Donner le tempipeau

Depuis le temps où nous avions engagé notre mission au Hueco Mundo, de nombreux événements venaient déjà enrichir mes expériences au sein de l’Ultima Necat. Avec Ikeda, plusieurs expérimentations, tests et collectes de données nous permettaient déjà de produire quelques infographies utiles à mieux considérer l’ampleur de la Grande Cataracte. Bien sûr, rien d’encore suffisamment probant pour en aborder la nature, mais au moins, nous étions sur la bonne voie. Et puis, il y avait les quelques rencontres avec les membres de l’Acuerdo intrigués par notre présence plus marquée que d’accoutumée. Car oui, pour exploiter le Reishi de l’Hueco Mundo, ce n’était pas comme si nous désertions totalement les lieux en temps ordinaire.

Enfin, peu importe. Dans la mesure où je me familiarisais un peu mieux avec le monde surnaturel, je rattrapais mon retard par rapport aux Fullbringers plus anciennement installés. À commencer par ma supérieure qui avait vu d’un mauvais œil mon manque récurrent de professionnalisme. Ah ça, quand il fallait travailler, il n’y avait pas de souci. Mais il était vrai que mes habitudes qui me voyaient dominer autrui plutôt que d’être dominée faisaient de moi une subordonnée compliquée à gérer. Et là, j’entrais dans le champ de l’euphémisme. Au fond, la Jack of Cups révélait une patience notable. À sa place, peu auraient été aussi patients.

D’ailleurs, à ce propos, j’allais très bientôt corriger un manque. En effet, ma cheffe avait pris l’initiative de m’intégrer au voyage en vue d’atteindre ses objectifs. L’occasion également de me mettre rapidement à l’épreuve pour voir ce que je valais. La conséquence ? Je n’avais pas encore eu le loisir de discuter avec l’organisatrice de cette petite randonnée dans le monde creux. Akashiya Recca, de son nom. Celle qui était la plus haut placée dans cette petite équipée. Et d’elle, je n’avais relevé que son immense fatigue le jour de notre rencontre où nous avions alors échangé nos noms.

Cette dernière avait souhaité de moi un rapport. Ce que je devinais comme une volonté de profiter d’un peu de temps pour apprendre à mieux me connaître. Jusque là, nos responsabilités respectives avaient fait que nous avions peu eu l’occasion de nous croiser. Qu’à cela ne tienne, j’irais me présenter à elle dans mon costume blanc sur-mesure. J’avais toujours ma cravate ainsi que mes autres accessoires faisant que je puais le fric à dix kilomètres. Un flow contrebalancé par ma silhouette fluette qui ne me rendait a priori pas bien intimidante. Je me présentais donc devant la nommée Recca qui nous commandait.

– Queen of Clubs, vous avez souhaité me voir ?

Vu que c’était la boss, autant lui laisser le luxe de donner le tempo.

Cinq. C’était le nombre maximal de participants qu’elle s’était fixé pour cette expédition particulière. Elle avait été l’initiatrice du projet de par l’inquiétude qu’elle nourrissait pour ses agents sur place. En tant que Queen, elle se devait de veiller à leur sécurité si elle voulait qu’ils puissent à leur tour mener leur mission à bien. Une différence avec la vision qu’elle avait lorsqu’elle n’était que Six. Solitaire, elle se moquait alors bien de ce qui pouvait arriver aux autres. On lui disait de faire ceci ou cela et elle obéissait parce qu’elle n’avait rien de mieux à faire et pas d’autre choix.

La dernière place du groupe avait été régulièrement modifiée. Au début, la Queen avait imaginé qu’un Coins aurait rejoint l’équipe avant de comprendre qu’aucun d’entre eux ne serait vraiment indispensable sur place. Ils l’avaient été en amont pour tout préparer, mais ici leur présence n’était pas utile. Puis le nom de Kimiko avait été relevé par Hanae en personne. Au début, Recca avait dit non, arguant qu’elle voulait le moins de personne possible, puis elle a changé d’avis, se disant qu’une force de frappe supplémentaire pour défendre ne serait pas si mal en fin de compte. Mais cette dernière n’était pas disponible, déjà missionnée par son propre King. Alors la dernière place était restée vacante jusqu’à ce qu’Hanae trouve une dernière scientifique nécessaire à la bonne tenue du projet. Recca avait tout de suite dit oui. Mieux vaut trop de têtes savantes que pas assez. Elle-même, ayant arrêté l’école trop jeune, ne saurait être d’une quelconque utilité sur les parties les plus complexes. Bien sûr, elle n’était pas idiote non plus et savait faire preuve d’une grande logique et de bon sens.

La dernière rattachée au groupe, elle ne la connaissait pas, l’avait vue pour la première fois seulement au moment de partir. Dans la précipitation des choses, elle n’avait pas pu libérer assez de temps pour la rencontrer comme elle aurait souhaité le faire. C’est qu’elle avait mis un point d’honneur à rencontrer tous ceux qu’elle emmenait ici avec elle dans cette zone à risque. Le manquement allait donc être corrigé avec le bon prétexte qu’elle souhaitait savoir ce qui avait été fait jusqu’à présent. Pas un faux prétexte, son questionnement était réel, mais ainsi, elle faisait d’une pierre deux coups.

Six of Cups. Ça la fait sourire cette coïncidence. Bonne ou mauvaise nouvelle ? À première vue, elle ne parierait pas trop sur « bonne ». Clairement, elles ne venaient pas du même milieu. Miyu, trop propre sur elle puait l’argent à plein nez, quand de son côté, l’ancienne taularde n’avait connu principalement que la misère, à une période exceptée près. Cela ne signifiait pas qu’elle n’aimait pas les riches, mais l’inverse par contre… Bon, en vrai, elle n’a pas l’air si pauvre que cela, sa veste en soie et son pantalon de cuir sont d’excellente qualité, mais le style n'est clairement pas le même. La classe stricte et pure rencontre la classe badass. Et Recca imagine déjà assez bien les pensées négatives que la première pourrait avoir sur son look, tandis qu’elle-même s’en fou royalement.

- Six of Cups, effectivement. Tu es arrivée dans l’organisation depuis peu, il me semble, n’est ce pas ? J’ai pas mal de questions… Va-y installe toi.

Ah, oui, elle tutoie. Et si ça râle en face, ça l’amuse encore plus. Mais c’est comme ça. C’est assez rare qu’elle vouvoie quelqu’un. Un inconnu de passage ça arrive. Orias quand elle copie par mimétisme aussi, mais seulement si la situation est malaisante. Et puis le chef tout-puissant bien sûr, faut pas déconner.

- Que penses-tu de l’Ultima Necat ?

– Oui, c’est bien cela !

Une confirmation rapide qui ne s’embarrassait pas de mille ronds de jambe pour s’accomplir. Bien entendu, discrètement, j’avais sondé cette femme rousse de la tête aux pieds. Et si son style la rendait borderline, c’était déjà un dress code un peu plus soigneux que ma boss des Cups présente sur place. Ce pourquoi, je ne m’y arrêta pas plus longtemps que ça, sauf à me dire que cette Queen serait une personnalité un peu plus Rock’n roll. Ou alors, c’était juste un genre qu’elle se donnait ? Les choix vestimentaires disaient beaucoup sur une personne.

Je ne relevais pas plus le tutoiement que certains individus hauts placés aimaient placer pour se donner une pseudo proximité avec leurs subordonnés. Souvent, ça cachait un quelque chose de moins flatteur. Ma réaction à ça ? De simplement suivre l’exemple. Je m’adaptais au vocable de mes interlocuteurs. Oui, on pouvait dire que je me mettais à niveau, à ma manière. Enfin, ma réponse, je commencerai par la mûrir un peu après m’être installée suivant son invitation.

Ce que je pensais de l’Ultima Necat ? Oh, j’en avais une idée bien arrêtée. Seulement, je devais faire varier la réponse selon qui j’avais en face. Simplement, pour acheter la paix sociale et me faire bien voir. J’avais déjà pris de gros risques à révéler le fond de qui j’étais à la Jack of Cups. J’allais pas faire de même pour n’importe quel ponte de cette organisation au bras long.

