trouble maker (shiori)

Ça a été plus fort que toi. Il l’a cherché, même, que tu dirais. Un instant il se tenait là, devant toi, puis, au sol, une main posée sur son visage sanguinolent, son nez très certainement brisé. Un commentaire de trop, ton poing contre son faciès, un peu de sang sur tes jointures. Et peut-être que ça aurait pu s’arrêter là, un règlement de compte se terminant aussi rapidement qu’il a commencé. Mais non. Il a fallu qu’il se relève. Qu’il gueule un coup. Alors ça t’a agacé. Et lorsqu’il a tenté de lever la main sur toi, tu t’es pas laissée faire. Tu as répliqué.

Tu as répliqué jusqu’à ce qu’il ne se relève pas.
Jusqu’à ce qu’on te force loin de lui.

Des bras autour de ta fine taille qui te tirent vers l’arrière, toi qui accepte finalement de cesser de te débattre. - Tu vas avoir des problèmes, Asano. Tu roules des yeux. Soupirs. Fort. - Quand est-ce que je n’ai pas de problèmes ? Tu as cette nonchalance qu’on te reconnaît que trop bien. Ce désintérêt qui tend vers l’arrogance.

Après tout, qu’allaient-ils faire ?
Te renvoyer en prison ?

Ils pourraient bien. Et c’est ce qui traverse ton esprit tandis que tu te retrouves ici, dans les couloirs de la deuxième division. Des problèmes, t’en as toujours eu, mais cette fois-ci, ça te semble un peu plus gros. Un peu plus officiel.

T’as fait un effort, dans ta tenue. Kimono à la ceinture un peu plus serré, de sorte de t’assurer d’être décente lors de cette rencontre. Tes cheveux attachés à l’arrière de ta tête, dégagés donc de ton visage aux nombreuses cicatrices. Tu portes ton Zanpakutō à ta taille et tu es presque certaine de l’entendre ricaner dans ton esprit, lui qui n’a jamais raté une occasion de se moquer de toi et des conséquences de ton caractère un peu… Explosif. C’est rien, trois fois rien. T’aimes juste pas le manque de respect.

Et lorsque tu n’aimes pas quelque chose, tu ne te prives pas de le faire entendre.

Face à une porte, tu t’arrêtes. T’hésites, surtout, quant à si tu franchis cette porte ou pas. Tu te dis toutefois que tu n’as pas trop le choix. Que lorsque la vice capitaine de la seconde division te convoque, t’as pas vraiment d’autres choix que d’accepter l’invitation. Alors tu toques à la porte, avant de rentrer.

- Asano Shirahime. Que tu te présentes en entrant dans la pièce. - T’as demandé à me voir ? Sur un ton détaché. Comme si tu n’avais rien à te reprocher.

Comme s’il ne s’agissait que d’une visite de courtoisie.

En épluchant l’un des rapports que l’on venait de m’adresser, je releva une altercation à la onzième division qui ne tranchait guère vraiment avec leurs habitudes. Seulement, cette fois, deux éléments méritaient mon attention. La première tenait au fait que cette dispute avait laissé l’un des trouble-fêtes dans un état inquiétant. La seconde soulignait le profil problématique de la responsable de l’incident à savoir, une shinigami sortie de l'Ujimushi no Su. Pour y être passée dans les dernières phases de mon enfermement, je savais que les autorités attendaient au tournant les quelques privilégiés graciés pour combler le manque d’effectifs au sein du Gotei 13. En d’autres termes, nous avions profité d’une conjoncture favorable. Cependant, si les rangs des armées du Seireitei devaient retrouver leurs forces d’antan, alors nous pouvions facilement être reconduites de là d’où nous venions dans la mesure où nos états de service confortaient trop ce qui nous avaient placé en isolement en premier lieu.

Ce pourquoi, je faisais patte blanche depuis mon passage dans l’académie et évitait de présenter le flanc aux mauvaises attentions. Mais j’avais bien conscience d’avoir une personnalité qui sortait du lot à ce titre. Tandis que je lisais le nom d’Asano Shirahime, ce dernier ne m’était pas absolument étranger. En effet, il ne me fallut qu’un moment pour me rappeler la silhouette casse-cou et bagarreuse de la principale concernée du temps où elle était retenue captive avec le reste des potentiels dangereux.

À l’époque, je n’étais pas vraiment dans ce que l’on pouvait appeler ma meilleure période. En clair, je n’allais pas vers les autres et m’entretenais dans une posture observatrice et distante faisant que cette personne ne devait probablement pas m’avoir remarquée. D’autant que je n’y étais pas restée très longtemps.

Balayant de mon esprit cet épisode de vie que je ne pouvais classer parmi les plus agréables, je me chargeais d’amorcer la machine administrative qui verrait des membres du Nibantai convoquer la principale intéressée dans nos quartiers. Cette dernière ne devait pas douter des motifs ayant motivé notre invitation, ni même des risques qu’elle encourait au vu de son statut précaire. Malgré tout, ce n’était pas comme si je lui avais soumis une convocation musclée. Je la traitais au même titre que n’importe s’étant rendu responsable du même genre de glissade.

Et parlant de glissade, j’en trouvais une belle alors que le fauteur de trouble vint pousser la porte de mon bureau pour se présenter. N’importe qui de mon grade serait mis dans de mauvaises dispositions devant un tutoiement qui pouvait être malvenu. Pour ma part, j’étais rappelée à quelques sentiments de nostalgie du temps où je vivais encore à la périphérie du Rukongai. Pour cette raison, je ne le relèverais pas et jouerais même le jeu. Le contraire eut été improductif.

– Naoki Shiori. Tu te doutes des raisons qui m’ont vue te convoquer, je me trompe ?

Je lui montrais donc l’apparence d’une femme qui se démarquait par deux petites cornes au front. Cette excentricité de côté, je ne possédais rien de vraiment remarquable si ce n’était mon brassard qui attestait de mon rang au sein de la division. Quelques bracelets et colliers de basse facture, que l’on pouvait parfois trouver chez des habitants des districts modestes, venaient orner mes poignets ainsi que mon décolleté. Pour ma part, je me rappelais de l’apparence que la nommée Shirahime se donnait autrefois et notais quels efforts elle avait pu faire dans sa présentation. Je n’avais donc pas de raison de m’emporter sauf à ne lui donner aucune chance.

– Peux-tu me donner ta version des faits quant à cette altercation qu’on puisse entrer dans le vif du sujet ?

Une fois dans la pièce, tu fais quelques pas vers le bureau derrière lequel se trouve celle qui t’a convoqué ici. Naoki Shiori qu’elle se présente. Tant mieux. Parce que t’avais pas vraiment retenu son nom et il aurait été fâcheux de l’admettre devant elle. Pas que ça t’aurait vraiment déranger, t’es pas vraiment du genre à t’embarrasser pour ce genre de choses, mais tu sais que tu n’es pas ici sans raison et tu préfères éviter d’ajouter à la possible animosité qu’elle pourrait avoir à ton égard. Après tout, t’es celle qui la force à prendre du temps dans son horaire sans doute très chargé pour devoir faire de la discipline à une brute qui ne sait pas se canaliser et qui en arrive trop rapidement aux poings.

