussi pour cela qu'il se laissait aller à tant de franchise, qu'importe son vis à vis. Il était logique pour lui de prêter attention à toutes les facettes d'une personne pour bien la comprendre. Seulement il y avait la théorie d'un côté, la pratique de l'autre. Et les analyses du géant n'étaient pas toujours les plus perspicaces. Autant dire que l'erreur n'était pas une chose inconnue pour lui.

Il rejoignait ses paroles lorsqu'elle mentionnait la notion de respect. Il est vrai que c'était une donnée primordiale. Et si elle était mesurée, elle restait néanmoins assez franche dans sa propre vision des choses. Le genre de femme qu'il appréciait. Il eut un sourire alors que les regards se croisaient. Prenant ces mots comme un encouragement à poursuivre sa voie. A devenir Capitaine. Ce qu'il comptait bien faire.

Kamui lui avait dit un jour une chose un peu similaire. Les choses comme les gens peuvent changer mais cela prend du temps. Et à son niveau, le Seireitei restait un gigantesque organisme vivant. Complexe, avec une idéologie assez ancienne sur certains sujets mais toujours avec cette volonté de faire mieux, de s'améliorer. L'Argenté n'était pas sot au point de croire à une évolution rapide.

- Je comprends. Prendre le temps. Faut d'la patience de toute façon quand on devient un des gradés du Gotei. Perso, je travaille dessus. Apprendre à la boucler quand il le faut. Prendre sur moi. D'ailleurs, de toi à moi, si t'as des p'tits conseils à me filer pour ça, j'suis carrément preneur.

Il le pensait. Shinjiro voulait s'améliorer. Pas pour les autres mais pour lui même. Il ne désirait pas se perdre. Rester la personne qu'il était. Mais en version 2.0 quoi. Alors que le sujet repassait sur Daestra, il fit un petit geste de la main.

- Nan, franchement pas besoin de t'embêter avec ça. J'dois la voir dans pas longtemps de toute façon, on est sensé se faire un repas entre potes de notre ancienne promotion. Histoire de maintenir le contact quoi. J'sais pas si toi même tu as gardé des liens avec ceux de ta propre promotion mais nous, on trouve ça important de pouvoir s'aider, de compter les uns sur les autres.

Et ils faisaient en sorte de le faire le plus souvent possible. Même si la réunion des quatre compères étaient plus rares. Généralement c'était en petit comité qu'ils se voyaient, par duo. Rarement plus.

- D'ailleurs j'sais pas si tu peux m'dire mais ça va ? Ca se passe bien pour elle ? J'suppose que oui vu la promotion mais j'sais que chez vous, y'a d'autres responsabilités avec une évolution de siège nan ? Y'a tellement de mystère autour de ta division. Tu serais sans doute étonner de connaître certaines rumeurs qui courent j'suis sûr.

Pitié. Pose lui la question. Demande lui quelle rumeur. Le dernier qui avait fais ça, Seiichi, avait eu bien du mal à s'en remettre.

Contrairement aux apparence, Shinjiro était un shinigami finalement plutôt réfléchi, capable en tout cas de prendre du recul quand on l’y encourageait. Le genre à apprendre de son entourage pour un peu que des bases de relation saines étaient posées. Des conseils pour éviter d’avoir un mot plus haut que l’autre ?

– Je ne pense pas qu’il existe de solution miracle… C’est une question de caractère et de sensibilité, je dirais. Maintenant, quand on veut lutter contre soi-même, il faut posséder une bonne motivation. Autrement, pourquoi ferait-on l’effort ? Oui, je pense qu’avant le moyen, c’est la finalité recherchée qui importe. Et dans ton cas, ce que tu veux, c’est devenir capitaine. Donc qu’est-ce qui peut t’empêcher d’atteindre cet objectif ? Si tu identifies tes obstacles, alors l’expérience te fera voir ce qu’il importe de faire ou de ne pas faire. Ce n’est pas comme s’il existait de schémas préétablis. La vie serait bien ennuyeuse autrement.

La réponse m’était venue spontanément. La nature psychologue, j’avais une certaine facilité à déconstruire les éléments de la psyché humaine. Je pouvais ainsi fournir une réponse qui, je l’espérais, l’aiderait dans son cheminement. Je préférais ça à la condescendance de conseils qui pouvaient me convenir mais entrer en contradiction avec qui il était. Dans cette optique, je m’intéressais plus à le stimuler qu’à l’enfermer derrière une vision restrictive de l’attitude à tenir. Qu’il trouve sa propre réponse, ce qui ferait plus tard sa singularité. Et singulier, il l’était déjà à sa manière. Il ne lui restait plus qu’à apprendre à canaliser son énergie.

