– Hein ? Mais t’es qui toi ?!Une réplique lâchée avec une spontanéité agressive mais sans être non plus particulièrement hostile. Plutôt de ces agacements à gérer des quidam désorientés par l’enivrement du saké et qui s’en retrouvaient à s’engager dans des délires parfois compliqués à capter pour une personne sobre. D’évidence, les hommes en question ne picolaient pas pendant leurs heures. Encore que cet état de fait s’embrouilla à l’attitude de l’un d’eux qui dévisageait Kenshiro en cogitant.
– Hey, attends… C’est pas toi le « gars brun » ?Les deux autres, de plisser les yeux à l’interrogation de leur compagnon. Le profil qu’il mentionnait semblait leur pardonner. Mais tout de même, un type brun, c’était assez générique pour concerner le tiers des visiteurs en présence.
– Shosuke… T’es pas en train de penser que c’est lui là avec ton frangin, si ? ‘fin, ça se voit à sa gueule quand même !
– T’es sûr ? Genre, t’es SÛR hein ? Car moi, c’est de dos que je l’ai vu l’autre fois… et il y a un air quand même !
– Et il serait passé te voir ? Toi ? Putain mais t’as plus la tête sur les épaules vieux…
– Remarque Daichi, il a bien l’air de se remettre. Il serait pas venu sinon.
– J’sais bien mais…Alors qu’un doute partageait ces gardes, une drôle d’ambiance se dessinait. À la tête que servait Shosuke, ce n’était probablement pas une bonne chose d’être le fameux « gars » dont il parlait. Mais en tout cas, il y avait une accroche. D’un mouvement de menton, il fit une demande au veinard venant de capter toute leur attention.
– Retourne toi pour voir ?!
Plus loin au niveau de la terrasse, deux paires de yeux ronds viendraient accueillir Akemi. Une surprise non feinte qui ne s’embarrassa pas pour autant des manières de l’étrangère. La bienséance dans ces districts aussi éloignés étaient en effet encore loin de rendre les notables locaux inaccessibles au commun. En l’occurrence, les yeux de la nommée Wakaba s’éclaireraient assez rapidement aux compliments dont elle se faisait une bonne cliente.
– Oh, vous trouvez ?Le sourire avenant, la glace était facilement brisée. D’évidence, cette femme s’accommodait bien des imprévus. Autre détail caractéristique de ces relâchements sans doute récurrents, le manque de réaction de ses protecteurs trop occupés à gérer un inconnu visiblement sorti des tables de jeux.
– On ne peut rien vous cacher ! Je tiens cette commande d’un artisan méconnu dans le 63e District Est. Vous m’aviez alors présenté ses étoffes Misato. Son nom… hm, quel est-il déjà… Peux-tu m’éclairer la lanterne ? Je crains que mon esprit ne soit plus aussi clair !Se tenait devant Wakabe une amie au regard profond et insondable. Les cheveux longs. Décontractée, elle portait plusieurs couches de kimonos devant probablement rendre ses mouvements plus lents et lourds. Au bec, une pipe chinoise qu’elle tendit plus tôt à Wakabe pour qu’elle s’essaie à son tabac et que ses lèvres pinçaient présentement avec une fumée épaisse venant agresser les narines d’Akemi. À en juger le voile subtile devant ses yeux, sans doute ne devait-elle pas avoir toute sa tête, ayant à ce titre un brin emporté l’hôte du moment.
– Ushioda Tatsui, tel qu’il se nomme à présent.La voix presque inaudible, il fallait tendre l’oreille pour décortiquer ses mots. Un exercice à quoi Wakabe était vraisemblablement habituée.
– Oui, voilà ! Si je me souviens bien, il est originaire des premiers Districts. Mais vous-même devez bien comprendre cela !Dirait-elle en se tournant vers sa nouvelle interlocutrice qu’elle invitait justement à leur table sans plus se poser de question.
– Nos terres sont impropres à voir naître des talents raffinés. Mais elles font de merveilleux refuges pour recommencer une vie ! N’est-ce-pas, Misato ?
– Naître, peut-être pas, oui. Seulement, tu connais mon avis. La lumière affadit l’éclat des pierres. Quel intérêt ? Je préfère la crasse. Elle inspire à gratter et nettoyer. Ainsi, seulement, ces mêmes pierres révèlent leur plus bel éclat. De celles qui émerveillent vraiment.Une réponse basse et lente qui forçait à une certaine patience. Ce dont Wakabe ne manquait pas, attentive au moindre mot de sa camarade. Puis, ceci fait, de se tourner vers Akemi avec une semblable curiosité.
– Et toi ? Qu’en penses-tu ? …Après quelques secondes, elle plisserait les yeux, comme réalisant une étrangeté dans cette situation.
– Attends… hôte moi d’un doute… Tu t’es déjà présentée ?Déjà, en tout cas, elle avait abandonné le vouvoiement à la faveur du tutoiement.