Miyu marquait un point et pas des moindres : il existait autant d’arrancars que de personnalités différentes, raison notoire de leur division par confréries claniques, de leurs prétentions bellicistes aux places prestigieuses de l’Espada, de ce manège macabre qui se jouait en filigrane entre les individus, et même de sa présence par extension sur ce pan de territoire occupé par les humains. Il avait lui-même voulu voir de ses yeux, mesurer par la sensation l’ampleur de la supercherie qui se jouait contre le reste du Monde Creux, saisir la notion de concession accordée aux hommes et comprendre, au-delà de ces impressions, le secret qui rattachait les monstres de la nuit à ces créatures de toutes les heures et de toutes les saisons.
Ils étaient aussi nombreux qu’ils avaient d’histoire, à la façon des hommes et ce ne fut pas une surprise que Miyu puisse le déduire aussi facilement. Mais l’histoire d’Adamas était particulière pour une raison qui pouvait demeurer obscure à la plupart des autres engeances du Yermo et du quartz : il avait connu l’amour, même après sa résurrection parmi les démons, et pénétré de cette lumière il avait essayé d’emprunter d’autres volontés propres à lui-même. Capturer la puissance du monde pour l’emprisonner dans des cristaux d’or en était une, fruit de son désir d’offrir à sa bien-aimée des trésors sans pareil. Avoir un héritier ou une héritière, fruit de cet amour, en était une autre.
Et si c’était ça, l’amour, la faute qui l’avait propulsé vers les sphères maudites de l’hollowisation ?
Neuf siècles d’existence ne l’avaient pas distancé de ses sentiments humains ; et ne l’avaient pas amputé non plus d’un dessein de suprématie sur les autres races, bien qu’il eut appris à accepter sa position. Cette résignation n’était toutefois que du fard à paupière maquillant un désir impérieux de renverser les choses : et comme on peut peindre en blanc en tenant un pinceau noir, Adamas était capable de conjuguer deux extrêmes au sein de son seul esprit. « Ne soyez pas trop hâtive en conclusions, de grâce, fit-il en laissant glisser son doigt sur un de ses ornements dorés. Si l’humanité disputait une guerre contre la Soul Society, le Hueco Mundo se ferait une joie d’achever le labeur entamé ; sûr que la Soul Society ne porterait pas son triomphe sans blessure, et que si tel était le cas, un très court laps de temps nous suffirait à lui porter le coup fatal. Ne supposez pas qu’ils l’ignorent, ce qui justifie en partie qu’ils se détachent épisodiquement des problèmes du vivant, à mon humble avis – mais même en le sachant cette menace demeure. Lors vous pouvez compter sur nous pour administrer aux Shinigamis le châtiment qu’ils méritent. Mais peut-on en dire autant des humains ? » questionna-t-il avec un sourire ironique.
Vrai que les humains n’étaient une grande puissance qu’en de rares temps, et pour une portion très réduite de spécimens, là où le Hueco Mundo était une terre en guerre perpétuelle et recelait de baroudeurs jusqu’aux confins du désert. Il était tout naturel dès lors que les monstres des ténèbres aient une piètre opinion d’eux, même si la donne avait changé avec l’émancipation des Fullbringer et des Quincy : preuve en était de ce vortex d’énergie qu’on nommait la Grande Cataracte.
C’est en tournant son regard vers le phénomène qu’Adamas comprît que sa question était rhétorique : voyant ce qu’ils pouvaient causer comme remue-ménage, il fallait désormais compter l’humanité dans les grandes puissances de ce monde.