– Des liens avec d'anciens camarades de promotion ? Eh bien…

Sur cette question, j’étais on ne peut plus gênée. À vrai dire, je n’étais pas vraiment un exemple d’intégration au sein du Gotei 13. À ce titre, Shinjiro était bien plus avancé que moi. Pour preuve, son amitié avec Daestra. Et sans doute devait-il posséder plusieurs de ces liens de confiance. Pour ma part, j’incarnais simplement une posture de Vice Capitaine. Le crédit que l’on m’accordait s’arrêtait à ma charge. Mais d’un point de vue personnel, je ne pouvais décemment pas me vanter. Ce pourquoi je montrais des signes légers de malaise. Après tout, je ne souhaitais pas forcément embêter mon interlocuteur avec ce genre de tracasseries. Au moins, je pouvais l’envier un peu.

– Oui, à ce que j’ai entendu, Daestra assume on ne peut mieux sa fonction. Je n’ai en tout cas reçu aucune plainte l’impliquant. Elle est une membre très capable du Nibantai. Et à mon niveau, c’est une charge mentale en moins. J’espère seulement trouver une occasion de mieux la connaître, autrement que dans le traitement impersonnel des missions.

C’était bien cela qui synthétisait ma distance avec le reste des membres de ma division. Le travail. Et le sujet commun de cet environnement invitait peu au relâchement. Il fallait toujours rester sur ses gardes. Se protéger soi-même envers la dureté des sujets à régler, parfois très graves voire sordides. Et puis, nous devions couramment arborer une posture qui faisait notre mauvaise réputation, à juste raison. Au point qu’entre nous, nous avions fini par éviter d’avoir un mot plus haut que l’autre. Dans ce contexte, comment apprendre à vraiment nous connaître ?

– Mais cela dit, je serais assez curieuse d’entendre ces rumeurs, si tu veux bien m’en parler ?

En effet, des rumeurs demeuraient des informations précieuses de mon point de vue. On pouvait appeler ça une déformation professionnelle, mais l’image que mon interlocuteur se faisait de nous m’intéressait au premier plan.

Y'avait du vrai dans ce qu'elle disait. Mais identifier les blocages, il l'avait déjà fais. Et le problème du Kenpachi, finalement, c'était la manière particulière d'obtenir ce grade. En un sens, ça l'arrangeait car cela prouverait qu'il était le meilleur, le plus fort. Même si on le défiait encore derrière, il savait qu'il tiendrait bon. Il n'avait pas le choix. Cependant il fallait aussi prendre en considération que les combattants de la Onzième n'étaient pas des p'tits bras pour certains. Il allait devoir se battre sérieusement pour garder le poste une fois qu'il serait entre ses mains.

Alors qu'il l'observait, il remarqua la gêne générée par la question précédente. Il se grattait la tête, légèrement anxieux. C'est qu'il n'avait pas voulu la braquer en réalité. Seulement échanger avec elle. Il oubliait seulement parfois qu'il était difficile de se mettre à la place de l'autre et qu'une question anodine pour lui pouvait avoir de plus grandes répercussions pour les autres. Tout dépendait du passé de chacun finalement.

Il ne rebondissait donc pas réellement dessus, même s'il prêtait l'oreille à son retour. Savoir que Daestra réussissait bien dans ses fonctions n'était pas étonnant à ses yeux. Elle était un petit génie, en réalité, et avait même terminé le parcours de l'Académie avec de l'avance. Une tête, la Crevette. Mais qui savait aussi se défendre, très clairement. Alors qu'elle s'interrogeait sur les rumeurs, il se détendit. Il en avait entendu quelques unes. Et - mais ça il ne le dirait pas - était aussi à l'initiative de certaines.

- Oh bien sûr, sans problème même. En fait, y'a quelques bruits qui courent. Moins que pour ceux de la 12e division, j'te rassure. Mais bon, après faut pas faire gaffe à tout ce qu'on dit hein.

Rigolo que lui tienne ce genre de discours. Seiichi était sans doute encore en train de se prendre la tête concernant les rumeurs sur la division Scientifique, il en était convaincu.

