Possibilities

« Shugoshin-san ! Il est parti ! »

Essoufflée d’avoir couru, la Shinigami qui venait de faire irruption dans le bureau de la plus haute gradée de la Huitième division prit appui sur ses cuisses le temps de reprendre son souffle. Le crayon tenu en main par la Gardienne tomba bruyamment sur le bureau. L’espace d’un instant, quelques secondes à peine, elle paru comme paniquée. Rapidement néanmoins elle reprit constance et opina d’un signe de tête. Après avoir articulé un simple merci, elle congédia sa subordonnée et laissa en plan ses affaires. Il n’y avait plus une minute à perdre, elle devait se hâter pour le rattraper.

De ce qu’ils avaient convenu lors de leur première rencontre, il n’était pas dans ses attributions de raccompagner son Maître chez lui. Ce temps libre était alors alloué à d’autres tâches que son siège et la situation de la Huitième lui imposaient. Pourquoi donc se presser aujourd’hui alors qu’Akemi a toujours fait preuve de trop de professionnalisme ? Un changement s’était opéré en elle. Plusieurs événements récents en étaient la cause. Et tous, la menaient à cet instant où elle décidait enfin de briser la monotonie du quotidien, et surtout, la distance qu’elle s’évertuait de mettre entre elle et l’Ogasawara.

Alors pour ce jour, elle a tout préparé. Une camarade a été missionnée de l’avertir dès le départ de Kōga. Elle connaît le chemin, sait se mouvoir plus vite qu’un Shinigami qui ne se presserait pas particulièrement. Évidemment, entre toutes les étapes, plusieurs minutes s’étaient écoulées et l’homme avait déjà parcouru une bonne partie de la distance le séparant de sa demeure. Plus elle l’approche et plus elle ressent de l’appréhension. Il n’est pas naturel pour elle d’aller vers les autres. Alors même si elle a prit la résolution de s’ouvrir davantage, aller contre sa nature n’est pas chose aisée.

« Kōga-sama ?! » A porté de voix, ainsi l’appelle-t-elle. N’avait-il pas dit qu’elle pouvait usiter son prénom ? Voilà qui est chose faite. « Auriez-vous un peu de temps à me consacrer ? J’aurai souhaité... discuter. Rien d’urgent. Juste… Comme ça… Aujourd’hui, ou un autre jour... »

Peu à peu ses joues s’empourprent et son regard s’abaisse alors qu’elle se rend compte de l’audace dont elle a réussi à faire preuve. Ce n’est pas qu’elle doute qu’il accepte, c’est plutôt qu’elle craint qu’il la trouve bizarre.

Dernièrement, l’Ogasawara se posait de nombreuses questions. Sur lui, son existence, et ce qu’il en faisait. Il avait besoin… que quelque chose se produise. Cela faisait longtemps déjà qu’il attendait des opportunités, mais ne sachant vraiment ce qu’il attendait – rien de précis en tout cas – il avait le sentiment de se gâcher, de ne faire que patienter, ne rien produire ni provoquer lui-même. Était-ce réellement de ce genre de vie qu’il souhaitait ? Il avait une vengeance à mener. Une injustice à rétablir. Et cela ne pourrait certainement pas se faire en un claquement de doigts. Il se devait d’y réfléchir, de mettre au point une réelle stratégie, quitte à ce qu’elle soit au très long terme. De redevenir le capitaine de sa propre existence.

Et cela devrait sans doute commencer par… le fait d’avoir une vie, tout simplement. Les années avaient passées, et il se plaignait que rien n’ait changé. Certes, son grade ne bougerait pas. Sa relation avec le reste de sa famille non plus, à moins de se désavouer totalement. Mais en dehors de cela… qu’avait-il ? Et surtout, qu’avait-il fait pour changer les choses. Il n’avait jamais manifesté le moindre intérêt pour la gazette, sinon que pour se donner un alibi pour passer le temps parmi les archives de la Sixième Division. Il n’avait pas cherché à se rapprocher de ses collègues de la Huitième Division, et était même plutôt heureux que leur Vice-Capitaine ait soudainement disparu, ayant décidé qu’il ne l’aimait pas dès la première interaction. Son existence était si vide qu’il avait eu besoin de la combler en allant affronter le premier gorille de la Onzième Division qui le souhaiterait, dans une tentative désespérée de se prouver quelque chose.

