behind the curtains (miyu)

Il t’arrive parfois de porter un certain jugement vis-à-vis du recrutement de Tempérance. Pas que tu doutes d’elle, elle a très certainement l’expérience et les capacités de choisir de bonnes personnes pour rejoindre vos rangs, seulement… Seulement que voilà, ta dernière rencontre avec l’un de ceux étant passé dans vos laboratoires pour ensuite intégrer l’organisation t’a laissé une mauvaise impression, suffisamment pour vaguement te poser la question quant aux critères de sélections pour ces personnes. Suffit-il simplement d’être volontaire ? Car de toute évidence, un diplôme n’est pas nécessaire, l’éducation non plus. Un test de compétences ? Mais lesquelles ?

Un peu hypocrite, tout de même, comme façon de penser.
N’étais-tu pas seulement une jeune étudiante en cruel besoin d’argent ?

Dans tous les cas, ça t’a amené à te pencher avec un peu plus d’intérêt sur ces individus. Ces Fullbringer qui le sont devenus dans vos laboratoires. Des gens comme toi, finalement, bien qu’il t’apparaît évident que le procédé est beaucoup plus rapide aujourd’hui qu’il l’était à l’époque. Tu as fait partie des premiers essais, tu as subi de nombreux tests avant d’atteindre le résultat escompté et, depuis, ils ont eu le temps de perfectionner le procédé. De le rendre plus facile, plus accessible, moins difficile sur le corps…

Peut-être pour ça, finalement, qu’ils prennent un peu n’importe qui.
Bon ok, t’es mauvaise langue.

Serizawa Miyu. Récemment recrutée au sein de l’organisation et ayant plus récemment encore rejoint ta section. Six of Cups, donc, que tu ne peux pas vraiment te targuer de connaître, toi qui d’ordinaire t’efforce tout de même à en apprendre un peu plus sur toutes les personnes qui se retrouvent sous ta supervision. Étant l’une des plus anciennes Cups, autrefois simple membre, aujourd’hui Jack, tu trouves important de savoir à qui est-ce que tu as à faire.

Tant pis pour ce que tu as encore à faire avant ton départ pour le Hueco Mundo, tu trouves important d’avoir au minimum une discussion avec elle avant de traverser de l’autre côté du portail. Tu n’auras qu’à travailler plus tard ce soir, peut-être même couper un peu dans tes heures de sommeil. Rien dont tu n’as pas l’habitude. Tu demandes donc à un collègue, un autre Cups, de te l’envoyer, si jamais il l’aperçoit dans les couloirs de votre section, envoyant aussi un courriel à la concernée, au cas où. De quoi t’assurer qu’elle sache que sa présence est demandée dans ton bureau.

Rien de bien important, qu’une discussion quelconque. Rencontre de courtoisie.
Juste pour en savoir un peu plus sur qui peut-elle bien être.

Je me trouvais dans les archives de la section des Cups. Sur place, je m’efforçais de rattraper mon retard. Car tout récemment intégrée au rang des chercheurs, j’ignorais trop d’éléments qui me permettaient de parfaitement cerner l’ordre que j’avais rejoint. Ça avait été mon premier objectif. De prendre pied là où ces informations précieuses me seraient accessibles. Dans le même temps, je me renseignais sur l’état de l’art. Ce que les scientifiques avaient pu concevoir jusqu’à maintenant. Et pour dire la vérité, j’étais stimulée. Rien à voir avec les innovations risibles des startups qui pullulaient au sein de l’incubateur que j’animais avec d’autres business angels.

Pour ma part, si j’avais de bonnes bases intellectuelles, j’étais avant toute chose une femme d’affaire. Comme d’accoutumée, il m’avait fallu trouver les bons contacts et graisser la patte de décideurs suffisamment haut placés dans la hiérarchie pour me voir dégoter cette place privilégiée. Je savais posséder les compétences. Seulement, je détestais perdre mon temps dans d’inutiles formalités. À présent, je comptais parmi les actionnaires de l’Ultima Necat. Ce qui ne suffisait visiblement pas pour que j’occupe directement une place de commandement. Les cadres avaient déjà été trouvés. Charge à moi à présent d’évaluer s’ils méritaient leur place. Dans le cas contraire, je couperai la tête du serpent pour m’y substituer, comme j’avais l’habitude de le faire.

Sur la table, je sentis soudainement la vibration de mon smartphone. Une notification. Un mail. Celui de la supérieure qui avait d’évidence récupéré mon contact. Ce message tombait à pique, songeais-je en en lisant le contenu. Ikeda Hanae. L’occasion pour moi de mieux cerner celle qui rejoindrait le rang des idéalistes ou des pragmatiques. Des déchets ou des faiseurs de miracles. Rangeant mon téléphone dans ma poche, j’en faisais de même pour les archives que j’avais réuni devant moi.

Cette chose faite, je bipais mon passe pour signaler au système ma sortie. Après quoi, je me mis en marche afin de rejoindre le bureau de cette femme. Étais-je nerveuse ? Loin s’en faut. S’il était une personne qui serait évaluée, ce ne serait pas moi, mais elle. Quand bien même je me prendrais de jouer le jeu. Car cette situation ne pouvait être résumée qu’à ça : un jeu.

Frappant à la porte, j’entrais pour découvrir l’apparence d’une jeune femme à la silhouette fluette, les cheveux longs de jais qui descendaient jusqu’à mes cuisses comme des rideaux. J’étais habillée d’un costume blanc sur-mesure. Une broderie dans la poche avant de ma veste. Une cravate enserrant mon col soigneusement disposé. Pas un pli sur ma tenue qui devait coûter le salaire annuel d’un honnête travailleur. Sur place, je considérais celle qui serait amenée à être mon interlocutrice. Le pas franc, je m’avançais en sa direction jusqu’à arriver à sa portée. Puis, je lui découvrais la paume de ma main gantée. Je détestais plus que tout le contact direct de la chair, ce pourquoi j’avais recours à ces accessoires.

Pour autant, sur mon expression, pas l’ombre d’un mépris. Je montrais le masque parfait d’une personne affable. Ma main ouverte se voulait traduire ma résolution de soumission à son encontre, attendant qu’elle scelle cette relation inégale en la serrant. Le sourire hypocrite, je me présentais.

– Vous devez être ma supérieure, Ikeda Hanae. Je suis Serizawa Miyu, votre obligée. Enchantée !

Le regard perçant, je sondais déjà le moindre de ses gestes, comme pour la jauger. J’avais une attitude subtilement ambiguë, si bien qu’il était difficile de deviner le fond de mes pensées. Je n’étais pas de nature à être lue comme un livre ouvert.

– Vous avez souhaité me rencontrer, si je m’abuse.

Le message envoyé, tu évites de quitter ton bureau. Après tout, sans heure précise d’indiquer, lui ayant simplement mentionné de se présenter dès qu’elle verrait ce message et en aurait l’occasion, tu préfères rester ici plutôt que de rejoindre les laboratoires. Pas que ce soit réellement embêtant, tirant devant toi ta tablette pour matérialiser sous tes yeux tes derniers prototypes. Ayant commencé à t’intéresser à ces radios permettant de communiquer entre les mondes, tu n’as que très peu de temps pour parvenir à en créer un exemplaire plus portatif que la grosse caisse que t’a présenté Recca. Pas impossible, rien ne l’est jamais, mais tu as conscience du défi que ça représente.

Peut-être ce pour quoi le projet te passionne autant.
Pourquoi tu ne dors presque plus depuis quelques jours déjà.

Des coups à ta porte, tu éteins l’appareil devant toi sur lequel tu accordais toute ton attention jusqu’à maintenant avant de lui dire de rentrer. Et il te suffit que d’un regard sur le visage peu familier qui se présente à toi pour identifier celle que tu as invité dans ton bureau. Une bonne chose pour elle, elle ne semble pas avoir perdu du temps. Tu ne lui en aurais pas voulu d’être arrivée plus tard, pour peu qu’elle ait une bonne raison à te présenter, mais ce n’est pas plus mal, tu trouves, que de la recevoir maintenant.

Tu te lèves alors de ton siège, derrière ton bureau, pour attraper la main qui se présente à toi et la serrer. - Enchantée, Serizawa. Polie, alors que tu lui indiques le siège qui te fait face pour qu’elle y prenne place. Tu l’observes, détailles la personne qui se trouve devant toi, ta tenue faisant sans doute pâle figure devant elle. Pantalon sombre, sobre, une chemise sans cravate, le tout t’ayant sûrement coûté pas très cher il y a de ça quelques années déjà.

Tu ne t’es jamais intéressée à la mode.
Tout comme tu n’as jamais vraiment eu d’argent à dépenser, avant aujourd’hui.

- Oui, exactement. Avec un sourire qui se veut courtois à son égard, tandis que tu ranges ta tablette et les quelques documents qui se trouvaient encore devant toi. - J’aime bien rencontrer ceux avec qui je vais être amenée à travailler. Les Cups, donc. Ta section. Celle sur laquelle tu veilles avec beaucoup d’attention, dévouée comme tu es à l’organisation. - Tout comme j’aime bien m’assurer que l’adaptation des nouveaux Fullbringer se passe bien. Car ça tu l’as bien lu, dans son dossier, l’acquisition récente de ses pouvoirs. - Pas trop de difficulté à vous y faire ? Que ce soit à ses pouvoirs, à toutes les nouvelles informations, découvertes… À sa nouvelle position ici, aussi.

Une question que tu veux assez ouverte, qu’elle puisse elle-même amener le sujet dont elle voudrait bien parler.

Je la détaillais discrètement de haut en bas. Et forte de cela, déjà, je m’interrogeais. Le salaire des cadres au sein de l’Ultima Necat était-il si misérable pour justifier un accoutrement aussi cheap ? À moins que ce ne soit que mon interlocutrice qui soit négligée, à voir. Enfin, je cernais en tout cas le profil décontracté qui ne devait pas voir l’intérêt à consacrer du temps sur les apparences. Serait-elle aussi brouillonne dans sa gestion pour autant ? La certitude était déjà que ma vis-à-vis perdit quelques points avant même de faire un geste. Mais rien pour le moment de vraiment rédhibitoire. Elle avait accepté de me serrer les mains et m’invitait après coup à m’asseoir.

Au moins, elle n’avait pas les manières d’un animal. De cela, je pouvais au moins me réjouir. Pour autant, difficile pour moi de la dissocier de l’archétype d’une jeune pousse de l’entreprenariat qui n’attendait que d’être pressée comme un citron avant de disparaître dans l’oubli. Encore que j’avais connu quelques grands dirigeants qui jouaient précisément sur cette décontraction pour mieux attraper leurs collaborateurs dans le creux de leur paume. Enfin, en règle générale, ceux-là avaient une poigne ferme et ici, elle était bien trop normale pour traduire ces tendances dominatrices, quand bien même je lui avais tendu la perche pour me dérouler ce petit jeu.

Prenant place sur ma chaise, je l’écoutais me servir le speech qu’elle devait répéter à toutes les nouvelles recrues qui passaient dans son bureau. Évasive dans sa question, je vis bien quels avantages mon interlocutrice pouvait en tirer. Et puis, il y avait également ce détail subtil montrant qu’elle avait fait ses devoirs en épluchant mon dossier. De premiers bons points.

