Nouvel horizon

Pics Rocheux.

Moïra s'avançait à travers les multiples galeries des Pics rocheux, là où siégeaient ses pairs. A sa libération, son attention s'était portée naturellement vers ces seigneurs, qui entendaient gouverner les autres Clans. Prétendait elle même à cet hubris ? Non. Sa vocation avait toujours été d'observer les mouvements du monde, vices ou vertus n'étaient que des prétextes pour les ambitions des autres. Alors qu'elle arpentait un hall aux teintes blanches, elle ajusta son manteau suite à un petit frisson glacé.

Son regard écarlate se portait vers un balcon qui se trouvait à proximité. Ces bâtiments bâtis les uns sur les autres formaient un labyrinthe, capable de perdre d'éventuels envahisseurs. Les passerelles existaient afin d'aller de l'un à l'autre, veillant à ne pas froisser la vanité de leurs propriétaires. L'Arrancar se demandait où elle se trouvait réellement, connaissant peu les bons chemins à suivre. Le chaos dans l'ordre, c'était dans l'air. Observant la petite arche qui conduisait à ce balcon, elle se décida à y aller.

Demi-circulaire, encastré dans les falaises, un promontoire rocheux avait été aménagé afin d'en faire un balcon. Un muret de pierres blanches avait été bâti pour délimiter le périmètre. C'était une volonté de montrer son statut, les Arrancars ou même les Hollows se moquant bien de ce genre d'artifices. Ici, aux Pics, démontrer son pouvoir de quelques manières était la règle. Un sourire amusé se dessinait sur ses lèvres. Sa main caressa le marbre marmoréen avec une certaine tendresse. Puis, elle fit signe à un esclave qui passait par là de s'approcher.

- Du vin !

Même ici, au sommet du monde, il y avait de la mauvaise herbe. Elle devait donc servir les Maîtres sans poser de questions. Moïra s'était habituée à ce genre de choses, impassible sur le devenir de ces êtres. Leurs existences étaient voués à disparaître d'un simple coup de ciseaux. Toutefois, elle n'était pas chez elle... Enfin, elle ne savait même pas où sa demeure était.

Quelques minutes plus tard, elle fut servie et fit signe qu'elle gardait la bouteille. Son regard se plissa. Deux verres. Elle se tourna vers l'esclave pour avoir des explications, quand ce dernier indiqua l'entrée du balcon. Son regard écarlate fixa l'entrée afin de déceler celui qui venait de s'inviter à sa petite réception personnelle.

On ne pouvait se prétendre Empereur et manquer des événements au sein de sa propre communauté. Inconcevable pour celui qui portait le numéro "3" de l'Espada pour le moment mais qui était surtout réputé pour avoir été Primera Espada et qui marquait les esprits au sein de leur monde.

Borick avait entendu parler de la présence d'une nouvelle venue en leur Palais. Une personne qui répondait au nom de Moïra Coypel, selon ses informations. Et s'il ne doutait pas de son réseau, il n'était évidemment pas question le concernant de ne se baser que sur lui sans aller vérifier par lui même. Non seulement par principe. Mais aussi et surtout car il avait besoin de rencontrer les gens pour comprendre et savoir à qui il avait à faire.

C'était là l'unique raison de sa présence, aujourd'hui. Alors qu'il entendit la jeune femme poser la question, il fit son apparition. Tout sourire, les cheveux blonds tombant sur ses épaules, il donnait l'impression d'être un ange qui était venu en ce monde pour le purifier de tout ce mal ambiant. Ses yeux couleur de l'ambre fixait le regard écarlate de la jeune femme. Et tandis qu'il faisait deux pas de plus vers elle, il posa la main sur son torse et s'inclina légèrement, sans jamais la lâcher des yeux. Ni s'en se départir de son sourire.

- Je te prie de pardonner cette intrusion. Je souhaitai me présenter à toi dans les formes, comme il se doit. Je suis Borick "El Emperador", et c'est un véritable plaisir que de faire ta connaissance, Moïra.