- Alors, alors... On va faire en fonction de ma mémoire, j'promets rien. Certaines rumeurs disent que :

1/ Certains des vôtres font disparaître des gens juste comme ça, parce qu'ils vous plaisent pas. Et que personne ne retrouve leurs corps.
2/ Que dans vos prisons secrètes, y'a des cadors. Du genre super connus, super méchant, super dangereux. Mais aucun nom qui traînent.
3/ Que votre capitaine passe son temps libre à picoler et qu'on le retrouve souvent ivre mort dans les poubelles.
4/ Que vous avez des passages secrets qui mènent pratiquement dans toutes les divisions. Et que vous êtes les seuls à les connaître.
5/ Que vous combattez jamais sur les vrais champs de bataille. Des ninjas qui attendent la nuit pour frapper.

Il avait énuméré les points en comptant sur ses doigts. Il en avait une ou deux autres mais il préférait attendre. Surtout que, à bien y regarder, il ne voulait pas froisser la jeune femme qui avait été super agréable avec lui. La mine penaude, il reprit doucement :

- Mais faut pas l'prendre pour toi hein. Tu sais ce qu'on dit. Une rumeur, c'comme une bonne droite dans la gueule. Ca fait mal au début mais rapidement on oublie. Puis comme j'te dis, j'ai entendu largement pire ailleurs. J'espère que ça te vexe pas en tout cas.

Après tout, ce n'était pas le but de la manoeuvre. Pas avec elle en tout cas.

J’allais donc recevoir des renseignements précieux sur les rumeurs ayant court sur ma division. Visiblement, la douzième était également bien lotie en la matière. Bien sûr, je ne partais pas pour me braquer en les entendant. Après tout, je n’étais pas de nature à perdre facilement mon sang froid. Seulement, le listing qui s’ensuivit réussit tout de même à fendre un peu mon masque. D’une, je ne m’attendais pas à ce qu’il y en ait autant. De deux, la rumeur qui courait en particulier sur notre capitaine manqua presque de me faire rire de nervosité. Heureusement, je sus garder contenance et ne rien en laisser paraître.

À vrai dire, j’étais surprise sans l’être. Un sentiment un peu bizarre. Enfin, pour préciser le truc… c’était comme si j’entendais l’avis d’un adolescent qui manquait encore de recul sur le monde qui l’entourait. Rien qui ne serait susceptible de me braquer. Ce qui ne retirait rien quant au fait que je ne sus pas quoi répondre dans l'immédiat, plus hébétée que je ne voulais l’admettre. Il fallait attendre les inquiétudes de mon interlocuteur quant à mes réactions pour que je sorte de ma légère confusion.

– Oh non, ne t’en fais pas ! J’ai cette qualité faisant que je m’énerve très difficilement ! Ou alors, un défaut ? C’est selon.

Disais-je en balayant l’air devant moi comme pour évacuer la crainte de mon vis-à-vis. Je ne voulais pas qu’il se sente mal eu égard ce qu’il me confia. N’étais-je pas celle à lui avoir demandé d’expliciter ces rumeurs après tout ? De quoi ça aurait l’air si je lui en faisais le reproche ? Rien qui n’empêche d’un peu rétablir quelques vérités.

– Si cela peut te rassurer… Non, nous ne faisons pas disparaître les gens sur le prétexte qu’ils ne nous reviennent pas. Nous-même respectons des règles et devons rendre des comptes.

Le rappel que nous étions les instruments de la chambre des 46. Pour dire les choses, je doutais un peu que ce shinigami de la Onzième soit au fait de cette nuance, quand bien même on avait dû lui indiquer plusieurs fois au cours de sa formation. Il n’était pas le genre de personne à retenir les détails.

– Alors oui, il peut se trouver de tels « cadors ». Mais sur ce point, tu comprendras que je reste évasive.

Disais-je en posant le bout de l’index sur mes lèvres souriantes, signe que je devais garder pour moi quelques secrets. Et puis, d’une certaine manière, ça stimulerait suffisamment l’imagination de Shinjiro pour un résultat amusant, non ?

– Alors… j’ignore quel rapport le capitaine Igarashi entretien avec l’alcool… mais non, on ne l’a jamais trouvé dans un tel état.

Et sur cette correction, j’eus un sourire un peu amusé à cette pensée. Était-ce une petite vengeance mesquine du géant pour un peu décrédibiliser son rival aux yeux de ses subordonnés ?