– Non.

Une réponse sommaire pour tester sa réaction au signe que je ne me contenterais que de cela pour lui refuser le droit de mieux me cerner a contrario. Ce pourquoi, je laissa traîner un léger flottement avant de finalement reprendre.

– Si je suis là, c’est parce que je l’ai décidé. Si je suis là, c’est parce que mes efforts ont mené à ce résultat. Si je suis là, c’est parce que je possédais les capacités de ma position. J’ai gagné ma place. Je récolte à présent ce que j’ai semé. Et entre nous, cela faisait longtemps que je n’avais pas été autant stimulée par des mystères qui commençaient à me manquer !

Je jouais le jeu d’une personne qui n’avait jamais rencontré de vrais obstacles dans sa vie. Une fille bien née dont les facilités pouvaient froisser une personne qui s’était battue pour ramasser des miettes. Je me tentais à cette hypothèse pour forcer ma vis-à-vis à me dévoiler des signes plus tangibles de sa personnalité. À cette fin, sortais-je de mes affaires un paquet de cigarette sans considérer le lieu où nous nous trouvions. La cigarette fine au bec, j’eus une œillade vers ma supérieure. M’arrêtant dans le geste de mon briquet, je sortis au tiers une autre cigarette de son étui pour la tendre vers Ikeda.

– Vous fumez ?

Pour l’heure, je me retenais d’allumer ma cigarette. Je jouais sur le fil et mesurais les limites de cette femme.

Une réponse fermée à ce qui était pourtant une question ouverte. Tant pis, que tu te dis. Tu aurais tout le loisir d’en apprendre plus un peu plus tard. Et si elle n’en dit pas plus ? Et bien, tu aurais au moins en partie les informations que tu es venue chercher, en l’invitant ici. C’est-à-dire d’en savoir un peu plus sur le genre de personne qu’elle est. À première vue, tu dirais discrète. Soignée. Distante ? Peut-être bien. Toi-même tu l’es, bien que tu forces une certaine chaleur. C’est mieux, que tu as appris, pour entretenir de bonnes relations avec tes collègues.

Pour avoir un semblant de compétences sociales.
Tu t’y es fait, avec le temps.

Finalement, tu n’as pas besoin d’insister, de poser d’autres questions, pour qu’elle t’en dise plus. Le mérite ? Oui, sans doute. C’est ainsi que toi aussi tu aimes voir les choses, que les efforts finissent toujours par payer. N’est-ce pas ainsi que tu as toujours vécu ? De cette façon que tu es parvenue à atteindre ce poste au sein de l’Ultima Necat ? Après tout, la vie n’a pas été spécialement tendre avec toi et la main que tu as tirée à ta naissance n’avait rien de chanceuse. Ça ne t’a pourtant pas empêché de te démarquer. De faire tes preuves. Tu gardes alors ton sourire, répondant par un hochement de tête trahissant une certaine empathie pour son discours.

- Tant mieux si vous avez de l’intérêt pour nos projets. Est-ce ce qui vous a motivé à rejoindre l’organisation ? À nouveau, tu l’invites à s’exprimer un peu plus. À te parler de ce qui l’a amené jusqu’ici. De la route qu’elle a prise, de ces efforts qui l’ont mené à ce résultat, comme elle te l’a si bien dit. Tu es curieuse, la concernant. Curieuse d’en savoir un peu plus sur l’esprit qui se cache derrière ses prunelles rougeoyantes.

Ce pour quoi tu continues de l’observer tandis qu’elle sort un paquet de cigarettes. Tu retiens un claquement de langue agacé, te contentant de secouer doucement la tête de droite à gauche à sa question. - Non. Et la cigarette n’est pas permise dans mon bureau, ni dans les couloirs des Cups. Déjà parce que tu détestes l’odeur, mais pas que. - Il pourrait être dangereux de fumer si près des laboratoires, vous comprendrez. Dangereux tant pour vous que pour les expériences menées. Tu préfères simplement éviter que quiconque fume dans les environs. Dans leur quartier personnel ? Ils peuvent bien faire ce qu’ils veulent.

Ici ?
Absolument pas.

À son attitude, je sentis qu’elle se serait parfaitement accommodée de mon manque de coopération. Ce petit détail à lui seul était déjà très instructif sur l’expérience qu’elle avait tiré de sa position. Et alors que je m’étais engagée dans une entreprise qui aurait eu raison de l’agacer, elle se contenta sobrement de me rappeler les règles d’usage. Ce à quoi, je ne me ferais pas prier, rangeant mes cigarettes sans montrer de mauvaise volonté. Après tout, un excès de laxisme n’aurait eu d’effet que d’asseoir solidement mon mépris et partant de là, j’aurais été la plus impliquée pour incarner la nuisible que de nombreuses personnes avaient appris à détester.

– Bien entendu. Vous avez raison. Je dois encore me familiariser avec le règlement en vigueur. Vous ne m’y reprendrez plus.

Par ces mots, je feignais la posture d’une jeune recrue encore inconsciente des règles à observer dans cette section de l’Ultima Necat. En parallèle, je révisais un peu le jugement que je me faisais alors sur mon interlocutrice. Elle n’était pas de nature à se relâcher, contrairement aux apparences. Une personne consciencieuse qui n’était pas arrivée ici par hasard. N’était-elle qu’une exécutante pour autant ?

En ce qui concernait sa question, je réfléchis un moment à la réponse que je pourrais lui formuler. D’évidence, cette femme n’était pas de nature à baisser sa garde si facilement. Il me faudrait du temps pour apprendre à la cerner. De quoi me motiver à recourir une stratégie moins frontale que celle que je servais usuellement pour identifier les incompétents.

– Je n’apprécie pas de m’investir dans des entreprises convenues. J’aime quand l’action porte. Et pour être parfaitement honnête, je commençais à déplorer les limites de mes moyens dans les jeux de pouvoir officiels. Là-haut, les hommes ne sont gouvernés que par des intérêts égoïstes et court-termistes. Ici, j’ai entraperçu qu’il pouvait en être autrement. Sur la papier, vos projets sont révolutionnaires.

J’offrais à ma vis-à-vis des indices qui lui permettaient de mieux cerner mon profil. Puisqu’elle semblait adapter son jeu à la personne en face, alors, je devais partir de moi pour espérer éveiller quelque chose de plus intéressant que le jeu de la bienséance.

– En pratique, il demeure malgré tout des verrous qui ne sont pas simplement technologiques. Je parle des shinigamis. De mes lectures, j’ai pu relever qu’ils décidaient de tout, y compris sur terre. Un constat qui m’a interpelé. À présent que l’humanité s’est constituée une organisation plus avancée, devrait-on encore accepter qu’ils continuent de décider pour nous ?

Mon regard fiché dans celui d’Ikeda, je cherchais à la sortir de sa posture de spectatrice. Possédait-elle une vision ?

– Qu’en pensez-vous ?

Au moins tu n’as pas à insister, un bon point. Tu peux comprendre que certains y soient accros, à la nicotine, mais ce n’est pas pour autant que tu la tolères dans les couloirs de ta section. Tant pis si certains en sont incommodés. - Ne vous en faites pas, ce n’est rien. Tu apprécies tout de même sa considération, lui faisant savoir d’un sourire qui se veut agréable. Tu es aimable, voir même rassurante. Il n’y a pas de mal, qu’une faute anodine rapidement corrigée. Tu n’allais pas lui en vouloir pour si peu.

Tu te montres ensuite patiente, gardant le silence pour lui laisser l’occasion de parler. Pour en savoir un peu plus sur ce qui l’a amené ici. Au sein de l’organisation, mais pas que. Pourquoi les Cups, précisément ? Elle ne te donne pas l’impression d’être une scientifique, or, tu ne sais pas encore s’il s’agit là que d’un jugement rapide ou si tu as bien supposé, de ces quelques phrases échangées avec elle. Et la suite te renforce un peu dans cette idée, lorsqu’elle te parle de jeux de pouvoir, de ces hommes bien placés, de toutes ces choses finalement que tu ne connais pas. Avec lesquelles tu n’as absolument aucune expérience.

Tu n’es qu’une fille de campagne.
Qu’une ingénieure qui n’a jamais eu à interagir avec tous ces gens.

Si tu es en poste, ce n’est pas pour tes compétences sociales, ni pour une quelconque aisance à travailler avec ceux se croyant puissant de par un pouvoir que tu dirais factice. Si tu es ici aujourd’hui, c’est par ta présence d’esprit, par tout ce que tu as pu apporter à l’organisation, par les résultats obtenus. - Là est tout l’intérêt de l’organisation, encore plus de notre section. De faire la différence. Que les actions portent, donc, dans cette guerre contre l’invisible. De tout mettre en place pour avoir un poids conséquent, contre ces derniers.

D’être suffisamment forts pour pouvoir y faire face seuls. Aptes face à la menace pour que plus personne ne vienne mettre les pieds sur votre territoire. C’est ce que toi tu penses, la source de ce qui motive tes projets. N’est-ce pas ton objectif, que de jouer avec les limites de l’Homme ? D’aller toujours un peu plus loin, pour voir jusqu’où est-ce que l’humanité peut aller ? Pour ainsi rivaliser avec ceux qui ne le sont plus, humains ?

- Je pense que, pour le moment, ils possèdent toujours plus de connaissances que nous, concernant les menaces que nous affrontons. Pour le moment, qui est important à retenir dans ce que tu dis. Parce que tu as l’intention de faire en sorte que les choses changent. Que tous cessent de venir ici, chez vous, presque comme si vous n’existiez pas. Comme si vous n’étiez que pions pour ces derniers, au centre d’une guerre dans laquelle vous n’êtes que de vagues figurants. - Il y a encore beaucoup de choses que nous ne savons pas, que ce soit les concernant. Les Shinigamis. - Ou encore concernant les Hollows. Une menace qui s’est révélée à toi il y a déjà quelques années de ça. Une menace invisible aux yeux de l’humain lambda. - Et tant que nous serons encore dans l’ignorance, il sera difficile de vraiment déterminer où se trouve notre place, dans tout ça. Sur ce grand échiquier sur lequel se trouve désormais aussi l’humanité.

Raison de plus pour jouer avec ces limites.
Pour vraiment s’imposer, sur cet échiquier.

- Ce pour quoi nos recherches sont aussi importantes. Comme le démontrent les grandes découvertes que nous avons faites sur l’énergie spirituelle, ces dernières années. Sur son utilisation, notamment. Sur la façon de la percevoir. De s’en protéger, aussi. D’attaquer, pour ne pas rester que passif. - J’en comprends donc que ce n’est pas l’aspect technologique qui vous intéresse le plus ?

Une question sur le ton de la conversation.
Et toi, qu’en penses-tu ?

S’il était une qualité que je pouvais bien accorder à cette femme, c’était qu’elle ne se révèle pas chiante pour rien. Combien en avais-je rencontré qui se faisaient une passion de l’enculage de mouche ? Moi-même, je pouvais posséder ce défaut. Plus pour challenger mes interlocuteurs qu’autre chose, à vrai dire. Car c’était là mon métier. De faire ressortir les limites de la réflexion que la personne en face pouvait m’exposer. Mais considérais-je à la fin que les détails soient si importants ? Non, ils n’étaient qu’un instrument de la rhétorique. Et au final, je m’embarrassais peu des détails quand je me prenais d’imposer mon choix.