L'appeler par son nom prouvait qu'il était déjà renseigné sur elle. Une première preuve de force, même s'il n'en avait pas besoin. Histoire de poser les bases. On n'intégrait pas ce Palais sans donner un minimum d'informations, informations qu'il ne possédait pas réellement lui-même en dehors de son nom. Bien peu mais toujours mieux que rien. L'esclave était toujours présent. Alors que Borick se redressait, il lui fit un simple signe.

- Tu peux nous laisser, maintenant.

Il n'attendit pas une seconde de plus pour laisser les deux membres de La Cámara l'un avec l'autre. Généralement, on ne discutait pas les demandes de l'Empereur. Il se dégageait de lui quelque chose de particulier. Sa grande assurance était palpable, on voyait clairement en lui une personne qui avait l'habitude des échanges avec les autres, qui ne craignait pas le contact. Et qui aimait cela, sans le moindre doute. il était amusant de constater qu'il y avait une certaine similitude dans leur manière de s'habiller, de se présenter.

- Quoi de mieux pour faire connaissance que de boire un bon vin en profitant d'une vue aussi spectaculaire ?

Maintenant, on allait laisser la discussion se mettre en place.

Moïra fit un signe de la tête à l'esclave. Remercier les âmes faibles était un moyen de conserver leur amitié, jusqu'à ce que le fil de l'existence se brise. Une fois que le serviteur avait quitté les lieux. Ses pupilles écarlates observaient celui qui s'appelait Borick.

El Emperador.

Voici un surnom péremptoire, sinon amusant. Il s'estimait donc au-dessus des autres, un ange guidant les brebis du Hueco Mundo. Selon ce qu'elle avait appris rapidement, La Cámara regorgeait de personnalités hautes en couleurs, sûres de leur droit sur le monde. Etait elle différente ? Non. Elle voulait aussi le pouvoir mais pas pour l'instant, c'était trop tôt.

Prenant une gorgée de vin, elle fit un signe polie de la tête avec un léger sourire.

" Voici un impromptu des plus flatteurs, je ne pensais pas avoir l'honneur de la visite d'un Empereur. Asseyez vous donc ! " Servant du vin dans un verre en crystal, les deux Camaristes pouvaient observer l'horizon, ces pics qui sombraient dans les ténèbres. La voix de la Tisseuse du Destin brisa le léger silence. " Ce nectar vient de Hollows très particuliers. J'ai dû conseiller les esclaves sur ce que je voulais avant qu'il ne comprenne. Il est épicé et réchauffe l'âme qu'il nous reste. "

Elle ne put s'empêcher de rire sans aller aux éclats, toujours dans le contrôle de ses émotions. Cette histoire, pour avoir ce vin, était la première chose qu'elle avait organisé en arrivant... Enfin, c'était peu de chose que tout cela. Elle l'observait. L'homme dégageait du charisme, de l'assurance. Le fait de la tutoyer, sans la connaître ni d'Eve ni d'Adam, était risqué. Une membre de La Cámara ne pourrait ne pas aimer ce ton légèrement désinvolte.

" Le tutoiement est la marque de l'amitié n'est ce pas ! Je suis heureuse de le partager avec vous. "

Un sourire amusé se dessinait sur ses lipes, alors qu'elle observait la réaction de son invité de dernière minute. Un léger vent frais rafraîchissait l'environnement mais des personnes comme eux se moquaient de ces désagréments. Il n'y avait aucune animosité de sa part, bien au contraire, elle voulait juste poser ses limites. Après cette petite taquinerie, elle embrayait en buvant un peu de vin.

" Je vous connais aussi, Empereur Borick. Ancien Primera Espada, maintenant Tercera... Êtes vous comme cet ange chrétien qui est tombé du ciel ? Ange souhaitant prendre la place de Dieu dans le ciel ? Ce serait intrigant. La métaphore vous correspondrait bien en tout cas, quand on vous observe... "

Elle posa enfin son verre, le laissant terminer certainement sa phrase. Curieuse, Moïra se demandait quelle était la couleur du destin de Borick mais on n'en était pas là, loin de là, très loin de là.