– En ce qui concerne les passages secrets… je crains que ça reste là un secret bien gardé !

Je prenais à ce titre un air mystérieux sans me mouiller sur le sujet. Si cette rumeur était répandue, alors, ça pouvait rendre les shinigamis des autres divisions paranoïaques à juste raison. Ce faisant, ils avaient tendance à se tempérer par eux-mêmes, prudents des oreilles qui pouvaient traîner dans l’ombre. De quoi réguler déjà pour partie les unités de nos armées sans que nous n’ayons à bouger le petit doigt.

– En ce qui concerne les combats, oui, nous ne constituons pas une force armée comme c'est le cas pour ta propre division. Nous avons plusieurs spécialités qui permettent ensemble de garantir l’Ordre au sein du Seireitei. Pour ma part, je suis plutôt dans le domaine des renseignements… même si à bien regarder mon quotidien, j’ai davantage l’air d’une donneuse d’ordres qu’autre chose. Je passe mon temps à rédiger des ordres de missions et avec mon écriture… autant dire que c’est parfois compliqué. À l’origine, je ne suis pas vraiment allée dans une école conventionnelle… si bien que je sens peser mon retard par rapport aux autres.

Un syndrome de l’imposteur qui me prenait souvent. Seulement, je n’aimais pas non plus me plaindre devant autrui. Si bien que je déviais rapidement le sujet de conversation sur autre chose.

– Il y a quelques temps, j’ai fait la rencontre d’Asano Shirahime. Elle fait partie de ta division. C’est une personne un peu frontale mais possédant un bon fond. Je l’apprécie beaucoup. Mais en même temps, je m’inquiète un peu pour elle. Est-ce que tu l’as déjà rencontré ?

- Une qualité que j'aimerai posséder.

Ne pas s'énerver facilement, voilà quelque chose qui aurait pu l'aider dans biens des situations délicates. Si certains de ses amis l'aidaient à "prendre du recul" lorsque cela était nécessaire, Shinjiro avait toujours eu un problème de gestion de la colère. Il le savait. L'assumait aussi. Mais ce n'était pas pour autant qu'il ne souhaitait pas un peu s'apaiser. Et si Shiori en était capable, alors peut-être aurait-il à apprendre d'elle. Loin de se croire supérieur aux autres, l'Argenté était même disposé à faire preuve d'écoute si cela pouvait l'aider.

- Et j'serai d'ailleurs pas contre des conseils à ce niveau là.

La bouée était lancée, restait à voir si elle la prendrait pour l'aider. Pour le moment, il se focalisait sur les propos de la Lieutenante. Il est vrai qu'il avait nommé les rumeurs sans prendre le moindre gant. Et s'il était la source de certaines, ce n'était évidemment pas le cas de toutes. Chaque division possédait sa propre légende, sa propre aura. En cela, la Onzième ne faisait pas exception et il se doutait qu'on était pas tendre avec eux dans leur dos. Question de logique sans doute.

Il l'écoutait donc se justifier quant aux différents points mentionnés. Le fait qu'ils ne fassent pas disparaître de personne, il était sceptique. C'était à ses yeux l'une des rumeurs les plus "évidentes". Ils possédaient le talent et la force de frappe nécessaires à l'éradication des cas problématiques en tout cas. Mais il n'était pas ici pour la contre dire.

La mention des cadors, là par contre il s'y était attendu. Et n'avait d'ailleurs demandé aucun nom. Il était normal que le secret demeure, ne serait-ce que par souci de sécurité. Il était à cheval sur ce point et ne lui ferait jamais l'insulte d'aller trop loin, même si la curiosité persistait. Parler avec elle était plaisant et à mesure qu'ils échangeaient, il appréciait de plus en plus son contact et cette aura qui se dégageait d'elle.

Le secret demeurait pour d'autres sujets et il ne pouvait que sourire alors qu'elle maintenait les zones d'ombre. C'était le jeu après tout et il ne pouvait s'empêcher de s'en amuser. Lorsque le nom de Shirahime vint sur le tapis, il reprit son sérieux. Il la connaissait. Il l'avait déjà rencontré. Et comme tout membre de sa division, il avait un devoir envers eux. Même si cette dernière était un siège élevé elle aussi.

- Shira ? Ouais, bien sûr que je l'ai rencontré.