C’est sûrement ce qu’elle doit se dire de toute la situation.
T’as l’habitude, de ce genre de personne.

- Non, j’ai aucune idée de ce que je fais ici. Encore avec cette nonchalance, cette pointe d’arrogance tandis que tu prends siège face à elle. Il y a de l’ironie dans ta voix, l’air de dire que tu sais exactement ce que tu fais ici. Ça et une touche de lassitude, comme si ça n’était pas la première fois. Comme si les problèmes te connaissaient tout autant que toi, tu aimais les fréquenter. Ce qui ne serait pas exactement faux. Combien de fois t’as eu des problèmes, alors que tu étais déjà derrière les barreaux, pour une bagarre qui a dégénéré ?

Un sourire s’étire sur tes lèvres. - Je vois que tu perds pas de temps. Tu souffles du nez, amusée. - Généralement, ils aiment bien tourner autour du pot. Ils. Des gens comme elle. Des hauts placés. Ceux qui osent prétendre que leur titre suffit à recevoir du respect.

Ceux qui jugent.
Ceux qui se croient meilleurs que les autres.

- Pour me forcer à réfléchir sur ce que j’ai fait et admettre mes torts et blablabla… Tu mimes de ta main une bouche qui parle, yeux levés au ciel avant de reposer tes prunelles vairons sur celle te faisant face. - ‘Fin, bref. Tu veux savoir quoi, exactement ? S’il méritait ou si c’était injuste ? Un sourcil haussé, légèrement penchée vers l’avant, tes avants-bras appuyés sur tes cuisses. - Je l’ai déjà dit, ça, qu’il l’a cherché. S’il avait appris à fermer sa grande gueule, on en serait pas arrivé là. Et tu dis ça dans le plus grand calme, n’éprouvant aucune once de remord quant à l’état dans lequel il s’est retrouvé, après votre petite altercation.

- D’autres questions ?
Et le pire dans tout ça ?

C’est que tu fais vraiment des efforts pour bien paraître, face à elle.

Je ne pouvais vraiment dire que l’échange s’engageait sous les meilleures auspices. D’évidence, je me confrontais là à un profil qui ne supportait visiblement pas les rapports d’autorité d’une personne à une autre. Du moins, son consentement à l’obéissance ne viendrait certainement pas d’une hiérarchie extérieure à son train de vie. Sans doute devait-elle considérer que son respect devait être gagné, retournant ainsi le problème qui l’avait menée jusqu’à mon bureau. Inconsciemment, je ne pus me retenir de relâcher un soupir pour la fatigue qu’elle m’inspirait déjà. Malgré tout, je prenais sur moi de rapidement revenir à une attitude où je voulais bien faire semblant que nous puissions parler d’égal à égal.

Restait à voir si mon interlocutrice connaissait a minima les siennes. En tout cas, je faisais sentir sans m’énerver que je possédais les miennes. Au moins, elle s’accommodait bien que nous nous épargnions quelques ronds de jambes qui ne serviraient qu’à brasser l’air. Certains s’y plaisaient. Quant à moi, je m’en passais quand je le pouvais.

Le visage neutre, je la regardais ironiser sur ce qu’elle s’imaginait que j’attendais d’elle. Je la laissais faire la discussion toute seule et s’imaginer quelles pouvaient être mes arrières-pensées. Ainsi, elle avait eu raison et lui tort. Et rien ne montrait qu’elle se tempérerait à l’avenir, bien.

– Hm. J’imagine donc que je n’ai qu’à transférer ton dossier au Kyubantai. Je pense qu’avec eux, tu n’auras pas besoin de jouer toi-même les questions qu’ils trouveront à t’adresser avant de te reconduire vers l’Ujimushi no Su.

Sans la quitter des yeux, je ponctuais mes faits d’une remarque moins extérieure.

– Tu n’as pas changé.

Me redressant, j’eus un moment où je laissais traîner le silence, dans une attitude où j’hésitais à conclure dès maintenant le petit entretien que j’avais organisé. Une chose que ma vis-à-vis avait correctement relevé, c’est que je n’aimais pas perdre mon temps. Quant à savoir si elle était une perte de temps, j’étais à un cheveu de conclure que oui. Finalement, je pris le parti de venir rechercher le regard de Shirahime. Je n’exprimais à cet instant aucune pitié.

– Veux-tu retourner là où tu pourras faire chauffer tes poings sans que personne ne trouve jamais à y redire ? Si ce n’est que ça, je n’ai qu’un ordre à faire passer. Alors ?

L’aventure pouvait se terminer dès à présent si c’était là ce que souhaitait Shirahime. Son choix lui appartenait et je n’avais pas à juger de ça.

La menace tombe. Et tu te dois d’admettre que tu n’es pas vraiment surprise. Non, à la place tu te contentes de soupirer avant de reculer dans ton siège, te redressant de sorte à bien caler ton dos contre le dossier. Comme pour signifier que tu ne comptes pas partir maintenant, que cette petite entrevue n’est pas terminée. Elle, par contre, elle se relève, te forçant alors à devoir légèrement lever la tête pour que ton regard puisse suivre le sien. Tu continues de l’observer, avec ce sourire qui flotte sur tes lèvres, entre l’amusement, l’ennui et l’arrogance.

Bien digne de toi, finalement.
Toi qui n’a pas changé, selon ses dires.

- Pourquoi est-ce que j’aurais changé ? C’est la réponse que tu lui offres : une autre question. Étonnamment, tu sembles un peu plus sérieuse, perdant de cette expression plus joueuse, comme si cette question avait un peu plus d’importance. - À quoi est-ce que ça aurait servi ? Tu laisses quelques instants, le temps de rassembler ses pensées, mais peut-être aussi d’écouter si elle a quelque chose à ajouter, à cette question rhétorique, avant que tu ne poursuives. - Je n’ai eu aucun procès. Aucune justice. J’ai été enfermée alors que je n’avais même pas gradué de l’Académie, avec un risque potentiel qui ne s’est pourtant jamais exprimé. Du moins, jamais avant que tu ne sois enfermée. Et même encore, autre ce dernier incident, on pourrait presque croire que tu sais te tenir. - Pire, ils n’ont jamais laissé entendre la possibilité d’une libération, et ce, même après près d’un siècle à croupir là-bas. Et tu craches ces dernières parfois avec une animosité évidente qui ne lui est pas destinée.