Il ne se fit pas prier pour se poser lui aussi, écoutant la jeune femme s'extasier devant ce vin qu'elle semblait avoir commandé et choisi elle même. Il était intéressant de constater que certaines âmes prenaient leur aise plus facilement que d'autres. Preuve d'une confiance qui n'était pas sans déplaire à l'Empereur. D'ailleurs, il aurait été malvenu de le lui reprocher alors qu'il était lui-même en terrain conquis, n'est-ce pas ?

Quant à sa réponse concernant le tutoiement, il ne put s'empêcher d'en rire tandis qu'il humait les effluves de cet étrange élixir. La marque des amis ? Vraiment ? Curieusement, elle n'avait sans doute pas tort si l'on y réfléchissait bien. Seulement cela dépendait aussi et surtout de l'interlocuteur en face. Et Borick était bien plus retors que cela.

- De l'amitié, pas forcément. Il serait bien étonnant dans un monde comme le nôtre que ce mot puisse caractériser d'emblée une nouvelle rencontre. Seulement j'aime à éviter les barrières inutiles, surtout avec une consœur de La Cámara. Ne serait-ce que par respect pour ce que nous sommes réellement.

Il inclina légèrement la tête dans sa direction, levant le verre en guise de salutation. Il était amusant de l'entendre parler de barrière alors qu'il était le premier à en ériger lorsque c'était nécessaire. Cependant il avait raison sur un point : La Cámara méritait son respect, ainsi que ceux qui par essence y appartenait. Ils étaient bien supérieurs aux autres clans, n'en déplaise aux fortes têtes. Inutile alors de s'embarrasser des mêmes convenances que l'on imposait à ces animaux.

Seulement il apparaissait plus naturel pour lui d'user de cela que pour elle. Cela ne le dérangeait évidemment pas sur le principe. Et en dépit de sa nouvelle présence en ces lieux, elle paraissait bien informé. Son statut n'était pas un secret, évidemment, toutefois il était curieux de voir qu'elle en connaissait si long et qu'elle puisse l'afficher de la sorte était évidemment un message qu'il comprenait. A ce jeu, ils étaient deux après tout.

- Que de mots flatteurs. Un ange, j'admets que cela ne me déplairait pas d'être dépeint de la sorte. Même si je dois dire que je ne suis pas très au fait des religions terrestres à ce sujet. Je sais toutefois qu'il serait bien trop dangereux de désirer régner sur les Cieux de la sorte. Dieu est Dieu. Je ne suis qu'un humble serviteur de notre clan pour ma part.

Inutile de dire qu'il était tout sourire. Il ne mentait pas d'ailleurs. Melchoms était le véritable maître. Et il le servait sans discuter. Cette place, il ne l'enviait nullement. A ses yeux, si la lumière apportait évidemment une certaine notoriété, elle avait aussi son lot d'entraves dont il se passait aisément.

- Un serviteur qui s'interroge sur les motivations d'une nouvelle venue aussi bien informée, si je puis me permettre. Il est plus qu'agréable de pouvoir échanger de la sorte, n'est-ce pas ? Cela fait partie des petits plaisirs que je m'accorde, lorsque ma partenaire est aussi intéressante.

En un mot comme en cent : que souhaites-tu apporter ou faire en rejoignant La Cámara ? A ce petit jeu, il doutait d'avoir une réponse précise. Mais la poser de manière si directe lui donnerait une autre indication.

Ses réactions non verbales. Ses yeux couleur de l'ambre ne lâchait pas la jeune femme tandis qu'il buvait une nouvelle lampée.