Pour un peu, en présence de cette supérieure, je me sentais à l’aise. Quelque chose que je jugeais dangereux, car elle me prenait à mon propre jeu. Celui d’émousser mon attention. Pour cette raison, ma méfiance se renforçait à son encontre. Bien que de visu, je ne lui montrais qu’un sourire fabriqué de toute pièce. Et comme si ça me tuait de l’entretenir, je repris rapidement cette expression de neutralité qui me caractérisait bien.

Quand arriva le moment de l’écouter m’évoquer sa vision, je serais la plus attentive. Faire la différence ? Une façon de voir bien naïve. En effet, j’étais bien placée pour savoir qu’à la fin, ce n’était pas les scientifiques qui décidaient de la marche à suivre, ni de comment leurs recherches seraient valorisées. Ils n’étaient que des ressources intellectuelles. Rien de plus. Seulement, mon interlocutrice semblait vouloir aller contre ça. D’accord, mais à quel prix ?

Comme pour relativiser cette audace, je l’observais jouer son numéro de flûte. Comme ça, nous devrions nous tenir en retrait, parce qu’ils en savaient davantage ? Et quoi ? Ils seraient plus légitimes ? Décidément, ces concurrents de cet autre monde qu’ils appelaient « Soul Society » avaient bien imposé leur ethos. Ce que je ne percevais que telle une construction bonne qu’à affirmer leur domination. La définition même de dinosaures. À ce titre, j’étais plus radicale dans ma position. Encore que dans le vocable de la Jack of Cups, il apparaissait que ce n’était là qu’une phase de transition. Croyait-elle alors à ses propres mots ? Cela, je devrais bientôt l’identifier. Mais avant, il me fallait compléter ses connaissances sur mon profil.

– Détrompez-vous. Même si ma plus grande force repose sur ma fortune, elle n’aurait toujours fait que stagner si je ne maîtrisais pas le sujet. Je sais faire la distinction entre l’innovation et le charlatanisme. À l’origine, j’ai étudié dans la biotechnologie. Et s’il est vrai que je suis devenue business angel, ce n’était que pour m’entourer des plus éminents chercheurs en vue de parfaire mes connaissances. Je mène mes propres recherches, même si avec l’expérience, j’ai appris à déléguer les tâches les plus fastidieuses.

À comprendre là, tout le protocole à la source de la méthode scientifique qui était on ne peut plus chronophage. Et de temps, je n’en avais pas à perdre. Alors oui, je n’étais pas la plus fervente praticienne, mais j’avais suffisamment affirmé mon jugement pour pousser les études vers la bonne direction. Simplement, les détails, je les réservais aux petites mains. Comme les membres des Cups en comptaient souvent. À ce titre, je trouvais là une mine d'or de main d’œuvre pour concrétiser quelques uns de mes projets. Même si, à la vérité, j’étais plus intéressée par ces trouvailles révolutionnaires dont j’avais parlé et qui n’étaient pas de mon ressort.

– Maintenant, si vous voulez mon avis, il faut expérimenter. Quitte à casser des œufs. Et si les shinigamis peuvent représenter un obstacle à ça, alors il faut se préparer à lever le verrou. Peu importe les moyens. Autrement, notre monde brûlera. C’est une question de survie. Il n’y a pas le temps d’hésiter.

Au final, je m’étonnais à découvrir si aisément mon jeu. Était-ce parce que les mots de mon interlocutrice m’avaient laissé entendre qu’elle pouvait être sur la même longueur d’onde ? Si elle voulait se constituer en frein, alors, elle serait une ennemie. Mais si elle me rejoignait sur ma vision, je pouvais être sa meilleure alliée.

– J’ai toujours considéré qu’il valait mieux se tromper franchement que de toujours hésiter pour au final ne rien accomplir. De toute manière, le temps nous est compté.

Et cela, j’étais bien placée pour le savoir. L’actualité prouvait chaque jour un peu plus que nous foncions droit vers le mur. Et de voir les décideurs s’étendre en des ronds de jambe pour renier la réalité… rien ne m’agaçait plus.

– Saurez-vous sortir de votre posture de scientifique pour que votre action porte vraiment ?

Ou se cachera-t-elle derrière les protocoles, comme les autres ?

Fortunée, tu n’as eu aucun mal à le deviner, ne serait-ce que par la tenue qu’elle porte ou tout simplement la façon dont elle se tient. Cependant, tu es un peu plus surprise par les études qu’elle a faites, sans pour autant le lui montrer. L’aurais-tu sous-estimer ? Peut-être un peu. Un jugement rapide, tu le sais, face à ceux qui ont eu droit à plus de chance. À une vie plus facile. Des opportunités qui viennent avec l’argent, plutôt qu’avec les réussites personnelles.

Une sorte de jalousie mal placée ?
Peut-être bien.

Tu gardes ton sourire, tout en écoutant ses paroles. - J’imagine que tu n’es pas sans savoir que les recherches, ici, se font en équipe ? Sur un pied d’égalité, que tu as envie d’ajouter, que tu te contentes de sous-entendre. Elle a l’habitude de déléguer ce qui l’emmerde ? Tant mieux pour elle. Or, ici, s’il est possible que d’avoir ses projets personnels… Il n’est pas question de laisser les autres faire le sale travail à sa place. Ou alors tu as mal compris ce qu’elle t’a dit ? Libre à elle dans ce cas de corriger le tir. Tout ce que tu as cherché à faire, c’est de rappeler qu’ici, elle allait devoir, parfois, prendre de son temps pour les tâches plus chronophages. Celles qui sont moins intéressantes mais Ô combien nécessaires.

Et peut-être que tu es injuste avec elle. Sans doute que tu juges trop vite. Mais il y a dans son discours une habitude de mener, d’être au-dessus, et si tu peux comprendre d’où lui vient de tels sentiments, d’impression d’être effectivement au-dessus des autres, il est de ton travail de t’assurer de la bonne coordination de tes effectifs et, surtout, que tous puissent travailler ensemble avec une certaine cohésion. Pas spécialement une bonne entente obligatoire, mais un professionnel évident, quitte à mettre de côté son égo le temps de quelques instants.

Toujours attentive à ses paroles, tu en apprends rapidement plus sur celle qu’elle est. Ou, tout du moins, sur ce qu’elle pense. Ses motivations. Ce qu’elle souhaite peut-être accomplir, en étant ici ? Expérimenter. Tu penses pouvoir la rejoindre là-dessus. Quelqu’un de décider, de toute évidence, qui souhaite aller de l’avant. Agir, plutôt que d’hésiter, pour ne pas être de ceux qui n’auront jamais rien accompli.

Ça aussi, tu peux la comprendre.
L’inaction se veut être un bien fâcheux fléau.

- Qu’est-ce que vous entendez par sortir de ma posture de scientifique ? Sourcil haussé tandis que tu lui adresses cette question. Dérogée des règles ? Mais lesquelles, exactement ? Celles imposées par l’Ultima Necat ? Celles imposées par la moralité ? En ce qui concerne l’organisation, tu as déjà bien compris qu’ils ne sont pas trop difficiles, tant que vous avanciez dans vos recherches. Pour la moralité ? La question a le mérite de se poser. Ce que tu en penses ? Et bien, elle l’a dit… Il n’y a pas d’omelettes sans casser d’oeufs. Et si tu refuses de t’en prendre à des innocents, tu ne pourras pas échapper aux tests et expériences un peu plus… Extrêmes ? Dans ta quête de transcender l’Homme. - Sans parler d’hésitation, je considère cependant qu’il est mauvaise idée d’agir sans posséder le plus d’informations possibles. De la prudence, donc, que tu dirais, vis-à-vis de toutes ces choses que vous ignorez encore.

Tu jettes alors ton regard à ton écran, avant de ramener tes prunelles azurées sur ton interlocutrice. - Vous semblez avoir fait vos recherches, depuis votre arrivée ici. Une affirmation qui s’accompagne d’un sourire. Tu aimes bien les gens préparer. Ceux qui essaient justement d’obtenir le plus d’informations possibles. - Que savez-vous sur la Grande Cataracte ? Un léger changement de sujet, qui rejoint cependant le précédent.

Avant d’agir vis-à-vis de ce phénomène, il vous faut en savoir plus.
Comprendre ce qu’il se passe, dans ce monde dont vous ne savez pas grand chose.

En équipe, me disait-elle. Une remarque dont j’identifiais bien les tenants et qui réussit à me tordre intérieurement de dépit. Cette femme… imaginait-elle quelle régression elle entendait me faire vivre en me recasant sur le même pied d’égalités que les petits chinois dans la cave ? La simple idée que je sois obligée de m’attarder sur des schémas indéfiniment répétés m’horrifiaient, quand bien même à mon expression, je servais la meilleure figure de placidité. Car je savais qu’en l’état, il était trop tôt pour traduire le fond de ma pensée. Ainsi, je repoussais l’altercation à plus tard. Soit, un moment où cette femme serait plus à même d’écouter mes doléances. Sauf à s’attirer une vipère dans son nid. Et j’étais bien gentille de lui accorder cette seconde chance.

En attendant, il me fallait revenir sur un sujet qui m’intéressait plus dans l’immédiat. Justement, ce qui avait trait à sa philosophie de gestion. Était-elle une somnambule, ou bien, une éveillée ? Bien évidemment, j’eus droit à la soupe de la bonne prudence à observer. Il importait en effet de mener quelques préparatifs pour ne pas juste foncer tête baissée vers un échec qui aurait pu s’anticiper avec un minimum de réflexion. Sur la question de la Grande Cataracte…

– Vous parlez de cette anomalie au sein de ce monde appelé « Hueco Mundo » ? J’en sais qu’elle m’inspire un trou noir, du peu que j’en ai lu. Quelque chose en son sein aspire le Reishi à lui. J’y vois une opportunité inespérée pour nos études futures. Si nous voulons transformer la ressource spirituelle en une énergie propre pour nos industries, alors il nous faut percer le secret de la Grande Cataracte. Imaginez que nous devenions capables de construire des machines capables de collecter le Reishi aussi efficacement ! Alors, nous serions en mesure de résoudre les problématiques de notre ère !

Fallait-il lire dans mes propos mes habitudes de femme d’affaire plutôt que de scientifique ? Car oui, je m’intéressais à l’exploitation avant l’explication. J’étais avant toute chose tournée vers l’opérationnel. J’avais trop vu d’académiciens ergoter entre eux sans ne jamais rien faire avancer de concret. La science possédait son utilité au sein de la société. Alors, autant en assumer le pouvoir. L’occasion pour moi de préciser ce que j’entendais par « sortir de sa posture de scientifique ».

– Si vous ne vous arrêtez qu’aux notions, concepts et paradigmes, alors vous serez toujours hors sol. Déconnectée des réalités de ce monde. Pour autant, vous avez pour vous la connaissance qui vous rend compétente à prendre des décisions. Alors, décidez ! Faites de la politique ! Ne laissez pas de vieux croulants choisir à votre place ! Ils ne feront toujours que vous freiner, parce que vous leur faites peur. Voilà ce que j’entends par « sortir de votre posture de scientifique ». Vous avez besoin de sortir de votre tour.