– J’en pense que c’est une organisation révolutionnaire, sinon prometteuse. Je m’y suis dégotté une place parce que j’ai senti qu’ainsi, je serais plus utile au bien commun.

Une remarque bien hypocrite. Car le bien commun, de mon avis, pouvait bien aller en enfer que ça ne m’en ferait pas bouger une. Mais il fallait bien prêter le change aux grands patrons. Leur faire entendre ce qu’ils voulaient entendre. Et sur mon sourire fabriqué de toute pièce ne se trouvait aucune faille. Je pipeautais comme un poisson dans l’eau.

– Jusque là, j’étais business angel. Des projets innovants, j’en ai vu une pelleté. Seulement, en pratique, la société bride trop les nouvelles technologies. Que ce soit avec ses réglementations périmées, les conflits d’intérêt, le copinage des grands qui se partagent les chèques de la caisse publique dans des projets bidons pour faire vivre les copains… J’étais sponsor dans l’un de ces incubateurs. Je sais comment ça se passe. Lorsqu’une entreprise en herbe entre, on n’attend pas spécialement d’elle qu’elle perce. On l’estime plutôt comme un engrenage permettant de faire vivre notre écosystème, de faire tourner une économie locale qui vient presser les idéalistes comme des citrons, jusqu’à ce qu’ils abandonnent ou se ruinent. Et on se réfugie derrière la bonne excuse qu’un unique pourcent parviendra à atteindre des résultats. Alors, ce petit pourcent, j’en ai produit quelques uns. Mais même au-delà de nos structures, la société est un dinosaure qui ne veut pas bouger.

Je me prenais d’adresser un petit cours à ma supérieure puisque j’en trouvais là une bonne occasion. De quoi noyer le poisson en dérivant le sujet sur des thèmes maîtrisés qui pouvaient vaguement fournir une réponse à mes motivations. Est-ce que je clignais des yeux en éternuant ? Pas le moins du monde !

– Je suis fatiguée de ces petits jeux. Moi ? Je veux des résultats. Et je pense que l’Ultima Necat peut en produire. Donc j’investis dedans. En monnaie et en sueur. Car je me sais autant riche que capable.

Souriante, j’étais on ne peut plus sûre de moi. Quand bien même, dernièrement, j’avais pu être remise à ma place quelques fois. Dans cette organisation, j’étais presque une petite main. Et pour moi qui faisait autrefois partie des Grands, c’était assez perturbant. Mais autant chercher à réorienter le dada sur l’autre.

– Et toi ? T’y crois au projet ?

Ne l’avais-je pas dit ? Que j’aimais me mettre à niveau ? J’avais beau n’être qu’une subordonnée, je percevais l’inverse dans la relation qui se nouait entre nous. S’il fallait me comparer avec une catégorie de personne, j’étais un smurf.

Que les technologies créées par l’Ultima Necat soient révolutionnaires, elle n’en doutait pas. Utiles au bien commun, c’est ce qui est censé être. Au moins on débarrasse le monde des Hollow et c’est ce point là que l’offensive Queen of Clubs se positionne principalement. Il était attendu qu’une Cups soulève plutôt l’aspect technologique que défensif. Chacun à sa place de toute façon. À travers son discours, elle perçoit cependant davantage la femme d’affaires que la scientifique. Ou plutôt, l’un au profit de l’autre. Certainement l’incarnation de l’expression selon laquelle la fin justifie les moyens. Pour une petite jeune, c’est à la fois admirable et terrifiant. Elle-même était adolescente lorsqu’elle a commencé à chasser le Hollow alors l’âge ne signifie pas grand-chose. Il n’y a que la Jack des Cups pour s’inquiéter de ce genre de détail. Pas qu’elle ait complètement tort, on a tendance à être plus prudent avec l’expérience et les années vécues. Mais certaines personnes peuvent avoir connu plus d’épreuves en quelques années que d’autres en toute une vie, donc c’est une échelle difficilement utilisable.

Elle n’a pas tort la brunette, si on veut avancer dans l’évolution de la technologie, la fondation Momento est la mieux placée, pas du tout influencée ou bridée par la société. Quand on sait ce qu’il y a derrière, ce qu’elle utilise pour y parvenir, on comprend pourquoi. Intelligente, maline, opportuniste. De bonnes qualités pour s’en sortir en devenant requin parmi les requins.

- Changer le monde, sauver l’humanité... La rouquine a un léger rictus. Si quelqu’un en est capable, c’est nous. Il y a six ans, je n’y croyais pas. Visiblement, j’ai changé d’avis. Et ainsi laisserons nous notre marque dans l’histoire. Lorsque nous mourons, nous pourrons nous dire que notre vie n’aura pas été inutile. Et tout vaut mieux que de rester vautré dans son canapé.

Et puis quand on n’a pas vraiment le choix aussi, il faut bien se persuader que l’on fait cela pour une raison suffisamment motivante. Quoique, aujourd’hui, c’est un peu faux. Le choix, elle l’a, elle a une autre source de revenus donc elle pourrait tout quitter si elle voulait et ne plus avoir à prendre de risque. Mais alors quel sens donnerait-elle à sa vie ? Là, au moins, elle a l’impression de faire quelque chose d’utile et de plus grand qu’elle, de pas égoïste en tout cas.

- Tu as une spécialisation ? Un projet particulier ? Par exemple, je sais que Diamond se focalise plutôt sur la confection de pilules de combat.

Je cligna deux fois des paupières par réflexe, gardant ceci dit la même expression avenante pour faire le jeu de la politesse. Je me trouvais donc devant une idéaliste, si je me fiais à sa réponse. Enfin, elle me confiait son scepticisme originel, celui qui datait de son entrée en fonction six ans auparavant. Mais à présent, elle semblait on ne peut plus convaincue. L’espace d’un instant, je crus entendre le CEO d’une startup en plein essor et cherchant à me convaincre de lui accorder une levée de fonds.

Cependant, ici, je devais chasser le naturel. Le contexte différait un peu. En l’occurrence, l’Ultima Necat portait des projets tels que même ces puérilités consistant à vouloir sauver l’humanité sonnaient sérieuses à l’oreille. Ce que je pouvais reprocher à ce regard ? Son incomplétude. Elle avait raison de souligner les bienfaits que ces technologies apporteraient dans le monde des humains. Cependant, à mes yeux, ces innovations à venir préfiguraient les jeux de domination futurs. À ce titre, j’étais un peu plus cynique dans mon approche.

Pas plus intéressée que ça à l’idée de laisser ma marque derrière moi. Trop habituée à avancer en sous-marin. Même si cette remarque sut réveiller une conversation désagréable que j’eus avec l’un des habitants du Hueco Mundo. Une discussion ayant fait ressortir la vanité de nos actions. En cela, je n’avais pu lui donner tort. Si à l’issue de ces transformations, nos vies se targueraient de prétendre à un semblant d’impact utilitariste ? C’était relatif. À l’échelle d’une vie, peut-être que oui. Mais d’un siècle ? D’un millénaire ? Rien de moins sûr. Et puis, si ça n’avait pas été nous, est-ce que ça n’aurait pas été un autre ? N’étions nous pas interchangeables, après tout ?

Si cette pensée me plaisait ? Pas du tout. Je n’étais pas la dernière à pécher d’égocentrisme. Mais je n’en demeurais pas moins lucide sur nos limites humaines. Ce que je souhaitais transcender, à l’instar de la Jack of Cups. Dur de réaliser à ce moment que je partageais un point commun avec elle.

– Je ne te le fais pas dire. Je ne suis pas venue pour me changer en larve à suivre une routine ennuyeuse. Je laisse ça aux rebuts.

Ceux qui ont échoué à percer. Qui en sont venus à se trouver des excuses pour ne pas regarder la réalité en face. Des ratés arrivés au pied du mur plus ou moins tôt dans leur vie. Pour ma part, j’étais encore en pleine ascension. Et je n’avais pas l’intention de ralentir, loin s’en faut. Étais-je condescendante vis-à-vis de mes semblables ? Totalement. Je valais mieux que l’écrasante majorité de l’humanité. Dans mon petit monde, j’étais même la première. La plus importante. Les autres ? Des marches à gravir, des serviettes à piétiner, des obstacles à franchir. Ni plus, ni moins. Ma spécialisation ?