Il fallait remettre de l’ordre dans son existence, anesthésiée par sa haine et ces trop nombreuses années passées à l’Académie. Devait-il bien plus assumer qui il était réellement ? Ou au contraire prendre tout cela encore plus à contre-pied afin de nouer des amitiés certes peu sincères mais qui pourraient le servir plus tard ? En tout cas, il ne pouvait pas rester dans cet entre-deux inconfortable. À la fois désireux de se rendre plus aimable qu’il ne l’était, sans toutefois risquer de se mélanger avec le bas peuple qu’il avait du mal à se forcer à apprécier. Conflit trop important entre ce qu’il était et celui qu’il souhaitait être aux yeux des autres, mais il faudrait bien à un moment prendre un parti et s’y tenir. C’est à ces pensées qu’Akemi vint à sa rencontre, avec une familiarité qui ne lui ressemblait pas le moins du monde.

- Vous portez-vous bien seulement ? Vous aviez juré ne pas être capable de m’appeler par mon prénom, et voilà que vous le faites en peinant à compléter vos phrases et le rouge aux joues. Avez-vous de la fièvre, c’est cela ? Je n’ai rien contre le fait de vous tenir compagnie, mais faut-il que ce soit sur la route de la Quatrième Division ?

Repos : full

S’était-elle trompée de manière d’approche en usant de son prénom ? Ce qui est étrange c’est que pour tout ce qui concerne les discussions professionnelles, elle n’a pas de souci pour trouver ses mots et faire preuve d’autorité. Mais lorsque ce n’est pas le cas, Akemi est des plus démunie. Un petit rien peu rapidement devenir un obstacle et lui faire perdre davantage ses moyens. Ce qui est le cas présentement. C’est comme si elle venait de se heurter à un mur alors que l’Ogasawara est simplement fidèle à lui même. Instinctivement, elle a un mouvement de recul, néanmoins, cela n’effrite pas sa volonté, ou juste un peu.

« Dans le cadre professionnel en effet. Mais là je viens vous voir pour une discussion privée. Évidemment, si cela vous déplaît, je vous nommerai comme à l’accoutumée. »

C’est dans la froideur qu’elle trouve le courage de répondre. Rien de bien méchant, sa répartie est juste un peu plus sèche qu’elle ne le devrait. Une impulsion nécessaire pour lui permettre de poursuivre sur un ton plus neutre.

« Mon état ne nécessite pas de déranger la Quatrième division. En outre, j’ai déjà vu Hirō-san il y a peu. » Un vieil ami, le Capitaine en personne. « Les derniers événements m’ont déstabilisée. Je me pose plein de questions. J’aimerai avoir l’occasion d’en discuter avec vous. Nous pouvons allez où il vous plaira. »

L’endroit n’a pas d’importance tant qu’il lui prête une oreille attentive et qu’il ne se montre pas trop taciturne. Cela étant, avant de parler d’elle, c’est de lui qu’elle souhaite prendre des nouvelles. Les jours passent et se ressemblent. Et, lorsqu’elle le regarde, elle a l’impression que cette vie ne lui convient pas, que son état n’est pas des plus serein.

« Mais dites-moi… Et vous ? Comment allez-vous ? »

Ce regard qu’elle ose lui soutenir est celui d’une alliée inquiète doublé d’une soigneuse expérimentée.

Il rehausse un sourcil. Une discussion privée, voilà qui ne lui ressemblait pas trop une nouvelle fois. Fallait-il donc que ce lui soit particulièrement important pour qu’elle sorte ainsi de sa réserve, et expliquait peut-être un peu ce pourquoi elle rougissait et peinait à trouver ses mots, se trouvant là dans une situation inconfortable comme elle était loin d’être coutumière.

- Cela ne me dérange pas, tant que le moment et le lieu restent appropriés à ce type d’usage. S’il est bien une personne qui mérite cette faveur, c’est vous.

Peut-être désamorcera-t-il un peu la situation ainsi. Quant à ce qui la déstabilisait, cela l’intriguait. S’agissait-il de ce Vice-Capitaine, reparti aussi vite qu’il était venu ? De cette mission qui lui avait été confiée, l’éloignant de lui quelques temps ? Il ne connaissait pas les détails de ce qu’il s’y était passé, mais il était vrai qu’ils n’avaient pas eu grandement l’occasion d’en discuter.

- Pour ma part… je me porte bien, merci, même si l’ennui me guette parfois. Peut-être devrais-je m’initier à un instrument, ou parfaire ma maîtrise du shogi ? Ou me plonger entièrement dans la calligraphie, qu’en pensez-vous ?

Des passe-temps classiques pour ceux de leur caste. Kôga y avait-il versé à une époque ? Qu’en pensait-il réellement ? Était-ce là des activités futiles à son sens, ou se posait-il réellement la question ? Difficile de dire quand il faisait de l’ironie ou non, même pour quelqu’un de proche.