« Pardonnez cet écart, j’en oublierais presque que vous êtes parvenus à bouleverser notre désert, ce qui n’était jamais arrivé auparavant. Pour en revenir au rôle de l’humanité, vous ne pouvez contrairement à nous autres jouer le rôle d’antagoniste de premier plan face aux hordes de la Soul Society, car vous avez une population de mortels à protéger et vous ne pouvez abriter cette dernière du courroux des Shinigami. C’est une toute autre paire de manches pour nous autres, damnés de la nuit : au-delà d’avoir une capacité de régénération, nous ne craignons pas d’avoir à déplorer nos pertes, car le Cycle des Âmes nous alimente perpétuellement. Certes avec la lie de l’humanité ; mais nous sommes toujours nourris. Nous pouvons accuser une défaite et infliger une blessure grave aux pontes des grandes divisions.
Ne tient qu’à vous dès lors d’asséner le coup fatal. »
En prononçant ces mots, Adamas fit danser ses mains devant lui comme s’il tenait une sphère invisible : par des mouvements circulaires, il commença miraculeusement à concentrer le Reiatsu de façon telle qu’au bout d’un moment, une gouttelette d’or naquît et se mît à s’épaissir en tournant sur elle-même. Bientôt cet orbe doré accéléra et par cette rotation rapide, son centre se détacha au point de se métamorphoser sous la forme d’un anneau pareil à ceux qu’on retrouve autour de certaines planètes.
Dans ses yeux brillait une lueur puissante, et Miyu découvrît alors que l’Arrancar en face d’elle était habité par une force créatrice qui disputait au réel la force de son imaginaire au point de générer de la matière.
« Il me faudrait quelques jours en temps normal mais si je tente quelque chose… »
Il écarta ses mains puis la spirale se distordit et se sépara en deux, créant deux répliques parfaites. Puis d’un geste vif il braqua ses mains vers la Grande Cataracte, et comme deux enfants ses spirales dorées obéirent et se jetèrent dans le vortex spirituel.
Alors tout le corps d’Adamas se raidît et Miyu put le voir lutter contre une force fantôme. Des gouttes de sueur perlèrent sur son front alors que ses membres contractés, toujours dirigés vers la Grande Cataractes, se gonflaient sous l’effort. Il tourna une première fois ses mains comme s’il tentait de renverser quelque chose, et sa dextre décrivit un arc vers le haut, tandis que sa sénestre faisait l’inverse ; et puis il répéta le mouvement au sens contraire, toujours en s’acharnant contre quelque chose de mystique et invisible. Ce manège se reproduisit quelquefois avant qu’il sente agir le pouvoir réel de cette chose.
C’était comme s’il bataillait contre l’énergie même de la Grande Cataracte, laquelle se mît à luire plus fort tandis qu’il poursuivait son incantation.
Cela dura un certain temps et il éprouva très vite la sensation désagréable que la Grande Cataracte cherchait à aspirer son âme, son identité et sa force à travers la manœuvre. Il poursuivit, enhardi par son inspiration, en luttant avec acharnement devant ce déferlement de puissance ressenti qui continuait de le dévorer et qui faisait trembler l’essence de sa force spirituelle.
Enfin, à bout de souffle, il bascula en arrière en jetant ses mains vers le ciel et deux bracelets dorés jaillirent de la Grande Cataracte. Pour ne pas choir, il recula de quelques pas puis écarta ses appuis, avant de s’abaisser furtivement en se tenant l’estomac.
Il accusa une vive douleur pendant que ses cheveux choyaient depuis son front et pendaient vers le sable et que son corps, accablé, était fustigé par le choc d’une telle débauche d’énergie. Haletant, il admira néanmoins le fruit de son labeur.
Les deux bracelets gisaient au sol, encore fumant de chaleur. Mais plus fascinante était cette aura qui émanait d’eux, ce halo de lumière rougeâtre qui dégageait une énergie cabalistique et ces runes qui soufflaient des raies lumineuses et splendides.