– Originellement, j’ai suivi des études d’ingénieure en biotechnologies.

Je ne reconnaîtrais pas alors que j’avais suivi une année ou deux pour finalement acheter le diplôme et apprendre sur le tas, via mes expériences professionnelles. Je n’avais pas de temps à perdre dans de vaines études où on apprenait à enculer des mouches et justifier nos salaires sur un jargon aussi ennuyeux que redondant.

– Pour te parler de mes projets… Au sein de l’Ultima Necat, je m’intéresse à l’énergie comme carburant. Ce qui oriente mes recherches sur le Reishi, qu’il soit issu de matières spirituelles, inertes ou encore organiques. Je veux pouvoir en modifier la propriété, la reproduire voire même la supprimer. Quelles sont ses interactions avec le reste des éléments ? Peut-elle être diminuée, augmentée ?

Recca pouvait comprendre à présent l’intérêt que je retirais à cette mission. Je mettais les pieds dans l’installation qui nous voyait collecter le Reishi du Hueco Mundo en vue d’alimenter nos machineries en énergie propre. Plus encore, il y avait ce phénomène qui justifiait la présence de notre équipée.

– La Grande Cataracte semble suggérer que la matière pourrait disparaître. Même si elle n’est pas physique, ça n’en remet pas moins en question le fondement d’Antoine Lavoisier. De quoi donner un coup de pied dans la fourmilière des théories qui reposent sur ce paradigme unanime. En imagines-tu les implications ?

Selon Lavoisier, rien ne se perdait, rien ne se créait, tout se transformait. Mais si ça pouvait être faux ? S’il pouvait y avoir des exceptions ? Si le Reishi pouvait disparaître ? Alors, pourrait-il inversement être créé ? D’un soufflement de nez, je m’amusais à l’idée que je m’emballais dans des délires qui devaient être lointains pour la Queen des Coins.

Elle semble motivée, évidemment, l’inverse aurait été curieux de la part d’une Cups. La rouquine affiche un fin sourire sur ses lèvres. Le diplôme de la Six ne l’impressionne pas. Elle note l’information somme toute intéressante, mais elle ne souffre absolument pas d’un quelconque complexe d’infériorité. Elle n’a peut-être pas le cerveau, mais elle a bien d’autres atouts qui lui suffisent amplement. Si une période de sa vie, ou même deux, ont pu la briser, elle n’en est ressortie que plus forte, plus résiliente. Elle ne manque pas de courage ni de confiance en soi. Cette assurance lui a d’ailleurs permis d’arriver à ce grade qu’elle possède aujourd’hui.

- Intéressant.

Tout comme le projet qu’elle décrit. La loi à laquelle la brune fait référence, l’Akashiya la connaît, l’a déjà lue quelque part dans un livre de physique de l’enseignement secondaire. Même l’énergie vient de quelque part, que ce soit d’un mouvement, d’une poussée, de la lumière solaire ou encore d’une transformation chimique. Alors si la jeune Miyu parvenait à transcender cette règle, pour sûr, ce serait phénoménal. Et même sans aller jusque-là, trouver le catalyseur qui permettrait de faire ce que l’on veut du Reishi, ce serait déjà bien. Ses pensées s’envolent vers les Quincy. Eux plus que d’autres devaient être capable de l’aider dans ses recherches, malheureusement, elle n’en connaît pas vraiment qui soit disponible pour le moment. Lentement, elle opine du chef.

- Un beau projet. Je te souhaite d’y parvenir.

Bien que son visage soit neutre, elle reste sceptique. Elle a ses propres théories, mais n’a pas spécialement envie d’en discuter tant qu’elle n’a pas assez d’éléments pour les vérifier. Parler sans preuve ce n’est jamais bon, elle est bien placée pour savoir cela. Ça et qu’il ne faut pas compter sur les avocats commis d’office. Des amateurs, des bons à rien qu’ont pas le bras assez long.

- Sais-tu ce qu’est un Quincy ? Travailler avec l’un d’eux pourrait t’aider. Enfin, simple suggestion.

Ce n’est pas à elle de lui dire quoi faire évidemment, mais si jamais Miyu ne connaît pas leurs capacités, peut-être serait-elle intéressée. Puisqu’elle est fraîchement arrivée parmi eux, qui sait ce dont elle peut savoir du monde spirituel.

- Bref. Je comprends donc ton intérêt pour notre mission. Peux-tu d’ailleurs me dire ce que vous avez fait jusque-là ? Où vous en êtes...

Ses mains se croisent devant elle, suivant avec attention tout ce qui peut avoir attrait à la mission qu’elle avait elle-même montée.

Je recevais un accueil jusque là positif de la part de la Queen. Une première, depuis que je fréquentais le gratin de l’Ultima Necat. Alors oui, ce n’était pas comme si j’en avais déjà trouvé beaucoup devant moi. Mais tout de même… mes dernières expériences avaient fait ressortir ma difficulté à supporter l’autoritarisme. Ikeda était encore celle avec qui ça se passait le mieux. Et encore, je jugeais nos relations toujours électriques, au moins de mon point de vue. Quant au King ? Je préférais ne pas m’étendre sur le sujet, de peur d’attraper une ride…

Avec cette Queen of Coins, parviendrais-je à une première conversation cordiale de bout en bout ? Ou allais-je encore glisser pour me valoir un mauvais rapport qui allait finir par remonter à plus haut échelon à ce rythme là ? Non, cette fois, ça se passerait bien. Je devais y croire. Elle m’encourageait. Ce à quoi, je fis le signe de tête le plus sympathique dont j’étais capable, toujours en parfaite hypocrisie. Je faisais là de gros efforts de sociabilité. Pour autant, je sentais bien qu’en parallèle, quelque chose travaillait mon interlocutrice. Les Quincy ?

– Tu parles de ces humains archers qui ont fait la guerre aux shinigamis il y a quelques années de ça ?

Cette donnée était loin de passer inaperçu dans les archives de l’Ultima Necat. Par ailleurs, l’organisation était ouverte à ces individus, même si je n’avais pas encore eu le loisir d’en rencontrer. Du reste, une scientifique qui se respectait ferait toujours en sorte de dresser un état de l’art exhaustif sur son courant de recherche. À ce titre, bien sûr, j’avais pu m’intéresser aux Quincys. Et je saisissais immédiatement le sous-entendu que ma vis-à-vis me faisait.

– T’es plutôt vive d’esprit !

Je ne faisais pas souvent de compliments. Et il était fort probable que je la flattais plus qu’autre chose, en l’occurrence. Mais où était le mal dans tout ça ?

– J’aimerais à l’avenir en rencontrer un. Si t’en connais, je te serai reconnaissante de me mettre en contact avec ! Je sens que ça pourrait me permettre de lever plus facilement un verrou ou deux !

Effectivement, si j’avais bachoté les informations sur le surnaturel, je demeurais inexpérimentée en la matière. Si bien que le retard à rattraper était colossal. Quelque chose que Matsui ne rechigna pas à me faire remarquer avec toute la suffisance qui le caractérisait. En ce qui concernait nos avancées avec Hanae…

– Nous avons terminé d’installer nos capteurs. Nous cherchons à identifier la nature de la Grande Cataracte. Jusqu’où il est possible d’avancer avant d’atteindre le seuil de non retour. Car oui, les drones que nous avons voulu envoyer à l’intérieur ont littéralement disparu sans révéler le moindre dommage physique. D’où ma remarque de tout à l’heure.

Et puis, il y a aussi que nous cherchons à identifier si cette chose grandit et si oui, à quelle vitesse. Nous avons aussi mené une expérience nous faisant exploser notre énergie spirituelle à proximité de ce truc. Dire de voir si ça va s’étendre ou réagir plus particulièrement du côté où on a fait ce test.

Ah, et il y a aussi la prochaine mission que je dois réaliser qui consiste à programmer des itinéraires de vol pour les drones autour de la Grande Cataracte en vue d’en modéliser la forme ainsi que la dimension. Sur le principe, je joue sur la caméra. Si l’image s’assombrit, le drone remonte. S’il s’éclaircit, il descend. Mais pour y arriver, ça me demande des codes et configurations complexes qui ne sont pas vraiment ma spécialité. Je dois encore voir Ikeda pour corriger quelques bugs.

