walk of shame (shinjiro)

Tu n’as pas ta place à la onzième division et ça, ça ne fait aucun doute. Et pourtant, ce n’est pas faute de ta famille d’avoir espéré que tu t’y retrouves, sans grand succès. Parce que tu n’as rien d’une combattante, toi qui préfères utiliser des sorts plutôt que ta propre force physique. Ou plutôt absence de. Tout particulièrement frêle, assez petite aussi, tu n’as vraiment pas l’apparence d’une brute ni même l’envie de l’être.

Alors qu’est-ce que tu peux bien faire là-bas ?

Après tout, n’est-ce pas toi qui fuis ta propre famille ? En sachant pertinemment qu’en traînant ici, tu risquais d’y croiser au minimum ton cousin. Celui qui t’insupportait. Celui qui se voyait déjà chef de famille à ta place. La logique aurait donc voulu que tu n’oses même pas y mettre les pieds, en sachant à quel point est-ce que tu peux faire honte au nom que tu portes. Ce nom qui est bien connu, ici, à la onzième, parce que tous ceux qui t’ont précédé ont su s’y démarquer, ici. Ont su être reconnus comme de valeureux combattants. De puissants shinigamis qui avaient hélas connu une fin un peu abrupte. Un peu trop tôt.

Beaucoup trop tôt pour toi qui s’est retrouvée écrasée sous des responsabilités que tu n’as jamais demandé, avec la promesse d’un titre qui t’étouffe plus qu’autre chose.

Dans tous les cas, tu es ici. Tu es ici en sachant que ce n’est pas une bonne idée et en tentant de te faire le plus petite possible. Tu es ici dans l’espoir d’y croiser une personne en particulier, sans pour autant vraiment oser admettre que c’est lui que tu viens voir. Tu préfères faire genre que t’es ici avec une raison bien précise, pour ainsi peut-être éviter de perdre la face et de te décomposer si vraiment vos routes venaient à se croiser. Après tout, t’allais encore moins lui admettre à lui, voyons.

Le soucis ? Le soucis c’est qu’en te baladant sans trop savoir où est-ce que t’allais, sans objectif précis, et bien… Et bien tu t’es perdue. Et t’es loin, tu penses, dans les couloirs de la onzième division, sans aucun souvenir de par où est-ce que t’es passée pour arriver jusqu’ici. Un soupir s’échappe de tes lèvres et quelques insultes traversent ton esprit, avec que toi comme seule victime de ces dernières.

Puis tu aperçois du mouvement du coin de l’oeil.
Avant que finalement tu ne sois forcée de lever la tête, te faisant presque mal au cou, lorsqu’un très grand Shinigami se retrouve à tes côtés.

- Oh. Shinjiro. Tu l’as connu à l’Académie, tous les deux dans la même année. Tu tentes de lui adresser un sourire confiant, malgré le léger rouge qui vient colorer tes joues, gêne que tu tentes de chasser alors qu’en plus de ne pas vouloir admettre les raisons qui t’ont mené jusqu’ici, tu n’as pas envie de te ridiculiser en admettant t’être perdue. - Tu fais quoi ici ?

Alors que la question aurait mieux fait de t'être adressée.

Toi qui n’est déjà pas bien grande, bien loin d’intimider qui que ce soit, tu te sens d’autant plus petite avec Shinjiro à tes côtés. Tu es forcée de lever la tête, le cou douloureusement plié vers l’arrière, pour pouvoir poser tes prunelles azurées sur ses traits. Et c’est avec surprise, et sans doute un peu de gêne aussi, que tu lui demandes ce qu’il peut bien faire ici, comme si tu n’étais pas actuellement dans les quartiers de sa division. Chose qu’il te fait bien évidemment remarquer, ce qui ne manque pas de te faire rougir ainsi que de détourner le regard, prise en flagrant délit là où tu n’es pas supposée être.

Enfin, pas que ça te soit interdit.
T’as juste aucune vraie raison d’être ici.

Aucune qui ne s’avoue.

- Ah eh… Oui. Un rire nerveux, une main qui se lève et qui ramène quelques mèches de cheveux vers l’arrière. - Je suis… Prête à répondre, arrêtée par lui qui se penche vers toi. Tu restes alors silencieuse pour écouter ce qu’il a à te dire avant que ton visage ne s’enflamme. Ta réaction se fait immédiate, agitant tes mains devant toi tout en reculant d’un pas. - Je n’ai pas de copain ! Et ta voix se fait claire tandis que tu articules ces quelques mots. Après tout, il ne faudrait pas qu’une certaine personne te pense en couple.

Ce serait un coup de gâcher toutes tes chances avec lui.