Il observait plus attentivement les traits de Naoki Shiori. Il avait déjà eu l'expérience de personnes qui prêchait le faux pour avoir le vrai. S'inquiétait-elle vraiment ou cherchait-elle une raison de la renvoyer en prison ? Il balayait rapidement ses doutes cependant. Shiori s'était jusque là montrée respectueuse et il n'avait finalement aucune raison de douter. Et au pire, il mettrait le hola.

- Disons qu'elle se la raconte pas mal et que certains gars de la Onzième ont été un peu gavé par son comportement. On a un sentiment d'appartenance très fort chez nous. Quand on a l'impression qu'une personne est là un peu sans le vouloir, ça a tendance à faire grincer des dents. Et j'peux pas leur en vouloir. Même à moi, elle m'a quand même balancé qu'elle était chez nous mais pas par choix. Ca veut dire c'que ca veut dire quoi.

Il haussait les épaules, l'air de dire que cela ne faisait pas tout effectivement. Avant de reprendre.

- J'pense qu'elle a subi pas mal de merdes dans le passé. Du coup, elle a du mal à se fier à nous. J'trouve qu'elle est trop tournée sur elle, trop individualiste tu vois. C'pas une critique hein, chacun est comme il est. Mais ouais, déjà qu'elle est chez nous par obligation mais si en plus elle fait rien pour vraiment s'intégrer, c'est chaud quoi. J'suis partagé la concernant. J'sais pas si j'pourrais lui confier ma vie.

Très franc, il s'était montré honnête. Il aimait bien Shira mais cette dernière avait démontré un comportement étrange sur quelques sujets.

- Faut pas oublier qu'elle est Huitième siège de la division. Cela implique des responsabilités envers les autres pour moi. Mais j'aime bien cette nana. Elle a du culot. Elle assume ce qu'elle est. Juste, faut pas qu'elle fasse trop la con, surtout si ça impacte ma division.

"Ma". Shinjiro devenait possessif dès que cela touchait à l'intégrité de la Onzième et il n'aurait pas été étonnant qu'une femme tournée sur le renseignement remarque le changement de ton. La sécurité et l'honneur de ses gars comptaient plus que tout.

- Mais pourquoi tu t'inquiètes pour elle, toi ?

Nous en revenions au besoin de conseils pour tempérer ses coups de sang. La première fois, j’avais opté pour la réponse de la simplicité. Seulement, cette seconde tentative me faisait entrevoir la détresse du géant. Devais-je l’ignorer ? Quand bien même je voulais essayer de l’aider, qu’est-ce qui fonctionnait pour moi, qui pourrait fonctionner pour lui ? Nous étions différents. Opposés, même, d’une certaine manière. Malgré tout, je ne pouvais demeurer indifférente à la vulnérabilité qu’il me partageait. Aussi, prenais-je une expression réflexive, introspective.

– Tu sais, ce n’est pas comme si j’étais étrangère à la colère. Pour être honnête, plus que de la colère, j’ai une haine que je suis impuissante à chasser. Je suis faible.

Il fallait que je parte de mon expérience. À lui de saisir ce qui pouvait lui convenir. Même si en l’occurrence, je partais d’une amorce qui manquait de prudence. Probablement parce qu’à cet instant, je ne cherchais pas particulièrement à réfléchir aux conséquences de mes mots. Je songeais simplement à ces rares situations qui pouvaient me mettre hors de moi. Parmi toutes, il en était une qui ressortait naturellement. Le visage d’un homme que j’avais admiré. Un homme que je tuerais s’il devait se présenter devant moi. Peu importe ce que je lui devais. Parce qu’il m’avait volé quelque chose d’infiniment précieux. Parce qu’il avait détruit ma vie, une fois. Pourtant, je continuais de le respecter. Si bien que je me disais qu’au final, le problème venait de moi.

– Ce sentiment me dégoûte de moi-même. Je suppose que si je suis capable d’endurer tant de choses, ça ne tient qu’à ça. Sans doute, parce que je me dis qu’au fond, je le mérite.

En dépit de ces paroles, je gardais ce même sourire bienveillant sur mes traits. Comme si je ne m’écoutais pas moi-même. Comme si mes mots n’étaient là que pour chercher une réponse convenable. Quelque chose qui justifiait que la première fois, j’avais éludé la question. Que cette seconde fois, je peine à m’accorder sur un conseil qui lui serait utile.

– Pour cette raison, je doute posséder de conseils qui pourraient t’aider. Car tu es juste avec toi-même. Tu veux être juste avec les autres. Alors tu ne peux pas accepter que l’on soit injuste envers toi. Qui pourrait te le reprocher ? Certainement pas moi.