La liqueur vermeille dansait dans son verre. Le regard plongé vers son interlocuteur à travers le cristal de son verre, ses pupilles observaient Borick et elle le trouvait intéressant. D'un côté, il dégageait une assurance débordante, d'un autre, il n'hésitait pas à dévoiler sa totale soumission au véritable maître des lieux. Même si elle avait un point commun sur le second point, elle laisserait cela dans le vague.

Combien de seigneurs de guerre s'étaient effondrés ces dernières années ? Beaucoup trop. Pour l'instant, suite à ce qu'elle avait découvert avec la Primera Espada, la prudence était de mise. Les Clans devaient faire face à une menace humaine, un risque que La Cámara ne pouvait gérer elle même. Sauf si elle prenait le commandement des opérations pour nettoyer cette scorie dans le Hueco Mundo.

" Je pourrais vous apprendre. "

Un petit rire étouffé sortit de ses lipes avant qu'elle n'enchaine. Elle avait quelques connaissances des mythes humains, appris au cours de discussions avec quelques Dégénérés (nom qu'elle donnait à ce qui méritait une mort immédiate). Cependant, son interlocuteur posa des questions qui dévoilèrent un peu mieux ses motivations.

" Mes motivations ? J'ai prêté serment à notre Roi il y a seulement peu de temps. Informer. Oui, c'est le mot exact. La pierre angulaire de la victoire est de lire le fil de la destinée des choses et des êtres. Quand on le lit, on peut soit dévier sa course, soit le trancher. Pour l'instant, je dois avouer ma méconnaissance de ce monde après mon réveil, je prends mon temps et observe ce qui s'est passé, ce qui se passe et ce qui se passera. " Reprenant son verre, elle reprit une gorgée afin de terminer. Dans un premier temps, elle n'allait pas citer ses rencontres avec la Primera Espada et ses compagnons de recherche au niveau de la Cataracte. C'était trop tôt. " Quand à ma vision sur la méthodologie, résumons. Pour faire simple, si on veut vaincre un ennemi, il faut réunir des informations et disons que c'est ma spécialité. Je ne compte pas expliquer le "comment" évidemment, une part de mystère est toujours séduisante. "

Il faut bien des ombres et des lumières au sein de chaque Clan, travaillant ensemble pour la victoire de leurs principes. Moïra se voyait plus en Eminence Grise qu'en dirigeant... Asservir les autres clans ne se ferait qu'avec finesse, c'est en cela qu'elle croyait. Toutefois, son éveil récent l'invitait encore plus à la prudence. Elle connaissait trop peu de choses pour se permettre un faux pas, surtout au sein de La Cámara, où la réputation était une protection sociale contre les autres membres de sa propre caste.

Lire le fils de la destinée ? Voilà qui était joliment dit et bien trop précis pour n'être qu'une simple figure de style. En ce monde où les mots étaient pouvoir, il n'y avait pas à chercher bien loin pour obtenir des indices. Et c'est ce qui plaisait à l'Empereur. Une nouvelle éveillée, qui souhaitait apprendre avant de décider. Comprendre le passé, le présent et le futur. Intéressante démonstration que voilà. Mais le concernant, il ne s'agissait là que de chimères. Auxquelles il avait bien du mal à croire.

Cependant il la rejoignait sur cette nécessité de s'informer. La clé de la victoire, ce n'était pas peu de le dire. Et savoir que la jeune femme puisse exceller dans ce domaine ajoutait une touche de charme à son paraître. Borick avait l'oeil pour certaine chose. Quelques uns disaient de lui qu'il était manipulateur, charmeur. Pour lui, ces gens se trompaient. Car l'Empereur ne cherchait évidemment pas à charmer son assistance. Mais seulement à faire entendre une simple vérité. La sienne. Etait-ce de sa faute s'il était si convainquant ?