Lui assénais-je avec un sourire affirmé. Nulle remarque ne pouvait plus détonner de mes lèvres que celle-là. Car de nous deux, j’étais la moins bien placée pour reprocher à quelqu’un de vivre dans une tour d’Ivoire. Là encore, je provoquais afin de découvrir le jeu de la personne qui me faisait face. Provoquer, mais sans non plus couper absolument le fil du respect que je lui devais.

– Du reste, vous avez raison. Nous informer est la première chose à faire pour ne pas prendre de décisions aussi absurdes que ces dinosaures qui tiennent les rennes du pouvoir. Mais, comment procéderiez vous alors pour atteindre ces renseignements sans vous piéger dans une bulle ?

Chassez le naturel, et il revient au galop. J’étais décidément trop habituée à commander.

Tu t’intéresses à ce qu’elle sait. À ce qu’elle a pu lire. Apprendre. Aux informations qu’elle a pu obtenir, dans tous ces documents, ces dossiers, tous ces rapports qu’elle a sûrement parcouru des yeux avant de se présenter ici, devant toi. C’est, tout du moins, l’impression qu’elle t’en donne, rebondissant sur des informations qu’elle n’aurait pas pu obtenir autrement qu’en faisant ses propres recherches. Et c’est quelque chose qui te plaît. Quelqu’un d’impliquée, donc. D’autonome, aussi. Qui n’a pas besoin que tu la tiennes par la main pour avancer un peu par elle-même et découvrir tout ce nouveau monde qui s’offre à elle.

Tu souffles du nez, amusée, lorsque tu entends sa réponse. Résoudre les problématiques de votre ère ? Tu ne saurais dire. Mais tu entends dans ses propos une volonté d’investissement, d’à quel point ça peut être intéressant, pour ne pas dire lucratif, que d’exploiter l’énergie composant ce désert blanc. - Ce n’est, hélas, pas envisageable tant que nous n’avons pas réglé le problème que pose ce phénomène. Trop dangereux en l’état pour étendre votre site d’extraction.

Tu préfères éviter que l’histoire du défunt King of Clubs se répète.

- On peut en effet le comparer à un trou noir. Sans doute la meilleure explication que tu pourrais donner concernant ce phénomène. - Il faut désormais comprendre comment est-ce qu’il s’est créé et à quel point est-ce qu’il menace nos installations au Hueco Mundo, avant que nous puissions penser à faire plus, là-bas. Il y a des mystères de ce monde, de cet autre monde, qui vous échappe encore et qu’il vous faut élucider.

Devant toi se trouve une tête forte, ça, tu n’en as aucun doute. Un esprit vif, critique, mais surtout une femme pleine d’ambition qui ne s’arrêtera sans doute pas tant qu’elle n’a pas atteint le sommet. C’est là encore ce que tu penses identifiée chez elle, au travers ses paroles et le discours qu’elle te tient. Prendre les décisions à la place de vieux croulants ? Tu peux entendre que c’est ainsi que les choses fonctionnent, ailleurs. Que les vieux décident de tout sans jamais chercher à comprendre la réalité. Mais ici ? Ici, vous aviez, certes, des supérieurs. Or, tout ce que vous demandent ces supérieurs, c’est des résultats. Le reste ? Ils sont les premiers à accepter de sacrifier l’humanité sur un plateau d’argent pour entretenir un semblant de paix avec l’Acuerdo.

Ils ne critiqueront donc pas vos méthodes.
Tout du moins, pas sur le plan moral.

- Cela fait quelques années que je suis ici. D’abord comme simple membre de la section et, depuis bientôt quatre ans, comme Jack et je n’ai pas souvenir d’une fois où ils sont venus décider à notre place. Tu réfléchis un peu, tentes de te remémorer des nombreux projets sur lesquels tu as travaillé. - Les titres ne sont pas là que pour faire joli et nous offrent une assez grande liberté. Ils veulent des résultats, tout simplement. Quant au comment… Tu hausses simplement des épaules. - Je ne me sens donc pas coincée dans une bulle. Je fais les recherches que j’ai envie de mener, avec les ressources et le soutien pour pouvoir les mener.

Et tu connais bien le sujet. Constamment enfermée dans ton laboratoire, tu es sans doute celle qui a le plus exploité les installations de l’organisation. - Et par mener des recherches, je ne le fais pas qu’en laboratoire. Je vais aussi sur le terrain, pour faire mes propres observations. Tu as, certes, appris à déléguer, à superviser, le rôle de Jack venant avec des responsabilités et les heures étant malheureusement limitées dans une journée… Cependant, tu fais difficilement confiance à autre que toi-même et pour certains projets, tu préfères avoir la main mise dessus.

- Nous allons bientôt assister les Clubs, justement, dans l’étude de la Grande Cataracte, pour tenter de mieux comprendre le phénomène. Ce que, vous l’aurez compris, demande un voyage au Hueco Mundo. Nous, les Cups, donc. Une équipe assez réduite, pour éviter de trop attirer l’attention. Est-ce que tu l’inclus elle ? Tu ne sais pas encore, pour le moment te contentant de jauger sa réaction quant à cette nouvelle information concernant l’expédition à venir au sein d’un territoire hostile.

Qu’en pense-t-elle, de se salir les mains ?

Peu importe les provocations que je pouvais lui adresser, je ne recevais que des réponses méthodiques, sans un mot plus haut que l’autre. Si bien que je comprenais rapidement que cette femme n’était pas de nature à se laisser désarçonner si facilement, trop ancrée dans sa position. Je regrettais d’échouer à faire ressortir des émotions instructives sur sa personnalité mais à bien y regarder, quelques petits signaux me donnaient matière à mieux comprendre qui j’avais en face. Une gradée bienveillante envers ses subordonnés, patiente, qui n’hésitait pas à se mettre à niveau pour arriver à un échange constructif.

Soit, quelque chose contre quoi je ne pouvais lutter. Ou plutôt, je n’y avais pas d’intérêt. Il me fallait simplement m’adapter à un profil qui méritait sa place. Et en cela, c’était loin de représenter pour moi une mauvaise surprise. D’autant plus que je recevais des informations qui me permettaient de me faire une plus juste idée de la situation ainsi que des règles inhérentes à cette organisation que je méconnaissais trop. Dans le flot de la conversation, je manquais le plus de maîtrise. Je m’aveuglais encore trop d’expériences qui étaient certes, les plus justes dans les milieux où j’avais pu évoluer, mais trompeuses dans l’Ultima Necat.

D’une certaine manière, j’y voyais un bassin stimulant duquel je me retrouvais bien, même si ça impliquait de repartir de zéro. Ici, il me faudrait du temps avant d’atteindre une position à laquelle j’étais la plus familière. Et pour être honnête, la perspective de jouer la petite main me dépitait plus que je ne voulais l’admettre. Pour diluer cela, j’allais devoir faire mes preuves. Et dès lors que j’en arrivais à cette conclusion, j’acceptais dans mes schémas la légitimité de celle qui se trouvait de l’autre côté du bureau.

– Je vous demande de m’excuser. Je réalise maintenant que mes lacunes sont plus sérieuses que je ne l’avais envisagé. Je vais devoir reprendre mes devoirs pour être plus lucide sur ce nouvel environnement. À ce titre, vos lumières sont les bienvenues. J’apprécie cette attention.

Sur ce point, je n’avais pas de double discours. Je me sentais réellement aidée dans mon intégration et me tempérais naturellement sur mes petits défauts qui me rendaient souvent agressive. À présent, je ne ressentais plus le besoin de challenger. Juste, de m’inscrire dans des missions qui seraient susceptibles de me parler. En l’occurrence, celle que venait de me présenter Ikeda.

– Si vous me le permettez, j’aimerais corriger mon manque d’expérience. Constater de mes propres yeux ce phénomène. Et puis, je vois là une bonne opportunité d’apprendre de vous. Ce pourquoi, je souhaite être de ce voyage.

Si je pouvais être dérangeante comme partenaire, au moins, j’étais la plus investie quand on ne venait pas me freiner dans mon élan. À cette fin, je devais comprendre vers où le vent soufflait chez les Cups.

– Dites moi, vos recherches, quelles sont-elles ? Quel résultat souhaitez-vous atteindre, au juste ?

Je verrais ainsi si mon interlocutrice ne faisait que brasser de l’air, ou si elle possédait une réelle vision.

Tu secoues doucement de la tête, à nouveau, tandis que tu l’entends s’excuser. - Il n’y a pas de mal, vraiment. Rien à excuser, donc. Tu ne peux pas lui en vouloir d’arriver ici avec des expériences autres, pas plus que tu peux lui en vouloir de ne pas tout savoir sur l’organisation qu’elle a rejoint. Pour toi, c’est facile, évident même que tu dirais. Tu es ici depuis longtemps, quelques années déjà. Depuis presque le tout début de l’organisation même, maintenant que tu y penses.

Lorsqu’ils ont recruté leur premier civil, pour leurs expériences.
Lorsqu’ils ont fait de toi une Fullbringer,

- N’hésitez pas si vous avez des questions. Je suis aussi là pour ça. Et tu dis ça, un peu plus sereine que lorsque tu as proposé la même chose à un certain membre des Swords. Pourquoi ? Parce que tu penses pouvoir affirmer que ton interlocutrice ne profitera pas de cette main tendue pour t’inviter à dîner, pas plus verra-t-elle dans ton attention parfaitement professionnelle un intérêt autre. Alors tu la rassures, en lui rappelant que tu es là, si elle en a de besoin. Ça aussi, ça vient avec le titre pour lequel tu as travaillé si fort. Veiller sur ta section et sur les membres la composant.

C’est de veiller sur eux. Leur épanouissement, dans leur projet. De surveiller un peu, aussi. D’en apprendre plus sur eux. De connaître ces gens que tu supervises. Et tu penses avoir vu juste, avec ce court entretien, concernant la femme d’affaire. Si tu as abordé le sujet du Hueco Mundo, ce n’est pas sans raison, et tu ne peux que sourire lorsqu’elle mord à l’hameçon et suggère d’elle-même de vous y accompagner, avant même que tu n’ais à l’inviter.

Tu n’es peut-être pas la plus à l’aise en situation sociale, mais tu as appris à comprendre ton équipe. À savoir ce qui les anime. À comprendre leurs façons de faire. Et elle ? Elle ne sera pas de ceux qui se contentent de lire des données et de s’enfermer dans un laboratoire. - Je verrai ce que je peux faire avec la Queen des Clubs, comme nous avions déjà pris la décision de voyager en petit comité, pour éviter de trop attirer l’attention, là-bas. Tu ne lui confirmes donc rien pour le moment, aucune promesse, si ce n’est que tu verrais s’il t’est possible de l’ajouter à votre équipe. La vérité est que tu penses qu’il n’y aura aucun problème, même si tu préfères confirmer avec Recca, au cas où.