- Peut-être que mes supérieurs m’estimeront à un moment par assez compétent que pour être envoyé tout comme vous en mission, qu’en pensez-vous ? Cela pourrait faire une saine activité également. Qu’avez-vous pensé de votre propre expérience en la matière ?

Faisait-il trop dériver la question, ou bien lui offrait-il justement une transition vers l’un des sujets qu’elle souhaitait aborder ? S’il n’en savait certes rien encore, il ne perdait rien à tendre l’opportunité d’en parler.

Le lieu n’importait pas bien qu’il y en ait de plus agréables que d’autres, aussi, la jeune femme se contenta de lui proposer le premier banc public venu. Si leur échange avait été mieux planifié, peut-être aurait-elle pensé à l’inviter dans un lieu plus agréable tel qu’un salon de thé. Mais ce genre de chose n’est pas dans ses habitudes. Elle ne sait pas vraiment comment s’y prendre ou ce qu’il convient de faire.

Interrogée sur ses possibles futurs passe-temps, la jeune femme prend une seconde de plus, que le ferait quelqu’un d’autre, pour répondre. Comment pourrait-elle savoir ce qui lui conviendrait alors qu’ils se connaissent si peu en vérité ? Tragique prise de conscience de la réalité que voilà. La gardienne déglutit avant de prendre une grande inspiration.

« Une activité pourrait vous occuper et s’il y en a une qui vous plaît, alors, pourquoi pas. Puis-je suggérer un peu de compagnie ? Peut-être ? Hm… Une balade, un thé, un jeu, de la musique, que sais-je… Je gage que vous devez déjà avoir bon nombre de personnes désirant votre compagnie, moi-même serais honorée de pouvoir vous protéger de l’ennui. »

Elle sourit légèrement, amusée par ses propres propos, comme si l’ennui était une réelle menace. Mais l’idée n’est pas si mauvaise. En passant du temps avec lui, elle pourra découvrir davantage de choses sur ses goûts et puis avec tout ce qu’il se passe en ce moment, elle serait rassurée de l’avoir à l’oeil un peu plus souvent. Ce noble plein de grâce ne mérite pas une telle fin. De plus, il est impensable qu’elle lui survive.

« Sans aucun doute. Je demanderai à ce que vous puissiez m’accompagner une prochaine fois. Ma dernière mission… C’était différent de d’habitude je dirai. Je devais jouer un rôle pour me fondre dans la population du Rukongai. »

Tournant la tête vers lui, elle imagine sans mal le regard désapprobateur qu’il pourrait lancer. Mais tel est le rôle d’un Shinigami. Parfois, il faut un peu se salir les mains. Une discipline dans laquelle elle n’était pas vraiment à l’aise.

« Ce n’est pas si facile. Et puis il y avait ce Vice Capitaine de la Cinquième division. Il… Il… Me met mal à l’aise. Enfin, peu importe. Néanmoins une question m’est venue de cette… Expérience. Suis-je autorisée à avoir un compagnon ? Un… Fiancé ? »

Pas qu’elle en veuille un là maintenant. Mais au moins elle saura. Il avait bien dit à leur première rencontre qu’elle pouvait vivre comme elle le souhaitait, mais l’idée lui donnait quelques réserves car il pourrait y avoir quelques soucis entre la disponibilité, les priorités ou même de jalousie.

La simplicité d’un banc serait donc le théâtre de leur discussion. Bien. Ce n’était pas vraiment le genre de cadre dont il était coutumier mais après tout, il profiterait sans doute un minimum de ce changement de cadre, au moins pour ce qu’il lui permettrait de se changer un peu les idées. S’il se cherchait une activité, là, c’en ferait une pour le temps que cela durerait. Ce fut d’ailleurs ce qu’Akemi lui conseilla en guise de passe-temps. De la compagnie…

- Je n’ai pas vraiment un carnet étoffé, non, et ma présence n’est que trop rarement requise, si vous souhaitez une réponse honnête. Ma position familiale et mes oppositions franches m’écartent quelque peu de la haute société. Je suis toujours un Ogasawara, à la noblesse indiscutable. Mais je ne suis pas courtisé et personne n’espère vraiment de faveur de ma part, sinon… sinon des misérables mais alors que ferais-je donc de leur compagnie ? Dans une discussion, il faut que ce soit un échange, que les deux puissent en profiter équitablement. Il semble donc que vous soyez vouée à devoir faire quelques heures supplémentaires.

Tout de même, en son esprit, il pesait toujours les points positifs et négatifs à exercer quelques activités qu’il avait cité. Il avait déjà vu un Koto dans la demeure familiale, et il était aussi connu qu’autant shogi que calligraphie étaient des passe-temps prisés pour développer l’épée et l’esprit guerrier. Il faudrait bien faire un choix, mais quoi qu’il en soit il évita tout de go de dire à Akemi qu’il préférait une autre activité moins passive que l’art de la discussion. Après tout, ils passaient un temps certain ensemble, et ils ne perdaient rien à en profiter. Si cela devenait ennuyeux, il pourrait toujours alors l’exprimer.