Tu en veux à ceux qui t’ont enfermé là-bas. À ceux qui ont considéré que cette haine qui menaçait d’exploser, il valait mieux l’enfermer. Comme si ça allait t’aider, de te retrouver là-bas injustement. Comme si t’allais te calmer, privée de ta liberté pour des raisons qui t’échappent. - La seule raison pour laquelle je suis sortie, c’est parce qu’ils avaient besoin d’aide. Ils, encore une fois. Ils, ceux qui t’ont sorti. Mais ceux qui, surtout, t’ont enfermé en premier lieu. - Tu entends l’ironie ou pas ? À nouveau une question rhétorique. - Lorsque ça leur plait, je suis une menace, mais maintenant qu’ils sont désespérés, je peux avoir mon utilité.

La main posée sur ta cuisse s’est serrée, au fil de ton discours, avant que finalement tu ne déplies les doigts pour les poser sur le bras de ton siège. - À aucun moment moi en tant qu’individu avait d’importance quant à la décision. Tu hausses des épaules avant de simplement conclure. - Donc non, je n’ai pas changé. Et peut-être même que les choses se sont aggravées, de ces années passées là-bas.

Un nouveau soupir. Une main qui glisse sur ton visage, fermant des yeux quelques instants avant de les rouvrir vers le plafond. Ton coup de gueule fait envers l’injustice de ceux qui se croient tout permis, tu te dis que, si tu es ici, ce n’est pas pour parler de ça. - Il lâchait pas une jeune de la division. Elle vient à peine d’arriver et elle n’a même pas officiellement terminé ses études à l’Académie. Que tu commences finalement. - Elle arrête pas de lui dire non et il veut rien comprendre et aujourd’hui, il a tenté de poser sa main sur elle. Tu hausses des épaules. - Alors j’ai posé mon poing sur sa gueule.

Une façon simple et efficace de régler le problème.

Le ton changeait, subrepticement. Enfin, je sentais que la conversation prenait une route plus constructive, mais dans le même temps, plus lourde. Non pas que cela devait me déranger. Mais à mesure que ShirAhime s’avançait dans ses propos, j’éprouvais son besoin de vider son sac. Elle, qui avait souffert de n’être jamais écoutée. Alors, lui demander de changer, oui, cela pouvait sonner exagéré. Sortant doucement de ma neutralité, mon expression prenait une empreinte plus introspective. Il fallait dire que je n’étais pas étrangère à ces petits ressentiments. À sa différence, cette souffrance, je l’avais intériorisée.

Alors que mon interlocutrice ne manifestait pas l’envie de conclure cette discussion, je profitais d’être debout pour me diriger vers l’armoire derrière mon bureau. L’ouvrant, l’on pouvait trouver une juste vue sur une masse de dossiers rangés dans mes affaires courantes. Quant à celles qui étaient classifiées, il faudrait se rendre aux archives du Nibantai. Enfin, là n’était pas ce qui m’intéressait. Repoussant quelques pochettes, je découvrais une petite bouteille de saké traditionnel avec quelques verres en bois de modeste facture. Des produits de piètre qualité hérités de ma vie dans les bas quartiers du Rukongai. En public, je me conformais à la norme sociale encourageant à deviser autour de thés que j’avais appris à apprécier.

En privé, je possédais mes propres plaisirs plus secrets. Sans interrompre la jeune criminelle réhabilitée, je posais nonchalamment bouteille et verres pour ensuite me réinstaller sur mon siège. Puis, sans un mot, je me servais et laissais la shinigami faire de même si elle le souhaitait. Lorsqu’elle en eut terminé avec son discours, je demeurais un temps silencieuse à simplement prendre une gorgée. De quoi me réchauffer l’œsophage d’un cru qui ne volait pas très haut en saveur mais avait le mérite de réveiller.

– Je ne vais rien t’apprendre, mais l’injustice est une banalité. Ils décident des règles et en jouent à leurs aises pour toujours être gagnants à la fin. Si tu veux aller contre ça, tu seras perdante. C’est aussi simple que ça.

Arrivée à ma position au sein du Nibantai, j’étais la dernière à pouvoir les défendre à ce titre. Au contraire, j’étais parfaitement lucide de ce deux poids, deux mesures qui commandait l’action de nos dirigeants.

– Dans mon cas, au moins, ils avaient une bonne raison de m’enfermer. Puis comme pour toi, ils m’ont relâchée. Non pas par bonté d’âme. Mais parce qu’ils en avaient besoin. Devrais-je m’en plaindre ? J’ai fait le choix de ne pas y penser. Parce que ça ne sert à rien. Ils auront toujours raison. Alors à quoi bon ?

Lorsque je trouvais une personne prête à jouer carte sur table, je n’en profitais pas pour faire grandir le fossé entre nous. Pour nouer une relation de confiance, j’avais appris qu’un pas vers soi appelait un pas vers l’autre.

– Si tu veux que ta parole compte, donnes leur à voir ce qu’ils veulent voir et renforces toi d’alliés. Gagnes leur confiance et arrivée là, tu pourras bien faire ce que tu veux. En attendant, tu dois être plus maligne qu’eux.

Pour un peu, j’avais l’impression de me parler à moi-même. Portant les yeux sur ce verre que je ne tenais pas des boutiques fortunées du Seireitei, ce rien me rappelait d’où je venais et qui j’avais pu être avant de devenir leur outil. Après une nouvelle gorgée, je reposais mon verre sur le bureau et entreprit de nouer le contact visuel avec l’officier de la onzième division.

– Entre nous, tu as eu raison dans ton jugement mais tort dans ta décision. Tu veux faire du mal aux nantis qui se croient tout permis ? Alors, viens me voir et je verrai comment les faire tomber. Tu veux exorciser ta colère ? Alors, trouves toi un partenaire sur qui tu pourras déverser ta violence dans les salles d’entraînement prévus à cet effet. Tu n’en connais pas ? Alors, viens seulement me voir. Cogner ton poing dans la mâchoire d’une supérieure si tu en es capable, ce n’est pas un mauvais marché. Qu’en penses-tu ?

Bien sûr, j’ironisais sur ce statut qui me voyait imposer un rapport d’autorité de moi à elle. Seulement, j’avais bien compris que si je voulais des résultats, je devrais sorti de ma zone de confort. À bien y réfléchir, les solutions étaient évidentes. Pour les exprimer, je n’avais qu’à me dégager de mes acquis. Ainsi, Shirahime aurait le luxe de faire ce qu’on lui avait toujours interdit : exprimer ce qu’elle avait au fond d’elle.

Pourquoi, que tu as envie de lui demander. Pourquoi est-ce que tu en serais perdante ? Pourquoi est-ce que c’est toujours comme ça ? Pourquoi est-ce que l’injustice est permise ? Acceptée ? Pourquoi n’ont-ils aucun mal à faire comme si de rien était, à simplement tolérer parce que, de toute façon, ils ne peuvent pas faire autrement. C’est quelque chose qui te fait bouillir, ça. Qui te donne envie de t’emporter. D’hurler un bon coup. Parce que tu as fait partie de ces victimes. Ceux qui n’ont pas eu le droit à une quelconque justice. Ceux qu’ils ont mis de côté, juste comme ça. Au cas où.