Peu importe comment tu diriges la conversation, elle revient toujours vers toi. Vers tes recherches. Celle que tu es. Comment est-ce que tu agis, fonctionnes. Cherche-t-elle quelque chose en particulier ? Tu ne saurais dire. As-tu quelque chose à cacher ? Pas que tu saches. - Les limites de l’humain. Une réponse assez simple, finalement, à sa question. - Il y a des choses qui, malheureusement, en l’état, nous sont impossibles. Il y a une limite à ce que le corps peut supporter, le cerveau aussi, et c’est ce qui nous freine dans cette course à l’évolution.

Ton objectif, donc ?
Transcender ces limites.

Je trouvais donc chez cette supérieure une oreille précieuse pour rattraper mon retard et accélérer mon intégration. C’était là quelque chose de toujours bon à prendre. À sa place, je serais bien moins prévenante. Mais puisque j’étais ici en position d’infériorité, je n’allais pas me plaindre. Juste, profiter de cet outil qui se trouvait présentement à portée de main. Pour l’heure, je recevais un avis positif à ma volonté de la seconder pour cette mission. Une réponse qui pouvait me réjouir si derrière ne s’ajoutait pas la nuance importante qu’il lui faudrait obtenir l’assentiment d’une autre personne en premier lieu.

Et à ce que je savais sur la typologie de la hiérarchie, cette Queen of Clubs se plaçait au-dessus d’Ikeda. Devais-je comprendre que cette dernière commandait le convoi prochainement en partance pour le Hueco Mundo ? Un petit comité était privilégié, donc. Inconsciemment, j’en arriva à porter l’ongle de mon pouce aux lèvres, le rongeant de nervosité. Un tic que je corrigeais immédiatement sitôt que je m’en rendais compte. Je n’aimais pas être ainsi mise dans l’attente, sans trop savoir quelle réponse indirecte viendrait décider pour moi de mon devenir.

Enfin, je comprenais bien qu’il était inutile de tergiverser sur cette question plus longtemps. Si je l’emmerdais sur ce point, alors, je savais qu’elle pouvait décider d’être moins convaincante pour soumettre mon cas au jugement de cette commandante dont j’ignorais tout. Inutile de se tirer une balle dans le pied à ce stade. Pour cette raison, je plaçais plutôt mon focus sur des éléments de réponse qui m’intéressaient au premier plan. Ainsi, j’avais affaire à une adepte d’une transhumanisme ?

– Et que feriez-vous de cette évolution ? Vous souhaitez simplement voir si vous en êtes capables, ou bien…

J’étais interdite sur le fond de ses motivations. J’avais rencontré beaucoup de rêveurs me servant ce même genre de discours. Souvent, leurs intentions se résumaient à des élucubrations qui me semblaient fort lointaines des réalités. Mais chez cette femme, je sentais autre chose. Après tout, elle n’avait pas montré des traits de caractère symptomatiques des fantaisistes trop épris de romans de science fiction. Pour un peu, je me faisais une petite idée sur ce qui devait lui trotter dans la tête. Une intuition.

– J’ai pour vous des questions, puisque vous m’y avez invité. Je sais que nous collaborons avec les habitants de l’Acuerdo. Mais qu’en est-il de nos rapports avec eux ? Sont-ils des instruments ? Des partenaires ? Des alliés de circonstance ? Et les shinigamis dans tout ça ? Considérant le rôle qu’ils se sont donnés, vous ne trouvez pas étrange qu’ils n’aient pas encore bougé ? J’imagine mal qu’ils voient nos petites affaires d’un bon œil. Est-ce contre eux que vous vous préparez ? Que vous cherchez à outrepasser les limites de votre condition humaine ?

Joignant mes mains entre elles, je montais de nouvelles stratégies. Un cheminement qui avait une finalité que je voulais incisive.

– S’il se révélait qu’à la fin, ces shinigamis aient raison. Vous renonceriez à vos projets ?

Ce que tu en ferais ? Des tas de choses. Mais d’abord, tu t’assurerais d’asseoir votre présence dans les enjeux de ce monde. Dans ces enjeux qui, finalement, ne concernent pas que votre monde. Vous avez votre place, dans ce conflit armé. Ce conflit qui se déroule trop souvent à ton goût dans votre monde, faisant des humains lambdas victimes innocentes de ce dernier. Pire, complètement inconscientes des menaces qui pèsent sur eux. Et c’est quelque chose qui t’agace. Tu n’aimes pas cette désagréable impression que d’être impuissante.

Tu veux pouvoir faire plus.
Que vous puissiez tous faire plus.

- De ce que j’en sais, les rapports sont assez neutres. Tu sais, par exemple, que la Queen actuelle des Clubs n’a jamais eu aucun contact avec l’Acuerdo. Et tu ne penses même pas avec d’autres Arrancars. - Et on ne peut pas vraiment parler d’alliés… Après tout, il y a encore des Hollows qui envahissent votre monde. Il y a encore des humains qui meurent. Qui se transforment. Il y a les horreurs qui se poursuivent, sans la possibilité d’y mettre un terme, et ce, de façon définitive. - On a tout au plus une tranquillité relative pour exploiter une petite partie du Hueco Mundo, et ça ne vient pas sans son prix à payer. Encore une fois, la mort d’innocents. De ces banquets servis sur un plateau d’argent à ces êtres qui n’hésitent pas à venir se servir d’eux-mêmes chez vous.

Quant aux autres questions… Encore une fois, tu prends le temps de réfléchir à comment est-ce que tu comptes formuler ta réponse. - Je pense que, s’ils ne se sont pas encore mêlées de nos affaires… De vos recherches. De votre capacité à interagir avec ce monde qui autrefois leur appartenait. - C’est que nous sommes assez insignifiants, à leurs yeux. Tout simplement. Tu doutes qu’ils en aient quoi que ce soit à faire, de vous. De ce que vous faites. Pour le moment, du moins. Tant que vos expériences ne vont pas trop loin… Tu hausses des épaules. Au final, qu’est-ce que tu en sais ? Tu ne peux que supposer, n’ayant jamais été confrontée à l’un d’entre eux. À cette toute puissance qui se croit décisionnaire de votre monde.

- Qu’ils aient raison ou pas, ça ne change pas vraiment ce que je souhaite faire. L’objectif de tes recherches n’est pas vraiment de t’opposer à eux. De les renvoyer chez eux. - Je veux que l’humanité puisse se tenir sur un pied d’égalité avec eux. Sans question de surpasser. D’écraser. - Tout comme je veux qu’il soit possible de se défendre envers les différentes menaces qui pèsent sur nous. D’avoir plus d’options. D’opportunités. Une meilleure connaissance de votre environnement. De vos ennemis.

Pour agir.
Ne plus être que simples spectateurs.

- Et vous ? Tu ramènes ton regard sur elle, un sourire sur les lèvres. - Qu’est-ce que vous comptez accomplir, ici ? Pourquoi ici et pas ailleurs ? Par simple envie d’être stimulée ? D’aller de l’avant ? Ou alors peut-être quelque chose d’un peu plus précis ? Tu as cru comprendre un intérêt pour les Shinigamis, peut-être aussi pour les Hollows, pour ces mondes qui s’ouvrent désormais à vous. Une volonté de s’imposer, qui tu penses vient rejoindre aussi la tienne, que de prendre la place qui vous revient de droit, dans ce monde que d’autres semblent vouloir s’approprier. Mais qu’en est-il réellement ?

Que compte-t-elle faire exactement, ici ?

Des rapports ambigus, en définitive, ce qui me permettait de les classer non pas comme des alliés mais des partenaires de circonstance. Nous nous servions d’eux et ils le faisaient pour nous, rien de plus. Un statu quo que j’imaginais mal pouvoir s’entretenir très longtemps. Si bien qu’une course contre la montre était déjà lancée pour en apprendre davantage sur eux, par exemple en rencontrant l’un de ces arrancars ou hollows. N’étant pas Fullbringer de naissance, ils étaient des entités que je pouvais difficilement me figurer. Des existences extérieures à ma vie. Intrigantes. Mais plus à titre de ressources potentielles qu’autre chose.

Je relevais en tout cas l’entretien de cette prudence bien caractéristique de mon interlocutrice. Comme si elle cherchait à peser le moindre de ses mots. Est-ce que ça la tuerait de se relâcher un peu ? Ou alors, était-ce de moi qu’elle se méfiait en particulier ? À son attitude, ce n’était pourtant pas l’impression qu’elle me faisait. À moins qu’elle ne cache particulièrement bien son jeu. Ressortait ceci dit une voie de crispation. Insignifiants. Un terme qui n’avait rien d’anodin. Il traduisait un sentiment d’infériorité. Et ce constat faisait admirablement écho avec sa volonté de transcender son humanité.

Au final, peu importe de savoir qui pouvait avoir raison ou tort. Et cela ne révélait que plus l’aspect convenu de ses réflexions précédentes. En effet, jusqu’à maintenant, elle leur avait toujours laissé le bénéfice du doute. Disposée à croire qu’ils pouvaient agir ainsi pour de bonnes raisons. Mais quel intérêt à s’entretenir sur cette voie si c’était pour à la fin balayer d’un revers de main l’implication qu’ils puissent confirmer ses craintes ? S’agissait-il alors seulement de mieux connaître ses ennemis ?

– Hm, vous êtes gentille.

Trop, à mon goût. Car en dépit de ses réserves, je sentais bien qu’elle n’éprouvait pas une franche antipathie vis-à-vis de ces bêtes de foire. Elle raisonnait simplement sous le prisme de l’humanité. Comme si elle cherchait à s’affirmer. Faire entendre sa propre existence. Mais que cherchait-elle à refouler, exactement ? Cela, je n’aurais pas le temps de m’y attarder que la politesse me fut renvoyée. Dommage, me disais-je. Car je me plaisais bien à ce petit interrogatoire unilatéral qui me voyait mieux cerner Ikeda en me faisant un peu oublier. La garder sur la défensive pour l’empêcher d’attaquer à son tour. Ainsi voyais-je notre discussion.

– Je suis comme vous. Je souhaite que nous disposions du pouvoir de décider de notre propre avenir. Mais contrairement à vous, je considère qu’il n’est là question que de se donner les moyens de sa politique. Il faut toujours avoir un coup d’avance sur ses concurrents, autrement, ils finissent par nous dévorer. Peu importe qu’à un moment, nous soyons parvenus à les égaler. Cet état de fait, ils ne l’accepteront jamais. Parce que ce sont des boomers en puissance. Aussi, si vous prêtez foi à mes paroles, apprenez qu’ils cesseront de stagner le jour où ils se sentiront menacés. Les dinosaures sont des control freaks, après tout.

Le vocable polémique, je ne me révélais guère vraiment mesurée dans mon argumentaire. Ces excès, j’y cédais intentionnellement. Et ce, pour une raison fort simple.

– Prêtez toujours aux autres les pires intentions imaginables. Ce faisant, vous ne serez jamais déçue. Ce faisant, vous ne serez jamais prise au dépourvu. Ce faisant, vous aurez déjà la lame sous leur menton avant même qu’ils n’aient eu le temps de montrer leurs crocs.

