Une nouvelle pièce pour le puzzle.

Shingetsu avait passé une journée entière au lit, incapable de se lever, suite à son affrontement avec l'esprit matérialisé de son Zanpakutō. Par chance personne n'était venu troubler son repos, sa promotion au rang de vice-capitaine n'ayant pas encore été annoncée au sein de sa division personne n'aurait pensé à le chercher dans ses nouveaux quartiers. Il n'avait toutefois eu qu'une seule journée de répit, car ce matin-là quelqu'un était venu frapper à sa porte.

« Hé ! C'n’est pas parce que monsieur est vice-capitaine que ça l'autorise à glander deux jours d'affilé, ça ne te ressemble pas gamin. »

Le dieu de la mort reconnut immédiatement cette voix familière féminine, à la fois ferme et suave. Elle était celle qui l'avait accueilli, qui lui avait fait visiter les laboratoires et celle qui gardait un œil sur lui tout au long de sa carrière dans la douzième division. Elle était autrefois sa superviseure, son ancienne supérieure. Ils ne travaillaient véritablement ensemble qu'en de très rares occasions et le chercheur ne parvenait pas à se souvenir de son nom. Ses paroles demeuraient toutefois véridiques. Depuis son arrivée dans l'armée, il ne s'était pas absenté une seule fois et n'avait jamais demandé de permission ou de congé.

« Bon... J'entre ! »

Il mit certainement trop de temps à répondre ou bien elle n'était pas assez patiente. Le descendant du clan maudit bondit hors de son lit, se précipitant vers la salle de bain, emportant avec lui ses draps tachés de sang au passage. La porte s'ouvrit alors que les pieds du Shinigami touchèrent le carrelage blanc et froid de la salle de bain. Il fit couler un peu d'eau qu'il se passa sur le visage. De son côté la femme observait la chambre, non sans cacher sa déception.

« Je croyais qu'en une journée tu te serais approprié les lieux. C'est quand même très... Vide ? »

En dehors d'un couchage sommaire, mais confortable, et d'un crochet d'où pendait le sabre du dieu de la mort, il n'y avait rien à voir. Shingetsu passa la tête à travers l'ouverture qui séparait les deux pièces, constatant que l'importune ne portait pas son uniforme militaire. Elle inspectait l'endroit avec une grande attention. Les membres de la douzième avaient tous leurs sales manies, la sienne était vraisemblablement de fouiller dans l'intimité et la vie des autres.Un peu mal à l'aise à l'idée de prendre une douche alors qu'un indésirable se trouvait dans les parages, le scientifique s'y résigna malgré tout.

Lorsqu'il ressortit de la salle de bain, vêtu de son uniforme traditionnel du Gotei, il put la voir dans une position peu flatteuse. Elle se rampait, le ventre au sol, les fesses en l'air et la tête sous le lit.

« Euh... Qu'est-ce que vous faites au juste ? »

Elle se redressait lentement et avec des mouvements élégants, s'adressant à son interlocuteur sans perdre son aplomb.

« Tu n'as vraiment pas d'affaires ? »

La jeune femme, un peu trop curieuse, insistait étrangement sur ce détail qui paraissait pourtant sans importance pour Shingetsu. Il répondit machinalement à sa question.

« Non, pas spécialement. C'est difficile d'accumuler des choses dans les dortoirs communautaires et je n'en vois pas l'intérêt. »

Tout ce qui l'intéressait se trouvait au sein des différents laboratoires de l’Institut de Recherches et Développement Shinigami. L'ancienne supérieure du scientifique examinait à présent le mur qui se situait face à l'entrée des quartiers du vice-capitaine. Elle paraissait absorbée par ses pensées. Le dieu de la mort ne distingua que quelques mots et bribes à travers ses chuchotements.

« ... inture embelli... ...ment... èce. »

Il ne chercha pas à en comprendre le sens. Tandis qu'elle s'exprimait pour elle-même, elle semblait mesurer le mur, s'aidant de son corps et de la longueur de ses bras.

« Pardonnez-moi d'insister, mais vous n'avez pas répondu à ma question. Qu'est-ce que vous faites ici ? »

Le dieu de la mort restait poli, s'interdisant toute familiarité malgré l'attitude particulièrement détendue de son interlocutrice. Elle le mettait vraiment mal à l'aise.

« Exact ! »

Elle inspectait le jeune homme de la tête aux pieds avec un sourire amusé en fouillant dans sa grande robe écarlate aux motifs floraux noirs et blancs.