- J'aime le mystère également. Ainsi je ne te jugerai certainement pas sur ta volonté de maintenir le secret sur le "comment" tu obtiens ces informations. Vois-tu, je suis moi même un peu ainsi. Mais mes méthodes sont plus conventionnelles, dirais-je. Les jeux d'alliance sont souvent négligés, désuets pour certains. J'y trouve de mon côté un certain charme. Même si les autres clans ne sont finalement pas grand chose en comparaison du notre, il est important de maintenir un certain niveau de communication. Des alliés qui pourraient s'avérer utiles.

Et des alliés, l'Empereur en avait. Certains prêts à le soutenir même s'il savait la méfiance persistante. C'était sans doute pour cela d'ailleurs qu'il entretenait cette relation étrange avec eux. Ils étaient assez malins pour comprendre l'intérêt de s'allier à lui. Sans pour autant tomber dans un lien de subordination qui ne plaisait de toute évidence pas au Blondinet. Une juste question d'équilibre en réalité.

- Mais une femme disposant de quelques capacités utiles dans le domaine du renseignement ? Voilà qui pourrait devenir un atout précieux. Surtout au sein d'un monde aussi secret que le nôtre. L'Espada est ce qu'elle est. Forte. Mais instable. Oh... Mais j'espère ne pas mal avoir interprété tes paroles ?

D'un geste de la main, il remit en place certaines des longues mèches blondes qui lui tombaient sur le visage. Un sourire étrange. Presque froid.

- Serait-ce pour me vaincre que tu as rassemblé des informations sur moi ? Non, je n'oserai croire pareille chose. Pas au sein de notre propre clan, en tout cas.

L'art de reprendre certaines paroles de l'autre et de les utiliser pour mieux saisir, mieux comprendre. Un domaine dans lequel l'homme excellait. Se complaisait.

Son verre était terminé. Las, elle le posait sur la petite table en écoutant les paroles de l'Imperator. Il n'était pas compliqué de réunir de telles informations, quelques questions aux serviteurs et les derniers événements concernant les Espadas pouvaient être connus. Moïra n'avait pas fait grand chose en fait.

" Je ne suis pas une espionne. Parfois, les murs ont des oreilles et je me contente d'écouter ces derniers. " Un léger sourire aux lèvres s'esquissa sur ses lèvres. " Pour le reste... "

Elle posa un silence.

Vaincre ? Elle se considérait comme une survivante et le combat, des qu'elle le pouvait elle l'évitait. Faire partie de l'Espada ? Non, très certainement non. Ses qualités n'étaient pas dans ce domaine et elle estimait ses chances de réussite dans ce domaine comme étant "on ne peut plus faible". Borick révélait une faiblesse en tout cas. Par ses paroles, on ressentait qu'il voulait circonvenir de possibles adversaires, juger de leurs capacités afin de s'en prévenir le moment venu. Un manque de confiance en soi ? Non, cet Arrancar n'en manquait pas.

" Si je puis vous rassurer, Imperator, mes ambitions ne concernent pas l'Espada. Cette lutte incessante pour un Numéro ne me satisfait pas. Cela me semble être qu'un jeu pour amuser les puissances de ce monde. Ces combats satisfont l'Hubris de tous ses combattants après tout. Ironiquement, le pouvoir n'est pas entre leurs mains mais entre celles des chefs des quatre clans de l'Acuerdo. " Un léger trouble. " Il n'y a rien de personnel évidemment, vous m'êtes bien trop sympathique pour que je mette tout le monde dans le même panier. "

Le ton était posé, froid, réfléchi. Elle n'avait rien contre contre ton interlocuteur, loin de là. C'était sa vision des choses. Quel pouvoir avait les Espadas ? Avaient ils réussi à sauver le Hueco Mundo de ses propres errements ? Pour l'instant, sa propre réponse à ses questions n'était pas très positive. C'était pour cela qu'elle avait toujours préféré sa propre survie à ce genre de duels qui lui rappelaient trop le passé de sa propre existence.

Les murs ont toujours des oreilles, c'était un fait avéré et c'était aussi la raison pour laquelle l'Empereur ne parlait jamais de choses le concernant réellement au sein du Palais. Ici ou ailleurs d'ailleurs, il se montrait toujours d'une vigilance extrême. Il savait que l'information était une arme puisqu'il en usait lui-même. Pas question alors de donner des munitions à ses adversaires politiques.