Tu n’ajoutes cependant rien, sachant qu’il ne servirait à rien. Parce que tu l’entends, dans ses mots, qu’elle n’est pas en désaccord avec ce que tu lui dis. L’injustice elle la voit. L’entend. Alors il ne servirait à rien de débattre avec elle. Surtout que ce n’est pas elle, la coupable. T’es peut-être seulement un peu agacée par son désintérêt de la chose, face à ce qui, pour elle, n’est qu’une banalité.

Ce qui, pour toi, a été trop longtemps ton quotidien.

Tu ne manques cependant pas ce qu’elle ajoute, un regard surpris lorsqu’elle parle d’avoir elle aussi été enfermée. Surprise, parce que tu n’as pas souvenir de l’y avoir vu, mais aussi parce qu’aujourd’hui elle se trouve là, vice-capitaine de la seconde division. Tout qu’un changement de carrière, ça…

- Si on gueule assez fort, peut-être qu’ils nous entendront… Que tu marmonnes, plus pour toi-même que pour elle. Parce qu’au fond, tu sais qu’elle n’a pas tort. Que ce genre de choses, ce n’est pas en allant défoncer leurs portes que les choses allaient changer. Qu’il fallait être discret. Silencieux. Faire les choses dans l’ombre. Le problème ? C’est que tu n’es rien de tout ça et que toi, lorsque t’as envie de dire quelque chose, tu le fais. Ce qui a sûrement contribué à ce que tu te retrouves enfermée là-bas, sans jamais vraiment avoir pu faire taire ta haine viscérale pour les humains.

Tu continues de l’écouter, étonnamment attentive à ses propos, semblant même un peu amusée par sa dernière proposition. Affronter une vice-capitaine ? Pourquoi pas. - Admettons qu’on fasse un truc du genre. Un combat entre elle et toi, si t’as besoin d’extérioriser un peu trop d’émotions négatives. - J’aurais dû faire quoi, aujourd’hui ? Le laisser faire ? Tes yeux vairons toujours ancré dans les siens. - Parce que, comme dit, il a pas compris le non. Et lorsque je l’ai tapé une première fois, plutôt que de passer à autre chose, il s’est énervé et a essayé de répliquer. En lui offrant un meilleur portrait de la situation dans laquelle tu t’étais trouvée, donc.

- Alors j’aurais dû faire quoi ?
Car il était hors de question que tu ne fasses rien.

Je ne relevais pas son point qu’elle grommela presque de sorte à ce que je ne l’entende pas vraiment. C’était de toute manière exprimé avec un tel manque de conviction que je reconnaissais simplement la mauvaise foi usuelle des fortes personnalités. Au fond, je sentais bien que le message était passé. Il suffisait d’attendre qu’il fasse son chemin, à présent. Je ne gagnerais à forcer mon propos que de le gâcher. Ça n’en valait pas vraiment la peine. En revanche, ce qui suivait éveilla davantage mon attention. Ce qu’elle aurait dû faire ? À cela, j’avais pour elle une réponse parfaitement spontanée.

– Lui casser le nez, mais t’arrêter avant de lui briser le crâne, peut-être ?

Au final, il n’était question que de ça. La mesure. Certes, ses actions dépravées faisaient qu’il avait mérité que Shirahime le remette à sa place. Seulement, était-ce vraiment proportionné de risquer de le tuer pour cette raison ? Qui ça pouvait bien choquer qu’un membre de la onzième division ait le sang chaud ? Idiot était celui qui s’en étonnerait. Cela, j’espérais que ma brève réponse suffisait à le lui faire comprendre. Elle devait apprendre à reconnaître ses limites et celles des autres. Et lorsqu’on avait gardé pour soi l’enragement de l’injustice pendant si longtemps, on finissait par l’oublier. Toutefois, si elle voulait demeurer libre, il lui faudrait s’en rappeler.

– J’ai bien conscience que dans l’emportement, ce soit là quelque chose de difficile à jauger. Mais que se serait-il passé s’il avait succombé à ses blessures ? Je vais te le dire : tu leur aurais donné raison.

Et en règle générale, les puissants n’étaient guère vraiment de bons gagnants. Néanmoins, de là à dire qui avait tort ou raison à la fin…

– Je suis en tout cas rassurée sur un point. Tu n’as pas mauvais fond.

Lui disais-je avec une expression plus chaleureuse que ce à quoi je lui avais habitué. Si nous étions parties sur le mauvais pied, je devais bien admettre que j’avais été agréablement surprise. Certes, elle avait manqué de contenance. Restait sa motivation de base qui l’avait vue agir pour protéger une autre personne. Ce que je discernais en filigrane de cette conversation, c’était cette injustice tragique qui lui inspirait la volonté de la rétablir.

– Si bien que passé cet entretien, j’aimerais à l’avenir continuer d’échanger avec toi dans un cadre peut-être moins formel. Je m’intéresse plus à qui tu es qu’à ce que j’ai pu lire de toi.

Me rappelant soudainement la proposition que je lui avais faite, une forme d’amusement me saisit. Portait-on vraiment de telles paroles à une personne à qui l’on avait proposé quelques affrontements que je devinais assez néfastes à ma bonne santé ?

– Je pense que tu vas adorer me détester.

Faire preuve de modération, donc, si t’en comprends ce qu’elle te dit. Tu soupirs. Encore. Longtemps. Un soupir las. Le genre de soupir qui dit que tu n’as pas envie de lui donner raison mais que tu comprends quand même ce qu’elle t’a dit. Peut-être que tu y es allée un peu fort. Peut-être qu’il ne méritait pas la façon dont tu t’en es pris à lui, avec une violence suffisante pour que ceux intervenus en viennent à douter de son état.

Peut-être.
Mais il avait qu’à comprendre la première fois.

- C’est bon, c’est bon. En jetant tes mains dans les airs, l’air de dire que tu abdiquais et ne comptais pas débattre plus longtemps sur le sujet. - La prochaine fois, je ferai les choses de la bonne façon. Une pause, avant de continuer sur ce que pouvait bien être cette bonne façon évoquée. - Un coup suffisamment fort pour qu’il laisse tranquille, et le reste, je laisse ça entre tes mains. Ça te fait bizarre. T’as toujours eu l’habitude de régler tes propres problèmes. Pas tant parce que tu te targues d’être indépendante ou parce que tu éprouves ce besoin de contrôle absolu. Non.

C’est juste que personne en a jamais rien eu à foutre.