« Il te manquait ça. »

Elle s'approcha du chercheur, lui saisissant délicatement le bras gauche avant de lui enfiler le brassard qui prouvait son nouveau grade au sein des treize divisions. Cette proximité, bien que brève, lui démontra à quel point elle prenait ses aises avec lui. Avait-elle été toujours si familière avec lui ? Y avait-il seulement prêté attention ?

« Je suis sûre que si on ne te force pas un peu la main tu ne le porteras jamais et personne ne se rendra jamais compte que tu es vice-capitaine maintenant. »

Même s'il ne la connaissait pas vraiment, ce n'était pas son cas à elle. Elle semblait avoir cerné la personnalité du chercheur. Ses doigts se baladèrent brièvement sur l'épaule du Shinigami, qui recula d'un pas, tandis qu'elle enchaînait sur un autre sujet.

« Puis... j'ai eu vent de quelques bruits de couloirs intéressants en rendant visite à certains de mes mécènes cette semaine. Je serais une bien piètre subordonnée si je ne rapportais pas à mes supérieurs ce que j'entends ici et là. »

Ces paroles intriguèrent Shingetsu à plusieurs niveaux. Quel genre de choses pouvait-elle trafiquer pour avoir des bienfaiteurs pour la financer et qu'est-ce qu'on avait bien pu lui raconter ? Malgré sa curiosité, il balaya promptement cette pensée. Il préférait se concentrer sur des sujets bien plus importants. Le chercheur avait encore de nombreuses études à mener. Il répondit donc le plus sèchement possible, sans pour autant vouloir paraître froid.

« Je n'ai pas besoin de connaître toutes les rumeurs qui courent à la Soul Society, je laisse les soldats de la deuxième faire le tri de ce qui peut être intéressant ou non. »

Malgré son apparente insouciance, la Shinigami fronça brièvement les sourcils. Elle parut contrariée. Elle ouvrit une première fois la bouche sans qu'aucun son n'en sorte. La jeune femme n'aimait certainement pas passer pour un oiseau de mauvais augure.

« C'est amusant que tu parles de ça. Il paraît que c'est leur capitaine qui a tué un noble, un aveugle en prime ! Le patriarche du clan Shimura, si tu connais... »

Il secoua la tête en guise de réponse. Shingetsu n'éprouvait qu'un intérêt très mesuré à l'égard de la noblesse du Seireitei. Le chercheur n'avait pas véritablement retenu le nom de chaque famille et le rôle qu'elle jouait au sein de la Soul Society. Le dieu de la mort ignorait que son interlocutrice était elle même descendante de l'une de ces prestigieuses lignées. Il allait devoir se pencher un peu plus sur le sujet, pourtant la politique et les jeux de pouvoir et d'influence l'ennuyaient. Il allait sûrement devoir étudier de nombreux récits. Biographies, généalogies et autres ouvrages poussiéreux des archives rythmeraient ses prochains temps libres. Tous ces notables devaient bien avoir quelque chose en commun. En constatant que Shingetsu ne s'exprimait pas sur le sujet, elle crut bon d'ajouter quelques détails.

« Il paraît que ce n'est pas le seul impliqué dans cette histoire. La vice-capitaine de la huitième division et la capitaine de la neuvième pourraient elles aussi avoir des choses à se reprocher. »

Trois hauts gradés du Gotei se trouvaient donc liés à cette singulière affaire qui faisait écho à celle des disparitions. Il comprit aussitôt pourquoi on refusait que la douzième division effectue quelques analyses et pourquoi on avait retiré l'enquête des mains du conseil militaire. Ces informations permettaient à Shingetsu d'ajouter une pièce supplémentaire au puzzle. Elles soulevaient aussi de nouvelles questions. Pour quelle raison un capitaine tuerait un noble ? Leur influence pouvait-elle être assez dérangeante pour en arriver à de telles extrémités ? Si le patriarche des Shimura était un criminel alors il aurait dû être jugé par la Chambre des 46.

La deuxième division, celle-là même que l'on dit spécialisée dans l'espionnage et l'assassinat, ne comptait-elle pas parmi ses membres ceux qui étaient les plus discrets de tous les corps d'armée ? Leur capitaine devait sûrement être un maître en la matière. S'il avait vraiment été le coupable, cette information aurait été bien plus difficile à obtenir, même par les nobles. Difficile de croire qu'un assassin expérimenté se fasse surprendre par des témoins ou n'ait pas fait disparaître le cadavre. S'il ne s'agissait que d'une rumeur, il n'y avait peut-être aucune preuve. La noblesse aurait-elle pour intention de ternir la réputation du Gotei ? Les gradés impliqués s'étaient-ils retrouvés mêlés à un jeu d'influence ?