Mon exposé n’avait pas ménagé les détails sans non plus chercher à perdre ma supérieure dans du jargon d’ingénieur. Comme ancienne Business Angel, je savais adopter mon vocabulaire au public devant moi. Une autre qualité héritée de mon expérience passée que je pouvais valoriser en mission. Du reste, je ne manquerai pas de ponctuer ce rapport d’un léger commentaire sortant un peu de la question de base.

– Oh, par contre, nous n’étions pas censés avoir un accord avec l’Acuerdo ? Car le peu d’habitants que j’ai croisé ici étaient on ne peut plus agressifs. Et puis, des quelques échanges que j’ai pu partager… nous autres humains ne sommes pas vraiment en odeur de Sainteté.

J’énonçais là un euphémisme.

La rouquine opine simplement. C’est bien à eux qu’elle fait référence. Dommage pour la jeune scientifique qu’ils soient très rares. Peut-être qu’il y en a encore quelques-uns qui n’ont pas rejoint l’Ultima Necat. Après cette quasi-éradication qu’ils ont subie, ce ne serait pas étonnant qu’ils préfèrent faire profil bas ou du moins ne plus se mêler à une communauté pour le moment.

La discussion se passe bien. En-tout-cas jusqu’à présent, elle n’a pas à se plaindre, la trouve même plutôt sympathique. Le fait qu’elle ne considère pas les autres comme inférieurs à elle bien qu’elle soit responsable de mission ou bien Queen jouait peut-être un peu dans la balance. Après, qui sait, peut-être que ce n’était qu’une apparence, mais du moment que l’on pouvait rester cordial sans tomber dans le désagréable, c’était le principal à ses yeux.

Attentivement, elle écoute les informations données à propos des capteurs puis l’histoire des drones qui n’est pas sans lui rappeler ce qui est arrivé à son successeur trop curieux qui s’était avancé témérairement dans la Grande Cataracte. La nouvelle Queen ne l’a pas vu de ses propres yeux, mais elle a entendu suffisamment de témoignages pour s’en faire ses propres images tel un film qu’elle aurait imaginé dans son esprit.

À nouveau, elle opine, les recherches à propos de l’agrandissement potentiel et sa vitesse, c’est ce qu’elle avait demandé afin de déterminer si la Cataracte était un danger imminent ou s’il suffisait de s’en tenir éloigné, vivant tels de bons voisins cohabitants chacun dans son coin sans déranger l’autre. La modélisation de l’ensemble est une bonne idée, qui sait ce que cela pourrait apporter comme informations utiles aux Cups et à l’organisation. L’équipe scientifique peut bien faire tout ce qu’elle veut, pour la Reine des bâtons le seul résultat qui compte, c’est de savoir si les installations, et surtout ses agents postés ici, risquent quoi que ce soit. En-tout-cas, l’exposé présenté est clair et elle comprend ce qui lui est expliqué. Le dernier point lui fait hausser un sourcil.

- Si… Qui as-tu croisé ? Qu’est-ce qu’ils ont dit ?

Voilà autre chose. Pas que ce soit très surprenant, pour les Hollow qui sont leurs amis naturels, ils ne sont que des proies et malgré le Pacte, la rouquine s’est toujours méfiée de ces êtres monstrueux. Si elle est capable de faire preuve de compassion, elle n’est pas certaine qu’ils le méritent.

J’étais devant une Queen of CLUBS on ne peut plus réservée. Alors oui, je sentais bien à son expression qu’elle était la plus attentive. Mais son attitude allait pour me laisser parler sans derrière accorder à mon attention quelques avis qui me permettraient de mieux cerner sa personnalité. Si je pouvais me montrer très bavarde, parfois beaucoup trop, cela ne voulait pas dire que j’appréciais particulièrement de m’écouter parler. Non, en règle générale, je préférais la posture spectatrice, plus confortable à mon goût. Et ce luxe n’était pas pour moi ici, mais pour mon interlocutrice.

Enfin, d’un autre côté, de cette manière, il y avait peu de chances que j’ai un mot plus haut que l’autre. Car si j’avais mauvais caractère, ce n’était pas comme si j’allais rechercher le conflit gratuitement, sauf à y voir un intérêt particulier. Et puis, j’avançais avec une épée de Damoclès au-dessus de la nuque. Le King of Cups s’était montré clair à ce sujet. Si le rapport de mission remettait en question mes capacités, alors j’avais de bonnes raisons de craindre quelques mesures de nature à nuire à mes ambitions. Une finalité que je souhaitais éviter à tout prix, quitte à opiner docilement de la tête tandis que mon interlocutrice me cuisinait un peu plus sur mes retours d’expérience.

– Trois Hollows, une espada, une arrancar.

J’étais la plus exacte dans le chiffrage et le classement des habitants du Hueco Mundo qui s’étaient retrouvés sur mon chemin. Ne restait plus qu’à contextualiser chacune de ces situations.

– Les Hollows ont cherché à me becter tandis que je réalisais mes opérations de routine. L’espada s’appelait Delila Scarlatti, au rang de Segunda. Elle est passée « m’aider », même si son approche était plus opportuniste qu’autre chose. À ce titre, je ne l’ai pas laissée abuser de la situation, quitte à ce que ça lui déplaise. Comme scientifique, elle était intriguée par la Grande Cataracte ainsi que nos actions. J’ai senti dans ses propos qu’elle appartenait au parti modéré de l’Acuerdo. Il semble que la majorité voit d’un très mauvais œil l’accord liant leurs chefs à notre groupe. Je présage donc, à partir de ces signaux négatifs, que notre contrat pourrait bien être retoqué, de quoi nous préparer à quelques actions coercitives.

Je traduisais et analysais dans le même temps les informations collectées au cours de ces incidents. Ainsi, celle qui se trouvait à la direction de notre petit groupe serait la plus à même de prendre les décisions qui s’imposaient.

– L’autre arrancar se nommait Ehteska. Elle était blessée quand je suis venu à sa rencontre. Elle venait d’affronter l’un des nôtres, de toute évidence. Avez-vous eu des nouvelles à ce propos ?

L’occasion pour moi de collecter quelques renseignements, également.

Ça en fait pas mal tout cela pour public. La présence des Hollow mineurs vient conforter les rapports qu’elle a déjà lu, rédigés par ses hommes durant les dernières semaines. Un phénomène curieux qu’elle avait rapporté au Primera qui avait lié cela à la présence nocive de la Grande Cataracte. Une théorie à laquelle elle veut bien croire et à laquelle elle a apporté quelques solutions qui n’ont pas vraiment été du goût de ce dernier. Elle opine concernant la Segunda, puis hausse un sourcil à propos de la dénommée Ehteska.

- Diamond manque à l’appel. Je présume qu’elle est tombée sur lui. A-t-elle précisé dans quel état elle l’a laissé ? Est-il toujours vivant ? S’il ne réapparaît pas dans les prochains jours, je ferai envoyer une équipe pour tenter de le retrouver. Je vais d’abord demander à Hanae si elle en sait davantage sur ce qu’il est parti faire exactement ou s’il nous a juste faussé compagnie.

Elle ne peut s’empêcher de soupirer. Il n’était pas dans ses plans de perdre un élément, ou de devoir perdre son temps à aller en sauver un, mais puisqu’il s’agissait de Nine et que contre toute attente elle l’aime bien, elle ne va pas le laisser moisir dans ce monde de monstres. La rouquine en revient au sujet des Hollow. Ses informations ne sont pas confidentielles et elle estime que tous peuvent en prendre connaissance, de plus, d’autres avis ne seraient pas de trop.

- Mes hommes ont noté qu’il y avait de plus en plus d’attaques ces derniers temps. Des bêtes Hollow, incapables de parler, l’air complètement débiles. J’ai rencontré le Primera Espada. D’après lui les Hollow deviennent fou à cause de la Grande Cataracte. Ils semblent d’ailleurs ne pas s’en prendre qu’à nous mais aussi aux leurs. Comment étaient ceux que tu as croisés ? Penses-tu que cette chose peut les avoir détraqués ? Je n’ai pas l’impression qu’elle ait d’effet sur nous alors que nous sommes tout proches d’elle.