Alors qu’elle… Elle, elle t’a laissé ta chance. La chance de t’exprimer. De t’expliquer sur le sujet. Elle a même gardé la main tendue, lorsque tu t’es montrée terriblement de mauvaise foi, montrant les crocs sans laisser apparaître quelconque volonté de coopérer. Tu lui adresses donc un petit sourire, avant de tendre la main pour finalement te servir de la bouteille de saké qu’elle a posé devant toi.

- Tu sais. Tandis que tu portes ton verre à tes lèvres. - Si c’est juste que t’as besoin de potes, y’a des meilleures façons de s’y prendre que ça. Et au ton employé, il ne fait aucun doute qu’il ne s’agit que d’une petite pique, beaucoup plus à l’aise maintenant que tu as pu l’être au tout début de votre rencontre.

Tu vides le reste de ton verre d’une traite, le reposant alors sur le bureau qui vous séparait toutes les deux. - Merci. Que tu souffles finalement, un peu plus doucement, le regard rivé sur le mur derrière elle, comme si articuler ce simple mot t’était difficile. - Je suis curieuse. Changeant rapidement de sujet, cherchant à ne pas t’attarder davantage sur ce bref moment plus… Vulnérable ? - C’est quoi exactement la bonne raison qu’ils avaient ?

Pour qu’elle, elle se retrouve derrière les barreaux.

Dans ce signe de reddition que m’adressa Shirahime, j’avais de quoi être rassurée sur son avenir dans les armées du Gotei 13. Quand je songeais à comment cet entretien avait commencé, je ne pouvais être plus ravie de la conclusion qu’il prenait. Le signe que mes paroles n’étaient pas tombées dans les oreilles d’une sourde. Mais pour être entendue, j’avais dû commencer par l’écouter. La preuve que rien de bon ne pouvait ressortir d’une discussion à sens unique qui enfermait le vis-à-vis dans des sentiments d’impuissance générant bien naturellement une juste frustration.

La prochaine fois, au pire, un lourdaud serait amené aux quartiers de la quatrième division avec le nez fracturé. Rien de bien méchant, en outre. Il ne fallait pas s’émouvoir qu’une période d’instabilité fasse de la violence une réalité presque banale. Peu importe, du moment qu’elle était maîtrisée, quitte à ce qu’il faille la canaliser en premier lieu. Et dans l’instant, ça passerait par ce geste moins anodin que d’apparence. Celui d’une main consentant à ce verre qui lui était offert. Mon sourire faisait alors écho à celui qui m’était adressé sans l’ironie ni l’arrogance à quoi elle m’avait habitué depuis son arrivée.

Cependant, la petite remarque qui suivit releva sur mon visage une surprise non feinte. Je sentais bien qu’aucune mauvaise intention n’inspirait sa taquinerie. Juste une gentille pique en amont de rapports apaisés. Seulement, ma réaction à cela manquerait de naturel. Un rire amusé qui semblait forcé. Comme si je venais de recevoir un coup de poing et que je serrais les dents pour faire bonne figure.

D’ailleurs, je profitais que Shirahime vide sa coupe pour la mimer dans son geste, de quoi jeter une distraction comme pour évacuer ce moment de gêne. Comme si j’avais voulu effacer l’instant. Manquais-je de lucidité ? Certainement pas avec si peu. Encore que je me sentais moins claire sur mes pensées que d’accoutumée. Et comme si mon interlocutrice l’avais senti, je la regardais profiter de ce moment plus relâché pour poser une question indiscrète. Ce qui suivrait serait un moment de flottement pesant ou je demeurais immobile. Peu importe comment on retournait la chose, cette interrogation sortait de mon esprit des réminiscences encore brûlantes.

En temps ordinaire, j’aurais simplement éludé le sujet, comme je l’avais systématiquement fait pendant tous les interrogatoires ayant succédé à mon arrestation. Mais ici, je m’étonnais d’hésiter. Que se passerait-il si j’exposais mon flanc, juste une fois ? Cette fois, pour une raison que je ne m’expliquais pas, je ressentais le besoin de parler sans réfléchir aux conséquences, sans mesurer mes mots.

– J’ai détruit ce que j’avais de plus cher.

Et au ton légèrement tremblant qui habillait ma voix, elle pouvait deviner de quoi il était question. Fermant un moment les paupières, je prenais sur moi de maîtriser ces émotions qui me tourmentaient encore. Des émotions qui me sortaient du détachement que j’avais pu manifester jusqu’à maintenant.

– Quand j’y repense, je me dis parfois que j’aurais préféré mourir mille fois plutôt que ça. Pourtant, j’ai survécu. Je sais à qui je le dois. Certainement pas à eux.

Je parlais bien entendu de ces étrangers qui avaient jugé bon de m’enfermer avant de me transformer en leur instrument. À cet instant, la personne devant moi devait sentir cette pointe de colère que j’avais pourtant essayé de garder refoulée en moi de toutes mes forces. Me massant les paupières, je réalisais bien vite quelles limites je dépassais. Je n’étais pas censée exprimer de telles choses. Relevant mes yeux pour regarder Shirahime, j’essayais à nouveau de me détacher de l’instant qui venait de me glisser des doigts.

– Tu aimes l’ironie. Tu devrais être ravie, là.

Au final, je ne maîtrisais pas grand-chose.

La question est indiscrète. Tu le sais. Mais tu la poses quand même, curieuse de savoir celle qu’elle était, avant d’être vice-capitaine de la seconde division. Alors tu lui demandes, sans pour autant sembler insistante, question lancée sur un ton léger, à laquelle elle peut, ou pas, répondre. Car, dans un cas comme dans l’autre, tu comptais bien respecter sa décision te doutant que, s’ils avaient eu bonne raison de l’enfermer, ce n’était peut-être pas plaisant à ressasser.

Elle parle. Et tu l’écoutes. Silencieuse. En faisant preuve d’un peu de sérieux, plus que précédemment. Tu entends ce qu’elle te dit, mais surtout, tu as l’impression de ressentir la façon dont elle te le dit. Ce qui était si cher pour elle et qu’elle a elle-même détruit. Volontairement ? C’est ce que tu penses en comprendre. Alors tu tends la main pour rattraper la bouteille de saké et te penches vers l’avant pour prendre son verre. Sans même qu’elle n’ait à le demander et toi-même sans l’interrompre, tu viens remplir vos deux verres, en repoussant un verre elle, le tout s’accompagnant d’un faible sourire se voulant presque compatissant.

Tu penses pas pouvoir comprendre, n’ayant aucun souvenir d’avoir perdu qui que ce soit. Cependant, ce n’est pas pour autant que tu dois te montrer insensible, que tu ne peux pas faire preuve d’un peu de chaleur face au partage d’une épreuve qui semble avoir été toute particulièrement difficile. - Aussi étonnant que ça puisse paraître, je ne me complais pas vraiment dans le malheur des autres, hein. Et ce, même si c’est peut-être l’image que tu peux renvoyer, avec cette presque indifférence que tu sembles avoir pour tous ceux t’entourant.