Fuirais-je son interrogation pour autant ? Ce n’était pas ma volonté. Ce pourquoi j’essayais de me mettre à sa place. Dans la position d’une personne qui ne se détestait pas.

– Si je pouvais te donner de tels conseils… ce serait d’apprendre à accepter que tu puisse avoir raison sans forcément donner tort. Tu en rencontreras toujours qui chercheront à te rabaisser, te remettre à ta place, te piéger. S’ils agissent ainsi, c’est parce qu’ils ont peur de toi. Dans ces moments où tu veux t’énerver, tu dois toujours mesurer ce que tu as à gagner et ce que tu as à perdre en cédant à la provocation. Je dirais qu’il faut savoir choisir les combats qui en valent réellement la peine.

Ces conseils s’accommoderaient-ils de son caractère ? Je l’ignorais. Mais au moins, j’avais essayé avec la plus grande sincérité. Plus j’avançais, et plus je me prenais de fendre le masque que j’avais toujours imposé entre moi et les autres. Un changement qui avait opéré depuis ma rencontre avec Shirahime. Et lorsque Shinjiro me dit qu’il la connaissait, il verrait à mon expression un intérêt authentique pour cette personne que je ne devais pas estimer comme une personnalité à surveiller du fait de ma position au sein du Nibantai. Elle était la seule personne que je considérais comme une amie. Et je m’inquiétais que son passé ne la sorte de ma vie.

– Oh… je la sais posséder un sacré caractère. Ça, oui…

Réagissais-je avec une ombre d’amusement. Après tout, j’avais pu le constater le jour où je l’avais convoqué pour une bagarre ayant mal tourné. Depuis, beaucoup de choses avaient bougé. Parce que j’avais accepté de l’écouter. Elle que l’on avait toujours ignoré dans sa détresse. De cette manière seulement, elle était disposée à faire des efforts. Quant au jugement que le colosse lui portait, je le trouvais une fois de plus juste. De quoi me conforter dans l’impression qu’il m’avait laissé jusque là. Je le rejoignais sur de nombreuses observations. Quelques soucis étaient relevés. Des soucis qui pouvaient être problématiques si Shirahime ne cherchait pas à se corriger. Seulement, à ce sujet, je voulais être confiante. Pourquoi je m’inquiétais pour elle ?

– Parce qu’elle est importante pour moi. Shirahime connaît mieux que personne ce sentiment d’injustice qui prend aux tripes. Ça fait qu’elle doit composer avec une colère sans fond. Parce qu’on lui demande de faire attention aux autres alors que personne ne s’est jamais soucié d’elle. C’est égoïste, mais c’est honnête. Et on ne peut pas lui en vouloir pour ce qu’elle a vécu. Je voudrais qu’elle voit que ses blessures ne laissent pas indifférent. De cette manière seulement, ses plaies pourront cicatriser.

Ce qui la motiverait à faire à son tour un pas vers les autres. Ce qu’elle avait fait pour moi. Simplement parce que j’avais accepté de l’écouter sans chercher à la juger. Je voulais qu’elle le saisisse avant que sa colère ne soit prise pour argent comptant aux yeux des autorités du Gotei 13. Ceux-là même qui voulaient nous rabaisser, nous remettre à notre place, nous piéger. Parce que nous leur faisions peur. Dans cette réflexion, je me prenais d’une réalisation.

– Hm, je dirais que la colère s’estompe d’elle-même lorsqu’on se sait accepté par ceux qui comptent vraiment pour nous. C’est ce que je veux offrir à Shirahime.

Ce qu’elle ne pouvait pas m’offrir à son tour. Parce que je n’avais pas en moi de la colère. Seulement de la haine. Une haine que j’endormais derrière une bienveillance empreinte d’empathie.

Choisir ses combats. En entendant ces derniers mots, Shinjiro ne put s'empêcher de penser à Kamui. Son père adoptif lui avait souvent dit ces choses là par le passé. Mais trop jeune, trop impétueux, il n'y avait jamais réellement prêté attention. L'entendre de nouveau le ramenait forcément quelques années en arrière. Il avait mûri évidemment. Mais aujourd'hui encore, il se savait trop impulsif pour pouvoir prétendre comprendre ce conseil. Il en discernait mieux les contours néanmoins. Il adressa un sourire sincère à la jeune femme.