Quant à son récit sur l'Espada, il ne pouvait lui enlever un certain crédit. Il pensait la même chose d'une certaine façon, même s'il y avait quelques variations dans sa manière de voir les choses. Si les luttes intestines l'agaçaient sur le sujet des numéros, il ne pouvait nier avoir besoin d'appartenir aux premières places. Un statut qui satisfaisait ses ambitions. Et sans doute aussi son égo.

- Je ne le prends pas personnellement, je te rassure. Et je ne peux nier que tu as en partie raison. Ces combats sont là pour amuser la galerie, c'est une évidence. Mais pas seulement, comme tout ce qui se joue au sein du Hueco Mundo. Je vois cela comme une partie d'échec, vois-tu. Il s'agit d'un jeu humain, je ne sais pas si tu en as entendu parler.

Il aimait ce jeu car il estimait qu'il y avait des similitudes avec la vie. Bouger les pièces, faire des sacrifices, prévoir sur plusieurs coups en avance. Ce jeu était fait pour lui. Et les combats entre potentiels Espada permettaient aussi de mettre en avant certaines choses.

- Comme tu le dis, le pouvoir est entre les mains des quatre Seigneurs de ce monde. Seulement la lutte pour l'Espada permet à ces Seigneurs de marquer les esprits. De prouver la force de leur clan. La paix est là, même si fragile. Qu'en serait-il alors si l'un des clans se retrouvait à dominer complètement l'Espada, selon toi ?

la paix volerait en éclat. Car le clan concerné pourrait s'appuyer sur la puissance de ses armées et de l'Espada pour contrôler les autres. C'était un fait. Il laissait à Moïra le temps de se faire sa propre idée de ce qu'il expliquait. Avant de reprendre une gorgée de ce fameux vin. Les silences étaient parfois aussi parlant que de longs récits.

- Je pense sincèrement que l'Espada a perdu en aura. Mais je crois aussi qu'elle a un rôle important à jouer pour la suite. A condition de pouvoir compter sur une Primera susceptible de réellement faire changer les choses, il s'entend. J'avais commencé à agir. Mais malheureusement, quelques affaires privées m'ont contraint à libérer cette place.

Borick non plus n'était pas un combattant à proprement parler. Depuis, il avait gravi quelques marches pour se rapprocher de son objectif. Cela prendrait le temps. Mais il avait un projet, une idée. Et Artemio comme Aviela pouvaient jouer un rôle là dedans. Quant à cette femme, face à lui ? Qui sait.

- Et si l'information peut jouer un grand rôle au sein de notre monde, je crains que la force ne reste encore majoritairement utilisée par les nôtres. Quel dommage. Mais toi, peut-être pourras-tu amener quelque de plus ? Que désires tu réellement, Moïra. Qu'attends-tu de La Cámara que tu viens de rejoindre, finalement. Une protection ?

Jouant avec son vin, la Tisseuse écoutait l'Imperator qui était en train de décrire sa position quand à l'Espada, quand à son utilité dans l'équilibre même du Hueco Mundo. Cette assertion était intéressante et redéfinissait sa vision des choses. Par manque de recul, elle n'avait pas compris ce genre de subtilités. Vrai que réveillée depuis peu de temps, elle avait encore des choses à apprendre dans une humilité songeuse.