- ‘Fin. Il y a beaucoup de gens à qui je souhaite beaucoup de malheurs. Certains shinigamis. L’entièreté de l’humanité. Par exemple. - Mais sinon… Tu fais tourner l’alcool dans ton verre, l’observant quelques instants. - Je suis désolée pour toi. Sans savoir exactement quoi répondre à ce qu’elle venait de te partager. Quelle était la bonne chose à dire à quelqu’un ayant perdu quelque chose d’aussi important ?

Tu sais pas trop.
Alors tu te surprends à faire des efforts.

- Puis dis-toi que si tu n’étais pas ici, là, maintenant, ce serait un autre qui serait assis à ta place et peut-être que lui m’aurait renvoyé en prison sans plus de cérémonie. Un faible rire s’échappe de tes lèvres. - Donc, pour ce que ça vaut, je suis assez contente que tu sois ici. Est-ce que, par hasard, tu serais en train d’essayer de remonter le moral de quelqu’un venant d’admettre qu’elle aurait préféré mourir plutôt que d’affronter tout ce qu’elle a vécu ? Faut croire. La faute de l’alcool, ça, de toute façon. - Je te renvoie l’offre que tu m’as faite. Car quelque chose te dit qu’elle a vécu beaucoup de choses. - Si t’as besoin d’extérioriser quoi que ce soit, je sais encaisser des coups. Pas spécialement, mais bon.

Pour ça aussi, tu peux bien faire l’effort.

J’étais dans cette phase déstabilisante où le flot de la discussion m’échappait. J’ignorais encore si c’était une bonne ou une mauvaise chose. Tout au plus, acceptais-je un moment de céder la main pour une opportunité d’observer une facette de mon interlocutrice qui me serait restée interdite si j’avais fermé la conversation à sa question. Enfin, c’est ce que j’aurais aimé penser. Seulement, à cet instant, j’échouais à chasser de mon esprit des souvenirs faisant peser sur mon dos un poids qui m’empêchait d’être aussi digne que je l’aurais aimé.

Dans ma faiblesse, je reçus une attention qui n’irait pas sans me surprendre. En effet, sortie de ma zone de confort, je m’étonnais d’être perméable à une chaleur dont j’étais restée trop longtemps détachée. Comme si, tout ce temps, je n’avais toujours fait que tenir un rôle, demeurer spectatrice de ma propre vie. Tandis que mon verre se voyait remplir et avancer vers moi, je restais silencieuse à simplement l’écouter parler. Paradoxalement, ma passivité ne m’avait jamais fait sentir autant actrice. D’une certaine manière, on me renvoyait l’attention que j’adressai plus tôt.

Elle était désolée pour moi. Et dans ces mots, je sentais une réelle sincérité qui m’apaisait et me culpabilisait en même temps. Cette dernière émotion m’était aussi personnelle qu’indélébile à mes sentiments. Pour autant, la petite remarque qui suivit eut l’effet de m’amuser avec un air de sobriété. Cela pouvait sembler léger, mais je ne forçais rien, contrairement à mon dernier rire.

– Ah oui ? Alors tant mieux !

Pour un peu, j’étais soulagée. Soulagée, alors que son sort m’indifférait voilà quelques minutes de cela. Ou plutôt, une froide curiosité se tapissait d’intérêt quant à l’appréciation qu’elle pouvait me renvoyer. Depuis combien de temps n’avais-je pas eu cette impression de parler pour de vrai ? Le sourire teinté d’une ironie complice, j’acquiesçais à son invitation.

– Considères cela comme une affaire entendue, dans ce cas ! Lorsque nous nous serons toutes deux défoulées, nous pourrons noyer la douleur dans quelques autres verres.

Alors qu’en temps ordinaire, je me serais contentée d’un verre, j’évacuais de moi ce qui me modérait et consentait à boire une nouvelle gorgée de ce saké bon marché. Shirahime verrait à mon expression quel plaisir je prenais à cela.

– C’est dégueulasse. Mais pour une raison qui m’échappe, j’aime ça.

Probablement, parce que ça me rappelait quelle avait pu être ma vie. Et puis, alors que je levais mes yeux vers mon interlocutrice, je me disais qu’elle possédait également ce goût. Celui d’un alcool puissant dont la saveur pouvait en répugner plus d’un, mais qui était imbattable lorsqu’il était question d’endormir la méfiance. Simplement, suspendre le temps. L’attraper entre le pouce et l’index, comme il l’aurait dit.

– Je voudrais mieux te connaître.

La connaître, sans avoir à passer par l’ordonnancement détaché qui avait provoqué notre rencontre.

– Plus tôt, tu as eu une sage parole. Comment c’était, déjà ? Ah oui. Il y a de meilleures façons de s’y prendre qu’un interrogatoire si l’on veut se faire des potes. C'est bien ça ?

Tu hoches de la tête, ton verre à nouveau rempli porté à tes lèvres. - Ça me semble être un excellent plan. De noyer l’esprit dans l’entraînement et la douleur, avant de noyer le corps dans l’alcool. Un excellent plan, selon ton dire. Pas très sage ni même très sain, mais un très bon plan quand même. - Puis la prochaine fois, je payerai la bouteille. Tu dis ça parce que tu viens à peine de finir ton verre une seconde fois, le vidant d’une traite, que tu t’occupes déjà à le remplir à nouveau.

Comme quoi finalement les convocations de la seconde division peuvent être agréables.
Ou, tout du moins, elle, elle l’est.

Enfin, elle l’est pour peu que tu te montres un minimum coopérative. Car tu l’as bien senti qu’elle a manqué de te mettre à la porte, lorsque tu as refusé de répondre à ses questions, faisant preuve d’une mauvaise foi qu’on te connaît si bien. Et lorsqu’elle te parle de la bouteille qui trône sur son bureau, entre vous deux, tu ne peux que rire. - C’est vrai que c’est pas très bon. Que tu dis alors que tu déposes ton verre devant toi. Vide. - Mais t’inquiète, tu ne le goûtes pas si tu prends pas la peine de vraiment le boire. Comme en vidant son verre rapidement, peut-être un peu trop, par exemple.

Pas que ce soit un réel problème pour toi, il te faudrait plus que trois verres pour vraiment t’affecter. Par contre, t’as aucune idée de la descente de celle qui te fait face et tu te demandes si tu ne pourrais pas avoir de problèmes, si elle termine cette rencontre avec un peu trop d’alcool dans le sang. Ah, et puis, tant pis. C’est pas comme si c’était ton problème, si elle décidait de suivre tes conseils à la con pour faire passer le goût plus que médiocre de cette bouteille qui ne devait pas être d’une grande qualité.