Dans ma vie, je n’avais jamais été déçue par personne pour la raison que je n’avais jamais accordé ma confiance à qui que ce soit. Étais-je enfermée dans ma bulle pour autant ? Bien au contraire, cette assertivité me rendait la plus attentive pour mieux comprendre ceux que j’envisageais toujours comme des ennemis potentiels. Mieux comprendre, pour mieux anticiper. Et dans ce raisonnement, je traduisais une aura glaciale. Presque, inhumaine.

– Je veux leur retirer ce qu’ils exercent sur nous : la domination. Quitte à ce que l’humanité se substitue à eux. Hollows, shinigamis, humains. Tous sont pourris jusqu’à la moelle. Mais je suis humaine. Donc je veux que ce soit l’humanité qui domine. Et pour se faire, elle doit d’abord régler ses problèmes, quitte à casser des œufs chez les voisins.

Je décidais de lui laisser voir la surface de mes intentions. Ainsi, je serais la plus à même de jauger si oui ou non, elle représenterait un frein à mes ambitions. J’avais raison, comme eux. Mais je considérais que j’étais la plus méritante. Parce que je n’étais pas née dans la peau d’un autre. J’étais née Moi. Et je vivais pour moi-même. Était-ce un mal ? De ça, je n’en avais rien à foutre.

Gentille ? Ça te surprend même si, à bien y penser, elle n’a sans doute pas tort. Tu entends toutefois à ses mots que ce n’est peut-être pas une aussi bonne chose que ce que tu as pu t’imaginer. Est-ce que c’est que tu l’es trop ? Si tel est le cas, pourquoi ? Est-ce concernant ta position vis-à-vis des Shinigamis ? Peut-être. Parce que tu ne les as pas encore identifiés comme ennemis qu’il faut chasser de votre monde ? S’il est vrai que tu n’es pas particulièrement emballée par leur présence, l’ignorance te pousse à être prudente.

Tu ne voudrais tout de même pas condamner l’humanité.
Tout ça parce que tu ne savais pas.

Tu lui renvoies alors la question, curieuse d’avoir son opinion sur les différents sujets que vous veniez d’aborder. Tu l’écoutes, silencieuse, lui accordant toute ton attention. Tu entends une volonté qui fait écho à la tienne, reprendre le dessus dans ce monde qui est le vôtre. Tu entends aussi beaucoup de méfiance et quelque chose te dit que ça s’applique sûrement à plusieurs sphères de sa vie. Toujours s’attendre au pire pour pouvoir s’en protéger.

Est-ce ainsi qu’elle navigue toutes ses relations ?

Tu hoches doucement de la tête, gardant le silence encore quelques instants supplémentaires, semblant réfléchir à ses derniers propos. Elle semble les détester, tous autant qu’ils le sont, humains aussi. Tous pourris, qu’elle te dit, alors que de ton côté, tu as une opinion un peu plus nuancée. - Nous sommes encore loin des coups d’avance, que ce soit sur un camp ou sur l’autre. Les Shinigamis et les Hollows, ceux qui se livraient bataille dans votre monde. - Il ne faut pas oublier quelque chose, Serizawa. Notre organisation est encore jeune et si je me fis aux rapports que nous avons… Nous ne sommes là que depuis hier, pour ceux dont l’existence peut se compter en siècles. L’éternité. Une notion qui t’échappe, pour toi dont le temps est compté. Comme pour tous les humains.

- Nous sommes plus fragiles, moins nombreux et nos existences sont brèves. Éphémères. Nous sommes donc constamment ramener vers l’arrière, à chaque fois qu’un grand esprit se voit forcé de passer ses recherches aux nouvelles générations, parce que nous perdons un temps fou ne serait-ce qu’essayer de comprendre ce qu’ils ont fait avant nous. Là est votre réalité. Vous n'avez pas l’infini devant vous. Qu’une brève existence pour tenter d’aller le plus loin possible. - Ce pour quoi j’ai comme objectif de pouvoir permettre aux humains de faire plus. D’être plus que ce que vous êtes, à l’heure actuelle.

- Et n’oubliez pas qu’ils ont fait barrière entre les Hollows et l’humanité, à une époque où nous savions même pas qu’ils existaient. Là où toi tu veux te faire entendre, remarquer, elle veut écraser, dominer. Et si tu peux l’entendre… Tu te retrouves à faire preuve d’un peu de modération, dans ses propos et ses objectifs. - Ils ont plusieurs siècles d’avance sur nous. Un constat, encore une fois. Aucunement une fatalité, seulement quelque chose à considérer.

Que vous êtes encore loin derrière, dans cette course à l’évolution.

Tu lui adresses tout de même un sourire agréable. - N’allez pas croire que j’ai déjà baissé les bras. Je pense seulement que bien comprendre notre place en ce monde permet d’éviter d’avancer à l’aveugle, caché derrière un voile de suffisance. Tu es prudente. Réaliste. Et tes décisions sont toujours calculées. Réfléchies. Parce que tu essaies de tout prendre en compte, avant de les prendre, tes décisions. - Et sachez qu’il me fera plaisir de travailler avec vous pour rattraper ce retard. Celui de l’Humanité, face aux grands de ce monde. À ceux dont l’existence s’est révélée à toi, et aussi à elle, il y a trop peu de temps.

Des siècles à combler dans un temps beaucoup plus limité.

De l’impréparation. Voilà tout ce qui semblait caractériser cette jeune entreprise que je venais de rejoindre. Et parce qu’ils manquaient de références, la confiance leur faisait défaut devant les géants de la Soul Society et du Hueco Mundo. Comme une petite startup se lançant sur un marché voyant se confronter Apple et Microsoft. Ma réflexion dans tout ça : et alors ? Malgré tout, parce que mon interlocutrice demeurait la plus aimable, je lui épargnais une réplique trop sèche. Mieux, je faisais même l’effort de l’écouter attentivement, quand bien même certaines réflexions iraient pour m’agacer.

Dans son discours, je m’interrogeais. Pourquoi ne résonnait-elle qu’à l’échelle de l’Ultima Necat ? En quoi ne pouvions nous pas prétendre à l’expérience de l’humanité ? Les shinigamis et les hollows étaient-ils différents à ce titre ? Rien n’apparaissait de nulle part. Et à mes yeux, nous n’étions pas les poussins qu’elle dépeignait, peu importe que nos existences soient brèves. Elles n’en étaient que plus intenses. Explosives. Et c’était là notre force, plutôt que notre faiblesse. Ce point de côté, il s’agirait juste d’essayer de faire plus en dépit de ces handicaps ? Bien entendu, de sa position, c’était le meilleur discours à servir. Mais à mes yeux, ce n’était que du bruit. Et ça pouvait se voir à mon attitude qui ne brillait pas par le plus grand des intérêts.

À son sourire bienveillant, je ne pus me retenir de relâcher le mien sarcastique pendant deux secondes. Ses mots pouvaient prendre l’apparence du miel, je n’en comprenais pas moins qu’elle me prenait de haut. J’étais suffisante ? Allons bon.

– Encore heureux.

Une réplique venimeuse qui m’échappa spontanément lorsque cette femme me dit qu’elle persévérait dans sa fonction et consentirait à travailler avec moi. Après tout, si je n’avais aucun problème à traiter mes semblables comme des agents de production, moi, je valais plus que ça. Et me réduire à ces robots, ça me sortait par les yeux.

– Que vous n’ayez pas l’intention de baisser les bras, j’entends.

Je veillais tout de même à me tempérer un peu pour diluer mon acidité. M’appuyant sur le dossier de ma chaise, je croisais les bras, la regardant fixement avec une ombre d’impertinence.

– Vous êtes une bonne exécutante.

Car oui, tous ces mots n’avaient servi qu’à éviter les pas de travers, établir le protocole le plus efficient pour garantir le résultat final. Éviter de s’engager dans les jugements à l’emporte-pièce. Demeurer humble. Ranger sa personnalité dans le vestiaire pour favoriser un bon climat de travail. Pour l’heure, elle n’était qu’une fonction. Un automate. En bref, elle n’était pas une éveillée. Et si je la prenais de haut pour cette raison ? Un peu. Mais au moins, je lui reconnaissais de bonnes qualités comme instrument du pouvoir. Ce pourquoi je ne la chassais pas de mon prévisionnel.

– Vous leur trouvez des excuses à défaut de savoir. Comme ignorante, vous voulez imaginer le bon plutôt que le mauvais. Vous êtes bien trop douce ! Vous présumez de leur rôle suivant ce qu’ils veulent bien en montrer. Mais, de vous à moi, ce n’est là qu’une image d’Épinal. Et ces shinigamis, je les devine l’user jusqu’à la corde pour garder le change. Je ne crois pas en une société désintéressée. Autrefois, ils n’étaient que des humains, eux aussi. Leur longévité ne les rend pas plus sages. On voit déjà ce que ça donne avec nos propres viocs. Des aigris traditionalistes à l’égo fragile. Si vous vous accommodez de dirigeants paternalistes, alors vous ne serez toujours qu’une enfant. Jeune, faible, ignorante. C’est ce que vous voulez ?

Devant Ikeda, je ne mâchais pas mes mots. Simplement parce que je voulais secouer cette réserve qui lui collait à la peau. Si ça ne tenait qu’à moi, j’irais la secouer pour la réveiller. Qu’elle cesse de jouer la somnambule. Les gens ici n’étaient-ils pas différents de ceux dehors ? S’accommodait-elle de n’être qu’une esclave ? Quelle blague…

– Comme si ça allait m’en faire bouger une qu’ils aient autrefois tué quelques Hollows pour protéger des humains… Pff… Vous m’avez demandé ce qui me motivait. Je vous ai répondu.

Le regard noir, je possédais pourtant l’ombre d’une ambiguïté dans mon cheminement. Ce n’était pas tant cette femme qui m’agaçait que ces barrières qu’elle s’imposait à elle-même.

– Vous êtes frustrante. Ça ne vous est jamais arrivé de ne penser qu’à vous ?

Il y a du venin dans sa réponse qui ne fait que provoquer chez toi une certaine confusion. Tu hausses alors un sourcil, ne te cachant même pas de ta surprise face à son commentaire. Quelque chose que tu lui as dit qui lui a déplu ? Sans doute. La modération dont tu fais preuve ? Tu peux supposer. Tu la laisses cependant s’exprimer, poursuivre sur son idée, sans chercher à l’interrompre, pour peut-être mieux comprendre sa position sur le sujet, et, surtout, sa réaction. Tu ne peux cependant pas retenir ton petit sourire, lorsqu’elle te désigne comme exécutante. Un sourire qui n’a rien d’hautain, ni de supérieur, seulement… Une touche d’amusement ? Un peu.

Frustante qu’elle te dit, pour finir. Tu es frustrante. Et ta réponse ne se fait pas entendre, sans aucune hésitation de ta part. - Je ne suis pas devenue la Jack des Cups en ne pensant qu’à moi. Et tu n’en vois pas l’intérêt. Ce que tu fais, ce n’est pas que pour toi. Que ce soit de tes tâches au sein de l’organisation que de tes recherches, il n’y a aucune trace d’égoïsme dans ce que tu fais. Et si tu peux l’entendre comme une critique, de sa part, tu n’y vois aucun problème. Aucune raison de changer ça. Tu dirais même que tu le vis bien. Très bien.