" Une partie de jeu d'échec... Je préfère le jeu de go qui implique plus de subtilités. Mais en soit, je comprends ce que vous dites. Pour la place de l'Espada dans notre Monde, sa raison d'être je dirais, merci d'avoir lever ce voile d'incompréhension. Cependant, je pense qu'il est possible d'atteindre les mêmes résultats sans mettre en danger les guerriers au sein nos clans respectifs, vous ne pensez pas ? "

Elle se versa à nouveau du vin. Ce nectar était délicieux. Ecoutant son interlocuteur, elle se rendit compte que l'ambition transpirait à travers les pores de l'Imperator. Il voulait la première place, être "celui qui ferait bouger les choses". Le plus surprenant était qu'il avait abandonné son rang pour des affaires privées. Un seigneur faisait passer son devoir avant ses affaires personnelles, dans le but de réaliser ses desseins. C'était là une fêlure dans l'approche de Borick, Moïra ne savait pas comment la définir mais elle était présente.

" Il est rare de laisser de côté ses ambitions politiques afin de satisfaire ses affaires privées. D'une certaine façon, vos adversaires y ont peut-être vu une marque de faiblesse ? Je me questionne, était-ce désiré ? "

Froidement, elle exposait sa vision des choses à travers ces deux questions. L'Imperator avait perdu, à ses yeux, toute sa superbe en quelques mots. Posant son verre, elle n'allait pas aller plus loin pour l'instant, attendant la réponse de Borick sur ces points. La suite la surprit tout autant. D'un certain point de vue, il déplaçait son pion afin de la pousser à révéler ses prétentions, à bouger son propre pion afin de se défendre.

"Quelles sont tes ambitions ? Quels sont tes projets ?"

Observant l'horizon montagneux, cet horizon inaltérable. Elle n'avait pas encore de réponse sur ce qu'elle voulait. Se battre dans l'Espada, très peu pour elle. Le simple fait d'y penser lui procurait un ennui évident. Comment agir pour le bien de son Clan ? Comment lui permettre de se hisser au-dessus de la mêlée ?

" Excellent déplacement de votre pion sur le côté droit. Vous tentez de subtiliser ma Tour n'est ce pas ? " Elle termina sa question en souriant. Elle reprit alors une lampée de vin avant de continuer. La Tisseuse avait déjà visualiser la partie d'échec qui se dessinait entre eux. " Joindre La Cámara est une forme de protection, sans aucun doute possible. Cependant, pour l'instant, mon jeu se concentre sur l'observation des mouvements de mes adversaires, que ce soit dans le Clan ou à l'extérieur. Pour ces derniers, nos ennemis sur la Cataracte méritent une réflexion à long terme, j'ai cru comprendre que la Force n'avait pas suffi. La prochaine fois, il faudra envoyer vos Pions avant les Cavaliers, si vous me permettez de vous répondre ainsi cher ami ! "

Oui, sa petite cavalcade avec la Primera Espada lui avait permis de bien appréhender cette énorme menace sur le monde. Moïra ne comptait pas mettre en avant cette mission de toute façon, cela ne regardait qu'elle et La Cámara n'aurait rien gagné avec ces informations. De suite, elle voulait juste savoir comment l'Imperator allait répondre à ses mouvements dans le jeu. Allait il se montrer offensif ou prudent ? Pour l'instant, les Pions avaient été les seules pièces à bouger, la prudence avait été de mise de chaque côté des joueurs... Elle savourait déjà la suite.

Quel dommage, vraiment. Elle partait si bien pourtant mais sans doute était-elle encore un peu trop naïve pour réellement comprendre les implications réelles de ce petit jeu. Il ne pouvait une fois encore pas lui en vouloir. Il était si facile de se croire au dessus de la mêlée lorsque l'on côtoyait des animaux. Il n'y avait finalement aucun mérite à être un génie parmi des sauvages. Elle apprendrait.

Il lui adressa un simple sourire. Etudiant plus en détail ses traits. Lors de ces échanges, il était facile de se perdre. Il était donc important parfois de recadrer le débat afin de ne pas trop en dévier. Sur le sujet de l'Espada, il y avait une chose à garder en tête : les quatre Seigneurs étaient seuls décisionnaires. D'autres façons de procéder, il y en avait toujours. Seulement ils n'écoutaient pas toujours.