Au moins en apprenait-il plus sur la mission qui l’avait fait s’éloigner quelques temps. Bon, il n’avait pas été trop en danger même sans son gardien, c’était la routine ici, et tant que Kôga n’était pas envoyé en mission, il n’y avait pas vraiment à craindre. Il apprend de même que son avis sur le furtif Vice-Capitaine est plus ou moins partagé, même s’ils n’useraient pas des mêmes termes. Advient alors ce qui constitue sans doute le cœur même de cette entrevue, sa raison première, et l’Ogasawara de froncer les sourcils. Étonné par la question, certes, mais s’interrogeant surtout sur les raisons de celle-ci.

- Je n’ai aucun veto à apposer sur votre vie sentimentale, si c’est bien le nerf de votre question. Souvenez-vous, ce n’est même pas moi qui vous ai fait mander à mon service. Quant à ma tante… je doute que cela la regarde, en toute honnêteté, si tant est que votre mission est toujours remplie comme il se doit.
C’est amusant… lorsque vous avez mentionné que je ne devais pas manquer de personnes désireuses de profiter de ma compagnie, je ne me doutais pas que cela conduirait à évoquer ceux qui voudraient profiter de la vôtre. C’est plutôt cohérent : vous êtes bien née, bien éduquée, la nature vous a gâtée d’une anatomie et d’un visage bien faits. C’est durant votre mission que vous l’avez rencontré, votre… prétendant ?

Il espérait en tout cas que ce n’était pas l’un de ces animaux des coins reculés du Rukongai, mais cela l’étonnerait qu’elle tombe ainsi si bas. Mais après tout, le cœur a ses raisons...

Le principal restait l’accomplissement de sa mission, cela elle s’en était doutée. Comme il l’avait dit lors de leur première rencontre, elle était libre de mener sa vie telle qu’elle l’entendait. Ainsi cela n’étaient pas des paroles en l’air dites pour la rassurer. Le visage tourné vers le ciel, elle semble pensive, comme réfléchissant à tout cela. Elle aurait bien ses propres objections, ou du moins un point à débattre, son opinion à ce sujet l’intéressant grandement, mais plus tard. D’abord, elle doit répondre à la question posée.

« Non. Ce n’était pas la première fois que nous nous rencontrions. A dire vrai, je lui ai sauvé la vie alors qu’il se vidait de son sang devant les portes de notre division. Après cela je suis devenue son ange salvateur en quelque sorte. »

N’était-ce pas le surnom qu’il lui donnait à peu de choses près ? Mais cela n’avait pas d’importance, pas pour elle en tout cas. Des Shinigami sauvés, elle en avait un bon nombre à son compteur. Alors certes, celui-là a un certain charme indéniable, mais aux yeux de la Shugoshin, il n’est qu’un de plus, un parmi les autres. Elle pourrait se dire qu’en tant que Vice-Capitaine cela pourrait lui donner des points en plus, mais ce n’est pas ce qui compte pour elle. Pour qu’elle admire un homme, ce dernier doit être, certes charismatique, mais surtout plein de grâce et de classe. Comme Kōga finalement. Alors qu’elle tourne la tête vers se dernier, elle se fait la réflexion que ses cheveux si soyeux doivent être incroyablement doux.

« Une collègue soutient que ce n’est pas une bonne chose. Elle pense que si on s’éprend de quelqu’un, on aurait envie de survivre pour éviter qu’il pleure notre mort. Mais moi je pense qu’elle a tort. N’est ce pas une raison de plus de tout donner ? Hésiter, c’est laisser à l’ennemi une ouverture. Échouer, serait insupportable, intolérable. Il est hors de question que je vous survive. »

Et puis, qui sait le châtiment qu’on lui réserverait ? Elle même ne se le pardonnerait pas. Son regard se fait interrogateur, attendant qu’il donne son avis sur le sujet.

« Quoi qu’il en soit. Cet homme ne m’intéresse pas. Qu’en est-il pour vous ? Je veux dire… Est-il prévu que ce soit votre famille qui choisisse pour vous ? Vous avez certainement le devoir de perpétuer votre lignée. » C’est souvent ce qu’il se passe dans les familles nobles. Les mariages arrangés sont souvent organisés.