- Mon père m'a souvent dit ça. Pour être franc, je l'écoutais pas vraiment à l'époque. J'comprenais pas trop, tu vois. C'est un peu différent aujourd'hui.

Oui, il allait devoir apprendre à moins réagir à ses émotions les plus vives. Le problème, c'est qu'elles faisaient partie intégrantes de sa personnalité. Elles étaient "lui". Il pouvait se dominer mais oublier sa nature était trop difficile. Il prenait toutefois en compte la remarque, cherchant réellement à s'améliorer. S'il n'essayait pas, comment dire que cela ne pouvait pas marcher ?

La suite évidemment tournait autour de la personnalité mentionnée par Shiori. Shira, comme il l'appelait, avait démontré une nature très rebelle. S'il ne trouvait pas ça problématique - lui même n'était clairement pas un modèle dans ce domaine - il avait seulement mentionné ne pas avoir apprécié sa nature désinvolte à l'égard de ceux qui appartenaient désormais à sa famille. C'est ainsi du moins que lui voyait les choses. Et si l'on ne pouvait forcer une personne à s'acclimater, il fallait tout de même faire preuve d'un minimum d'efforts pour s'intégrer quand on avait un poste à responsabilité.

De ce qu'il entendait, la situation était toutefois plus grave qu'elle n'y paraissait. Il comprenait cette notion de colère et de jugements et en ce sens, sans doute que Shira avait eu la chance d'arriver à la Onzième. On jugeait moins les autres au sein d'une division déjà au coeur des critiques après tout. Mais celle qui l'étonnait un peu plus, c'était Shiori. Elle aussi semblait en proie à un passé complexe. Son instinct le lui criait. Mais il n'était pas ici pour la cuisiner.

- Je comprends. T'as l'air d'être une véritable amie pour elle. J'espère que ça pourra l'aider. Parce qu'il serait dommage que cette colère, ce doute, elle s'en serve pour s'exclure elle même. Si j'ai appris une chose de mon propre passé, c'est que tu peux pas aider quelqu'un qui veut pas l'être. J'sais bien. Ca a l'air tout con quand j'le dis comme ça mais j'te jure que c'est vrai.

Il avait été dans ce cas. Il avait rejeté les mains tendues. Avant de se retrouver dans une situation telle que le choix s'était imposé de lui même. La mort. Ou changer soi même. Son envie de vivre ayant toujours été très fort, il avait pris sur lui. L'homme d'aujourd'hui n'avait plus rien à voir avec le gamin de l'époque.

- Y'a juste un truc qui m'échappe. Tu m'dis que tu connais la colère. Que tu connais même la haine et que cela t'impacte de fou. Comment peux-tu aider Shira si toi-même t'es pas en paix ? T'as pas peur que cela rajoute de l'herbe sur l'incendie ?

Ah. Encore un problème d'expression non ? Mais la logique implacable de Shinjiro était en marche alors il ne prêtait plus attention à ceci.

- Qui va t'accepter toi ? Qui peut apaiser cette haine ? Tu sais quoi... J'te connais pas vraiment, première fois que j'te croise toussa. Mais j't'aime bien. Tu m'as pas jugé direct. Tu parles avec moi alors qu'on est pas pareil. J'sais bien qu'on peut pas savoir à qui on parle au premier regard. Mais moi, j'me fie à mon instinct. Si t'as besoin, sache que par chez nous, on juge pas les autres si facilement. Si un jour t'as juste besoin de souffler, viens bouffer à la Onzième. J'connais pas meilleur remontant que ça !

Il semblait que mes mots ne tombaient pas dans l’oreille d’un sourd. Et rien ne pouvait plus me rassurer, quand bien même je me doutais que ça ne l’aiderait probablement pas énormément. J’avais essayé de me mettre à sa place sans forcément savoir ce que ça faisait de vivre avec ses problèmes. Concernant Shirahime, je partageais son observation, sa crainte.

– Ce n’est pas con. C’est juste. Et dernièrement, j’ai été soulagée de constater qu’elle voulait être aidée. Ce pourquoi, je suis confiante, même si je sais que c’est encore fragile.