- Et comment ? N'oublie pas la nature même de ceux qui vivent au sein du Monde Creux. N'oublie pas que la façon de vivre et de penser des membres de La Cámara sont des exceptions au sein d'un territoire où la violence règne depuis des millénaires. Toute idée est bonne à prendre et je t'invite à en référer à notre Seigneur directement si tu penses que l'on peut faire mieux. Je crains cependant que les autres ne comprennent pas.

Il poussa un soupir faussement contrit. Ils ne reconnaissaient que la force. Et cela passait par des démonstrations où la vie même des Arrancars et autres créatures du Hueco Mundo était en balance. Faire autrement serait une riche idée seulement ce monde n'y était pas encore préparé réellement. Ou jamais bien longtemps.

Pour le reste, il y avait une évidence pour lui qui restait difficile à comprendre pour quiconque ne se trouvait pas dans sa tête. Rien d'illogique alors à ce que cela puisse échapper à la jeune femme. Là où certains verraient une marque de faiblesse, d'autres y verraient de la prudence. Finalement, chacun avait un avis sur la question et beaucoup se trompait.

- Rare, sans aucun doute. Mais parfois, certaines choses nécessitent de mettre ses ambitions de côté.

Il eut un sourire amusé. Finalement Moïra entendait ce qu'elle voulait entendre. Il avait pourtant eu l'impression d'être clair non ? La notion de contrainte devait sans doute lui être étrangère. Pour le moment.

- Quant à mes ennemis, s'ils y ont vus une faiblesse de ma part, c'est qu'ils ne sont pas à la hauteur. J'en viendrais presque à les plaindre, je dois bien l'admettre. Ils participent à un jeu auquel ils ne comprennent pas les règles.

De nouveau, il eut un petit rire. Que l'on puisse voir de la faiblesse dans son précédent mouvement l'amusait véritablement. Ils s'étaient dévoilés à lui. Se montrant dans la lumière alors que les ténèbres les avaient parfaitement masqués jusque là. C'est ainsi qu'il avait d'ailleurs renforcé sa position. Paradoxalement, là où Moïra pouvait voir une sorte de défaite, cela s'était avéré en réalité être une grande victoire. Surtout que depuis, il reprenait pas à pas la place qui lui revenait de droit. Renforçant son alliance. Affaiblissant ceux qui luttaient contre lui.

- Je comprends cette notion de protection. Et d'observation. Mais si je puis me permettre, ce n'est pas ta Tour que je vise. La pièce n'est rien. Son emplacement, toutefois...

Les jeunes joueurs avaient tendance à protéger leurs pièces maîtresse. Seulement aux yeux de Borick, la seule pièce maîtresse qui existait, c'était lui. Un cavalier comme un pion, qu'importe finalement : ils ne servaient que ses propres intérêts. Et bien souvent sans le savoir. On en oubliait parfois que ce qui primait, c'était la position sur le plateau d'une pièce. Et pas la pièce elle-même.

- Intéressant. Mais n'est-ce pas trop commun justement que d'envoyer ses pions en premier lieu ? Pour le moment, l'attention de mes ennemis se focalisent sur mes pièces importantes. Mon cavalier, ma Tour. Et ma Reine. C'est parfait. Car pendant qu'ils essaient de comprendre et d'endiguer mon avancée, je prépare les mouvements suivants. Je ne suis pas si Fou.

Riant de sa propre blague, il reprit rapidement son sérieux. Artemio et Aviela étaient deux des pièces maîtresse dont il avait besoin. Et dont il se servait. Pour l'heure, il existait une alliance de circonstance. peut-être pas pour autant de la confiance mais on pouvait s'en approcher. Chacun avait sa raison, son objectif. Mais cela servait ses propres desseins.

- Il est vrai que la force n'a pas eu le résultat escompté. Pour ma part, j'ai un projet les concernant. Et le temps qu'ils comprennent ce qui leur arrive, ils seront déjà Mat. Le seul problème, c'est le temps. Paradoxale pour une espèce comme la notre, j'entends bien.