Tu restes silencieuse, quelques instants, à fixer ton verre vide. Toi qui d’ordinaire sait faire preuve d’une grande répartie, t’es un peu prise de court par ses mots, alors que tu es pourtant celle à lui avoir partagé ces sages paroles. Peut-être parce que t’as pas l’habitude de ceux qui veulent apprendre à te connaître ? Vraiment apprendre à te connaître, tu parles.

T’as l’habitude de ceux qui jugent. Qui critiquent.
Pas de ceux qui veulent comprendre.

- C’est bien ça. Avec un petit sourire. - Ma couleur préférée est le violet. Enfin, je crois. C’était la couleur de mes cheveux, lorsque je suis arrivée au Rukongai. Lorsque t’es morte, donc. Et tu ne l’as jamais changé depuis. - J’aime bien le saké, mais l’alcool plus fort aussi. J’aime beaucoup le natto… Ça aussi c’est dans la liste des trucs dégueulasses que finalement j’aime bien. Tu commences à faire la liste comme ça, de tous les faits divers et variés et surtout, très peu intéressants, de ta personne. - Autre chose que tu veux savoir ? Toujours avec cet éclat amusé dans tes prunelles vairons, suspectant la différence de couleur de ces dernières d’être une conséquence de ce qui t’a aussi causé toutes ces cicatrices trop visibles sur ton corps.

Avec toujours ce sourire plus agréable. Plus serein, surtout.

Lorsque je la regardais enchaîner les verres, j’eus presque la sensation d’une goutte de sueur qui coulait le long de ma tempe. Force était de constater que je ne possédais pas sa descente et qu’à ce train, l’imprévisible pouvait se produire. Heureusement, j’étais encore dans un cadre où je pouvais imposer mes limites. Seulement, je ne donnais pas cher de ma sobriété pour cette invitation auquel j’acquiesçais sans trop vraiment y réfléchir. N’était-ce pas après tout le problème de la Shiori du futur ? En attendant, je n’avais qu’à me soucier de cette petite parenthèse inattendue au milieu d’une affaire qui aurait simplement dû alourdir ma charge mentale.

Amusée, je la considérais ne pas vraiment me donner tort sur la piètre saveur de l’alcool dont elle semblait pourtant bien friande. Quant à la solution qu’elle me suggérait pour outrepasser le désagrément, mon fugace sourire de nervosité traduisait bien l’appréhension que l’idée m’inspirait. En soi, rien de bien différent avec ce que j’avais connu, bien que dans ma jeunesse déjà, je ne levais guère souvent le coude, trop attachée au plaisir de m’entendre penser. Quand bien même, à une époque, j’aurais bien outrepassé mes limites usuelles, l’environnement ne permettait pas de se laisser aller à de tels lâchés prise. Et même après que me revienne la liberté, je trouva d’autres voies pour me distraire l’esprit malgré quelques écarts comme celui de ce jour.

Tandis que mon interlocutrice jetait une œillade sur son verre vide, je zieutais plutôt ma bouteille qui l’était déjà presque. Au moins, je pouvais me rassurer de considérer que mon pas en avant avait été si bien accueilli. J’en découvrais même sa couleur préférée ! À cet instant, je me fendis d’une ironie intérieure qui me faisais prendre du recul sur l’inconvenance de mon entreprise comme responsable du Nibantai. Enfin, ce n’était pas comme si qui que ce soit dans ma division était présent pour me le reprocher. Et puis, même les discussions aux apparences bien vaines pouvaient produire à plus long terme de grands résultats.

Dans mon cheminement, je ne pus m’empêcher d’exprimer une légère grimace. Décidément, les habitudes de ma fonction avaient le cuir épais et il n’était pas si aisé de s’en défaire. Ainsi présentes dans le sanctuaire de mon travail, il m’était difficile de m’en détacher et pour un peu, j’éprouvais quelques culpabilités devant la négligence que je montrais alors. Embarquée dans ce drôle de jeu, je regardais mon interlocutrice dans les yeux en ménageant quelques secondes de silence avec une mine qui me partageait entre la complicité et l’ironie de la situation.

– Le natto, tu dis ? J’imagine bien quelles indigestions mortelles tu provoquerais à en faire goûter aux vieux croulants qui auraient dû manger des racines quelques fois dans leur vie pour s'en accommoder. Enfin, si le Nibantai te confisque ton poison, alors j’imagine que tu ne représentes plus aucun danger.

Sur ces paroles avisées, je sortais le rapport qui me verrait régler administrativement le cas de Shirahime. D’un air faussement consciencieux, je poursuivais.

– Nous disions donc. Affaire classée ? Oui, cela m’épargnera quelques rides. Je n’aurais qu’à préconiser à tes collègues qu’ils t’offrent des violettes pour te mettre en de meilleure dispositions. Ça te va comme ça ?

Bien sûr, dans le même temps, je notais les éléments qui en viendraient à clôturer ce mauvais dossier en consignant un avis favorable sur la faculté de la huitième siège du Juichibantai à s’intégrer au Gotei 13 et mener ses missions dans de meilleures conditions. Je gardais dans l’esprit de m’intéresser de plus près à la « victime » de la demoiselle qui se verrait à son tour recevoir une convocation dans mes quartiers et qui se conclurait très probablement d’une manière moins paisible. Relevant les yeux vers mon interlocutrice une fois les papiers signés, je lui souriais.

– Du coup, ce natto dégueulasse, on se le partage quand ? Il faut bien liquider le poison. Raison professionnelle, tout ça. Alors ?

On pourrait presque croire que tu as oublié la raison qui t’a amené ici en premier lieu. Et ça ne serait pas totalement faux. Après tout, à quoi bon s’attarder sur le sort de celui que tu avais expédié à la quatrième division ? Il avait mérité chacun des coups que tu lui as porté, le premier de par ses commentaires, les suivants parce qu’il a tenté de répliquer. Et il n’y a rien chez toi qui semble exprimer quelconque culpabilité pour ce qu’il s’est passé, t’exprimant bien mieux à l’aide de tes poings qu’avec des mots.

Surtout pour des abrutis à qui il fallait fracturer le crâne pour espérer un peu d’ouverture d’esprit.

- Si c’est toi qui me le confisque, je veux bien te le servir sur un plateau. Tu rigoles doucement, avec ce sourire amusé, presque complice. Tu l’observes ensuite sortir ce qui te semble être un rapport, comme quoi au moins l’une de vous deux semblait tenir à se montrer sérieux. C’est ennuyant, que tu as envie de dire, mais tu peux comprendre la nécessité. Après tout, elle n’est pas n’importe qui, ici. La vice-capitaine de la seconde division. Un titre qui se mérite. Qu’elle ne veut sans doute pas perdre. Mais tu ne peux pas t’empêcher de te dire que t’aimes bien celle que tu crois voir derrière le titre. Celle qui s’est confiée à toi, le temps de quelques instants. Celle qui semble vouloir se faire des amis.