- Dites-moi, Serizawa… Tu prends le temps de réfléchir à la façon de formuler ta question. - Vous considérez donc ne pas l’être, ignorante ? N’est-ce pas ce dont elle t’a accusé, dans sa longue tirade que tu as écouté avec attention ? Il n’y a aucune malice dans ta voix, aucune volonté de la prendre en tort, qu’une platitude qui s’accompagne d’un sourire agréable.

L’occasion d’apprendre.
De grandir.

- Si je leur prêtes des excuses à défaut de savoir, alors vous les accabler de mauvaises intentions justement parce que vous n’en savez pas plus. Je les devine, que vous avez dit. Vous devinez, sans connaître. Vous assumez, sans savoir. Il y a une certaine fermeté dans ta voix qu’il n’y avait pas un peu plus tôt. Parce qu’un peu plus tôt, tu te contentais d’en apprendre un peu plus sur elle. Alors que maintenant ? Tu penses qu’un rappel à l’ordre peut être de mise. Et ce n’est pas parce que tu lui reproches son ignorance, absolument pas. C’est pour sa sécurité. Parce qu’avec l’ignorance vient la suffisance et tu trouverais dommage qu’une erreur soit commise parce qu’elle s’est voilée la face.

- Vous êtes jeunes, faibles et ignorantes. Et tu n’as aucun mal à lui dire, toujours avec ce sourire bienveillant sur les lèvres. - Je ne peux pas vous lancer la pierre, vous me semblez être une jeune femme intelligente et déterminée, à qui la vie n’a sûrement que très rarement dit non. Vous avez souvent eu à nager avec les requins, suffisamment pour pouvoir affirmer savoir comment les apprivoiser, n’est-ce pas ? Les requins. Ces vieux hommes d’affaire coincés et fermés à l’évolution, qui ont sûrement dû vouloir la détruire seulement de par son âge ainsi que son genre.

- Mais ce serait une erreur d’appliquer tout ce que vous savez sur l’humain, ainsi que l’humanité, à ces êtres qui, justement, ne le sont plus, humains. Et peut-être qu’ils fonctionnent comme vous, qu’ils pensent comme vous, ça ne t’étonnerait même pas. Mais il serait imprudent que de simplement l’assumer sans en savoir plus.

- Et si je vous dis tout ça, c’est que vous avez de l’ambition et que vous semblez avoir de grands projets. Parce que vous voulez m’accompagner au Hueco Mundo, aussi. Une envie qu’elle a exprimée un peu plus tôt dans la conversation, et à laquelle tu ne semblais pas fermée. - Je ne peux pas me permettre de prendre des risques inutiles, pas plus que le projet soit ralenti parce que quelqu’un dans l’équipe ne sait pas où est sa place et assume tout savoir sur tout. Et sur tes derniers mots, ta voix s’est faite un peu plus dure.

Frustrante, tu l’es peut-être.
Mais tu lui diras que c’est pour son bien.

Je ne pus me résoudre à prendre sa remarque autrement que telle une attaque personnelle. Après tout, ne sous-entendait-elle pas que si je me trouvais présentement en position d’infériorité, c’était du fait de mon égoïsme ? Et ce qui suivrait n’irait pas pour me mettre en de meilleures dispositions. Elle me retournait au visage mon ignorance avec ce sourire nimbé de ce que je percevais comme une condescendance insupportable. Toujours les bras croisés, je serrais le poing que je cachais à sa vue. Instinctivement ? Je voulais l’interrompre pour lui exprimer mes quatre vérités. Mais ce faisant, je savais que je perdrais sur tous les tableaux.

Je n’avais pas rejoint cette organisation pour être court-circuitée si bêtement. Ainsi, je prenais mon mal en patience quand bien même je bouillais de rage intérieurement. Un état de fait qu’il m’était difficile de cacher malgré que je m’efforce de montrer une expression placide. Silencieuse, je devais avoir à subir des insultes qui me blessaient dans ma fierté. Jeune ? Faible ? Ignorante ? Et elle me disait ça avec le plus grand des calmes ? Mais pour qui se prenait-elle…

Bien sûr, ces reproches étaient relativisés par des compliments fades censés adoucir son propos. Seulement, je n’entendais que les critiques. Ainsi, à ses yeux, je n’avais jamais rencontré de difficultés ? Je ne m’étais jamais battue ? Je n’avais jamais rien gagné par moi-même ? Pauvre connasse… Ces pensées, je les scellais en moi. Un sourire de surface de servi précisément pour m’aider à me sauver la face. Sur la fin, je sentais comme une menace me commander de me rappeler quelle était ma place au sein de l’Ultima Necat.

Fermant les yeux, je marquais une césure avec toutes les réponses spontanées que j’avais pu lui traduire jusqu’à maintenant. Je reprenais contenance afin de ne pas sottement me laisser aveugler par mes émotions. Car oui, j’étais jeune. Et je manquais encore de sagesse. Autrement, je n’aurais pas tant d’ennemis dehors. Inutile de m’en rajouter une de plus. D’autant quand il était question d’une personne qui était la mieux placée pour me détruire.

– J’admets votre point.

Avais-je finis par concéder après avoir pris une grande inspiration pour me calmer. Au final, j’avais atteint mon objectif initial. Celui d’identifier les limites de celle qui se trouvait devant moi. À ce stade, le mieux que je pouvais faire était de montrer patte blanche. Ou du moins, que j’étais capable de garder mon sang froid quand ça importait.

– Je me suis emportée. Mais ça ne veut pas dire que je ne sais pas jouer le jeu quand c'est nécessaire. Je ne considère pas que tout doive me tomber tout cuit dans le bec. Je me sais capable d’une grande patience quand j’ai une idée en tête.

Et au regard froid que je lui servais, elle pouvait comprendre que ce n’était pas là des paroles hasardeuses. Dans ma vie, de nombreuses fois, je m’étais tenue à des stratégies me permettant d’atteindre les résultats escomptés. L’exécution était méthodique. Le résultat, brutal.

– Pour le moment, je ne conçois pas les Hollows et les Shinigamis autrement que tels des sujets d’étude. Je ne ferai donc rien qui me fermerait à de précieuses informations.

Je devais moi-même m’inscrire dans cette phase des préparatifs. Je voyais certes plus loin que les moyens à investir. Ce n’était pas pour autant que je partais pour les négliger.

– Quelle attitude attendez-vous de moi, sur place ? Quelles limites vous entendez me donner ?

Que nous soyons au clair sur la question. J’étais disposée à assimiler ses règles, même si ça m’enrageait de lui accorder une telle légitimité. Je restais sur ma faim.

Il est aisé de constater que tes paroles ne lui plaisent pas. Est-ce que tu l’as blessée dans son égo ? Ce n’est pas impossible. Toi-même tu es quelqu’un d’orgueilleuse, de fière, et tu te dis que de telles paroles ne t’auraient pas fait plaisir. Après tout, n’es-tu pas encore amère parce que tu n’as pas obtenu la promotion que tu espérais avoir ? Tu le sais, donc, que ce n’est pas le plus agréable à entendre, devoir faire face à sa propre faiblesse, mais tu considères tes paroles comme un mal nécessaire.

Elle apprendra.
Et peut-être apprendra-t-elle donc à te les pardonner, ces paroles.

Tu t’étais préparée à une explosion de sa part. À des paroles tranchantes. À ce qu’elle te contredise ou s’insurge. À la place, sa réaction t’apparaît comme modérée et ça te fait doucement sourire. Jeune, certes, mais qui peut faire preuve de sagesse. Oh, tu ne lui en aurais pas voulu de s’énerver, mais ça te rassure de la savoir plus maîtrisée.

Ça aurait pu être embêtant, autrement.

- Oh. À ses paroles, sentant le besoin de préciser quelque chose. - Je n’ai pas voulu négliger vos efforts. Il y a de la sincère considération, dans ta voix. - Je me questionne surtout à savoir si vous avez déjà connu l’échec ? Et ça n’enlève rien à son travail, à tous les efforts fournis, pour qu’elle puisse arriver là où elle est aujourd’hui. Tu as seulement cru remarquer que, chez ceux dont la réussite est quasi systématique, l’échec est d’autant plus difficile à assumer. À accepter. Et c’est de ça, finalement, que tu veux la protéger. Encore une fois, ton jugement est peut-être rapide, peut-être injuste. Et peut-être que des échecs, elle en a essuyé plusieurs. Mais ce n’est pas l’impression que tu as, lorsqu’elle parle. Avec l’assurance de pouvoir tout deviner sur tout ce qu’elle ne connaît pas encore. Quand a-t-elle eu tort pour la dernière fois ?

À nouveau, tu hoches de la tête. - C’est bien ce qu’ils sont, des sujets d’études. Eux qui viennent d’ailleurs, qui pourraient tant vous en apprendre sur le monde d’où ils viennent. Et peut-être même sur votre propre monde, de tout ce qu’eux ont pu voir et qui étaient encore invisibles à vos yeux. L’une des multiples raisons ce pour quoi tu considères votre expédition au Hueco Mundo comme importante. Nécessaire, même. Parce qu’il y a sûrement là-bas des informations qui peuvent vous être importantes. Un pas vers l’avant, vers toutes ces découvertes qui sont à portée de main.

- Si ça peut vous rassurer, je ne vous fais pas venir pour que vous vous contentiez d’observer et de prendre des notes. Là encore avec un sourire plus léger, souhaitant adoucir un peu la conversation. - Je m’attends à ce que vous observiez, certes, et à ce que vous tentiez de comprendre. À ce qu’on puisse discuter, comparer les observations, les opinions et pour ainsi pousser nos recherches plus loin encore. Nous y allons avec de nombreux instruments et capteurs mais rien ne nous dit que nous n’aurons pas besoin de plus, ou d’autres choses. C’est la première fois que nous voulons aller aussi loin, aussi près du phénomène, et plusieurs têtes valent mieux qu’une. Il est important, tu penses, d’avoir le plus d’avis possibles sur ce à quoi vous alliez faire face, là-bas.

- Je m’attends aussi à de la prudence et de la coopération. Aucune initiative qui n’a pas été discutée au préalable ne sera permise mais, je serai à votre écoute si vous avez une idée à laquelle je n’aurais pas pensé. Pour faire simple : tu ne veux pas qu’elle agisse seule mais tu n’es pas fermée à la discussion et à ce qu’elle propose ses propres idées. Et ce n’est pas que pour le projet que tu t’inquiètes.

Tu t’inquiètes aussi pour ceux qui vont t’accompagner.
Les membres de ta section sur qui tu dois veiller.

D’un soupir, j’essayais de passer à autre chose. Il me fallait juste le temps d’avaler la pilule, aussi dégueulasse soit-elle. Au moins n’avais-je pas à subir chez ma supérieure une complaisance à me descendre. Encore que ses questionnements sur l’absence d’échecs qui semblait correspondre à mon parcours me froissait à juste titre. Mais sur ce point, je ne pouvais lui donner tort. Jusqu’à maintenant, je n’avais jamais rencontré d’obstacles capables de m’arrêter dans ma course dangereuse. Bien entendu, de nombreuses fois, j’avais échappé de peu à des assassinats de différentes natures. Seulement, mes ennemis se brisaient un à un devant le mur que je plaçais entre eux et moi.