Avait-il mal compris quelque chose ? C’est dans un froncement de sourcils qu’il se posa sincèrement la question. Elle semblait avoir souhaité mener la conversation jusque là afin de parler de son prétendant, ou du moins de l’autorisation qu’elle souhaitait obtenir afin de pouvoir vivre cette semaine malgré son rôle de protectrice. Bon, d’autres questions évidemment lui venaient à l’esprit. Comme quel genre d’homme se retrouvait devant la Huitième division en sang alors qu’à sa connaissance il n’y avait pas eu d’attaque notable. L’information ne lui était même pas revenue jusque là, Akemi n’ayant pas jugé bon jusque là de lui mentionner cette aventure. Certes, ils ne parlaient pas tant que cela au final, il n’y avait rien d’étonnant.

Autre point : ce n’était pas la première fois qu’elle le rencontrait, avait-elle précisé à sa question demandant si elle l’avait rencontré durant sa mission. Apparemment oui, il était bien part de leur mission. Et déjà Kôga commençait à se dessiner mentalement l’image de son prétendant, comprenant peu ce qu’elle lui trouvait. Et c’est là qu’il perdit pied peu à peu, que sa compréhension de la situation ne parut plus tenir à rien. Il n’avait pas l’air d’être quelqu’un pour elle, et pourtant elle sentait le besoin de lui en parler comme une possibilité envisageable, tandis qu’en parlant d’amour, elle aborda leur relation de protectrice.

Alors il l’observe, se questionnant plus encore. Avait-il bien compris l’allusion ? Et là, voilà qu’elle balaie l’idée de se laisser aller dans les bras de cet homme. Et là, il est complètement perdu. L’Ogasawara regarde fixement devant lui un instant, inspirant profondément comme si cela allait lui permettre de remettre les choses dans l’ordre. Et ainsi, aussi simplement que cela, la conversation fut retournée sur lui.

- Je n’ai pas à m’en inquiéter, je gage. Ma lignée est une menace pour la tête de mon clan ; plus vite elle s’éteint, et mieux cela l’arrangera. Mon père était l’aîné, et si ma famille n’avait pas été matriarcale, c’est lui qui aurait été à la tête du clan, et moi son héritier. Personne ne se pressera à me voir prendre épouse. Pour ce que j’en sais, je suis donc libre de faire comme je l’entends.

Ou bien l’on chercherait plutôt à l’en empêcher, si vraiment une action devait être prise le concernant. Quoi qu’il en soit, il lui revenait à présent de tenter d’éclaircir la situation.

- Je ne comprends pas trop le cheminement de cette conversation, je dois l’avouer. Vous me demandez si vous pouvez avoir un compagnon, voir un fiancé. Vous me parlez de votre prétendant. Tout ça pour m’annoncer qu’il ne vous intéresse pas. Vous me perdez… Qu’elle est la raison de tout ceci ?

Akemi pince un peu les lèvres, pas certaine de savoir ce qu’elle pense de la situation de son Maître. Au moins il se dit libre et cela a l’air de lui convenir. Il n’est pas du genre à s’empêcher de faire ce qui lui chante quand il le veut alors elle ne devrait pas s’inquiéter. De toute façon, personne ne semble trouver grâce à ses yeux. Pour l’heure, la discussion le déroute et elle en est toute gênée.

« Non ! Non ! Vous n’y êtes pas... »

Elle soupire confuse. Est-elle si maladroite que cela dans sa façon de s’exprimer ? Elle détourne le regard tandis que ses joues se colorent de rose. Il aurait été plus simple d’aborder d’autres sujets et de laisser ce dernier à un autre jour ou bien aurait-elle dû l’amener d’une façon différente. Tant pis, ce qui est fait est fait et elle n’a plus qu’à tenter d’éclaircir le fond de ses pensées.

« Ce ne sont que des questions théoriques qui me sont venues à l’esprit à cause d’événements récents. Pour ma culture personnelle et pour le jour où je formerais une jeune Shugoshin si elle venait à me poser les mêmes questions. »

Ses prunelles azurées se lèvent vers le ciel et la jeune femme reste un instant pensive. Elle avait souhaité avoir l’avis de son Maître et à présent qu’elle l’avait, elle se faisait le sien propre. Était ce alors inutile de chercher à savoir ce qu’il en pensait ? Était-ce une perte de temps ? Ou au contraire, cela l’avait-il rassuré et aidée à réfléchir ?

« En ce qui me concerne, je n’aurai jamais de compagnon. Plus j’y songe, et plus je trouve que ce serait contre productif, une distraction malvenue dont je n’ai pas besoin. Je suis née pour servir votre famille et c’est vous que l’on m’a confié. Vous êtes… La personne dont je me soucie le plus au monde. Pas parce que tel est mon devoir, mais parce que c’est ce que je ressens. C’est ancré au fond de moi, je ne sais pas comment l’expliquer. Je suis désolée, encore une fois je ne dois pas être très compréhensible. »

Elle sourit légèrement en coin. Puis elle change de sujet. Difficile de savoir si c’est volontaire ou une pure coïncidence. L’un comme l’autre serait plausible.