- Donc c’est personne. Tu n’es venue voir personne. Et tu sembles très crédible, les sourcils légèrement froncés et ton regard fixé ailleurs que sur lui. Heureusement qu’ils te posent d’autres questions qui te sont plus faciles à répondre. - Je suis au Kidōshū. Une division mal vue par la onzième. L’une des nombreuses raisons pour lesquelles tu es une déception aux yeux de ta famille.

Tu ramènes finalement ton regard sur lui, le visage toujours rouge d’une gêne difficile à chasser. Était-ce si facile de lire en toi ? Comment avait-il pu deviner aussi rapidement que, si tu étais ici, c’était pour un garçon ? Est-ce que tout le monde savait ? Et le principal concerné, lui aussi le saurait-il aussi facilement ? Ferais-tu mieux de simplement retourner de là où tu viens, préférant encore rentrer bredouille plutôt que de lui avouer quoi que ce soit… - Ça se passe bien. Coupant court à tes pensées. - Et toi, depuis que tu as quitté l’Académie, comment ça se passe, ici ?

Plus facile de parler de ça que du néant de ta vie sentimentale.

Personne. Tu n’es venue voir personne, ici. Pas un jeune shinigami à la chevelure rougeoyante et au sourire arrogant… Non, pas du tout. Pourquoi est-ce que tu ferais ça ? Tu ne connais personne qui correspond à cette description, de toute façon. Alors voilà, tu es ici sans aucune raison, tu pourrais presque même dire que tu n’as pas envie d’être ici. Tu t’es perdue, voilà tout. Aucune autre raison à ta présence ici. Parce qu’il n’y a personne. Absolument personne. Ce personne à qui il te demande de lui passer ses amitiés. - Oui j’y pen-... Tu t’arrêtes.

Il n’y a personne.
- Ah-ah, très drôle.

Alors que toi, tu as l’impression de mourir de honte. Le visage rouge et le regard fuyant. C’est plus facile alors de parler du Kidōshū, que tu as rejoint en sortant de l’Académie. Plus facile de parler de ce que tu fais. Et de ce qu’il fait, aussi. Ici, à la onzième division. Cette division que tu ne portes pas spécialement dans ton coeur, compte tenu de tous les problèmes qu’elle t’a causé. De tous ceux qu’elle te cause encore.

- Oui, vite fait… Non, pas vraiment. Tu passes le plus clair de ton seule, parce que tu es trop timide pour approcher les autres. Et les autres ne font pas spécialement l’effort. Parce que tu as ces airs arrogants malgré toi, jeune noble qui se comporte comme tel, la tête levée trop haute et ces trop de manières et ce, même pour tourner les pages d’un bouquin. Mais ça, tu ne veux pas lui dire. Tu ne veux pas lui dire que depuis que tu as quitté l’Académie, les choses ne vont pas très bien. Que tu te sens terriblement seule, dans ta nouvelle division. Que quelque chose t’échappe, que tu ne sais pas comment pallier à tout ça, entre la pression familiale et celle que tu t’imposes toi-même pour réussir. Un peu plus et ce poids sur tes épaules parviendrait à te faire craquer…

Ce n’est pas le temps de te perdre de la sorte dans tes propres pensées qui menacent de te rendre malade. - C’est cool. Avec un sourire un peu forcé. T’es contente pour lui, vraiment. Bien qu’un peu jalouse qu’il se soit fait sa place, là où toi tu te cherches encore. Tout autant que tu te caches. - Je suis la seizième siège du Kidōshū. Que tu lui partages, avec un petit sourire. T’en es quand même fière, de ce siège. De t’être démarquée si tôt grâce à ton savoir, en terme de nécromancie. Tu manques peut-être de force de frappe, mais pour tout ce qui concerne la théorie… Tu la connais par coeur. Et n’a aucun problème à l’appliquer.

La question qu’il te pose te prend un peu de court et tu écarquilles les yeux, surprise. - Tu veux mon aide ? Ça te surprend parce que tu n’as pas l’habitude qu’on se tourne vers toi. Qu’on te fasse confiance. - Oui, bien sûr. Une fois la surprise passée, avec un petit hochement de tête. - Tu aurais besoin d’aide avec quoi, exactement ? Quelle matière ?

S’il ne te demande pas d’échanger quelques coups avec lui sur un terrain d’entraînement, tu devrais t’en sortir.

Un sujet délicat qu’est celui de ton avenir. De tes ambitions. Il te parle de gravir les échelons, si ça t’intéresse. Et la vérité ? C’est que tu ne sais même pas si ça t’intéresse. Tu ne sais pas ce que tu veux faire. Tu ne sais même pas qui tu es. Que l’ombre d’une personne qui a trop longtemps été étouffée. Tu es celle qu’ils ont voulu que tu sois. Ou plutôt, tu es celle qui a raté de répondre aux attentes. Tu es celle qu’il veulent tous que tu sois, incapable d’exister par toi-même et te brisant en mille et un morceaux pour pouvoir satisfaire tout le monde.