S’il a menti, elle ne le sait pas, n’a pas de raison de douter de ses paroles. À moins que tout cela ne soit qu’un ramassis de mensonges pour mieux semer la zizanie entre l’Ultima Necat et l’Acuerdo, s’il fait partie de ceux qui sont contre le Pacte cela ferait sens, mais elle ne voit pas comment il pourrait avoir convaincu tous ces Hollow d’aller se suicider entre leurs mains. Soit il lui manque des pièces du puzzle, soit il dit vrai.

- Je lui ai dit qu’il pouvait nous envoyer des scientifiques pour nous aider à étudier le phénomène, donc je ne suis pas étonnée de la visite de la Segunda. Mais… J’ai de gros doutes quant à sa capacité à nous être vraiment utile. M’enfin, peut-être a-t-elle perçu quelque chose que nous ne pouvons percevoir.

La Queen a bien senti aussi que le Pacte était fragile et que la moindre petite chose pourrait le mettre en péril. Or l’organisation a besoin de puiser le Reishi pour ses inventions et technologies. Il est impensable d’abandonner cette source d’énergie. Du coup, si tout cela dégénère, il ne sera pas juste question de fuir sur Terre. Tels des conquérants, ils vont devoir prendre ce dont ils ont besoin par la force. Une bonne bataille, elle n’est pas contre, justement ça la démange de tabasser du Hollow.

- Si l’accord est rompu, seras-tu de ceux qui se battront ou resteras-tu en retrait ?

Il n’y a pas de mauvaise réponse, simple curiosité.

– Non. Je puis en tout cas affirmer qu’aucun cadavre ne se trouvait dans la zone quand j’ai cherché. Ce qui me fait penser qu’il est toujours en vie.

Quant au reste des hypothèses portant sur le lascar, je ne les releva pas. De quoi ça aurait l’air si déjà, je cherchait à enfoncer les membres de ma propre section ? Ah, bien sûr, je pouvais saisir l’opportunité de décrédibiliser ma supérieure. Seulement, je jugeais qu’il était encore trop tôt. D’autant plus que je n’avais pas encore bien cerné qui j’avais en face de moi. Pour l’heure, mieux valait ne pas chercher à incriminer ou justifier les choix de mes collègues, d’autant plus que j’étais toute récente à mon poste. En ce qui concernait les informations sur les Hollows, j’étais déjà un peu plus intéressée. Pensive, j’essayais de me remettre cette scène un peu désagréable qui avait failli faire de moi une proie malheureuse.

– Hm, ça ne me semble pas invraisemblable, même si ceux m’ayant attaqué ont été calmés assez facilement par la Segunda. Si vous voulez mon avis, ils avaient seulement faim.

Clignant quelques instants des yeux, je réalisais que je m’étais mise à la vouvoyer en cours de route. Comment étais-je censé l’interpréter ? De l’excès de zèle ? Ou alors, j’avais cessé de faire attention à force de parler seule ? Au fond, quel intérêt d’y réfléchir ? Pour le sujet en cours de discussion, je n’avais encore jamais rencontré de Hollows. Alors, comment étais-je censé identifier s’ils étaient anormaux ou non ?

– Rien qui ne saurait être confirmé sans une enquête approfondie en premier lieu.

Chaque problème appelait des expériences souvent longues à mener. Nous partions d’hypothèse pour arriver à des conclusions. La demande faisait naître le besoin. Les Cups avaient été invités au Hueco Mundo pour cette raison. Quand bien même, je voyais peu d’intérêt à étudier les déviances des locaux, sauf à laisser entendre que nous autres humains pourrions aussi être atteints par cette démence. Il ne fallait pas que nos consommateurs à venir aient à subir quelques mauvais effets secondaires.

Quant à la collaboration suggérée par la Primera Espada, elle me laissait interdite. Travailler avec des scientifiques de l’Acuerdo ? Trop risqué, à mes yeux. Nos relations étaient trop fragiles pour ainsi justifier de mélanger les œufs dans le même panier. Je préférais éviter de partager nos informations, d’autant plus après l’altercation passée avec la Segunda Espada. C’était déjà bien assez compliqué de travailler avec d’autres humains… alors fallait-il s’infliger des monstres par-dessus tout ?

Quant à la dernière question, elle me surprenait assez et ça se voyait dans une faille fugace sur mon masque. Qu’est-ce que j’étais censé répondre à ça ? Parce que j’aurai mon mot à dire auquel cas ? J’y croyais assez peu. Que je me batte ou que je me mette en retrait, ce ne serait pas à moi d’en décider, même si cette pensée me frustrait. Si j’avais le choix ?

– Tu me demandes si je vais me dégonfler au premier coup de vent ?

Car à la fin, c’était bien ainsi que je le comprenais. Je ne faisais pas partie des Swords, mais des Cups. Pour cette raison, je me savais posséder plus de chances de me trouver éloignée de la ligne de front. D’un autre côté, je nous savais également trop faibles pour se payer le luxe de qui resterait en retrait de qui partirait au front.

– Ça dépend, tu me vois plus utile où ?

À cet instant, je la regardais droit dans les yeux. Étais-je perturbée par sa question ? Loin s’en faut. J’avais l’expression de celle qui s’était déjà sali les mains à de nombreuses reprises. J’avais la tête de celle qui avait déjà risqué sa vie. J’avais le visage de celle qui avait cessé de se cacher depuis bien longtemps.

– Si tu veux connaître mes limites, saches que j’en ai très peu. S’il faut se battre, alors c’est d’accord. S’il faut casser des œufs pour sauver l’humanité, eh bien cassons tous les œufs du panier !

Pour un peu, je pouvais sembler radicale. Extrême. Peut-être parce que je l’étais ? Plutôt deux fois qu’une, même. Ne manquait plus qu’à voir si la personne devant moi était du même bois.

– Toi, je me fous bien de savoir si tu te battras ou non en cas de conflit. Ce qui m’intéresse, c’est de savoir si tu possèdes des limites.

Juste des Hollow qui ont faim, oui peut-être. Peut-être que la folie dont lui a parlé le Primera n’est qu’une invention de sa part pour les discrétiser et envenimer les choses, leur faire porter le chapeau, mettre de l’huile sur le feu, bref, effectivement en l’état, elle ne peut pas se fier que sur sa parole.

La question posée étonne la scientifique visiblement. Peut-être qu’elle n’a pas cela en commun avec les deux autres. Du peu qu’elle a pu échanger avec eux, elle a clairement compris qu’ils ne souhaitaient pas qu’on les limite à leurs capacités intellectuelles et à leurs connaissances. Il y a une sorte de fougue chez eux qui fait qu’ils n’hésiteraient pas à prendre les armes s’il le fallait. Mais tous n’ont pas ce trait de personnalité. Heureusement que l’on est tous différents d’ailleurs et c’est pour cela que la rouquine a posé sa question, parce qu’elle souhaite savoir où se positionne la jeune Six à ce niveau.

- Te dégonfler ? Non. Cela dépend de tes capacités j’ai envie de dire. Je n’obligerai personne à risquer sa vie.

Si la brunette est prête à se battre alors tant mieux parce que l’on risque d’avoir besoin de toutes les personnes disponibles. Une poignée d’humains contre la population entière d’un monde… Pas vraiment reluisant tout cela, mais si au moins ils peuvent en profiter pour faire un bon gros ménage dans tout cela, alors ce ne sera pas de refus !

- On offre des vies humaines en pâture à ces monstres en échange du droit d’être là. La limite, je l’ai franchie le jour où j’ai rejoint le groupe. Y en a certainement dans l’orga pour se voiler la face, jouer les saintes nitouches, mais les faits sont là et si on laisse faire, c’est qu’on le veut bien n’est ce pas ?

Elle croise les bras, scrutant elle aussi le regard de sa vis à vis. Jusqu’à peu, elle était comme elle, prête à tout pour l’humanité parce qu’elle n’avait plus rien à perdre. Ce n’est plus le cas. La Serizawa ne comprendrait pas parce qu’il faut être personnellement touché par le phénomène avant de pouvoir le comprendre. Avant, Recca pensait que les femmes étaient faibles et idiotes. À présent elle sait pourquoi. L’amour est un point faible que l’on a rarement envie de supprimer, c’est quasi impossible s’il est trop fort. Elle n’en parlera pas. Pas parce que Miyu est trop jeune, ou que sa vision est trop extrémiste, mais ça ne la regarde pas. La Queen n’affichera pas son point faible de si tôt.