« Sinon je me disais, nous pourrions faire une partie de go, ou de Mah-jong ou autre chose qui fasse travailler l’esprit, qu’en dites vous ? Oh et pour ce qui est de simplement se détendre, ma famille gère les thermes publics. Alors oui je sais que vous en avez chez vous. Mais le cadre est différent, et nous proposons des soins et des massages aussi. »

Les propositions sont faites, il en fera ce qu’il voudra ensuite.

De la simple curiosité, donc. Bon. Il opine. Pas de raison de creuser le sujet plus loin, aussi sans trop se poser la question il admit que c’était bien là la raison principale sinon unique de cette discussion. Koga ne manqua pas quoi qu’il en soit de remarquer l’embarras qui en occupa les joues de la jeune femme. Elle semble réfléchir un moment, les yeux portés vers le ciel, et… sème encore plus la confusion. Voilà qu’à présent, elle souhaitait n’avoir jamais de compagnon. Tout cela pour ça ?

Ce qu’il peut se dire alors qu’il hausse l’un de ses sourcils, tout à l’écoute donc pour l’entendre effectuer une sorte de déclaration sincère. Cela faisait quelques années qu’ils évoluaient en une sorte de binôme distant. Assez pour savoir qu’elle n’était pas une assassin missionnée par sa tante comme il l’avait pensé de prime abord. Elle avait su le rassurer, endormir sa vigilance, si bien qu’il n’envisageait plus réellement cette possibilité. Cette paranoïa de toute façon le tuerait à petit feu s’il ne relâchait pas un peu le pied pour… juste vivre !

Quoi qu’il en soit, l’Ogasawara ne s’appesantit pas plus sur la déclaration qui déjà semble peser sur Akemi, assez pour qu’elle cherche la fuite d’une autre discussion plus confortable.

- Shogi. J’abordais de me mettre au Shogi, pas plus tard qu’au début de cette conversation. Mais si vous craignez de ne pas y avoir suffisamment d’expérience pour être un adversaire de rigueur, j’imagine que cela ne fera pas de mal non plus de décrasser mes stratégies de Go.

Il ne sut que répondre à la proposition d’un bain au Sentō. Effectivement, les manoirs nobles disposaient de tout ce dont ils pourraient avoir besoin en la matière, et plus encore ceux des quatre grandes familles. Après un court moment de réflexion…

- Il vous arrive d’en faire usage, de ces Sentō ? Les qualifieriez-vous… d’assez prestigieux pour recevoir un Ogasawara de la maison principale ?

Mal à l’aise est l’état qui la défini le mieux en cet instant. La Shugoshin sait à quel point elle peut être maladroite avec les gens sans faire exprès. Avec certaines personne, cela passe sans problème mais face à l’Ogasawara, elle se sent démunie. Peut-être n’aurait-elle jamais du entamer cette discussion et rester simplement à sa place. Comment a-t-elle pu imaginer que elle, simple gardienne, aurait pu avoir quelque chose à apporter à celui qui a déjà tout ?

« Le Shogi, oui. Oui, je sais y jouer. »

Parce que ce n’est pas son jeu préféré et qu’elle a gardé un plutôt mauvais souvenir de ses leçons de stratégie, elle n’a pas eu le réflexe de l’approuver un peu plus tôt. Mais il lui offrait là certainement une occasion de se fabriquer de meilleurs souvenirs, ou bien de se sentir plus mal à l’aise encore s’il ne l’estimait pas suffisamment à la hauteur. Voilà donc une tâche à rajouter à sa liste, réviser sa façon de jouer et s’entraîner.

Serrant ses mains l’une dans l’autre, elle prend quelques secondes avant de répondre aux questions posées. Les détails ont leur importance. Elle le sait pourtant. Doucement elle opine. Sa famille gérant ces établissement, évidemment qu’elle les connaît plutôt bien. Elle y a ses entrées et peut s’y rendre quand bon lui semble.