Celle qui t’a dit vouloir apprendre à te connaître.
Celle que tu aimerais bien apprendre à connaître à ton tour.

Tu hoches alors doucement de la tête. - Ça me va comme ça. Et si je peux promettre faire attention, je n’hésiterais pas à frapper de nouveau si l’un d’entre eux se montre trop insistant. Parce que tu ne tolères pas ce genre de comportement. Ne peut pas accepter qu’une voix ne soit pas entendue. Alors s’il faut, tu t’en chargerais toi-même, de défendre ces voix. Tu la laisses alors compléter le rapport, constatant que ça s’est tout de même vraiment mieux passé que prévu. Comme quoi Naoki Shiori (tu as même pris la peine de retenir son nom) s’est avérée être une agréable surprise.

- Quand tu veux, je pense que j’ai un horaire moins chargé que le tiens. Tu fais mine de réfléchir quelques instants. - On mangera ça avec quelques verres en trop d’un alcool tout aussi mauvais. Après un combat, donc. - T’as qu’à me dire quand ça t’arrange. Jetant un coup d’oeil dans la pièce t’entourant. - Quand t’as envie de sortir un peu d’ici.

Lorsqu’elle aura envie de laisser tomber le grade pour quelques instants.

Il me semblait bien que je n’avais pas ri comme ça depuis fort longtemps, de quoi me décoincer un peu quand j’habituais couramment mes interlocuteurs à un sérieux à toute épreuve. Cet exutoire, j’avais pris le temps de bien le savourer. Pour autant, mes obligations me forçaient à écourter cet entretien, si plaisant ait-il été. Je ressortirai de là avec la promesse d’être empoisonnée par les plaisirs douteux de ma comparse. Enfin, ça viendrait certainement m’achever après les frappes dont je souhaitais qu’ils ne déboîtent pas ma mâchoire fort utile à exécuter ma routine usuelle. Rien que ne pouvait soigner l’alcool, si je devais me rappeler quelques vieux souvenirs passés au sein du Rukongai.

Acquiesçant d’un signe de tête tandis que ma vis-à-vis acceptait la conclusion que prenaient les procédures nécessaires à justifier le temps que nous avions échangé, je rangeais le rapport dans son dossier. Dans le même temps, je me levais et prenais avec moi les verres ainsi que la bouteille afin de remettre l’ensemble dans mon armoire. Je gardais à l’esprit que je n’avais pas effacé les risques que de nouvelles querelles éclatent. Au moins, je me disais que la nommée Shirahime se tempérerait un peu plus, de quoi éviter que ces bévues ne dégénèrent de trop.

Au final, j’étais plutôt confiante. Après tout, la relation que nous avions rapidement construite faisait que même à l’avenir, je m’attendais peu à engager à l’avenir des dialogues de sourd comme il m’arrivait de le faire avec quelques cas ne pouvant être réglé autrement qu’en les redirigeant là où ils ne créeraient plus de nuisance pour personne soit : la prison. Cette case, j’espérais que mon interlocutrice n’aurait plus jamais à y retourner, quitte à négliger un peu mes responsabilités. Une chose que je préférais ne pas exprimer car il ne serait pas très raisonnable de lui donner matière à penser que je serais moins regardante sur ses actions dans le futur.

Me retournant vers elle, je l’invitais à son tour à se relever. Cette chose faite, je lui tendais la main amicalement. Peu d’interrogatoires méritaient que j’en arrive à de telles familiarités. Le signe qu’ici, je lui faisais plus confiance qu’à son arrivée. Et puis, il y avait ce rendez-vous à fixer.

– Laisses moi le temps de gérer encore un peu de paperasse et je te fais signe. C’est bon pour toi ? Promis, je ne me déroberais pas, même si c’est la spécialité du Nibantai. Pour notre prochaine occasion, j’ai bon espoir de chasser les habitudes et me familiariser avec les coutumes de ta division plus… franches ?

D’un sourire, je réagissais à sa dernière remarque.

– Ça se voit tant que ça que j’ai besoin de me sortir la tête des papiers ? Juste un point, tu voudras bien ménager mes mains et ma mâchoire ? J’en ai plus besoin que du reste pour gérer les affaires emmerd… Non, en fait, j’ai rien dit. J’attends de toi que tu n'y ailles pas avec le dos de la cuillère. Ça me fera de bonnes excuses pour prendre quelques congés qui me feront sortir plus longtemps d’ici.

La voilà qui commençait à ranger les verres, signe évident que cette petite entrevue touchait à sa fin. Oh, tu n’aurais personnellement eu aucun problème à rester un peu plus longtemps ici, à continuer de boire et discuter d’un peu tout et rien, mais tu as conscience qu’elle, elle a sans doute autre chose à faire. C’est ça d’être vice-capitaine et d’avoir des responsabilités : l’impossibilité de faire ce qu’elle voulait lorsqu’elle le voulait. Bon, techniquement c’est aussi ton cas, seulement… T’es ni très responsable, ni très fiable.

Mais ils finissent tous par s’y faire.
Heureusement que t’es compétente.

Tu te lèves alors à ton tour, te dégourdissant finalement les jambes. T’as pas l’habitude de rester assise trop longtemps, sauf peut-être complètement avachie dans ton canapé. Or, cette fois-ci, tu avais fait preuve d’un minimum de tenue pour cette rencontre supposée être disciplinaire. Elle l’avait été, un peu. Un simple rappel à l’ordre, pour que tu essaies par toi-même d’éviter de te retrouver à nouveau derrière les barreaux. Car quand bien même tu te montres assez désinvolte sur le sujet, très peu intéressée de ton propre sort, la vérité est assez simple : tu ne veux pas retourner là-bas. - Tu vas voir, elles sont cool, nos coutumes. Avec un sourire assez franc, teinté de moquerie complice, tout en venant serrer sa main.

- Oui, un peu. Ça et peut-être l’honnêteté dont elle a fait preuve, en te partageant qu’elle avait bien envie de te connaître. Qu’elle souhaitait te voir dans un autre cadre que celui-ci, sans la pression de vos rôles respectifs à prendre en compte. - C’est noté, de ne pas ménager. Sauf la mâchoire. Ce serait dommage de ne pas pouvoir boire toute ta douleur. Tu dis ça sur ce même ton amusé tout en ouvrant la porte. - Oui, promis mademoiselle Naoki, je ne recommencerai plus. Un peu plus fort, maintenant la porte ouverte, s’accompagnant d’un clin d’oeil à son égard.

- Prends soin de toi. Plus bas, cette fois-ci, avec un dernier signe de la main avant de prendre le chemin inverse que celui emprunté pour venir jusqu’ici.

Et tu te dis que finalement ça avait peut-être été une bonne idée que de lui éclater le nez, à l’autre con.