Il fallut un petit instant à Adamas pour reprendre son souffle et se redresser. Il se pencha encore, cette fois pour ramasser ses œuvres, comme deux sœurs jumelles qui venaient de capturer l’essence même du phénomène anormal qui continuait de s’agiter sous leurs yeux. « Je ne croyais pas pareille chose possible… mais il faut croire que le Hueco Mundo continue de nous réserver de grandes surprises. C’est un processus tout à fait fascinant ; voyez comme ces deux bracelets luisent ! Permettez-moi quelques explications.
Au bout de plusieurs siècles d’études, je suis parvenu à saisir certaines choses à propos de l’énergie spirituelle que je ne m’explique toujours pas parfaitement, mais que l’on peut résumer en quelques constats ; tous les êtres en sont imprégnés et l’utilisent, même inconsciemment, pour préserver leurs fonctions vitales. Vous comme moi, nous saisissons une partie de notre environnement pour alimenter notre corps de l’intérieur, et nous le faisons avec une fonction pareille à la respiration : nous emmagasinons et nous rejetons sans cesse, et nous utilisons le produit de notre stockage pour en créer encore plus, raison notoire de notre capacité à faire jaillir des flux spirituels hors de nous-mêmes. C’est très curieux, oui, mais c’est comme si le monde nous alimentait et que nous l’alimentions réciproquement.
Certains êtres sont capables de stocker une quantité d’énergie tellement astronomique que c’en est fascinant. Mais au-delà de cette capacité de stockage et de création, ce qui reste une énigme, c’est la façon dont nos différentes races peuvent manipuler ces flux. »
Il fit une pause et quelques pas, puis il découvrit ses mains en révélant ses deux créations à l’humaine.
« Mes propres créations ne sont autres que de la matérialisation de l’énergie spirituelle environnante qui, par un déséquilibre mystique, génère une substance réelle sous forme liquéfiée d’or ou de métal ; c’est bel et bien cela qu’il m’a fallu apprendre à maîtriser au fil des siècles. En initiant d’autres déséquilibres liés à une de surtension spirituelle, je suis parvenu au gré des expériences à les rigidifier et à leur donner des fonctions particulières, allant d’intérêts structurels à des utilités martiales.
Des structures réelles et artificielles fondées sur un flux immatériel, preuve que le monde n’est pas tel qu’on le perçoit et qu’il se façonne autour d’une essence fondamentale dont nous ne connaissons ni l’exacte source, ni l’exacte forme. »
La leçon d’Adamas se faisait à la faveur de la naissance des bracelets maudits de la Grande Cataracte. Dans ses mains reposaient deux créations qui prouvaient ses dires : le Reiatsu pouvait être consolidé, transformé et manipulé en étant issu d’une essence immatérielle, et se transcrire dans le vivant.
« Une métamorphose. C’est en quelque sorte ce à quoi nous procédons pour animer notre pouvoir. Mais ces bracelets ont une particularité notoire qui joue sur cette transformation en déstructurant ce qui a été structuré en leur propre sein, générant de fait une brisure spirituelle qui force toute l’énergie stockée à se libérer à une condition précise. Lors on pourrait dire qu’ils se rembobinent, puis éclatent dangereusement.
Imaginez qu’on puisse produire quelque chose capable de reproduire cette fonction à grande échelle… »
Nul besoin de s’étendre sur le sujet pour comprendre qu’il songeait à une bombe spirituelle telle qu’elle pourrait causer des dévastations d’une ampleur à nulle autre égale. Cependant qu’il avait le regard tourné vers la Grande Cataracte, Adamas se suspendît à un songe funeste.
Une explosion à grande échelle et assez puissante pour…
« Ces bracelets sont hôtes d’une malédiction, mais n’obéissent encore à aucune règle, comme lorsque les Zanpakutō n’ont pas de nom en quelque sorte. Pour achever leur création, je dois leur confier une intention précise : un mot d’ordre, ou un serment.
Ce coup fatal que j’évoquais auprès de vous, Miyu, Six of Cup, de la section scientifique de l’Ultima Necat… si vous me le promettiez ? »