« Pour être honnête, je l’ignore. Il faudrait que je sache comment son les vôtres pour pouvoir comparer. En l’état, même si nous avons des parties privées réservées aux nobles familles, je crains que ce ne soit pas suffisamment éblouissant. Je suis navrée, j’aurai dû davantage réfléchir avant de faire une telle proposition. »

Ses lèvres s’étirent en un léger sourire bien qu’elle ne soit pas le moins du monde amusée. Il s’agit d’un simple réflexe d’autodérision alors qu’elle se fait la réflexion que c’est pour cette raison que leur relation n’a pas évolué depuis toutes ces années. Akemi a beau l’admirer et tenir à son protégé, sa prestance et sa lignée l’intimident. Souvent, elle a l’impression qu’il a érigé des murs autour de lui qui le rendent inaccessible. A nouveau elle s’y heurte de plein fouet alors qu’il mentionne sa haute naissance. Et elle de se sentir inférieure en quelque sorte. Elle n’a pas de complexe là dessus et elle sait qu’il ne le fait pas exprès, que c’est dans sa nature, sa façon d’être. Ce n’est pas méchant ni personnel, c’est un fait. Il est mieux que les autres et elle, elle est indigne. Plus elle y pense, plus elle se dit qu’elle est la mauvaise personne, ou plutôt, pas la mieux placée pour être celui ou celle qui convient le mieux pour lui tenir compagnie.

La Shugoshin ne se sent pas vexée pour si peu. Il est normal que le meilleur mérite ce qu’il y a de meilleur. Et depuis sa naissance, combien de fois lui a-t-on répété qu’elle n’était pas assez bien ? De toutes ses forces elle travaille à atteindre la perfection, en vainc. Pourtant c’est elle qu’on a nommée auprès de lui. Elle qui est devenue sa gardienne personnelle. Cette si grande fierté se résume dans le fait qu’elle n’est qu’un bouclier rien de plus. Ce n’est pas si mal de s’en souvenir. Vouloir davantage, espérer une place qui n’est pas la sienne sera plus ardu qu’elle ne l’avait imaginé. Pour autant, elle ne s’avoue pas vaincue. Pas avant d’avoir essayé. En ce qui concerne ce jour présent, elle a atteint ses limites et elle ferait mieux de ne pas risquer de devenir plus ridicule qu’elle ne l’est. Alors lentement elle se lève et en se tournant vers lui, le couvre d’un regard bienveillant. Hirō remarquerait qu’elle est un peu plus terne que d’habitude. L’Ogasawara en revanche n’a pas ce genre d’attention à son égard.

« Navrée, je vous ennuie avec mes histoires. Vous permettez que je vous raccompagne ? »

Deux fois oui. « Le Shogi, oui ». Suivi de « Oui, je sais y jouer ». En ce qui le concernait le rendez-vous était donc pris, et ils ne manqueraient pas de trouver une occasion ou l’autre de s’y adonner, Kōga y veillerait. Jouer contre soi-même avait parfois ses limites, même s’il s’agissait d’un très bon exercice de l’esprit. Quant aux serviteurs… c’était une futile perte de temps, comment auraient-ils les connaissances nécessaires pour maîtriser un art qui leur était pas nature si étranger ? Ces jeux requéraient de l’esprit, et donc de l’éducation, pas vrai ?

- Tous les dimanche, j’occuperai ma matinée à la calligraphie. L’on dit que l’art de l’épée et du pinceau sont similaires, et j’ai bien peur que mon Zanjutsu soit un peu trop délaissé. Au moins cela me fera une pratique noble pour ne pas trop perdre de mes acquis, tout en gagnant de quoi m’élever sur le plan spirituel. Je crains d’être parfois un peu trop… impulsif, pour mon propre bien.

Ensuite, vous me rejoindrez et nous procéderons ensemble à la cérémonie du thé. Alors, lorsque nous aurons trouvé la paix de l’esprit, nous jouerons au Shogi jusqu’à ce que l’un de nous n’en puisse plus. Si la concentration est certes de mise et que les babillages seraient superflus, nous pourrions tout de même profiter du moment pour discuter.

Il se leva alors. Il n’y avait aucune question, pas de consentement à recevoir en retour. Après tout, c’était là une conclusion logique quant à la discussion qu’ils venaient d’avoir. Ils s’étaient mis d’accord pour le Shogi – même s’il n’avait pas réalisé qu’elle s’était sentie un peu obligée – et elle avait exprimé la volonté de passer plus de temps avec lui, de discuter. Ainsi, durant presque une journée entière par semaine, ils seraient voués l’un à l’autre, seuls. Debout, il l’observe, et rétorque brièvement sur l’autre sujet abordé :

- Nous pourrions par exemple discuter de vos bains, et de la manière dont vous pourriez en faire privatiser un le temps de me présenter le savoir-faire de votre famille. J’imagine qu’il s’agit là d’une fierté pour votre clan, et donc pour vous.

Cela devait lui tenir à cœur. Il était dès lors possible de faire un effort, si on lui réservait ce qu’il y avait de meilleur sans qu’il ait à s’imposer la présence du peuple.

- Allons ? Vous ne souhaitiez pas me raccompagner ?