Le tout sans jamais savoir ce que toi tu veux.
Laquelle de ces pièces de toi est la vraie toi ?

Alors tu ne dis rien, plongée dans un silence angoissé tandis que tu constates que tu ne sais même pas ce que tu veux. Tu ne sais pas qui est-ce que tu veux devenir. Ne sais pas ce que tu t’attends à réussir. Tu sais seulement que tu commences à étouffer, sous ces pressions qu’ils t’imposent, poids constant que tu peines de plus en plus à porter.

Heureusement qu’il aborde un autre sujet. L’école. Vous n’en aviez pas terminé avec l’Académie, après tout. Et de ce qu’il te dit, il n’a pas confiance en ses notes, ce pour quoi il te demande de l’aide. Tu es si gentille, Naoko. Douce demoiselle au sourire qui donne confiance, à la démarche droite, fière, qu’on pourrait croire respectable. Tu es celle qui ne dit jamais non. Celle qui est toujours prête à aider. Et même pas parce que tu le veux ou parce que ça te fait plaisir. Seulement parce que tu as peur de dire non. De contrarier. Et tu l’écoutes, lorsqu’il te parle des cours avec lesquels il a de la difficulté. Tous ceux plus théoriques, donc.

- Savoir les bases du Kidō c’est toujours utile, au moins pour pouvoir te préparer si tu dois le contrer. Reconnaître les sorts, donc, lorsqu’il en est la victime. Tu hoches la tête au fur et à mesure de son discours, ne t’étant pas vraiment attendue à autre chose de sa part. - C’est toujours assez compliqué, la noblesse… Et tu t’y connais, sur le sujet. - Plus encore avec les événements de ces dernières années. Car eux aussi ont perdu beaucoup de gens. Des hauts placés. Des têtes de clans.

Tous doivent se reconstruire. Eux aussi.

- Si tu veux, on peut se donner un horaire fixe, que tu puisses rattraper tout ça en vue des prochains examens. Je suis assez libre, dans mon horaire. Après tout, tu n’es que le seizième siège. Tu as pas mal de temps que tu peux occuper comme tu veux. - Tu n’as qu’à me dire quelle journée t’arrange le plus et je m’assurerai de préparer mes notes et les bouquins et faire en sorte que ce soit plus facile pour toi à comprendre et mémoriser…

De quoi lui permettre de réussir ses examens.
Qu’il ne soit pas déçu de toi.

- Oh, ce n’est rien. Ça me fait plaisir. Alors que lui semble surpris que tu ais accepté de l’aider avec tout ça. Tu ne saurais toutefois dire si ça te fait vraiment plaisir ou si ce n’est pas seulement ton envie, voir même besoin, de te sentir utile. Ou alors c’est que tu t’y sens obligée ? Après tout, quand est-ce qu’est la dernière fois que tu as dit non ? Tu ne saurais dire. Alors tu te contentes de ton éternel sourire agréable, poli.

Ça te fait plaisir.
Tu penses.

Et le plaisir est partagé, alors tant mieux. Pas besoin de te prendre la tête quant à tes réelles motivations. Lui y trouve son compte et, finalement, n’est-ce pas tout ce qui importe ? Que tous y trouvent leur compte alors que toi... Que toi quoi ? Que tu t’effaces ? Encore ? Que tu oublies d’exister par toi-même pour ne répondre qu’aux attentes que les autres peuvent avoir te concernant ? - Je vais faire mon possible. Une promesse que tu lui fais avec le sourire. - J’essaierai de trouver des façons de te garder concentré sur ce que tu dois apprendre. Ou alors simplement t’adapter à son esprit un peu plus distrait. Tu verrais.

Tu veux seulement bien faire. Et trouver des façons de bien faire. Qu’il puisse apprendre et retenir l’information. Et pour ça, tu allais devoir trouver la façon qui fonctionne avec lui pour lui faire apprendre. Chose qui ne serait sans doute pas évidente, mais bon. T’es tenace, bien qu’il n’en paraisse rien. Et lui aussi l’est, tenace. Tandis qu’il revient sur le sujet de ce personne et que ton visage se colore de nouveau de ce rouge trop peu subtil. - C’est personne. Que tu réitères.

Tu essaies de réfléchir à sa question. À ce qu’il pourrait faire pour toi. Tu ne sais pas trop ce que tu pourrais lui demander. - Si tu pouvais subtilement emmerder un ou deux Ōshiro... Avec un petit sourire discret sur les lèvres. Ils sont quelques uns, après tout, à porter ce nom, dans la onzième division.

Ce nom que, bien malheureusement, tu portes aussi.