Je me protégeais, plus que jamais. Et j’avais peu de considération sur le mal que je pouvais produire autour de moi. Pas l’ombre d’une empathie. Mais cette femme, elle, s’essayait à cet exercice. Je devais a minima lui prêter ce mérite. C’était on ne peut plus facile après avoir pu faire le déballage de ses reproches sans que je ne puisse lui répondre au risque d’être privée de participer à une mission qui m’intéressait au premier plan.

En tout cas, ses prochaines paroles eurent l’effet de m’apaiser un peu. Je n’allais pas juste jouer le rôle d’une stagiaire s’occupant des photocopies et du café. J’allais avoir le droit de m’impliquer dans des missions plus en accord avec mes compétences, même si se dessinait cette relation évidente où je lui serais subordonnée. Sur place, elle serait ma première interlocutrice. Et je n’aurai pas le privilège d’engager des initiatives sans son consentement.

En d’autres termes, j’allais devoir être coopérative. Jusqu’à présent, ce n’était pas la qualité qui m’avait le mieux défini. Donc j’imaginais que cette Ikeda n’était pas à cheval sur les mauvaises impressions que je dus lui inspirer. Elle faisait la part des choses. Oui, définitivement, une bonne exécutrice. Et j’avais plutôt intérêt à lui montrer que je pouvais aussi être de bonne volonté, plutôt que m’entêter dans la mauvaise foi.

– Vous avez vu juste. Je ne connais pas l’échec. Je l’ai seulement observé chez les autres. C’est comme ça que j’ai appris.

Et pour m’en rendre témoin, je devais me mettre dans une posture qui me permettait d’y assister au plus près sans que ça ne m’éclabousse dessus. À ce titre, j’étais bien obligée de prêter à voir ce qu’on attendait de moi, même si dernièrement, j’étais finalement parvenue à m’émanciper de cette posture fatigante. Ici, j’allais devoir repartir de zéro. Ça me désespérait, mais je n’avais pas le choix.

– J’en prends note.

Ajoutais-je sobrement à l’énonciation des règles que j’allais devoir observer une fois arrivées au Hueco Mundo. Je n’allais pas non plus lui dire qu’elle pouvait compter sur moi, ça sonnerait on ne peut plus faux. En effet, devant elle, au final, j’avais été on ne peut plus franche sur bien des aspects. Le signe que je lui donnais du crédit, même si je ne l’admettrais jamais.

– Mais vous, ça a été quoi vos échecs du coup ?

Car j’avais bien senti que dans son propos, porter sur soi la cicatrice des échecs était une force. Ce que je percevais alors comme un signe évident de faiblesse. Pour une fois, je me mettais un peu en retrait, plus prudente, pour ne pas dire qu’elle m’avait coupé le sifflet.

Tu n’es pas si mauvaise que ça, finalement, pour te faire une idée de tes interlocuteurs. Parce qu’elle te donne raison, concernant ces échecs qu’elle n’a pu qu’observer sans jamais connaître. Tu hoches de la tête, n’ajoutant rien à ses propos. Tu ne peux quand même pas lui reprocher d’avoir réussi dans tout ce qu’elle a voulu entreprendre. Tout ce que tu peux faire, c’est de noter cette information quelque part dans ton cerveau, pour ainsi être préparée le jour où elle y ferait face.

Tu penses avoir réussi à calmer un peu la discussion, alors que tu lui parles de tes attentes la concernant au Hueco Mundo. Rien de bien compliqué ni de surprenant, tu crois, en insistant bien sur le fait qu’elle aura son mot à dire. Pas le dernier, certes, mais il lui sera possible de partager ses idées, si elle venait à en avoir, tout comme donner son avis sur les expériences menées et résultats obtenus. Et si tu n’as aucun doute quant au fait qu’elle en prenne bonne note, tu te demandes tout de même si ce sera suffisant. Si elle saura faire sa part des choses, là-bas. Collaborer. Ne pas laisser son égo prendre le dessus, surtout.

Ce serait à surveiller.
Parce que tu comptes lui laisser sa chance.

À sa question, tu ne peux que sourire, amusée. L’envie d’apprendre à te connaître ou d’avoir des cartes en main ? Comment est-ce qu’elle a dit ça, déjà… Avoir toujours de l’avance sur les autres, pour pouvoir mettre la lame sous la gorge avant qu’ils ne sortent les crocs ? - Comme toute personne, je préfère vanter mes réussites plutôt que mes échecs. Sans répondre à sa question, donc, et sans non plus lui donner l’impression que tu te braques ou que tu te fermes à la discussion.

- S’il est important d’en apprendre… De ses échecs, donc. - Ça ne sert à rien de leur accorder trop d’attention. Tout simplement. De bien sages paroles, adressées avec ce même calme plat que tu emploies depuis le début de votre conversation, pour ne pas parler de ta propre fierté bafouée.

- Avez-vous d’autres questions ? Jamais un mot plus haut que l’autre, lui ouvrant simplement de nouveau la porte à aborder des sujets qui pourraient l’intéresser. Parce que te concernant, tu penses être parvenue à voir ce que tu voulais voir, chez elle. Tu l’as invité pour apprendre un peu plus à la connaître et tu penses avoir réussi à te faire un portrait de celle qu’elle peut être. De ce que tu peux t’attendre d’elle. De la collègue qu’elle sera pour les autres Cups. Et si ça n’est pas parfait…

Tu penses tout de même pouvoir affirmer qu’il allait te falloir la garder à l’oeil.

Tch. C’était évident. Cette Jack of Cups se catégorisait clairement comme une connasse, mais ça ne voulait pas dire qu’elle soit conne pour autant. Ainsi, elle se refusait à me donner des munitions ? Et si je voulais apprendre de ses erreurs, hein ? C’était donc là les limites de sa gentillesse de façade. À se demander au final si elle ne cachait pas plus de points communs avec moi qu’elle voulait bien l’admettre. Avec le recul, je constatais que j’avais affaire à une femme calculatrice, comme moi. Considérait-elle pour autant son entourage seulement comme un assemblage de chiffres ? De cela, j’en doutais. Il y avait des limites à nos ressemblances respectives.

Je manquais encore trop de données pour l’analyser convenablement. Si je voulais songer à des plans la concernant, ça allait devoir attendre. Dans les jours à venir, je serai à l’affût d’une opportunité. Qu’une fois, cette supérieure s’en retrouve à baisser la garde. Je détestais me sentir désarmée. Le rapport unilatéral, je le préférais dans l’autre sens. Et en l’occurrence, je lui avais laissé suffisamment de cartouches pour me mettre hors d’état de nuire quand elle le désirait. Si j’avais d’autres questions ? Je laissais traîner le silence, sans la lâcher du regard, de quoi entretenir la tension de la conversation qui commençait pourtant à s’apaiser. Après tout, j’avais encore ses sermons en travers de la gorge. Finalement, j’eus un sourire aux lèvres.

– Quelles sont vos réussites dans ce cas ? Vous n’êtes pas égoïste. C’est ce qui vous a valu votre place, de votre propre aveu. Mais qu’avez-vous donc fait pour les autres ?

Oui, qu’avait-elle fait de si remarquable ? Allait-elle encore se cacher derrière une réponse convenue ? Pourtant, je lui donnais une bonne occasion de se vanter. Je m’inscrivais ainsi dans son propre vocable, incisive.

– Comprenez moi ! J’aspire à apprendre ! Et à cette fin, j’ai besoin d’être inspirée. Autrement, je devrais me fier à ce que je connais.

Depuis le début, Ikeda avait laissé paraître une pseudo bienveillance. Je partais donc de là pour mettre à l’épreuve la sincérité de sa démarche. Ou juste confirmer si j’avais raison de croire en son hypocrisie.

– Mais si vous ne souhaitez pas répondre, alors, je n’insisterai pas plus. Après tout, c’est vous la cheffe ici.

Ce n’était certainement pas moi. Et si je n’avais pas de problème à consentir au commandement de cette femme pour les compétences qui s’étaient dégagées derrière sa posture, il était clair que je la classerais simplement au rang de menace en l’absence de faille.

Tes réussites ? Si tu n’aimes pas t’étendre sur tes échecs, par un égo mal placé que tu possèdes bien malgré toi, tu restes quelqu’un de modeste qui n’aime pas spécialement trop vanter ses réussites. Une contradiction, donc. L’envie de ne pas trop attirer l’attention mais, en même temps, ce cruel besoin d’exister. Que tous remarquent ton existence. Ton sourire s’étire un peu à ses mots, n’étant toi-même pas certaine de si vraiment elle cherche à être inspirée, à apprendre, ou si tout ce que tu allais dire allait rentrer dans une oreille et sortir par l’autre.

Pas que ça change quoi que ce soit.
Tu aimes bien parler de tes projets.

Levant la main, tu fais tourner l’un des écrans de ton ordinateur vers elle, affichant une première chose sur ce dernier, à savoir une armure. - Une armure qui n’est pas seulement capable d’encaisser les coups physiques, mais qui protège aussi de l’énergie spirituelle. Puis, tu présentes ta main devant elle, mais, surtout, le bracelet autour de ton poignet. - Elle est facile à porter et nullement encombrante. Pour supporter tes propos, tu actives le bracelet, laissant alors une partie de l’armure venir recouvrir ta main ainsi que ton avant-bras. - Elle peut servir d’arme, aussi. Et si tu n’aimes pas particulièrement te battre, c’est au corps à corps que tu es le plus à l’aise.

D’un nouveau geste de la main, l’armure reprend sa forme de bracelet. - C’est en armement que je me démarque le plus. Avec un sourire sur les lèvres, semblant surtout enthousiaste de parler d’un sujet qui te passionne autant. - Par contre, comme ce n’est pas suffisant… Parce que tu ne pourras jamais dépasser l’humain en te contentant d’armes. - Et maintenant que j’y pense, tu as parlé de biotechnologie, c’est bien ça ? Faisant défiler l’écran devant elle jusqu’à arriver à tes drogues de combat.

- Différentes drogues. Que tu commences, lui présentant alors différentes drogues pouvant se consommer de différentes façons, certaines permettant d’ignorer la douleur, l’autre de frapper plus fort. - C’est toutefois toujours un peu plus compliqué, comme le corps a ses limites. Tu lui présentes alors ta dernière création. - Celle-ci affecte directement le cerveau, pour augmenter la vitesse de réaction et les réflexes. L’effet est toutefois très bref. Trop à ton goût.

Mais tu préfères éviter de faire frire un cerveau.

- Enfin, voilà. C’est ce genre de choses sur lesquelles je travaille. J’essaie surtout d’allier notre technologie aux récentes découvertes et de m’assurer qu’on ait de quoi se défendre contre l’énergie spirituelle. Et tu as passé tes dernières années à travailler sur le sujet, jour et nuit, sans jamais vraiment prendre de vacances. Passionnée, tu l’es, même s’ils n’ont pas tort, ceux qui te disent que tu as besoin de vacances. Tu les prendras plus tard, parce que l’évolution n'attend pas et le monde qui vous entoure non plus.

Il y a encore trop que tu veux faire.
Et trop peu de temps.