Ce pourquoi je demeurais vigilante. Un rien pouvait gâcher tous les efforts réalisés et replonger mon amie dans ses tourments les plus enfouis. Ce que je voulais éviter à tout prix. Quitte à m’oublier un peu. Ce que justement, mon interlocuteur interrogeait, plutôt circonspect sur ce point. Une remarque simple qui me fit l’effet d’un coup de poing dans la tempe. J’étais momentanément confuse. Ce qu’il disait, je n’y avais encore jamais réfléchi, comme le révélait le silence s’imposant alors. De quoi donner au géant l’espace pour continuer sur sa lancée.

Des mots blessants. Qui me saignaient à vif. Et si je cherchais à le cacher, Shinjiro finirait bien par sentir que quelque chose clochait dans son attitude. Il venait de mettre le doigt dans une blessure qui n’avait pas fini de cicatriser, malgré lui. Et ça faisait mal. Ça faisait mal alors que justement, il ne cherchait pas particulièrement à blesser, bien au contraire. Finalement, à son invitation, je lui souriais en fermant momentanément les paupières, comme pour cacher autant que faire se peut les perturbations qui agitaient mes pensées.

– Haha… Oui, je pense multiplier les raisons de venir visiter la Onzième division. D’abord, Shirahime. Maintenant, toi. Je pense que ça me changera les idées. Tu as raison !

Le sourire forcé, je cherchais tant bien que mal à ne pas inquiéter. J’étais en tout cas sincèrement motivée à passer dans ses quartiers pour des raisons autres que seulement professionnelles. J’avais cruellement besoin de me détendre.

– Je suis désolée… J’ai mes contradictions et, pour être honnête, ce n’est pas comme si j’avais encore trouvé de réponses satisfaisantes. Je… Là, comme ça, j’ignore quoi répondre. Si ce n’est que oui, je serais heureuse de venir vous rendre visite.

De quoi annoncer une conversation plus apaisée dans un contexte où nos deux divisions ne cherchaient pas simplement à se défier mutuellement.

Il n'était pas rare pour le colosse de blesser les gens. Souvent volontairement, parfois sans le faire exprès. Sa faon de parler simplement, son ton incisif quand il le fallait ou simplement sa répartie qui était devenue légendaire dans certains cercles, il était à même de déstabiliser n'importe qui.

Et ici, à en croire la réaction contenue de Shiori, il avait fais mouche. Sans le vouloir, il avait certainement insisté sur le domaine qu'il ne fallait pas. Intérieurement, il se mit une grande baffe dans la tronche. Face à quelqu'un qui l'avait accepté sans trop de problème, voilà qu'il risquait de tout foutre en l'air avec de la psychologie de bas étage. Quel idiot. Il se fit un peu plus sérieux alors qu'il observait la jeune femme.

Elle paraissait prendre sur elle et alors qu'elle lui répondait enfin, il comprit qu'il ne devrait pas reparler de ce fait à l'avenir, sauf si elle l'y invitait. Il gardait pour lui ses excuses néanmoins, afin de ne pas montrer qu'il avait perçu son trouble. C'est qu'il savait faire preuve de compassion quand il l'estimait juste et nécessaire. C'était clairement le cas ici.

- T'inquiète, cette réponse me suffit. Et t'as pas à t'excuser, c'plutôt moi qui doit apprendre à fermer ma gueule de temps en temps. En tout cas, tu seras toujours la bienvenue, tu peux en être sûr.

Qui trouverait à y redire après tout ? Il était le plus haut gradé de la division et Shirahime était deux places derrière lui. Les autres n'iraient jamais contre leur décision sous peine de se faire déglinguer. Car ni Shira, ni Shinji n'étaient réputés pour être les plus patients de la Onzième. Une force de frappe terrible qu'il ne fallait pas provoquer.

- Tu sais quoi, maintenant que l'invitation est lancée, j'vais m'casser. J'vais pas prendre le risque que tu reviennes sur ta décision de venir si on continue de parler comme ça.

Il lui adressait un clin d'oeil, histoire de lui montrer qu'il plaisantait à moitié sur ça.

- Puis en vrai, j'crois que j'ai assez traîné de c'côté là pour un temps. J'espère vraiment par contre que j'aurai l'occaz de discuter encore avec toi. J'ai vraiment kiffé, tu sais. Et promis, j'garderai un oeil sur Shira. J'vais essayer de l'aider, à ma manière !

Il lui adressait son plus beau sourire alors qu'il amorçait déjà la fuite vers un autre quartier. Si elle avait encore des choses à lui dire il l'écouterait, forcément. Mais il était temps pour lui de ne plus trop attirer l'attention.

[Ce sera mon dernier post ici]