- Quoiqu’il en soit, t’as pas demandé mais j’te le dis quand même. Moi je me battrais. J’suis pas du genre à rester derrière mes agents et à les regarder tomber pendant que je me tourne les pouces. Je suis du genre à y aller la première. Je ne suis pas la Reine des bâtons pour rien. Je suis la première des protectrices, le premier bouclier contre lequel nos ennemis viendront se casser les dents, ou le masque.

Ce n’est probablement pas ce que la jeune scientifique veut entendre, mais c’est ce que la protectrice veut bien lui répondre.

- Question suivante, j’imagine que vous avez des plans des installations chez les Cups ? Tu as regardé un peu la partie sur l’extracteur je suppose, à moins que tu n’aies pas eu le temps ?

J’eus du mal à me retenir d’arquer un sourcil à son commentaire. Comme Queen, elle ne forcerait personne à risquer sa vie ? Alors que nous jouions à un jeu qui pouvait vriller en une guerre impitoyable au premier pet de travers ? Si elle était sincère, on pouvait se dire qu’elle s’était trompée de métier. Je voyais comme une banalité de lancer les bleus à la mort avant de sortir l’artillerie lourde après avoir fragilisé un peu les défenses adverses. À la guerre, il n’y avait pas de place à la compassion, juste aux calculs. Si encore, l’argument stratégique avait été soulevé, pourquoi pas. Mais ça ? Oui, j’étais circonspecte.

Enfin, c’était là le premier écart de mon interlocutrice. Donc je n’allais pas non plus faire la mauvaise tête. Et puis, elle n’était pas ma supérieure directe. Cette mission changeait la donne, mais seulement de manière circonstancielle. Le reste du temps, je n’avais de compte à rendre qu’à la Jack ainsi qu’au King des Cups.

Cette niaiserie de côté, je m’étonnais du deux poids, deux mesures lorsque Recca s’engagea dans un ton à l’extrême opposé pour les humains qui ne faisaient pas parti de l’organisation. Alors comme ça, elle avait des scrupules à mettre en danger ses collègues sans leur accord, mais ce qui n’avaient pas le badge « Ultima Necat » pouvaient aller se faire foutre ? Non pas que ça me choquait de sacrifier des semblables pour accommoder l’Acuerdo. En cela, j’étais cohérente avec moi-même. J’allais au bout de ma logique. Quant à la Queen of Clubs, j’avais quelques doutes.

– Alors, je suis d’accord. Mais dans ce cas, pourquoi mettre des gants avec les membres de l’Ultima Necat ? Lorsque tu auras besoin de constituer une équipe suicide, tu demanderas encore l’autorisation de tes soldats ?

Je ne cherchais pas particulièrement à être provocante même si ça y ressemblait. Seulement, cette contradiction me travaillait et j’avais besoin de connaître ses excuses. Avais-je mis le doigt sur une hypocrisie ? Très probablement. Au fond, je n’envisageais mes interlocuteurs que sous le prisme de leurs défauts. En l’Autre, je ne voyais toujours que le pire. Recca ne ferait pas exception à la règle. Le problème, ce n’était pas elle, mais moi.

Et malgré que je lui ait fait savoir que je ne m’intéressais pas à la question de si elle se battrait ou non, je recevais tout de même une réponse. Le signe que la question était particulièrement importante aux yeux de ma vis-à-vis. Beaucoup plus que ça l’était pour moi. Et sa vision des choses me rendait interdite. D’évidence, je n’étais pas sur la même longueur d’onde. Ma réaction attendrait un peu, car une interrogation plus technique me fut posée.

– Vite fait, mais pas dans les détails. Car oui, nous ne sommes là que depuis quelques jours et la priorité tient dans l’étude de la Grande Cataracte, pas dans les plans de conception de notre extracteur. Je me plie déjà en quatre pour programmer des drones alors que ce n’est pas ma spécialité donc… ça attendra le retour. Sauf si tu veux que j’y jette un œil ?

J’étais franche sur ma position comme technicienne. Si je voulais obtenir rapidement des résultats pertinents, je devais pouvoir aller à l’essentiel. J’avais trop fréquenté de ces Startups qui éparpillaient leurs efforts. Celles-là faisaient tout à la fois pour au final ne rien faire. Des cas d’école que je ne souhaitais pas reproduire. Je devais pouvoir me concentrer sur les priorités. Pour autant, je n’étais pas non plus une scientifique de nature à s’enfermer dans ses laboratoires sans intérêt pour les affaires extérieures. J’avais à redire sur les prises de position de la cheffe d’expédition.

– Entre nous, je pense que tu devrais aller au bout de ta logique. Vouloir à tout prix te tenir en première ligne, ça tient de la Sainte Nitouche, ne t’en déplaise. Que se passera-t-il si tu tombes la première, aussi ? T’y as réfléchi ? Moi, je vais te le dire : le moral de tes subordonnés va se casser la gueule. De même pour tes tactiques. Comme un poulet à qui on aurait coupé la tête. Au final, le bouclier des Clubs se fera éclater comme du bois exotique et les échardes se planteront sur toutes les autres sections. Quant à ce qui vient derrière ? Tout s’effondrera comme un château de carte. Ironique, quand on sait de quoi s’inspire l’Ultima Necat. T’en conviendras.

Probablement qu’elle aurait dû être plus exhaustive ou du moins préciser sa pensée. La jeune femme semble dubitative et cela est compréhensible. Après tout, elle ne connaît pas bien tout le monde ici et encore moins ses Clubs et ne parlons même pas des Swords.

- Ce n’est pas tellement question de prendre des gants. Mis à part pour cette mission, tu n’es pas de ma section donc à moins de pouvoir compter sur ton volontariat, ce n’est pas à moi de t’obliger à quoi que ce soit. Quant à mes hommes, je n’ai pas besoin de leur demander. C’est notre boulot, ils le savent et ils ne seraient pas Clubs si cela ne leur convenait pas. Il y a d’autres sections après tout. Ils sont motivés. Parfois trop d’ailleurs au grand damne de ta Jack.

C’est à l’adolescent qu’elle pense en cet instant. Lorsqu’elle l’a rencontré pour la première fois, elle a bien constaté à quel point tout l’émerveillait. Une vraie pile électrique. On aurait dit un gamin dans un magasin de jouets, des étoiles plein les yeux en permanence. La rouquine pince légèrement les lèvres. Difficile de réfréner ce genre de personne et puis étouffer les motivations ce n’est pas tellement la meilleure des stratégies. Le mieux qu’elle pouvait faire dans son cas, c’est garder un œil sur lui et l’entraîner pour qu’il soit plus fort.

À la question suivante, la Queen fait non de la tête, sa main accompagnant le mouvement, comme pour dire de laisser tomber.

- Non, je me suis juste posé la question. La technologie utilisée t’aurait peut-être inspiré pour ton projet. En tout cas si jamais l’envie te prend, nous avons un jeu de plans ici.

Ou peut-être pas. Au moins, ce point-là a été abordé. On ne sait pas ce qui peut advenir, plus de temps libre que supposé, ou bien un imprévu quelconque qui rallonge la mission, tout peut arriver.

Le problème de Recca, c’est qu’elle s’imagine suffisamment forte pour ne pas tomber ou du moins pouvoir tenir assez que pour faire tomber la balance en leur faveur. Du coup ces questions que la brune pose ne lui sont pas venues à l’esprit. Trop de confiance en ses capacités, un cheveux de témérité, ça pourrait lui jouer des mauvais tours, mais c’est ainsi, elle est davantage « viking » que « Jules César ». À aucun moment elle ne s’énerve face à son interlocutrice et aucune question, aucune remarque n’arrive à l’agacer. Il lui en faudrait davantage. Peut-être que si Miyu était un homme, elle aurait été moins patiente et encore ce n’est pas certain. Dans ce cas précis, elle est simplement curieuse.

- Ironique oui. Alors dis-moi, que ferais-tu à ma place ? Quelles sont tes suggestions ?

Peut-être y trouvera-t-elle une idée intéressante à reprendre et sinon, elle restera sur sa stratégie.