Avec ces rumeurs, les suspicions vont croître et s'étendre. Quel pouvait être l'intérêt de fragiliser un équilibre déjà précaire ? À qui profiterait cette querelle intestine ? Il en faudrait sûrement plus pour voir une institution aussi vieille que le Gotei 13 s'effondrer comme un château de cartes. Mais si toute cette affaire n'était qu'une infime partie d'un plan plus grand, à quoi pouvait-il être bien destiné ? Les questions et les théories fusaient déjà dans l'esprit du chercheur. Fallait-il envisager le pire scénario ? Évidemment, comme toujours. Cette situation ralentirait forcément ses recherches. Il ne pourrait certainement pas se concentrer sur son travail.

Shingetsu avait totalement occulté la présence de son informatrice. Elle était toujours plantée là, encore perturbée par la simplicité du décor. Ces murs blancs et cette ambiance aseptisée la dérangeaient. Ses sourcils froncés, elle marmonnait quelques mots que le descendant du clan maudit ne put entendre.

« Merci euh... »

Elle venait de lui fournir de précieuses informations, mais il ne parvenait toujours pas à se remémorer son nom. Il avait pourtant suivi certains de ses cours à l'académie avant de la retrouver à son entrée dans la douzième division. Depuis qu'il travaillait dans l'armée, elle le convoquait une fois dans l'année. En y réfléchissant bien, elle avait toujours fait preuve de familiarité envers tous les gens avec qui elle discutait. Il préféra éviter de se hasarder à prononcer un nom au hasard, jugeant que cela serait d'autant plus vexant. Il souhaita lui demander comment elle s'appelait, mais elle comprit avant même qu'il eut le temps de poser la question.

« Tu as oublié mon prénom, c'est ça ? »

Shingetsu voulut paraître désolé, sans pour autant y parvenir.

« Oui... »

Cette femme avait été particulièrement utile. Puisqu'il lui était reconnaissant, il espérait ne pas la blesser par ses maladresses.

« C'n'est pas grave, mais pour une fois que quelqu'un dont je surveille la carrière depuis le début a une promotion, j'espérais quand même un peu plus de reconnaissance. »

Elle éclata d'un rire franc. Elle ne semblait pas susceptible et ne comptait pas le blâmer pour le manque d'intérêt qu'il lui portait, c'était déjà un bon point.

« Je m'appelle Suzuna, tâche de t'en souvenir pour les prochaines fois que je passerai chez toi. »

Shingetsu nota le prénom de son interlocutrice dans un coin de son esprit. Il parut véritablement surpris par son annonce, s'imaginant qu'ils ne se croiseraient qu'en de rares occasions, pour quelques collaborations ponctuelles dans le cadre strictement professionnel des laboratoires.

« Les prochaines fois ? Parce que vous pensez qu'on va se revoir fréquemment ? »

Elle riait aux éclats. Il devait sembler bien sot pour qu'elle se moque ainsi de lui.

« Bien sûr que oui ! Tu n'as pas l'air particulièrement attentif à ce qui peut se passer en dehors du laboratoire. »

Elle n'avait pas tout à fait tort. Le Shinigami devrait se montrer plus ouvert et réceptif, y compris aux événements qui ne concernaient en rien ses recherches.

« En l'absence du capitaine, c'est sur toi que vont peser les charges de la douzième. »

Les paroles de Suzuna lui rappelèrent la disparition du capitaine Yūko Seiichi. S'était-il lui aussi retrouvé impliqué dans cette sombre affaire ? Encore un mystère à élucider, un autre à ajouter à une liste déjà bien assez longue.

« Ah oui, c'est vrai. »

Avait-il seulement les épaules pour assumer toutes ces responsabilités ? Le descendant du clan Komamura ne pouvait l'affirmer avec certitude pour le moment.

« Crois-en mon expérience, ce n'est pas en restant cloîtré dans les locaux de notre division que tu pourras véritablement comprendre ce qui se passe au Seireitei. »

Il s'agissait là d'un précieux conseil qu'il devrait appliquer. Elle avait dû lire l'inquiétude dans son regard, car elle s'empressa d'ajouter des propos qui se voulaient sûrement rassurants.

« Par chance pour toi, je serai là. »

Il hochait la tête.

« Par chance, oui... »

Il chuchotait, les yeux perdus dans le vide. Il s'agissait d'un signe que son esprit vagabondait déjà ailleurs.

« Et tu sais, à l'avenir tu pourrais me tutoyer. »

La Shinigami quittait les lieux, sans attendre de réponse de la part de son interlocuteur. Le scientifique sortit de ses quartiers à sa suite en marmonnant, l'air absent.