Il hausse un sourcil. Ce n’est pas vraiment une invective, plus une invitation. Sa manière à lui d’abaisser un peu les murs hauts et solides qu’il a érigé autour de lui...

Voici comment un rendez-vous hebdomadaire avait été fixé. La Shugoshin avait obtenu ce qu’elle souhaitait, soit plus de temps avec son protégé. Elle espère qu’elle ne le regrettera pas. Après tout, autant elle que lui ont quelques soucis de sociabilisation. Lui de par sa froideur et cette impulsivité dont il fait mention et elle par sa candeur relative et sa maladresse. Ils forment un cocktail détonnant et elle craint d’être souvent amenée à se sentir mal à l’aise en sa présence, comme si elle n’était pas à sa place, qu’elle le dérangeait ou l’indisposait. De par les activités prévues, elle se rassure. Ce sont des choses simples, naturelles et qui ne nécessitent pas d’avoir à tenir une conversation. Elle espère aussi y trouver le moyen de briser cette carapace dans laquelle il se renferme en permanence. Petit bout par petit bout. Ce n’est pas nécessaire, mais elle en a envie.

Derrière le trait impulsif qu’il se donne, elle voit tout à fait à quoi il fait référence. Elle en a entendu parler et cela lui fait pincer les lèvres. Ces accès de témérité ne lui plaisent pas. Elle ne supporte pas qu’il puisse ainsi chercher à se mettre en danger par défi. Elle sait que chez certains garçons cela arrive fréquemment de chercher à se mesurer aux autres, et si elle ne cherche pas à l’en empêcher, elle souhaiterait au moins être présente pour pouvoir intervenir au cas où cela tournerait mal. Mais évidemment, ce n’est pas son genre de la prévenir. Un peu comme un enfant qui ne prévient pas lorsqu’il est sur le point de faire une bêtise. Donc tout ce qu’elle peut faire, c’est s’occuper de l’après.

« D’ailleurs Maître, n’avez vous pas de blessure dont vous souhaiteriez me confier le traitement ? »

Elle aussi s’était levée. Elle avait opiné poliment à sa proposition de discuter des bains tenus par son clan, mais elle n’était pas certaine de vouloir rapporter le sujet sur la table de si tôt. En tout cas, cela resterait en suspens le temps qu’elle s’en remette ou qu’il aborde de nouveau la perspective de s’y rendre à son invitation.

« Si, bien sûr. »

Akemi sourit doucement et alors qu’elle prend quelques secondes pour le regarder, elle ne peut que renforcer l’admiration qu’elle lui porte. Il a si fière allure, tel un soleil inaccessible qui vous brûle les doigts si vous approchez de trop. Se plaçant à ses côtés, elle se renseigne notamment sur la tournure de ses combats récents contre les hommes de la Onzième.

Fin du RP, on reprendra un autre

Il réfléchit un instant, et secoue légèrement la tête. Pourtant il ne répond pas tout à fait à sa question. Comme s’il continuait d’en mesurer la portée. Comme s’il s’interrogeait réellement, plus loin, sans que cela ne concerne d’hypothétiques blessures physiques qu’il n’avait pas en ce moment, n’ayant pas combattu récemment. Puis après un moment, il se tourne vers elle, l’observe, avant de répondre.

- Ne vous inquiétez pas. Je crois que les mesures nécessaires à panser mes blessures ont déjà été prises. Vous le savez mieux que personne : une fois que le processus est lancé, il faut laisser à l’âme ensuite le temps de se régénérer d’elle-même.

Le principe du Kaido, ni plus ni moins. Réparer le flux de Reiryoku pour qu’ensuite le corps se régule de lui-même. Ainsi, le meilleur des médecins ne pouvait pas forcément retaper n’importe quel blessé ; et la volonté du blessé de guérir comptait presque pour autant. Au temps ensuite de faire le reste. Pour autant, pas certain qu’il faisait référence au corps en l’occurrence, et c’est même d’un léger sourire qu’il commença à se rendre vers son manoir. Machinalement, ses doigts s’élèvent vers son abdomen, où se trouvait autrefois son collier Mala. Peu après son entrée à la Huitième Division, l’Ogasawara avait cessé de le porter. Une manière d’essayer de faire oublier sa richesse et sa noblesse, que sa façon d’être et le Kamon sur son front prouvaient déjà bien assez. Est-ce que son réflexe venait d’une certaine manière appuyer un besoin d’être rassuré ? Quoi qu’il en soit, il poursuivit alors sa marche, et raconta comme demandé la fois où il avait affronté un membre de la Onzième Division dont il ignorait nom et grade, juste que Koga lui avait offert le plus incroyable Sôkatsui qu’il avait pu voir de toute son existence.