Si je cherchais à être vexante ? Pas particulièrement. Pour le moment, je n’en étais pas encore au stade d’ironiser sur les prises de position de mon interlocutrice. J’étais certes on ne peut plus franche voire dure dans mes propos, mais même si c’était difficile à croire, je me tempérais. Je la jaugeais. Cette Queen. Et il pouvait apparaître curieux que ce soit moi qui le fasse plutôt que l’inverse. Simplement, parce que j’étais habituée à commander plutôt que obéir.

Oh, bien sûr, je jugeais normal qu’elle ne se permette pas n’importe quoi avec moi pour cette mission. Car même si elle était aux commandes, elle ne devrait pas moins rendre des comptes à son retour. Et si elle pouvait plus facilement justifier des incidents pour des membres de sa section, l’exercice s’avérait plus délicat dès lors qu’il s’agissait de parler des ressources des autres. Ce pourquoi, je consentais à suivre ses ordres dans les limites de l’acceptable. Mais si elle devait dépasser les bornes, alors je me savais capable d’exploiter quelques failles de nature à bousculer la politique au sein de l’Ultima Necat. Parce que j'avais un caractère exécrable, in fine.

En l’occurrence, nous n’en étions pas là, loin s’en faut. Recca était raisonnable, mesurée. Un peu trop à mon goût, d’ailleurs. Ça ne lui ferait pas de mal de se décoincer un peu, me disais-je. Devant les banalités de langue de bois qu’un chef retournait couramment pour parler de ses subordonnés, je ne réagissais pas particulièrement. En revanche, la petite remarque qui visait ma Jack piqua ma curiosité.

– Ah oui ? Est-ce qu’on parle d’harcèlement ou bien… ?

Car je voyais peu d’autres situations où un membre d’une section donnée pouvait se révéler trop zélé vis-à-vis de l’officier d’une autre unité. Et puis, je savais Hanae suffisamment belle femme pour s’exposer aux comportements inappropriés qui étaient l’apanage des hommes. Au sujet de l’extracteur, je prenais note de l’intention appréciable. Ce que j’avais pris au départ pour une tentative de me diriger sur une tâche inconsidérée eu égard les objectifs nous ayant attirés au Hueco Mundo.

– Oh… Eh bien, c’est gentil de me le faire remarquer. En effet, les méthodes d’exploitations du Reishi m’intéressent en premier lieu. À plus long terme, j’ai bien l’intention de m’investir plus avant dans ces études. Juste, je dois placer mes devoirs avant mes caprices.

J’étais professionnelle, peu importe ce que voulait en dire Hanae. J’avais seulement ma manière de l’être. Lunatique, pourrait-on croire. Encore que je possédais une cohérence interne plus construite que le suggéraient les apparences. Du reste, cette femme me donnait l’opportunité d’aller au bout de ma logique. Aussi, je ne me ferais pas prier.

– Tu commandes les Clubs, mais tu ne commandes pas l’Ultima Necat. La relation de confiance que t’as envers tes hommes, c’est une épine dans le pied si elle peut être brisée au premier ordre d’en-haut qui n’irait pas dans ton sens. Tu peux ne pas être d’accord avec les directives des grands patrons, mais à la fin, ils décident et t’exécutes. Ou plutôt, tu fais exécuter. Et c’est là que ça peut se gâter. Car si déjà toi t’étais pas d’accord, alors, tes subordonnés… Je te fais pas de dessin. Plus t’es bas dans la hiérarchie, plus t’as le droit de faire des erreurs. Mais plus tu montes…

Le regard entendu, je lui signifiais que nos positions inégales entraînaient des avantages et désavantages des deux côtés du tableau. C’était une responsable avec toutes les merdes que ça pouvait impliquer. Quant à moi ? Alors oui, je devais baisser la tête devant plus de monde, mais à la fin, mes erreurs pouvaient pour partie être supportées par mes supérieurs. Car si j’avais pu merder, quelque part, c’était parce qu’on me l’avait permis. Même si cette logique avait ses limites, bien entendu. Seulement, pour une Queen ? Les têtes pensantes étaient en droit de l’attendre au tournant. Si cette mission au Hueco Mundo devait être un échec, alors oui, on pouvait me rouspéter. Mais à la fin, ce serait la Queen of Clubs qui trinquerait en premier lieu. Parce qu’elle était responsable. Et au moment d'être interrogée sur ses échecs, quelle serait son excuse ? Qu’elle n’allait pas forcer ses subordonnés à faire leur travail ?

– Tu suis mon raisonnement ? Ce que je te dis, c’est que tu dois pouvoir être une connasse quand c’est nécessaire. Tu veux commander ? Aucun problème ! Mais va pas croire que c’est le lieu pour se faire des amis ! Si tu pars avec cette idée en tête, tu vas tomber de haut. Non. Si tu veux un conseil, sors toi de l’esprit que t’es une soldate, pour commencer. Ta place n’est pas au front, mais à l’arrière. Bien sûr, ça ne t’empêche pas de venir en renfort là où il y a besoin, pour que ta ligne défensive tienne. Comme une commandante, en fait. À ce titre, ta vie est importante. Mais ceux qui te suivent ? Des ressources sacrifiables. Mieux vaut éviter de s’attacher, partant de là. Sinon, tu t’affaibliras.

Et je disais ça sans la moindre émotion dans la voix.

Une fraction de seconde, la rouquine affiche un sourire amusé, mais bien vite effacé. Dès que l’on parle de harcèlement, c’est difficile pour elle de ne pas ressentir une certaine rancœur qui vient tout ternir ses pensées. Est-ce que la blonde est du genre à être harcelée, elle en doute. Au moindre mot de travers, ou même geste, Recca imagine très bien Hanae sortir les griffes et faire du malotru de la pâtée pour chien.

- Non. Maternelle. Elle est très maternelle. Tu vois Connor mon Two ? Elle ne voulait pas qu’il vienne parce qu’il est trop jeune. Moi j’estime que l’âge seul ne définit pas une personne.

Elle hausse les épaules. Miyu semble penser qu’il ne faut pas tisser de lien avec ses subalternes, alors que peut-elle bien penser de cela ? Cette empathie envers les plus jeunes et qui ne sont même pas de sa section. Curieuse oui, mais la question n’est pas posée parce que ce n’est pas le moment pour ça. Du reste, elle comprend les explications, c’est un point de vue qui se défend mais qui n’est pas le sien. Pour autant, elle n’ira pas plus loin dans le débat. Peu à peu, elle commence à cerner la brune ce qui était en partie son objectif lorsqu’elle a organisé cet entretien. Chercher à défendre son point de vue n’apporterait rien de positif. La Serizawa est clairement le genre de femme à rester fermement campée sur ses positions et l’Akashiya, n’a pas envie de perdre son temps avec ce genre de chose. Elle est Queen, et finalement tout ça, ça la regarde, c’est son problème à elle et puis c’est tout.

- J’entends tes arguments. J’y réfléchirais. Et puis on ne peut pas dire que j’ai des amis parmi les « nombres ». Toutefois, une bonne entente cordiale, c’est toujours mieux que de se faire des ennemis à la pelle. Mais dis moi, en dehors d’ici, as-tu des amis ? Des personnes qui comptent pour toi ? Quel sens donnes-tu à ta vie ?

Si Miyu est fidèle à sa logique, alors elle doit être bien seule. Recca l’a été quelque temps. Cette situation ne lui a pas été des plus agréables alors elle se demande ce que peut bien y trouver la brunette. Quel est le sens de la vie ? Perpétuer l’espèce ?

Maternelle ? Ce n’était pas vraiment l’impression que m’avait laissé la Jack of Cups. Enfin, pas comme si je donnais envie d’être particulièrement protecteur avec moi, bien au contraire. Connor, le gamin là ? Je ne m’embarquerais pas dans ce débat pour le peu d’intérêt que je prêtais au sujet. J’acquiesçais seulement d’un signe de tête, même si je demeurais sceptique. C’était déjà un immense effort pour ne pas apparaître gratuitement désagréable. Au final, sur ce genre de choses sans intérêt, la Queen of Clubs pouvait bien croire en ce qu’elle voulait. J’espérais en tout cas que cette femme n’attende pas de moi une réponse, autrement, elle serait déçue.

Au moins, Recca ne s’emportait pas devant des opinions divergentes. Un bon point pour elle. Je relevais tout de même la pique discrète dans ses mots. À quoi, je me contentais de répondre par un sourire de façade. La suite ? Je voyais bien dans quoi elle cherchait à m’embarquer.

– Des amis ? Pour quoi faire ?

Une vraie question. À mon expression, on pouvait lire que je n’y voyais aucun intérêt. En effet, je n’avais jamais accordé ma confiance à personne. Se rapprocher gratuitement, cela revenait à s’exposer, s’affaiblir. J’avais appris à me débrouiller seule. Non pas que je m’isole pour autant. Après tout, j’allais au devant de mes semblables afin de bouger mes pions et m’élever socialement. Je me rendais importante à certains, jouant de mes instruments de mesure pour que l’influence de mes partenaires excède celle de mes détracteurs voire ennemis.

– Non. Là comme ça, personne ne me vient à l’esprit.

Étais-je triste pour autant ? Pas du tout. En conséquence, ma vie ne possédait-elle aucun sens ?

– À la fin, on est seul devant la mort. Quel sens y aurait-il à ce que j’ai quelqu’un pour me prendre la main sur mon lit de mort ? Qu’est-ce que ça change que l’on se souvienne de moi sur une ou deux générations ? Franchement, quelqu’un pourrait en profiter pour souffler une bulle d’air dans mon intraveineuse avec une seringue que ça reviendrait au même. Je trouverais même ça assez excitant, pour être honnête !

Je signifiais en cela que je n’avais pas peur de me faire des ennemis. Je n’y voyais pas de problème. J’aimais vivre dangereusement. J’étais franche dans mes ambitions. Consciente de la violence à découvrir pour se forcer une place dans ce monde dégueulasse. Il ne fallait pas attendre de ce dernier sa permission pour se faire. Je l’avais trop souvent constaté.

– Je n’ai pas besoin de réfléchir au sens que je peux donner à ma vie pour me sentir vivre, tu sais. Vous êtes trop nombreux à vous embarrasser de ces questions pour au final ne jamais lever la tête de votre dessin animé !

Car oui, à trop s’enfermer dans ces constructions mentales abstraites, on finissait par perdre de vue la réalité. Comme de s’endormir à la faveur d’un long rêve qui adoucit fort peu le réveil quand vient le moment de tirer sa dernière révérence. La plupart de mes semblables n’étaient que des somnambules. Pour ma part, j’étais éveillée.

– Pourquoi ? C’est important pour toi, ces questions ?

Effectivement, elle a vu juste. Miyu n’est pas le genre à chercher des amitiés. Si elle n’en ressent pas le besoin alors tant mieux, chacun vit comme il le souhaite après tout. Elle s’en fiche peut-être maintenant, mais qui sait, plus tard changera-t-elle d’avis. On ne peut pas prévoir ce genre de chose. De ce qu’elle peut en déduire, c’est que sa vie n’a dû être qu’une succession de réussites. Il faut bien qu’il y ait ce genre de personnes pour équilibrer avec ceux qui n’ont que malheur sur malheur. Juste ou pas, là n’est pas la question. Au moins, elle est fixée à présent. Bien sûr, la rouquine ne cherchait pas à s’en faire une amie, loin de là, elle n’a pas besoin de ça. Mais elle sait tout de même qu’il est possible d’arriver à s’entendre avec elle un minimum sans avoir à se crêper le chignon ou à se heurter à une certaine dose de susceptibilité. Bien.

- On est seul à mourir oui. Cela n’empêche pas la majorité de souhaiter ne pas être seul à ce moment-là. Pour des raisons qui n’ont pas d’importance à tes yeux, parce que tu ne fonctionnes pas ainsi. Après que l’on se souvienne de nous, bon, ça m’est égal aussi, je te rejoins sur ce point. C’est terminé pour nous, les autres feraient mieux de se tourner vers l’avenir.

N’est ce pas ce qu’elles tentent de faire ? Miyu semble dénuée de toute empathie. Une grande force à n’en pas douter et qui fait d’elle une arme redoutable. « Lever la tête de son dessin animé » voilà une curieuse expression. Qui doit certainement vouloir dire « voir plus loin que le bout de son nez » si elle ne se trompe pas. Ce qui est plutôt ironique lorsque l’on fait partie de cette organisation à haut taux de mortalité pour « l’avenir du monde ». Et aussi quand on a jamais eu droit d’avoir accès à la télévision dans son enfance, mais c’est du détail ça.

- Un sens, ou un but si tu préfères. Toi tu as tes projets de recherche, c’est un but en soi, et tu en as certainement d’autres je suppose. Bref, important peut-être pas. C’est surtout de la curiosité, on ne rencontre pas des personnes comme toi tous les jours, enfin… Rarement dans la vie d’une personne lambda, et plus rarement encore des disposés à discuter. Et ce n’est pas une critique. Tu te suffis à toi-même, c’est clairement un gros avantage.

Et cela fait d’elle une personne dangereuse aussi, qu’elle devra garder à l’oeil. Elle aurait probablement fait une excellente Knight si elle avait été de sa section.

- Enfin. Je n’ai pas d’autre question, donc si tu n’en as pas de ton côté, je ne vais pas te retenir plus que nécessaire, vous avez beaucoup de travail qui vous attend.

C’est qu’elles ne sont pas là pour passer d’agréables vacances, ni même des vacances tout court d’ailleurs !

La majorité. Ces somnambules que je prenais de haut, oui. Je n’avais aucun intérêt pour ce qui n’était pas moi. J’étais le centre de mon propre monde. Tout le reste ? Juste, du bruit. Au final, mon interlocutrice ne dévoilait guère vraiment un point de vue très différent. Pour un peu, elle s’y retrouvait, au moins partiellement. Même si je devinais facilement à ses mots que pour dure voulait-elle apparaître, la Queen of Clubs craignait de mourir seule. Une rudesse de façade qui ne me laissait pas dupe.

Lorsqu’elle convertit la notion de sens en but, déjà, je m’y trouvais un peu mieux. Parfois, pour engager une dispute, il suffisait que les différents partis ne soient simplement pas d’accord sur l’interprétation des termes. S’il fallait donc atténuer la portée de la question précédente, alors oui, je n’étais effectivement pas sans rien. Je possédais des ambitions à moyen et à long terme. Même si ces dernières pouvaient évoluer avec le temps. Je ne me figeais pas dans un schéma préétabli. J’aimais me surprendre moi-même. Ressentir que mon chemin n’était pas tracé à l’avance. Que mon choix pouvait faire la différence. Quel intérêt de s’accommoder des murs invisibles que nous dictaient la destinée ?

– Hm, des buts, oui, j’en ai. Bien entendu.

J’opinais sobrement de la tête, sans expression particulière. Devant cette femme, je ne ressentais rien de particulier. Ni animosité, ni affection. Elle était curieuse sur ma manière d’être, mais j’avais du mal à renvoyer la politesse. Devais-je me sentir flattée de ne pas être lambda à ses yeux ? J’étais jeune, mais pas suffisamment pour ignorer que ce genre de remarque était à double tranchant. Ou plutôt, si l’expression se voulait valorisante, la vérité était que je sortais du cadre. En cela, je représentais un bug potentiel dans le système. Hanae me surveillait. Junichiro aussi. Et maintenant, Recca.

– Merci à toi.

Là encore, je ne développais pas plus loin. Je m’en tenais au jeu des apparences. Tout ce qui sonnait sympathique dans une discussion n’était pour moi que de la poudre aux yeux. La vérité des sentiments était on ne peut plus hideuse. Je m’en convainquais tous les soirs. Ainsi, je n’étais jamais déçue. De cette manière, je m’épargnais d’être prise au dépourvu. Ce faisant, à ce jour et en dépit de mon caractère de peste, j’étais toujours en jeu.

– Je n’en ai pas non plus. La prochaine fois, peut-être. En attendant, je vais m’en tenir à faire mon travail, comme tu le souhaites. Si tu veux du neuf, tu me fais signe.

Le signe de tête qui allait bien, puis je m’en allais retourner là où je m’étais arrêtée.

[La fin pour moi, merci pour le RP o/]